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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 13 juillet 1994, n° 1056-94

RENNES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Philippot

Avocat général :

M. Abrial

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Quinquis

Avocat :

Me Abbegg.

TGI Rennes, ch. corr., du 25 nov. 1993

25 novembre 1993

Statuant sur l'appel interjeté par le Ministère public le 30 novembre 1993 d'un jugement contradictoirement rendu le 25 novembre 1993 par le Tribunal correctionnel de Rennes qui, pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise a relaxé D Luc

Considérant que l'appel est régulier et recevable en la forme

Considérant qu'il est fait grief au prévenu d'avoir à Vitre, en tout cas dans l'arrondissement judiciaire de Rennes ou sur le territoire national, courant 1990 jusqu'à mars 1991, trompé ou tenté de tromper les consommateurs sur la teneur en principes utiles de la marchandise lait UHT, " X1 ", en donnant sur l'étiquetage nutritionnel une composition moyenne en grammes par litre de protéines de 30 %, alors qu'en réalité les teneurs en protéines étaient sensiblement inférieures,

Faits prévus et réprimés par l'article L. 213-1 du Code de la consommation;

Considérant qu'il ressort du dossier et des débats que le Service de la Répression des Fraudes a effectué le 31 janvier 1991 un contrôle de la qualité du lait mis en boîtes par la SA X en Loire-Atlantique; qu'il a été ainsi prélevé 24 échantillons de lait UHT de marque "X1", distribué par "X2";

Que les analyses pratiquées sur ce lait ont démontré que le taux de protéines qu'il présentait était systématiquement inférieur à 30 grammes par litre de lait correspondant aux normes officielles et indiquées sur l'emballage;

Que si l'enquête a démontré que l'erreur n'était pas accidentelle dans la mesure où la laiterie avait décidé que l'objectif qu'elle se fixait était un taux de protéines compris entre 28,5 et 29 grammes quelles que soient la marque de diffusion et les mentions de l'emballage, il n'en demeure pas moins que les résultats des analyses d'autocontrôles pratiquées sur ce lait par le client, X3, ne correspondaient pas aux observations précédemment rappelées, puisque le laboratoire pratiquant ces analyses le Y1 de Vitre, mentionnait un taux de 30 à 32 grammes par litre;

Considérant que le Y1 est une des composantes d'Y dirigé par D Luc; que ce dernier a constamment admis le principe de sa responsabilité pénale; que le Y1 dispose d'un laboratoire permettant l'analyse du lait, dirigé par Mademoiselle Demange, ingénieur; que le laboratoire a pour client X3 qui lui a demandé de contrôler le lait distribué sous la marque X1 par sa filiale X2 et mis en boîtes à la X;

Que d'après les textes réglementaires, le laboratoire, pour déterminer le taux protéique du lait UHT, doit déduire de la matière azotée, l'azote totale non protéique qui représente environ 5 % de la matière azotée totale;

Que Mademoiselle Demange a expliqué qu'elle s'était trompée dans l'interprétation des normes d'analyse en raison des textes peu clairs et avait confondu les termes "matière protéique et "protéine"; qu'ainsi elle n'avait pas déduit l'azote totale non protéique; que cette erreur avait eu pour conséquence une sensible augmentation du taux de protéine; qu'elle affirme, par contre, sa parfaite bonne foi;

Que D Luc avoue son incompétence technique et indique avoir fait entière confiance à Mademoiselle Demange dont la compétence était reconnue;

Considérant que le tribunal a relaxé le prévenu, - après avoir observé que la prévention était "fausse" - en raison de l'absence d'élément intentionnel du délit de fraude qui lui est reproché;

Que dans son mémoire du 13 juin 1994, la Direction de la Concurrence soutient que les textes réglementaires applicables définissant la méthode à suivre pour déterminer le taux de protéine dans le lait sont très clairs, que l'erreur commise doit dès lors s'analyser en une négligence coupable "frisant l'escroquerie de la clientèle de la part de l'employeur" et que D Luc doit être "condamné du chef de tromperie sur les qualités substantielles de sa prestation du service contractuelle";

Que D Luc après avoir renoncé à la demande d'audition de Demange Karine, qu'il avait formulé par conclusions régulièrement déposées devant la cour, sollicite la confirmation du jugement entrepris; qu'il fait valoir notamment que l'incrimination est erronée n'ayant jamais commercialisé le lait en cause, que le taux de protéine n'a pas constitué un élément substantiel du contrat de prestation de services le liant à son client X3, que la faute du laboratoire est une simple erreur technique et qu'il n'a jamais voulu tromper son client;

Considérant ainsi qu'il résulte du dossier et des débats que le faits reprochés à D Luc doivent s'analyser en un contrat de prestations de services contractuelles entre le laboratoire Y1 et la Y et X3; que par application des articles 1, 8, 16 de la loi du 1er août 1905 devenus les articles L. 213-1, L. 216-4 et L. 216-1 du Code de la consommation, les faits de la prévention doivent être requalifiés en ce sens étant observé que le prévenu n'a d'ailleurs été entendu au cours de l'enquête préliminaire que sur les prestations du service le liant à son client X3;

Considérant que les arrêtés des 24 août 1983 et 2 mai 1985 définissant les méthodes officielles d'analyses physiques et chimiques du lait et notamment de détermination du taux de protéine sont très clairs; que le point B6.3 de l'annexe X de l'arrêté du 24 août 1983 édicte:

- " 6.3.1. La teneur en matière protéine est donnée par la relation suivante (azote totale - azote non protéique) multiplié par le coefficient 6,38.

- 6.3.2. Dans un lait normal, la teneur en azote non protéique peut être estimée à 5 % de l'azote totale";

Que le chapitre IV de l'arrêté du 2 mai 1935 précise: " le terme protéine" ne doit pas être confondu avec celui de matière azotée totale". La matière azotée totale comprend, en plus des protéines "vraies une fraction azotée totale non protéique" (environ 5 % de la matière azotée totale pour le lait de vache);

Qu'en l'espèce les taux de protéines fixés par Y1 pour X3 étaient supérieurs de 1 à 3 points à ceux déterminés au départ par l'usine de la laiterie; que la directrice de Y1 a expliqué cette différence par le fait qu'elle n'avait pas déduit l'azote non protéique de l'azote totale;

Qu'une telle erreur provenant d'un laboratoire spécialisé dans l'analyse du lait doit être qualifiée de grossière;

Qu'elle a eu pour conséquence directe de tromper le client, le distributeur X3, sur la qualité du produit qu'il mettait sur le marché; qu'en effet chaque boîte de lait indiquait la composition moyenne du lait par litre et pour la protéine il était noté 30 grammes, qu'en réalité le taux de protéine indiqué par Y1, la plupart du temps, supérieur à ce taux de 30 grammes était en fait inférieur à ce taux de 1 à plusieurs grammes;

Que la norme réglementaire de protéine par litre de lait est de 30 grammes; que la méthode de détermination du taux de protéine est définie réglementairement afin notamment d'assurer le respect des règles de la concurrence et de protéger le consommateur; que le taux de protéine constituait donc par nature un élément substantiel du contrat de prestation de services portant sur l'analyse de lait liant le laboratoire Y1 à X3, quelles que soient par ailleurs les réactions d'X3 à la réception de quelques analyses de Y1 notant un taux de protéine inférieur à 30 grammes;

Considérant qu'à l'audience du tribunal, D Luc a reconnu qu'il aurait dû s'assurer de la formation de Mademoiselle Demange et qu'il assumait tout à fait; qu'aucune délégation de pouvoirs à Mademoiselle Demange n'est en l'espèce alléguée par D Luc;

Considérant ainsi que le délit de tromperie requalifié comme ci-dessus est caractérisé en tous ses éléments, y compris son élément intentionnel D Luc étant un professionnel qui n'a pas pris toutes les précautions qui s'avéraient nécessaires;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme Reçoit l'appel du Ministère public; Au fond Constate que D Luc renonce à sa demande d'audition de témoins, Infirme le jugement, Dit que les faits visés à la prévention doivent être requalifiés en tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de services contractuelle, Déclare D Luc coupable des faits de la prévention ainsi requalifiés, Le condamne à deux mille francs (2 000 F) d'amende, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné; Prononce la contrainte par corps; Le tout en application des articles L. 213-1, L. 1216-1 et L. 216-4 du Code de la consommation, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale;