Cass. crim., 25 octobre 1990, n° 89-85.668
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat général :
M. Rabut
Avocat :
Me Capron.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S André, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 12 septembre 1989, qui, pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, l'a condamné à 13 mois d'emprisonnement et 20 000 francs d'amende. - Vu le mémoire produit; - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 591 et 593 du Code de procédure pénale:
"en ce que l'arrêt attaqué, rendu sur opposition, a condamné André S à une peine de 13 mois d'emprisonnement et à une amende de 20 000 francs pour tromperie;
"aux motifs que "André S... reconnaît que, le 13 et 14 octobre 1985, à la suite d'une exposition-vente intitulée: "Art de la Chine, annoncée dans Le Figaro, et tenue par Michel Caplot... et, selon lui, un prénommé Jean-Paul, non identifié, il a été vendu sur place, et, le lendemain, au domicile du client, à un visiteur, Charles André, préfet honoraire, deux objets en pierre dure pour la somme de 50 000 francs, ainsi qu'une statuette au prix de 25 000 francs, alors que ces objets avaient été achetés par le prévenu S, au prix de 844,65 francs et 1 549 francs" (cf. arrêt attaqué, p. 3, 10e alinéa); que "l'opposant reconnaît avoir amorcé la victime en procédant, à la demande de celle-ci, à l'expertise d'une pièce d'ivoire, que les époux André avaient précédemment acquise" (cf. arrêt attaqué, p. 3, 11e alinéa); qu'"il avoue, aussi, avoir accompagné Caplot et Jean-Paul lors de la visite au domicile de la victime pour la vente de la statuette, mais précise qu'il est resté dans le véhicule automobile" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 1er alinéa); "qu'il résulte de la procédure que la location de l'espace d'exposition a été prise au nom de S" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 1er considérant); "que l'intéressé a reconnu avoir amorcé la victime; qu'en accompagnant ses collègues au domicile de la partie civile pour procéder à la vente d'objets qu'il avait personnellement achetés, et qui, selon ses propres aveux, devait lui rapporter une commission, l'intéressé s'est rendu coupable des faits qui lui sont reprochés, S devant être considéré comme le coauteur de Caplot" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 2e considérant); "qu'étant l'acheteur des objets litigieux, il en a nécessairement été le revendeur aux conditions et selon les modalités pratiquées" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 3e considérant);
"alors qu'est coupable du délit de tromperie celui qui a trompé, ou tenté de tromper, un contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises; qu'il s'ensuit que la tromperie sur la valeur n'est pas, par elle-même, et sauf si elle s'accompagne de circonstances particulières, constitutive du délit de tromperie; qu'en relevant, pour déclarer André S coupable de tromperie, qu'ont été vendus 50 000 francs deux objets en pierre dure achetés 844,65 francs et 25 000 francs une statuette achetée 1 549 francs, sans justifier qu'il y a eu tromperie sur la nature, l'origine ou les qualités substantielles de ces marchandises, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors que constitue le délit de tromperie le fait par quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, de tromper, ou de tenter de tromper, le destinataire de la marchandise par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'entremise d'un tiers, sur les qualités substantielles de la marchandise mise en vente ou vendue; qu'en déclarant André S coupable de tromperie, sans justifier que celui-ci a, par un moyen ou par un procédé quelconque, trompé, ou tenté de tromper la victime sur la nature, l'espèce, l'origine ou les qualités substantielles des deux objets en pierre dure et de la statuette qu'elle a achetés, la cour d'appel a violé les textes susvisés";
Vu lesdits articles; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence;
Attendu qu'André S a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir trompé Charles André, en lui vendant à un prix élevé, laissant à penser qu'il s'agissait d'objets précieux, trois objets d'art extrême-oriental de faible valeur;
Attendu que pour retenir la culpabilité du prévenu, la cour d'appel se borne à énoncer que celui-ci a reconnu avoir vendu deux objets en pierre dure pour la somme de 50 000 francs, ainsi qu'une statuette au prix de 25 000 francs, alors que ces objets avaient été achetés par lui au prix de 844,65 et 1 549 francs; que l'inculpé reconnaît avoir "amorcé" la victime en procédant, à la demande de celle-ci, à l'expertise d'une pièce d'ivoire que les époux André avaient précédemment acquise;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, alors que le fait de vendre une marchandise à un prix supérieur à sa valeur réelle n'est pas, en lui-même, constitutif du délit de fraude, prévu et puni par l'article 1er de la loi du 1er août 1905, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision; que la cassation est encourue de ce chef;
Par ces motifs: casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 12 septembre 1989, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ; renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.