Livv
Décisions

CA Orléans, ch. corr., 1 octobre 1990, n° 617-90

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Charpentier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benhamou

Substitut :

général: M. Laplaud

Conseillers :

M. Turquey, Mmes Lardennois, Lourmet

Avocats :

Mes Antoine, Hallais.

TGI Blois, ch. corr., du 13 mars 1990

13 mars 1990

LA COUR,

Attendu d'une part que par actes des 22 et 23 mars 1990, Jean-Etienne Charpentier et le Ministère public ont interjeté appel d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Blois le 13 mars 1990 qui, saisi des poursuites contre Claude B du chef de tromperie sur les qualités substantielles et contraventions connexes, a annulé le procès-verbal 005367 et tous actes de procédure postérieurs au 25 novembre 1988, a dit en conséquence que le tribunal n'était pas valablement saisi et a déclaré la constitution de partie civile irrecevable en l'état de la procédure;

Attendu d'autre part, que Monsieur le Procureur général a interjeté appel de la même décision par signification du 7 mai 1990; Que par ordonnance du même jour, Monsieur le Président de la chambre des appels correctionnels a déclaré cet appel immédiatement recevable;

Attendu que le 30 septembre 1988, Jean-Etienne Charpentier achetait au garage "X", dirigé par Claude B, un véhicule BX 16 TRS dont le kilométrage affiché au compteur était de 69 609 Km;

Qu'il découvrait peu de temps après dans le vide-poches, une carte de contrôle anti-pollution portant le numéro d'immatriculation de ce véhicule et faisant état d'une vérification faite le 29 août 1988 alors que le kilométrage était de 128 573 Km;

Qu'interrogé sur ce point, Claude B prétendait qu'il s'agissait d'une erreur, que la carte susvisée concernait un autre véhicule et que la voiture achetée par Charpentier Jean-Etienne n'avait bien parcouru que 69 609 Km;

Attendu que devant la cour, Jean-Etienne Charpentier conclut à l'infirmation de la décision déférée;

Qu'il soutient en effet que c'est à tort que le tribunal a fait droit à l'exception de nullité de procédure soulevée par B Claude et fondée sur les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

Qu'il fait observer que lesdites dispositions ne s'appliquent pas aux mesures d'enquête et que par suite, les contrôleurs n'avaient pas à informer B Claude ou son épouse des motifs de leur contrôle;

Qu'il réclame en conséquence la condamnation de B Claude à lui payer:

1°) à titre d'indemnité, la contre-valeur du prix payé pour le véhicule soit 35 000 F, se déclarant prêt à abandonner celui-ci;

2°) les frais de crédit occasionnés par cet achat, soient 8 831,20 F;

3°) les frais de carte grise, soient 595 F;

4°) les frais de réparations diverses, soient 2 097,97 F;

5°) la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires;

6°) la somme de 3 000 F pour les frais de première instance et celle de 4 000 F pour les frais d'appel, en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Attendu que Monsieur l'Avocat général, estimant la procédure parfaitement régulière, requiert le prononcé d'une peine d'emprisonnement ainsi que des peines d'amende.

Attendu que Claude B sollicite:

1°) l'annulation des procès-verbaux de saisie coté 10, dressé le 25 novembre 1988 et coté 16 dressé le 22 décembre 1988 et celle de tous actes postérieurs au motif que ladite saisie n'a pas été précédée de l'assentiment écrit de la main de B Claude;

2°) la confirmation de la décision entreprise quant à l'annulation du procès-verbal 005367 et tous actes postérieurs au 25 novembre 1988;

Sur ce,

Sur l'action publique

Sur la procédure

Attendu que devant le tribunal, Claude B reprochait aux agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, de s'être présentés à son garage le 25 novembre 1988 et d'avoir demandé à son épouse de leur montrer des documents sans révéler le motif du contrôle;

Attendu que, s'il est vrai que, aux termes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, tout accusé a droit à être informé dans le plus court délai de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ce texte ne s'applique qu'à la procédure suivie devant les juridictions et non aux mesures d'enquête préliminaires alors que la personne entendue n'a pas encore la qualité " d'accusé ";

Que par ailleurs, en toute hypothèse, les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes sont habilités à exercer un contrôle avant même que ne leur ait été dénoncée une quelconque infraction;

Que, en conséquence, c'est à tort que le tribunal considérant que B Claude aurait dû être avisé du motif du contrôle a annulé la procédure;

Attendu que devant la cour, Claude B soulève un autre moyen qu'il n'avait pas invoqué devant le tribunal, à savoir la nullité de la saisie de documents (factures de réparations de avril à août 1988, livre de police, dossiers de vente de véhicules d'occasion) pour non-respect des dispositions de l'article 76 du Code de procédure pénale;

Mais attendu que, aux termes de l'article 11-3 alinéa 4 de la loi du 1er août 1905, pour rechercher et constater les infractions à ce texte, les agents peuvent exiger la communication ou procéder à la saisie des documents de toute nature entre quelques mains qu'ils se trouvent, propres à faciliter l'accomplissement de leur mission et la mise à leur disposition des moyens indispensables pour effectuer leurs vérifications;

Que, selon l'article 6 de la loi du 28 juillet 1912, quiconque aura mis lesdits agents dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions, soit en leur refusant l'entrée de leurs locaux de fabrication, de dépôt ou de vente, soit de toute autre manière, est passible des peines prévues par les articles 1er, 5 et 7 de la loi du 1er août 1905;

Qu'il résulte de la combinaison de ces textes que par dérogation aux dispositions de l'article 76 du Code de procédure pénale, les agents de la Direction de la Concurrence peuvent, sans autorisation préalable, procéder à la saisie de documents détenus dans des locaux de fabrication, de vente ou de dépôt;

Que, au surplus, en l'espèce, la saisie litigieuse n'a pas fait grief aux intérêts de B Claude puisque les agents ont constaté, à l'examen des documents, qu'ils n'y trouvaient aucun élément utile et ont procédé à leur restitution dès le 22 décembre 1988;

Qu'en conséquence, Claude B est mal fondé en son exception de nullitéquelque soit le moyen invoqué;

Que le jugement déféré doit donc être infirmé;

Sur le fond

Attendu que, en application de l'article 520 du Code de procédure pénale, la cour d'appel est tenue d'évoquer et de statuer au fond dès lors qu'elle infirme un jugement parce qu'il a été mal jugé sur un incident;

Attendu que le véhicule Citroën BX 16 TRS, immatriculé 1275 PB 41 acheté par Jean-Etienne Charpentier avait été antérieurement la propriété de Denis Lemoine;

Que celui-ci l'avait acquis en avril 1976 auprès du Garage Sapta alors qu'il avait déjà un kilométrage de 73 820 Km;

Que, entendu par les Services de la Concurrence, il a fourni plusieurs factures de réparation de ce véhicule portant comme kilométrage:

Le 26 juillet 1986: 82 595 Km

Le 31 décembre 1987: 110 050 Km

Qu'il a par ailleurs déclaré que la signature figurant sur le bon de commande d'un autre véhicule, établi le 7 août 1988 par le Garage B avec mention de la reprise de cette voiture au kilométrage indiqué de 64 871 Km n'était pas la sienne, ce qui résulte à l'évidence de la comparaison de ce document avec la signature figurant au bas du procès-verbal d'audition de l'intéressé en date du 21 décembre 1989;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que la thèse de Claude B est invraisemblable;

Que la carte de contrôle anti-pollution trouvée dans le vide-poches par Jean-Etienne Charpentier est bien afférente au véhicule litigieux;

Que la mauvaise foi du prévenu, professionnel de l'automobile, qui n'a pas hésité à modifier le compteur et à utiliser un faux document résulte des circonstances de l'espèce;

Qu'il convient, en conséquence, de le déclarer coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandiseet de lui infliger de ce chef, une peine de 2 mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 12 000 F;

Que la publication, par extraits, de la décision sera ordonnée;

Attendu par ailleurs, qu'il est constant que B Claude a omis d'indiquer le kilométrage sur le bon de commande et la facture de vente et ce, en infraction aux dispositions de l'article 5 du décret du 4 octobre 1978, réprimées par l'article 13 de la loi du 1er août 1905;

Qu'une amende de 1 000 F doit lui être, en outre, infligée de ce chef;

Que, en revanche, il ne sera pas retenu contre lui la contravention de modification du kilométrage inscrit au compteur, ces faits s'inscrivant dans ceux pris en compte pour la constitution du délit de tromperie;

Sur l'action civile

Attendu qu'il n'appartient pas au juge répressif de se substituer à la juridiction civile pour l'application des règles qui ne concernent que les rapports contractuels entre les parties et sont étrangères à l'action tendant à la réparation du préjudice résultant d'une infraction;

Attendu que, en l'espèce, Charpentier Jean-Etienne n'est pas recevable devant la juridiction répressive à réclamer le montant du prix de la voiture, en offrant de la restituer, ce qui tend, sans le dire, à la résolution du contrat de vente, domaine de la compétence exclusive de la juridiction civile;

Que compte tenu des pièces versées aux débats, le préjudice en relation directe avec l'infraction doit être évalué toutes causes confondues, à la somme de 15 000 F;

Que sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, il doit être alloué à la partie civile, une indemnité de 2 000 F tant pour les frais exposés en première instance qu'en cause d'appel;

Par ces motifs, Vu l'ordonnance en date du 7 mai 1990; Infirmant le jugement déféré; Rejette les exceptions de nullité soulevées par Claude B; Evoquant, Le déclare coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue et d'omission d'indiquer le kilométrage sur le bon de commande et la facture de vente; En répression, Le condamne à la peine de deux mois (2) d'emprisonnement et à une amende de douze mille francs (12 000) pour le délit et à une amende de mille francs (1 000) pour la contravention; Dit qu'il sera sursis à l'exécution de la peine d'emprisonnement pour la totalité de sa durée; Ordonne la publication par extraits du présent arrêt dans La Nouvelle République Du Centre Ouest (Edition du Loir et Cher) aux frais du condamné; Sur l'action civile Déclare recevable la constitution de partie civile de Jean-Etienne Charpentier; Condamne Claude B à lui payer la somme de quinze mille francs (15 000) à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues et celle de deux mille francs (2 000) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Déboute Jean-Etienne Charpentier du surplus de ses prétentions; Condamne Claude B aux dépens; Liquide les frais dus envers l'Etat, à la somme de: 994,94 F.