CA Poitiers, ch. corr., 19 février 2004, n° 03-00879
POITIERS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Albert
Avocat général :
Mme Sallaberry
Conseillers :
Mme Feltz, M. You
Avocat :
Me Iffenecker.
Décision dont appel:
Le tribunal a:
- prononcé la nullité de la citation du 2 décembre 2002 relative aux faits du 28 mai 2002;
- pour le surplus, déclaré Monsieur T Serge coupable des faits qui lui sont reprochés
- condamné T Serge à la peine de un an d'emprisonnement avec sursis, à 74 amendes de 20 euros chacune et 170 amendes de 10 euros chacune.
Appel a été interjeté par:
Monsieur T Serge, le 1er juillet 2003,
M. le procureur de la république, le 1er juillet 2003 contre Monsieur T Serge.
Décision:
LA COUR, après en avoir délibéré,
Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,
Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,
Attendu que T Serge est prévenu:
- d'avoir à Mortagne-sur-Sèvre, entre le 21 décembre 2000 et le 23 janvier 2001, tenté de tromper la société SRA et les consommateurs de la Guadeloupe sur la nature et les qualités substantielles de plus de 2 tonnes de viandes présentées comme étant du cabri alors qu'elles correspondaient à de la chèvre, ces carcasses apparaissant par ailleurs impropres à la consommation comme comportant des éléments interdits (moëlle épinière ou de graves défauts), ladite tentative, manifestée par un commencement d'exécution consistant dans le fait de ré-étiqueter ces carcasses impropres à la consommation avec la mention "cabri" dans le but de les livrer à la société sus-mentionnée, n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, en l'espèce à l'intervention des services vétérinaires;
infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, art. 121-5 du nouveau Code pénal et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, art. 121-5 du nouveau Code pénal
- d'avoir à Mortagne-sur-Sèvre, entre le 21 décembre 2000 et le 23 janvier 2001, exposé, mis en circulation et mis en vente des pièces d'animal, en l'espèce: 73 carcasses de chèvres non marquées ou estampillées par les services vétérinaires;
infraction prévue par les articles 4 al. 3, 11 al. 1, 26 al. 1, 1 du décret 71-636 du 21.07.1971, l'article L. 232-3 du Code rural et réprimée par l'article 26 al. 1 du décret 71-636 du 21.07.1971
- à Mortagne-sur-Sèvre, entre le 23 janvier 2001 et le 7 février 2001, trompé les consommateurs, contractant, sur la composition du produit "croquandine de veau" - étiquetage indiquant "préparation à base de viande de veau hachée et de protéines végétales - enrobée de panure et dont le contrôle vétérinaire a révélé que la matière première de cette préparation contenait notamment des ganglions lymphatiques, des bouts de thymur; des plaies de saignée, des corps étrangers, des muqueuses;
infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
- à Mortagne-sur-Sèvre, entre le 23 janvier 2001 et le 7 février 2001 commis 170 infractions aux règlements pris pour exécution de la loi sur les fraudes: la composition de la viande de veau hachée utilisée dans la préparation de la "croquandine de veau" n'étant pas conforme aux prescriptions du décret 97-74 du 28 janvier 1997;
infraction prévue par les articles L. 214-2, L. 214-1 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 214-2 al. 1 du Code de la consommation
- d'avoir à Mortagne-sur-Sèvres, le 28 mai 2001, introduit sur le territoire métropolitain des denrées d'origine animale ne répondant pas aux conditions sanitaires ou ayant trait à la protection des animaux;
infraction prévue par les articles L. 237-3 al. 1 1°, L. 236-1 al. 1 du Code rural et réprimée par l'article L. 237-3 al. 1, al. 3 du Code rural
- d'avoir à Mortagne-sur-Sèvre, le 28 mai 2001, omis de signaler au directeur des services vétérinaires des anomalies et non-conformités que les demi-carcasses présentaient en surface;
infraction prévue et réprimée par l'article 337 du Code rural et 9 de l'arrêt ministériel du 11.03.96
- d'avoir à Mortagne-sur-Sèvres, importé des viandes contenant la moëlle épinière matériel à risque interdit;
infraction prévue et réprimée par 337 du Code rural et 1 de l'arrêté ministériel du 10.11.2000
Les 21 et 27 décembre 2000, les services vétérinaires de la Vendée constataient que l'établissement X de Mortagne-sur-Sèvre avait reçu d'Espagne un lot de chèvres congelées, n'avait pas procédé à une vérification et un contrôle visuel, et devait les revendre sous l'appellation cabri, afin de les faire entrer dans une spécialisation culinaire des Dom-Tom français "le cabri colombo".
Entendu par les services enquêteurs, Monsieur T s'est justifié en disant qu'il ne faisait pas de différence entre une chèvre et un cabri et que le fournisseur ne lui achèterait pas la marchandise si elle n'était pas facturée "cabri"; c'est ainsi qu'il avait été amené à rajouter sur le bon de livraison "carcasse de cabri à os".
Le 7 février 2001 lors d'un nouveau contrôle l'inspecteur de service sus-désigné constatait que dans le local à découpe, la présence de "maigre de tête de veau" d'origine hollandaise en phase de décongélation afin d'être utilisé pour entrer dans la fabrication de "croquandine de veau"; or l'aspect visuel de ces produits étant suspect, il a été demandé de décongeler les produits afin d'approfondir l'examen.
Selon l'étiquette du produit fini, celui-ci contient 33,75 % de viandes de maigre de tête de veau alors que selon M. T il n'en contenait que 10 % (déclaration du 21 mai 2001); mais surtout ce type de produit ne doit contenir en plus des autres ingrédients que du maigre ou du gras; or dans le cas présent, la matière première contenait des ganglions, des muqueuses, des souillures diverses, des poils, du ris de veau et des plaies de saignée.
A nouveau auditionné M. T expliquait qu'il avait reçu 5 tonnes de "maigre de veau" provenant de Hollande et particulièrement de la société Molendijk; cette matière première était arrivée congelée le 23 janvier 2001 et après découpe d'un bloc, il n'avait été constaté aucune anomalie après examen visuel.
Il expliquait en outre que cette matière n'est pas décongelée pour effectuer la transformation; elle est passée dans une machine qui la découpe en gros copeaux, puis dans une seconde qui la hache plus finement, de manière à être incorporée avec d'autres viandes hachées et ingrédients pour la fabrication des croquandines.
Devant la cour, M. T fait plaider sa relaxe.
Pour sa part Madame l'Avocat général n'entend pas contester la nullité de la citation du 2 décembre 2002 relative aux faits du 28 mai 2001 (non discutée, dans la mesure où le texte de répression visé à la citation a été abrogé) d'ailleurs le Ministère public n'a pas interjeté un appel sur ce point.
A l'audience le Parquet général reconnaît également que les contraventions visées dans la citation sont prescrites.
Dès lors la cour ne reste saisie que pour les deux catégories de faits pouvant constituer des délits et exposés en début du présent arrêt.
Motifs de l'arrêt:
1. sur la tentative de tromperie:
Il est reproché à Monsieur T d'avoir fait apposer sur les emballages de carcasse de chèvre adulte (stockinettes) des étiquettes avec la mention "cabri" et d'avoir ainsi voulu tromper la société SRA et les consommateurs de la Guadeloupe.
Sur ce point, de même la Direction des services vétérinaires dans sa note du 7 janvier 2004 n'est pas affirmative quant à la réalité que peut recouvrir le terme de "cabri" notamment dans les Dom-Tom (Antilles) où il signifie "chèvre".
Ces éléments pouvant constituer la tentative de tromperie sera donc écarté.
Dans la même prévention il était également mentionné que les carcasses apparaissaient impropres à la consommation comme comportant des éléments interdits (moëlle épinière ou de graves défauts).
Selon M. T aucun délit de tromperie ne saurait lui être reproché car rien ne laissait supposer une anomalie à dénoncer en application de l'article 9 de l'arrêté du 11 mars 1996.
En l'espèce, il n'a pas été démontré que sur le premier lot, le plus important se trouvant à l'arrière du camion, existait une quelconque anomalie.
Ce n'est qu'une fois le déchargement complet, en présence alors des services vétérinaires que les anomalies ont été constatées.
Il n'est donc pas démontré que M. T en ait eu connaissance puisqu'il n'avait pas encore été amené à examiner la partie du chargement, et ce d'autant que le produit n'était pas destiné à être transformé, mais ne faisait que transiter à X avant sa livraison en Guadeloupe.
Il devra donc être relaxé de ce chef de poursuite.
2. Sur le problème des croquandines de veau:
M. T se retranche derrière le fait que les blocs étaient régulièrement estampillés par les services vétérinaires des Pays-Bas et accompagnés de tous les certificats sanitaires; que sa bonne foi est totale puisque les produits transformés qui sortent de ses ateliers subissent une analyse bactériologique.
En outre il fait plaider que s'il n'y a pas de contrat il ne peut y avoir tromperie; sur ce point il est à préciser que la notion de contrat pour la qualité sanitaire et l'aptitude à la consommation humaine des denrées alimentaires est implicite pour un établissement agréé pour la mise sur le marché de denrées alimentaires.
En ce qui concerne les analyses bactériologiques, elles n'interviennent qu'après un processus de fabrication nécessitant un traitement thermique tuant les bactéries; leur existence aussi indispensable soit-elle est insuffisante pour disculper M. T.
Il est indifférent également que les services sanitaires néerlandais aient apposé leur estampille; en effet ce qui est reproché à M. T c'est d'avoir tenté de tromper le consommateur en incluant dans la présentation spécifique qu'est la croquandine de veau des corps étrangers à une préparation annoncée comme "préparation à base de viande de veau hachée et de protéines végétales".
Même si M. T n'est pas vétérinaire, lui-même et son personnel sont des professionnels de l'agroalimentaire et au regard des non-conformités constatées, celle-ci auraient dû attirer leur attention; en tout état de cause, il n'a jamais fait le moindre contrôle de qualité sérieux avant le hachage, pas plus d'ailleurs qu'en sortie du produit, pour vérifier que celui-ci contenait bien les produits de qualité annoncés qui devaient entrer dans la composition de la marchandise finie.
Les fautes commises dénotent donc une volonté délictueuse certaine et il sera retenu dans les liens de la prévention.
M. T a déjà fait l'objet d'un sérieux avertissement en 1997; il est donc nécessaire pour une dernière fois de l'inviter à prendre toutes précautions utiles avant de commercialiser des produits qui peuvent s'avérer sinon dangereux, du moins non-conformes à ce que l'industriel annonce; il sera prononcé à son encontre une peine d'emprisonnement de un an avec sursis et à une amende de 2 000 euros; en effet ce type de tromperie est gratifiante sur le plan financier, le maigre de veau n'ayant pas le même prix que le thymus, les poils, les ganglions etc.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, par arrêt, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort, reçoit les appels, réguliers en la forme, Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau, Relaxe M. T sur le délit de tromperie concernant les chèvres. Constate l'amnistie des contraventions de 3e et 5e classes pour lesquelles il avait été condamné. Confirme sa culpabilité sur le délit relatif à la croquandine de veau. En répression, Le condamne à la peine de un an d'emprisonnement; dit qu'il sera sursis à l'exécution de cette sanction; et à une amende de deux mille euros (2 000 euros). La présente décision est soumise à un droit fixe de procédure de 120 euros dû par chaque condamné (art. 1018A du Code général des impôts).