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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 20 décembre 1990, n° 1662-90

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Conseillers :

Mme Magnet, M. Jacob

TGI Bobigny, 16e ch., du 18 janv. 1990

18 janvier 1990

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal a déclaré J Raymond coupable de tromperie du contractant sur l'identité des choses livrées par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat,

Délit commis en octobre 1987 à Rosny-sous-Bois (93), prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905,

Le tribunal a condamné J Raymond à la peine de 8 000 F d'amende, ainsi qu'aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de 303,99 F, non compris le droit fixe de procédure de 250 F et celui de poste de 30,80 F;

Appels:

Appel a été interjeté par:

1°) J Raymond, le 25 janvier 1990, par l'intermédiaire de son conseil,

2°) la société X, se déclarant civilement responsable, représentée par son conseil, le 25 janvier 1990,

3°) le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bobigny, le 25 janvier 1990.

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur les appels régulièrement interjetés tant par le prévenu que par le Ministère public à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance de Bobigny (16e chambre) en date du 18 janvier 1990 dont le dispositif est rappelé ci-dessus.

Appel en a également été interjeté, par déclaration au greffe du Tribunal de Paris, dans le délai légal, par la société anonyme X, se déclarant civilement responsable, représentée par son conseil, alors que le tribunal, dans le dispositif du jugement attaqué, n'a nullement énoncé que ladite société était déclarée civilement responsable du président de son conseil d'administration, J Raymond.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la prévention et les faits de la cause, la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

Sans nullement contester la matérialité des faits qui lui sont reprochés, J Raymond, assisté de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de:

- "infirmer le jugement rendu par le tribunal correctionnel et (le) relaxer purement et simplement au motif que la décision du GPEMDA à laquelle il est fait référence dans la citation constitue en elle-même une entrave à la libre circulation des marchandises et qu'aucune clause d'un marché public ne peut contenir des dispositions contraires à la libre circulation des marchandises, (et au motif que) dès lors que le produit importé par (lui) est légalement fabriqué dans un autre pays de la Communauté, une décision réglementaire ou les termes d'un marché public ne peuvent interdire l'accès de ce produit au territoire national de sorte (qu'il) ne peut avoir commis le délit de tromperie en important ce produit légalement fabriqué dans un autre pays."

- "Subsidiairement, surseoir à statuer et, par application de l'article 177 du traité de Rome, saisir la Cour de justice des Communautés européennes dont le siège est: L-2925 Luxembourg- de la question suivante:

"En l'absence de normes européennes, les articles 30 et suivants du traité, ainsi que la directive 77-62 du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1976 sur les marchés de fournitures interdisent-ils à l'adjudicateur d'un marché de fournitures publiques de prévoir dans son cahier des charges la fourniture d'un produit dont les caractéristiques essentielles sont différentes de celle du même produit légalement fabriqué et commercialisé dans d'autres pays de la Communauté?"

De telles clauses, susceptibles d'entraver la libre circulation des marchandises, sont-elles contraires aux dispositions des articles 30 et suivants du traité?"

En l'espèce, la clause d'un marché public qui interdit à l'adjudicataire de livrer une margarine ayant une teneur en eau maximum de 16 % alors que ce même produit est légalement fabriqué dans d'autres pays membres dès lors qu'il contient 80 % minimum de teneur en graisse n'est-elle pas contraire aux dispositions des articles 30 et suivants du traité et à la directive 77-62 du Conseil des Communautés?"

"A défaut, prononcer sa relaxe des fins de la poursuite compte tenu de ce qu'il justifie avoir procédé aux vérifications qui s'imposent à lui en application de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 mai 1989";

Sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société X:

Considérant que, dans la motivation de sa décision, le tribunal a énoncé que "la société X sera déclarée civilement responsable"; que le fait d'avoir omis, dans le dispositif de déclarer ladite société civilement responsable, relève de l'erreur purement matérielle;

Que, dès lors, il y a lieu de déclarer recevable l'appel relevé par la société X;

Sur l'action publique:

Considérant qu'il est constant et n'est d'ailleurs pas discuté que la société anonyme X, qui a pour objet l'achat et la vente en gros, demi-gros et détail, de beurres, oeufs, fromages, volailles et tous produits alimentaires et dont J Raymond est le président du conseil d'administration, a été, à la suite d'un appel d'offres passé dans le cadre d'un marché public de fournitures par le commissariat de la 2e région aérienne de l'armée de l'air, déclarée adjudicataire de ce marché le 1er avril 1987 pour fournir, notamment, de la margarine dont les qualités et la composition devaient répondre aux spécifications d'une décision n° E 3-79 du "groupement permanent d'études des marchés de denrées alimentaires" (GPEM/DA), approuvée le 17 octobre 1979 par la section technique de la commission centrale des marchés, laquelle, en son annexe n° 1, fixait à 16 p. 100 maximum la teneur en eau de la margarine faisant l'objet de marchés ou commandes passées par les collectivités du secteur public;

Que, les services de la de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ayant fait procéder, à la demande du commissariat de l'armée de l'air, à une analyse de la margarine livrée dans le cadre de ce marché et importée de Belgique où elle était fabriquée par la société Y, il se révélait que la teneur en eau de celle-ci s'élevait, en fait, à 19,5 p. 100 (rapport d'analyse n° 11744 du 22 décembre 1987 correspondant à un prélèvement effectué le 13 octobre 1987);

Que les résultats de l'analyse étaient communiqués, le 12 septembre 1988, à J Raymond qui ne réclamait pas d'expertise contradictoire;

Qu'il appartenait à J Raymond de vérifier, en tant que fournisseur, que la margarine qu'il importait de Belgique était conforme à celle qu'il s'était engagé à livrer aux termes même du marché dont la société X avait été adjudicataire;qu'il ne justifie pas avoir effectué une quelconque vérification;qu'il n'a d'ailleurs jamais soutenu avoir ignoré que la margarine livrée n'était pas conforme;

Qu'il est incontestable que le commissariat de la 2e région aérienne a été ainsi trompé puisque, sans qu'il l'en ait préalablement informé, J Raymond a fourni une margarine présentant une teneur en eau maximum que devait présenter la margarine,objet du marché, alors qu'il lui était loisible de s'approvisionner, soit sur le marché français, soit sur le marché italien où, de son propre aveu, la margarine doit présenter une teneur en matière grasse de 84 % minimum;

Que le silence gardé par J Raymond sur la non-conformité de la marchandise fournie caractérise à lui seul le délit de tromperie prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905;

Que, dans ces conditions, est totalement extérieur à la cause et inopérant le moyen soulevé en défense par le prévenu qui soutient, d'une part, que la décision du GPME/DA rappelée ci-dessus constitue une entrave à la circulation des marchandises et est donc contraire aux dispositions de l'article 30 du traité de Rome sans constituer une exception prévue par l'article 36, d'autre part, que l'article 11-4 de la loi du 1er août 1905 qui met à la charge du responsable de la première mise sur le marché d'un produit une obligation de vérification portant sur la conformité de celui-ci aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs, constitue également, en l'espèce, une entrave à la circulation des marchandises;

Que les premiers juges ont donc à juste titre retenu J Raymond dans les liens de la prévention; que, dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité de celui-ci; que, toutefois, il y a lieu de lui faire une application plus sévère de la loi pénale;

Sur la mise en cause de la société X en qualité de civilement responsable:

Considérant que la société X ne saurait être déclarée civilement responsable du président de son conseil d'administration, J Raymond, qui l'engage et qui l'oblige et qui n'est donc pas son préposé;

Par ces motifs Et ceux non contraires des premiers juges LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, de la société civilement responsable et du Ministère public, Confirme le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité de J Raymond, L'infirmant sur la peine, condamne J Raymond à trente mille (30 000) francs d'amende, Met hors de cause la société anonyme X, Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette, Condamne J Raymond aux dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel liquidés à la somme de 361,70 F. Le tout par application des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 473, 512 du Code de procédure pénale.