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Décisions

Cass. com., 13 juin 1995, n° 92-12.339

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Concorde Chimie France (SA), Chimie Traitement d'Eau (SARL), Hydrosoft (SARL)

Défendeur :

Union Chimique Industrielle de l'Ouest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez

Lyon, 10e ch., du 2 déc. 1991

2 décembre 1991

LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en ses trois branches du pourvoi n° 92-12.339 et du pourvoi n° 92-14.669 : Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 2 décembre 1991), la société Union Chimique Industrielle de l'Ouest (société UCIO) a assigné en concurrence déloyale les sociétés Hydrosoft, Concorde Chimique France (société CCF) et Chimie Traitement d'Eau (société CTE) en leur reprochant l'embauche d'une partie importante de son personnel ; que le tribunal de commerce a fait droit à cette demande ;

Attendu que les sociétés Hydrosoft, CCF et CTE font grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'annuler le jugement du tribunal de commerce aux motifs que si le tribunal de commerce avait statué en se fondant notamment sur des pièces non régulièrement communiquées en violation des droits de la défense et du principe de la contradiction, la cour se trouvait néanmoins saisie du litige en son entier par l'effet dévolutif de l'appel, qu'elle devait statuer sur le fond même si elle déclarait le jugement nul, que la demande d'annulation du jugement formée par les exposantes était dès lors irrecevable, faute d'intérêt, alors, selon les pourvois, d'une part, que le juge qui relève d'office une fin de non-recevoir doit au préalable inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, la société UCIO n'avait nullement soutenu que les exposantes auraient été irrecevables, faute d'intérêt, à demander l'annulation du jugement ; qu'en relevant d'office une telle irrecevabilité sans provoquer préalablement les explications des parties sur ce point, la cour d'appel a violé les articles 16 et 125 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que, précisément, lorsqu'ils confirment un jugement, les juges d'appel sont réputés s'en approprier les motifs non contraires aux leurs ; qu'en affirmant que les exposantes n'avaient aucun intérêt à demander l'annulation du jugement dont elle a constaté qu'il avait été rendu en violation des droits de la défense, tout en en adoptant -faute d'indication contraire- les motifs non contraires aux siens, la cour d'appel a violé les articles 16, 31 et 955 du nouveau Code de procédure civile ; alors enfin que, lorsque l'appel tend à l'annulation, la dévolution s'opère pour le tout seulement après que la juridiction du second degré a annulé le jugement entrepris ; qu'en attribuant à l'appel de l'espèce, qui tendait à titre principal à l'annulation du jugement, un effet dévolutif qu'il ne pouvait produire qu'une fois l'annulation prononcée, cela pour déclarer cette annulation inutile, la cour d'appel a violé l'article 562 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'appel interjeté tendant à titre principal à l'annulation du jugement déféré et les parties ayant conclu au fond, la cour d'appel, saisie par application de l'article 562, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, était tenue de statuer sur le fond et a pu en conséquence relever l'irrecevabilité du moyen de nullité, sans avoir à provoquer préalablement les explications des parties ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas confirmé le jugement qui lui était déféré mais a statué par motifs propres ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches du pourvoi n° 92-12.339 et du pourvoi n° 92-14.669 : Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les sociétés Hydrosoft, CCF et CTE coupables de concurrence déloyale envers la société UCIO alors, selon les pourvois, d'une part, que, faute d'avoir caractérisé la moindre manœuvre antérieure ou concomitante aux départs incriminés et susceptible d'avoir incité les salariés à démissionner, les juges du fond n'ont fait que présumer l'existence d'une prétendue opération concertée de débauchage de la part des sociétés concernées ; qu'en se fondant sur une pure hypothèse non établie par aucun élément du dossier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que la faute de la victime qui absorbe celle de l'agent est exonératrice de responsabilité ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le fait pour la société UCIO d'avoir volontairement libéré l'ensemble des salariés démissionnaires de leur obligation de non-concurrence, tout en sachant que certains d'entre eux avaient déjà des intérêts dans des entreprises dont l'activité était susceptible de concurrencer la sienne, constituait une faute à l'origine du débauchage dont elle se plaignait, la cour d'appel n'a pas davantage justifié légalement sa décision au regard du texte susvisé ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a relevé qu'en l'espace de quatre mois, douze personnes dont sept jouaient un rôle important dans la société UCIO qui comprenait alors trente personnes ont démissionné de cette société pour être employées au sein des sociétés Hydrosoft, CCF et CTE ; que le départ de cinq employés du service commercial de la société UCIO pour les sociétés Hydrosoft et CTE a désorganisé complètement ce service ; que, parmi l'effectif technique, la démission de sept personnes dont le directeur de l'usine et le directeur technique devenus respectivement directeur général et président directeur général de la société CCF, a bouleversé complètement le fonctionnement de l'unité de production de la société UCIO ; que ces sept personnes se retrouvent toutes au service de la société CCF ; que les sociétés Hydrosoft, CCF et CTE sont étroitement liées entre elles, l'extrait du registre du commerce de la société CCF montrant que ses administrateurs sont la société à responsabilité limitée Hydrosoft et la société à responsabilité limitée CTE ; qu'en débauchant systématiquement et massivement les employés démissionnaires de la société UCIO où plusieurs avaient assumé des responsabilités importantes, privant cette société de près de la moitié de ses effectifs, ce qui ne pouvait que perturber son fonctionnement, les sociétés CCF, CTE et Hydrosoft, par leur action concertée, ont provoqué la désorganisation de la société UCIO ; que la cour d'appel a pu ainsi décider que ces sociétés avaient commis une faute au préjudice de celle-ci ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt attaqué ni des conclusions déposées par les sociétés Hydrosoft, CCF et CTE devant les juges du fond que celles-ci aient fait valoir le moyen tiré de ce que la société UCIO aurait commis une faute en déliant ses employés démissionnaires de l'observation de la clause de non-concurrence stipulée dans leurs contrats de travail ; d'où il suit que le moyen, mal fondé en sa première branche, est, en sa seconde branche, nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches du pourvoi n° 92-12.339 et du pourvoi n° 92-14.669 : Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir statué comme il a fait par motifs, selon les pourvois, adoptés des premiers juges alors, selon les pourvois, d'une part, que les société CCF et CTE faisaient valoir que la thèse en vertu de laquelle c'était un comportement futur prêté aux salariés démissionnaires ou aux sociétés en cause qui avait prétendument motivé la renonciation de la société UCIO aux clauses de non-concurrence relevait d'une pure prétérition de la part du tribunal sans même avoir été soutenue par l'intéressée en sorte qu'elle ne pouvait servir de base légale à leur condamnation ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen et faute de s'être prononcée sur la valeur des motifs critiqués, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'elles objectaient également qu'aucune "copie servile" de produits concurrents ne pouvait être déduite de la prétendue similitude de leur présentation commerciale ; qu'en n'examinant pas davantage ce moyen, la cour d'appel a encore méconnu les prescriptions du texte susvisé ;

Mais attendu que la cour d'appel a statué par motifs propres et n'a pas confirmé le jugement rendu par les premiers juges ; que les moyens sont dès lors inopérants ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 92-14.669 : Attendu que la société Hydrosoft fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, que, par l'effet dévolutif de l'appel, la juridiction du second degré se trouvait saisie de la demande, quand bien-même les premiers juges auraient omis de l'examiner ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 562 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale de la société Hydrosoft à l'encontre de la société UCIO doit être rejetée comme non fondée ; que le moyen manque en fait ;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : Attendu que la société UCIO sollicite pour chacun des pourvois, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 10 000 francs ;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois n° 92-12.339 et n° 92-14.669 ; Rejette également la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.