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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 10 octobre 1990, n° 390-90

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Syndicat de défense de l'Andouille de Vire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moulanier

Substitut :

général: M. Reybel

Conseillers :

MM. Vandeville, Beaurain

Avocats :

Mes Fourgoux, Potel.

TGI Caen, ch. corr., du 20 sept. 1988

20 septembre 1988

Attendu que le prévenu sur l'ensemble des dispositions et le Ministère public, ont respectivement interjeté appels principal et incident du jugement rendu le 20 septembre 1988 par le Tribunal correctionnel de Caen, lequel, statuant sur la poursuite intentée contre Gilbert L du chef de fraude, a déclaré l'intéressé coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à la peine de 20 000 F d'amende, a reçu le " Syndicat de défense de l'andouille de Vire " en sa constitution de partie civile, a accordé à l'intéressé une somme de 1 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 2 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, et a dit n'y avoir lieu à publication de la décision dans la presse; que, par arrêt du 20 mars 1989, la Cour d'appel de Caen a confirmé cette sentence et a condamné L à payer au Syndicat de défense de l'andouille de Vire une somme de 1 500 F à titre de frais non recouvrables en cause d'appel; que, par arrêt prononcé le 3 mai 1990, la Cour de cassation a cassé cette décision et a renvoyé la cause et les parties devant la cour de céans;

Attendu que le prévenu comparaît et conclut à sa relaxe ainsi qu'au débouté corrélatif des prétentions de la partie civile dont il soulève préalablement l'irrecevabilité; qu'il sollicite subsidiairement une mesure d'instruction à l'effet de rechercher l'état des usages pour la fabrication industrielle de l'andouille de Vire telle qu'elle est définie dans le Code de la charcuterie; qu'il demande, à défaut à la cour, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question, assortie d'un sursis à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt de cette juridiction, et posée dans les termes suivants: "un Etat membre peut-il interdire, pour un type de produit de charcuterie de consommation courante sur le territoire de la CEE tel que l'andouille, de recourir à des méthodes de fabrication admises dans l'industrie agro-alimentaire des divers Etats membres sans créer une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 30 du traité ?"

Attendu que le Ministère public déclare s'en remettre à la sagesse de la cour de renvoi; que la partie civile conclut à la confirmation de la décision entreprise et poursuit le remboursement des frais non recouvrables exposés par ses soins dans le cadre de sa triple intervention devant les premiers juges, la Cour d'appel de Caen et cette cour; qu'elle réclame de ce chef une somme de 15 000 F;

Attendu que Gilbert L, président directeur général de la société anonyme X, est prévenu d'avoir à Douvres la Délivrande et Sainte-Savine près Troyes, dans le courant de l'année 1986 et le 4 septembre 1986, trompé le contractant sur la nature et les qualités substantielles de la marchandise vendue en commercialisant sous la dénomination " Andouille de Vire ", une andouille fabriquée selon la technique du "poussoir" et fumée par incorporation d'arômes, méthode de fabrication ne correspondant pas, selon le Code de la charcuterie, à une andouille pouvant recevoir la dénomination "Andouille de Vire", faits prévus et réprimés par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905 modifiée par la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978;

Attendu qu'il résulte des éléments de la cause, que cette poursuite est l'issue du contrôle opéré le 4 septembre 1986 par les services de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Caen, qui a constaté, en instrumentant dans le magasin Y de Douvres la Délivrande, la présentation en vitrine réfrigérée du rayon charcuterie libre-service d'un lot de 40 préemballages d'andouilles portant sur leur étiquetage "Andouille de Vire - Ingrédients abats et gorges de porc - sel - poivre - arôme fumé - conservateur sel nitrité - conserver à +3° - ATSA - 10300 Sainte-Savine près Troyes"; que le procès-verbal de délit établi par le contrôleur mentionne que ces produits, livrés au détail par les Etablissements Z à Saint-Martin des Entrées (14400), avaient été fabriqués et vendus par les Etablissements X, <adresse>à Sainte-Savine près Troyes (10300);

Attendu que le rédacteur du procès-verbal énonce que l'examen d'une andouille lui a permis de penser que la technique de fabrication de celle-ci ne répondait pas à la définition donnée par le Code de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes (réglementation et usages); qu'il explique à ce sujet que les boyaux n'étaient pas assemblés en forme elliptique et que l'embossage avait donc été opéré mécaniquement selon une technique dite "au poussoir";

Attendu qu'il est en effet constant, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, que les andouilles de Vire litigieuses ont été embossées au poussoir et fumées par incorporation d'arômes;

Attendu que le Code de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes (réglementation et usages), texte édité par le Centre technique de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes et rédigé, selon les termes mêmes des conclusions de l'appelant principal, par cet organisme, après une large concertation entre professionnels et des rencontres nombreuses avec le Service de la Répression des Fraudes, consacre, dans sa troisième et dernière édition, celle de janvier 1986, le texte suivant aux produits susceptibles d'être dans la cause ou exclus de celle-ci:

"Andouille de Vire traditionnelle

La définition de la recette ancestrale de l'andouille de Vire a été donnée par le " Syndicat de défense de l'Andouille de Vire ".

Composition

L'andouille de Vire "tradition" est composée de la ventrée complète du porc gros intestin (40% environ), menus (environ 43%), estomac (environ 17%), sans adjonction de gras ni de liants, avec addition de sel, poivre, épices et aromates.

Exposé sommaire du processus de fabrication

Nettoyage, ablation obligatoire de la muqueuse stomacale, grand lavage, découpage, salage et repos en saumure pendant quelques jours. Puis montage des lanières de boyaux en formes elliptiques, enrobage, entreposage en grande cheminée type campagne, (à l'exclusion de tout fumoir industriel), où les andouilles sont fumées au bois de hêtre de préférence (les bois résineux ne doivent pas être employés); le fumage dure un mois ou deux. Après avoir été ficelées, les andouilles sont dessalées, puis cuites à l'eau ou dans un court-bouillon judicieusement aromatisé.

Aspect final du produit

Cylindre irrégulier de 25 à 30 cm de long, diamètre de 4 à 6 cm, arrondi aux extrémités où à l'une d'elles se trouve la ficelle qui sert à pendre l'andouille. Des spires sont très apparentes sur la surface externe de la véritable andouille de Vire car ce produit a été ficelé avant cuisson. La teinte noire naturelle est produite par le fumage à l'exclusion de tout colorant. A la coupe, elle présente l'aspect de marbrures irrégulières.

Ce produit, absolument typique et fabriqué exclusivement à Vire et dans ses environs justifie une appellation telle que:

"Véritable andouille de Vire" ou "andouille de Vire tradition".

Andouille de Vire

Le type de fabrication de l'andouille de Vire en opposition au type de l'andouille de Guéméné a été largement adopté par les fabricants de la France entière et selon les usages anciens. L'andouille commercialisée sous l'appellation andouille de Vire est une andouille cuite répondant aux caractéristiques suivantes:

Le produit est composé de l'appareil digestif du porc (intestins, estomac) ainsi que, éventuellement, de lanières de gorge ou de poitrine. Les boyaux partiellement dégraissés et très soigneusement nettoyés sont:

- le plus souvent précuits,

- assemblés en forme elliptique et embossés,

- fumés lentement,

- ficelés,

- cuits dans un bouillon aromatisé.

L'aspect de la coupe est caractéristique (marbrures irrégulières) ".

Attendu qu'il est établi par le procès-verbal de déclaration de Didier A, directeur technique à la société A de Vire, entendu par le contrôleur de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (pièce en date du 6 février 1987 versée aux débats), que la technique de fabrication utilisée obligatoirement pour la confection d'andouilles de Vire et respectant les dispositions du Code des usages se traduit par la pratique ainsi relatée et commentée par la personne susnommée:

" - les chaudins et les pauses sont dégraissés soit manuellement, soit en parmentière;

- les pauses sont découpées manuellement en lanières et assemblées manuellement en forme elliptique c'est-à-dire en longueur, alignées les unes à côté des autres; les chaudins sont traités de façon identique, les menus restent entiers.

- les éléments assemblés sont enrobés d'un boyau naturel, puis fumés et cuits.

Dans cette technique, l'usage du poussoir est impossible, car son utilisation ne permet absolument pas l'assemblage en forme elliptique, l'appareil utilisé ne fait que pousser une masse informe d'éléments à l'intérieur du boyau.

Sur le plan économique, il y a évidemment une incidence très importante à l'usage de la technique du poussoir.

Fabriquant des produits selon les deux techniques (Andouille de Vire et Andouille au poussoir) on peut chiffrer de façon très précise les différences de coût de main-d'œuvre qui sont pour notre société de l'ordre de plus de 20 F par kg. Les prix de vente de nos productions étant de:

Andouille de Vire 66 F le kg,

Andouille poussoir 34 F le kg (ex. pour un supermarché).

Cette différence de coût de production met en évidence la gravité de trouver sous la même dénomination deux produits de conception différente et pourrait remettre en question l'intérêt de fabriquer des andouilles à la main ".

Attendu qu'il résulte de tous ces éléments que le produit litigieux (Andouille de Vire et non Andouille de Vire Traditionnelle), ne répondait pas au Code des usages, faute d'avoir été assemblé en forme elliptique et d'avoir été fumé lentement;

Attendu que, sans qu'il soit par conséquent besoin de recourir à la mesure d'instruction subsidiairement sollicitée, il apparaît que L a bien trompé le contractant sur la nature et les qualités substantielles de la marchandise vendue;

Attendu qu'au soutien de sa demande de sursis à statuer, le prévenu expose qu'il y aurait lieu de rechercher si des fabricants d'autres Etats membres de la Communauté ne fabriquent pas des andouilles type Vire dans des conditions telles que les exigences anormales que l'on voudrait imposer à l'industrie constitueraient une mesure d'effet équivalent à une entrave à la libre circulation des marchandises imposée par l'article 30 du traité de Rome;

Mais attendu que d'éventuels fabricants étrangers ne sauraient être juridiquement admis à dénaturer le produit litigieux; qu'il s'ensuit que le second ordre de conclusions subsidiaires de l'appelant principal ne peut être accueilli;

Attendu que le Syndicat de défense de l'Andouille de Vire, régulièrement inscrit à la Mairie de Vire sous le numéro 69 et au registre départemental des syndicats professionnels sous le numéro 2349, a pour objet la recherche de tous moyens susceptibles de faire respecter l'appellation d'origine " Andouille de Vire ", d'en améliorer la qualité, ainsi que d'en intensifier la vente;

Attendu que, quel que puisse être le mérite de la discussion élevée par L sur la notion d'appellation d'origine, la vocation du syndicat à entreprendre l'amélioration du produit litigieux, ainsi que l'intensification de sa vente compromise par les pratiques frauduleuses justement reprochées au prévenu, rend recevable la constitution de partie civile;

Attendu que les faits de la poursuite, établis à l'encontre du prévenu, ont été exactement appréciés par les premiers juges qui ont fait une juste application de la loi pénale et des circonstances atténuantes existant en la cause; qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise dans toutes ses dispositions, étant en effet observé que l'appelant principal ne circonstancie aucune discussion susceptible de démontrer le mal fondé de l'octroi des sommes légitimement accordées sur intérêts civils;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la partie civile la charge de sommes exposées en marge des dépens d'appel; qu'il échet en conséquence d'accorder à l'intéressé une somme de 3 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et comme cour de renvoi dans les limites de la cassation, Reçoit les appels en la forme et prononçant dès lors au fond de plano, Confirme la décision entreprise dans toutes ses dispositions. Condamne Gilbert L à payer au Syndicat de défense de l'Andouille de Vire une somme de 3 000 F à titre de remboursement de frais non recouvrables, Le condamne aux dépens, Liquide les frais dus au Trésor à la somme de 952, 24 F en ce non compris le coût du présent arrêt et ses suites, Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale.