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Décisions

Cass. 2e civ., 8 avril 2004, n° 02-17.588

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Vitarmonyl (Sté)

Défendeur :

Presse Publications France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Rapporteur :

M. Mazars

Avocat général :

M. Domingo

Avocat :

Me Copper-Royer.

T. com. paris, 5e ch., du 20 oct. 2000

20 octobre 2000

LA COUR: - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 16 mai 2002), que, dans son numéro du mois de juillet 1999, la revue "M Magazine", éditée par la société Presse publications France (la société), a fait paraître dans une rubrique intitulée "On M aime pas", sous le titre "Les fausses pilules miracles", un article, accompagné de la photographie du produit "Mémoire concentration, vendu sous la marque "Vitarmonyl", rédigé ainsi: "Pas de chance pour Vitarmonyl, le tout nouveau complément alimentaire censé régénérer nos neurones (35 francs la boîte). Le magazine 60 millions de consommateurs, dans un récent numéro, a testé 34 psychostimulants et autres toniques de la même famille. Conclusion: ces produits ne servent pas à grand chose car les vitamines (B et C), les oligo-éléments et les sels minéraux qu'ils apportent peuvent être facilement ingérés grâce à une alimentation normale. Et de manière nettement moins coûteuse"; qu'estimant que cette publication constituait un dénigrement fautif, la société Laboratoires Vitarmonyl a assigné la société Presse publications France, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Sur les premier et deuxième moyens, réunis: - Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action en responsabilité engagée par la société Laboratoires Vitarmonyl, alors, selon le moyen: 1°) que les abus de la liberté de la presse prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil; qu'en l'espèce, les propos reprochés, contenus dans un article de presse, ne pouvaient donner lieu qu'à une action fondée sur la loi spéciale sur la presse, pour autant que fussent réunis les éléments constitutifs d'une infraction prévue et réprimée par cette loi, à l'exclusion du droit commun de la responsabilité civile; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1382 du Code civil; 2°) que dans le cas où les propos contenus dans un article de presse caractérisent de façon indissociable un dénigrement du produit et une diffamation de la personne du fabricant, est seule ouverte l'action en diffamation qui se prescrit par trois mois dans les conditions de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881; qu'en l'espèce, dans ses propres conclusions d'appel, la société Laboratoires Vitarmonyl faisait valoir que, au-delà du dénigrement de son produit, l'article laissait entendre qu'elle-même, en tant que fabricant, abusait et trompait le consommateur en prêtant au produit "Mémoire concentration" des vertus ou une inefficacité inexistantes, l'encart "fausses pilules miracle" constituant une allusion directe au charlatanisme portant atteinte à son image de rigueur scientifique; que ces allégations caractérisaient une imputation de diffamation au sens de la loi sur la liberté de la presse; qu'en passant sous silence cet aspect essentiel de la prétention de la société Laboratoires Vitarmonyl, ayant une incidence directe sur sa recevabilité, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; 3°) qu'il appartient au juge de donner ou restituer aux prétentions des parties, leur exacte qualification juridique; que, loin de pouvoir retenir que la société Laboratoires Vitarmonyl soutenait "essentiellement" que l'article contenait des propos dénigrants sur son produit, la cour d'appel devait restituer à la prétention formulée la double qualification légale de propos dénigrants concernant le produit et de diffamation à l'encontre de la société Laboratoires Vitarmonyl et en tirer toutes les conséquences légales; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile; 4°) qu'en s'abstenant de rechercher si les propos dénigrants concernant le produit "Mémoire concentration" n'étaient pas nécessairement indissociables de la diffamation clairement invoquée par la société Laboratoires Vitarmonyl dans ses conclusions d'appel, de sorte qu'était seule ouverte l'action en diffamation et que celle-ci était prescrite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions combinées des articles 29, 32 et 65 de la loi du 29 juillet 1881;

Mais attendu que les appréciations mêmes excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle et commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas une personne physique ou morale;

Et attendu que l'arrêt retient que l'article portait sur le produit "Mémoire concentration" et décide à bon droit, sans méconnaître les termes du litige, que l'action de la société Laboratoires Vitarmonyl, fondée expressément sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, était recevable; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;

Sur le troisième moyen: - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à la société Laboratoires Vitarmonyl, alors, selon le moyen: 1°) que l'enquête de la revue 60 Millions de consommateurs, à laquelle s'est référé l'auteur de l'article incriminé, ne se bornait pas à analyser des médicaments psychostimulants et toniques pour conclure à l'existence d'effets secondaires et de contre-indications non signalés mais, sous l'intitulé "Doper son cerveau", comportait, en outre, des avis de médecins spécialistes mettant en garde autant contre la prise inutile, parfois dangereuse, de médicaments psychostimulants que contre la consommation illusoire d'aliments spécifiques en vue de stimuler le cerveau et soulignant que la meilleure façon d'améliorer son fonctionnement consiste à se nourrir de façon équilibrée, outre bien dormir et faire du sport; qu'en cantonnant arbitrairement la portée de l'enquête aux tests des médicaments et à la conclusion incidente de leurs dangers, pour imputer à faute à la société Presse publications France, "en guise d'analyse du produit", une utilisation imprudente de l'enquête de la revue 60 Millions de consommateurs, laissant croire que le complément nutritionnel "Mémoire concentration" faisait partie de ces médicaments dangereux, la cour d'appel a entaché sa décision d'une dénaturation par omission d'une partie essentielle de l'enquête de la revue 60 Millions de consommateurs et a, par là-même, violé l'article 1134 du Code civil; 2°) que le droit de libre critique d'un produit s'exerce de façon légitime dès lors qu'il s'appuie sur les avis éclairés de spécialistes; qu'en l'espèce, en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la conclusion du journaliste: "Ces produits ne servent pas à grand-chose" n'était pas l'expression d'une opinion personnelle légitime et, par là-même, dépourvue de tout caractère fautif, dès lors qu'elle s'appuyait sur les avis des médecins spécialistes publiés dans la partie de l'enquête, délibérément omise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 11 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen, en préambule de la Constitution, et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'article litigieux portait sur le produit une appréciation générale très négative, dépassant les limites du billet d'humeur, qu'en faisant référence à l'appui de son appréciation à une enquête réalisée par le magazine "60 Millions de consommateurs", l'article laissait à penser au lecteur que cette enquête concernait le produit en cause, alors que tel n'avait pas été le cas, que les propos dénigrants et l'amalgame erroné avec cette enquête ont jeté le discrédit sur le produit "mémoire concentration" et que la société a manqué à son devoir de prudence et d'objectivité; Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a décidé, à bon droit, sans dénaturation de l'enquête, que la société avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs: Rejette le pourvoi.