CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 15 janvier 2004, n° 02-06863
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
UFC Que Choisir, Marty, Ricard
Défendeur :
SFR (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bardy
Conseillers :
Mmes Liauzun, Simonnot
Avoués :
SCP Debray-Chemin, SCP Jullien Lecharny Rol
Avocats :
Mes Brasseur, Cledat.
Madame Marty et monsieur Ricard avaient respectivement souscrit un contrat d'abonnement à une ligne de téléphone mobile auprès de la société SFR les 4 et 21 mai 2000.
Par courrier en date des 7 juillet 2000 et 27 juin 2000, la société SFR les a avisés de la décision de restreindre le fonctionnement de leurs lignes à la seule réception des appels, soumettant le rétablissement au versement d'un dépôt de garantie correspondant à une avance sur consommation de 5000 F (762,25 euros) pour la première et 1 500 F (228,67 euros) pour le second.
Par lettres des 10 et 21 juillet 2000 la société SFR a résilié d'office les contrats en raison du refus opposé par ces abonnés de régler l'avance sur consommation et le dépôt de garantie.
L'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir" dite UFC, et madame Marty et monsieur Ricard ont saisi le Tribunal de grande instance de Nanterre d'une action engagée à l'encontre de la société SFR aux fins de voir constater la violation par la société SFR de ses obligations contractuelles et voir condamner la société SFR à réparer le préjudice subi par ces deux abonnés à raison de la suspension puis la résiliation abusives de leur contrat d'abonnement, voir déclarer abusives certaines clauses des contrats résultant de l'avenant à l'article 4-1 du nouveau contrat, ordonner le retrait des clauses des nouveaux contrats et voir condamner la société SFR à réparer le préjudice collectif subi par l'UFC.
Par le jugement déféré prononcé contradictoirement le 18 juillet 2002, le tribunal a:
- dit que la société SFR a commis une faute dans l'exécution des contrats souscrits par Antoine Ricard et Francine Marty,
- condamné la société SFR à leur payer chacun le somme de 200 euros de dommages et intérêts,
- condamné la société SFR à payer à l'UFC la somme de 2000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif causé à l'intérêt collectif des consommateurs ainsi qu'une indemnité de 2 300 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande,
- condamné la société SFR aux dépens.
Appelants, l'UFC et madame Marty et monsieur Ricard concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 7 octobre 2003 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à la réformation du jugement du chef des dommages et intérêts alloués et en ce qu'il a rejeté les demandes tendant à voir déclarer abusive la clause résultant de l'avenant à l'article 4-1 au contrat et voir prescrire toutes mesures nécessaires à faire cesser le trouble, et prient la cour statuant sur les points réformés de:
- condamner la société SFR à payer à madame Marty et monsieur Ricard la somme de 1 600 euros chacun au titre de leurs préjudices matériel et moral outre les intérêts légaux depuis l'assignation avec capitalisation, et celle de 1 200 euros chacun au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- d'interdire à la société SFR de solliciter toute caution ou avance en cours de contrat hors cas visés à l'article 4-1 (subsidiairement pour les contrats antérieurs au 4 septembre 2000) sous astreinte de 3 050 euros par infraction constatée,
- de dire que pour les consommateurs qui auront vu leur ligne résiliée, la société SFR sera tenu d'une part d'informer par courrier individuel chaque abonné de la possibilité de voir sa ligne rétablie, puis sur sa demande de rétablir la ligne dans les 3 jours et ce sous astreinte de 1 600 euros par jour de retard pour chaque consommateur concerné,
- de condamner la société SFR à rembourser aux consommateurs qui les auront payés, soit l'avance sur consommation soit la caution sollicitée indûment et ce sous astreinte d'un montant de 800 euros par jour de retard pour chaque consommateur concerné,
- d'imposer à la société SFR au regard des articles 132 et suivants du nouveau Code de procédure civile, de fournir la liste des abonnés auxquels un dépôt de garantie ou une caution a été demandé, sous astreinte de 1 600 euros de retard, désigner tel huissier avec mission de vérifier si chaque abonné visé sur la liste a été rempli de ses droits et ce aux frais de la société SFR,
- ordonner la publication aux frais de la société SFR d'un extrait de l'arrêt à intervenir à concurrence de 9 200 euros par insertion dans les journaux suivants, Le Monde, Le Figaro, Les Echos et Libération,
- dire que la clause résultant de l'avenant à l'article 4-1 du nouveau contrat SFR depuis le 4 septembre 2000 est une clause abusive et ordonner sa suppression des contrats sous astreinte de 7 700 euros par jour de retard,
- ordonner à la société SFR de prévenir par courrier chacun de ses abonnés du caractère abusif de cette clause et son inopposabilité, dans les 8 jours de la décision à intervenir sous astreinte de 1 600 euros par infraction constatée,
- condamner la société SFR à lui payer la somme de 6 900 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif subi,
- condamner la société SFR à lui payer en sus de la somme allouée en première instance une indemnité de 2 500 euros pour frais irrépétibles. Intimée, la société SFR conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 25 septembre 2003 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé:
- au débouté des appelants, et à la confirmation du jugement du chef du montant des dommages et intérêts alloués à madame Marty et monsieur Ricard,
- à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que l'article 4-1 des CGA dans leur rédaction de janvier 2000 était licite, et en ce qu'il a dit que la clause insérée dans les CGA à compter de septembre 2000 permettant de demander aux nouveaux abonnés la constitution de dépôt de garantie quand ils n'optent pas pour le prélèvement automatique de leurs factures n'est pas une clause abusive et débouté l'UFC de ses demandes,
- à la réformation du jugement du chef des dommages et intérêts alloués à l'UFC et au débouté de toute demande de l'UFC qui ne rapporte pas la preuve de son préjudice,
- à la condamnation des appelants à lui payer la somma de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Sur ce
Sur l'appel de monsieur Ricard et madame Marty
Considérant que la société SFR ne critique pas les dispositions du jugement déféré qui l'ont condamnée à verser des dommages et intérêts à madame Marty et monsieur Ricard pour manquement à ses obligations contractuelles en ne justifiant pas de l'une des conditions posées à l'article 4-1 des conditions générales d'abonnement pour exiger le versement d'une avance ou d'un dépôt de garantie et en ne respectant pas, en tout état de cause, son obligation d'information préalable prévue à l'article II des conditions générales, et pour avoir dans ces circonstances, suspendu intempestivement leurs lignes de téléphone puis résilié leur contrat, leur causant un préjudice;
Considérant que madame Marty et monsieur Ricard limitent leur appel au montant des dommages et intérêts alloués par le tribunal à hauteur de 200 euros chacun, montant dont la société SFR demande la confirmation;
Considérant que les appelants arguent d'un préjudice matériel résultant de la privation brutale de leur ligne et de la possibilité d'utiliser ce service, et d'un préjudice moral résultant de l'absence de toute justification objective à cette décision intempestive;
Considérant toutefois qu'eu égard à l'ancienneté de leurs abonnements et leurs montants mensuels, les premiers juges ont fait une juste appréciation des préjudices matériel et moral causés aux appelants par la mesure de suspension et de résiliation, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société SFR à leur payer chacun l'équivalent de dix mois d'abonnement;
Sur l'appel de l'UFC
Considérant que l'UFC ne remet pas en cause la validité de l'article 4-1 des conditions générales d'abonnement reconnue comme licite par les premiers juges aux motifs que la clause énumère de façon exhaustive les cas dans lesquels une avance sur consommation ou un dépôt de garantie peuvent être réclamés et que cette clause figurait dans les conditions générales d'abonnement applicables aux contrats souscrits par monsieur Ricard et madame Marty, étant rappelé que la Commission des clauses abusives a estimé dans se recommandation n° 99-02 du 28 mai 1999 relative aux contrats de radiotéléphones portables, que les clauses autorisant le professionnel à demander " à tout moment " en cours de contrat, le versement d'un dépôt de garantie ou la production d'une caution sont abusives car elles permettent au professionnel de modifier unilatéralement les conditions contractuelles sans déterminer les hypothèses précises dans lesquelles elles pourraient recevoir application;
Considérant que l'UFC sollicite que soient ordonnées certaines masures afin de faire cesser le trouble illicite constitué, faisant valoir que le tribunal l'en a débouté aux motifs que la clause était licite alors que se demande concerne les exigences autres que contractuelles (impayés ou surconsommation) dans l'état de la rédaction initiale de l'article 4-1 du contrat, soutenant que d'autres abonnés auraient vu leurs contrats résiliés sans motif;
Considérant qu'elle doit être cependant déboutée de ce chef de demande, les premiers juges ayant pertinemment relevé qu'une telle mesure d'interdiction générale n'est pas justifiée dès lors que la clause prévoyant le versement d'un dépôt de garantie ou d'une avance sur consommation sous les conditions rappelées est licite et que la caractère justifié ou non de sa mise en œuvre doit s'apprécier au cas par cas, étant relevé que l'UFC n'a justifié que du cas de neuf abonnés qui se seraient vus placer dans une telle situation de suspension puis résiliation pour des motifs non fondés et qu'elle n'établit pas le caractère généralisé allégué de la pratique, la société SFR faisant observer que les cas dénoncés ne représentent que 0,0001 % du nombre de ses abonnés;
Considérant que l'UFC soutient que la clause relative à l'avenant imposé en septembre 2000 doit être considérée comme non écrite puisque abusive et que se suppression pure et simple du contrat de la société SFR doit être ordonnée ainsi que son usage à l'avenir;
Considérant que la clause litigieuse est ainsi libellée:
" SFR peut demander à l'abonné en cours d'exécution du contrat, un dépôt de garantie ou une avance sur consommation en cas de survenance des événements suivants, paiement par un autre mode que le prélèvement ";
Considérant qu'elle fait valoir que ce procédé constitue d'une part une modification unilatérale du contrat par un professionnel, inadmissible en matière de contrats synallagmatique, d'autre part un déséquilibre contractuel dès lors que la mesure ne profite qu'au seul professionnel et sans aucune contre-partie pour le consommateur, et enfin une manière détournée d'imposer le prélèvement automatique à l'usager comme mode de paiement, qu'une telle clause par le déséquilibre contractuel qu'elle emporte étant abusive, ajoutant que la licité de la clause n'empêche pas son caractère abusif;
Considérant cependant que les abonnés ont lors de la souscription de leur abonnement le choix entre deux modes de paiement, celui par prélèvement automatique et celui à réception de la facture par chèque ou TIP, que le mode de paiement par prélèvement automatique n'est donc pas imposé, que le futur abonné choisit l'un ou l'autre de ces modes de paiement en parfaite connaissance des conditions que leur choix conditionne, dont celui de se voir réclamer le versement d'un dépôt de garantie ou d'une avance sur consommation s'il choisit le paiement à réception de la facture par chèque ou TIP, cette exigence étant contractuellement prévue, se mise en œuvre même en cours de contrat, n'étant dès lors que l'application d'une clause du contrat dont la licéité est admise, et qu'elle ne peut intervenir que pour des cas expressément déterminés, conformément à la recommandation n° 99-02 du 28 mai 1999 de la Commission des clauses abusives;
Considérant que cette clause n'emporte pas un déséquilibre au détriment du consommateur en procurant un avantage au seul professionnel, dès lors que se mise en œuvre ne peut intervenir que pour les cas expressément limités et définis dans le contrat, que l'abonné choisit librement la formule de paiement qui l'agrée en parfaite connaissance des conditions que ce choix implique, qu'une telle clause ne peut s'analyser en une modification unilatérale du contrat par le professionnel pour n'être que la mise en application de ce dont les parties ont convenu, et a pour objectif le maintien de l'équilibre entre les obligations respectives des parties au contrat afin de limiter les risques liés eux incidents de paiement;
Considérant que l'UFC doit être déboutée de cette demande;
Considérant enfin que l'UFC estime que le montant de dommages et intérêts alloués par les premiers juges ne constituent qu'un réparation insuffisante du préjudice qu'elle subit, que la société SFR estime quant à elle qu'aucun préjudice n'est établi et sollicite le débouté pur et simple de l'UFC;
Considérant que le préjudice subi par l'UFC s'apprécie à l'aune de l'atteinte portée par les comportements dénoncés à l'intérêt collectif des consommateurs dont l'UFC a la charge, ainsi qu'énoncé par les premiers juges;
Considérant que l'UFC n'établit en l'espèce que la somme allouée par les premiers juges répare insuffisamment le préjudice lié à la défense collective des abonnés, étant relevé que l'UFC ne démontre pas, comme allégué, que la société SFR qui s'en défend, ait continué se pratique antérieure;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions, aucune mesure de publication judiciaire du présent arrêt n'étant nécessaire à titre de réparation complémentaire;
Considérant que les appelants succombent dans leur recours, que toutefois la situation respective des parties ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'intimée, les appelants étant condamnés aux dépens d'appel;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit l'appel mais le dit mal fondé, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne les appelants aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.