Livv
Décisions

Cass. crim., 12 décembre 1991, n° 90-86.496

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Bouillane de Lacoste (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Maron

Avocat général :

M. Perfetti

Avocat :

Me Ancel.

Rouen, ch. corr., du 10 oct. 1990

10 octobre 1990

LA COUR : Statuant sur le pourvoi formé par : L Gilbert, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 10 octobre 1990, qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné à 20 000 francs d'amende et à des réparations civiles, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ; Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, ensemble de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré L coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ;

"aux motifs que "les Services de la Direction Départementale de la Concurrence de Caen ont constaté, en instrumentant dans un magasin Super U, la présentation en vitrine du rayon charcuterie d'un lot de 40 préemballages d'andouilles portant sur leur étiquetage : "Andouille de Vire Ingrédients : abats et gorges de porc sel poivre arôme fumé conservateur sel nitrité... " fabriqués et vendus par les établissements At France ; que le rédacteur du procès-verbal énonce que l'examen d'une andouille lui a permis de penser que la technique de fabrication de celle-ci ne répondait pas à la définition donnée par le Code de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes (réglementation et usages) ; qu'il explique à ce sujet que les boyaux n'étaient pas assemblés en forme elliptique et que l'embossage avait donc été opéré mécaniquement selon une technique dite "au poussoir" ; qu'il est constant que les andouilles de Vire litigieuses ont été embossées au poussoir et fumées par incorporation d'arômes ; que le Code de la charcuterie, texte édité par le Centre technique de la charcuterie, de la salaison et rédigé par cet organisme, après une large concertation entre professionnels et des rencontres avec le service de la répression des fraudes, consacre dans sa troisième édition celle de janvier 1986, le texte suivant aux produits susceptibles d'être dans la cause ou exclus de celle-ci : " andouille de Vire traditionnelle... ... Puis montage des lanières de boyaux en formes elliptiques, enrobage, entreposage en grande cheminée type campagne (à l'exclusion de tout fumoir industriel) où les andouilles sont fumées au bois de hêtre de préférence... le fumage dure un mois ou deux... Ce produit, absolument typique et fabriqué exclusivement à Vire et dans ses environs justifie une appellation telle que : "Véritable andouille de Vire" ou "andouille de Vire tradition", " andouille de Vire... l'andouille commercialisée sous cette appellation est une andouille cuite répondant aux caractéristiques suivantes : ... les boyaux partiellement dégraissés et très soigneusement nettoyés sont : le plus souvent précuits, assemblés en forme elliptique et embossés, fumés lentement, ficelés, ... l'aspect de la coupe est caractéristique (marbrures irrégulières) ;

"qu'il est établi par le procès-verbal de déclaration de Didier Amand, directeur technique à la société Amand de Vire, entendu par le contrôleur de la Direction Départementale de la Concurrence que la technique de fabrication utilisée obligatoirement pour la confection d'andouilles de Vire et respectant les dispositions des Codes des usages se traduit par la pratique ainsi relatée... Dans cette technique, l'usage du poussoir est impossible, car son utilisation ne permet absolument pas l'assemblage en forme elliptique ; sur le plan économique, il y a une incidence très importante à l'usage de la technique du poussoir : andouille de Vire : 66 francs, le kg, andouille poussoir : 34 francs, le kg ; qu'il résulte de tous ces éléments que le produit litigieux (andouille de Vire et non andouille de Vire traditionnelle) ne répondait pas au Code des usages, faute d'avoir été assemblé en forme elliptique et d'avoir été fumé lentement ; qu'il apparaît que L a bien trompé le contractant sur la nature et les qualités substantielles de la marchandise vendue" ;

"alors, d'une part, que la cour qui constate que le Code de la charcuterie indique, pour la fabrication de "l'andouille de Vire", que les boyaux sont assemblés en forme elliptique et embossés, fumés lentement, ce dont il résulte que ni la technique du poussoir, ni le fumage par aromatisation ne sont interdits, ne pouvait décider que la tromperie était constituée par l'emploi de ces techniques, refusant ainsi d'interpréter la loi pénale de manière restrictive ;

"alors, d'autre part, que la cour qui relève que les produits commercialisés par L portaient sur leur étiquetage : "andouille de Vire ingrédients ... arôme fumé", ce dont il résultait que le contractant était averti que le produit était fumé par aromatisation, ne pouvait alors décider que la tromperie était constituée ; "alors enfin que saisie par L de conclusions faisant valoir que le Centre technique de la salaison, éditeur du Code de la charcuterie, lui avait précisé que, selon le Code de la charcuterie, la dénomination "andouille de Vire" ne supposait pas un assemblage des boyaux à la main, ni le fumage dans une cheminée, ce dont il déduisait que l'intention frauduleuse n'était pas établie, la cour ne pouvait s'abstenir de toute explication de nature à caractériser l'intention délictueuse" ;

Attendu que les juges exposent, par motifs propres et adoptés, que Gilbert L a commercialisé sous la dénomination d'"andouille de Vire" un produit fabriqué selon la technique du "poussoir" et fumé par incorporation d'arômes ; qu'appréciant souverainement les éléments de fait soumis à leur appréciation, parmi lesquels les usages, ils estiment que ces techniques ne permettent pas d'attribuer au produit obtenu cette dénomination et précisent qu'en ne respectant pas les caractéristiques substantielles de l'andouille de Vire, Gilbert L s'est rendu coupable du délit de tromperie prévu et puni par la loi du 1er août 1905 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre aux arguments des conclusions du demandeur, a caractérisé l'infraction reprochée sans encourir les griefs du moyen qui ne saurait, dès lors, qu'être écarté ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 30 et 177 du traité de Rome, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré L coupable de tromperie sur la nature et les qualités substantielles de la marchandise vendue et refusé de saisir d'une question préjudicielle la Cour de justice des Communautés européennes ; "aux motifs que "au soutien de sa demande de sursis à statuer, le prévenu expose qu'il y aurait lieu de rechercher si des fabricants d'autres Etats membres de la communauté ne fabriquent pas des andouilles type Vire dans des conditions telles que les exigences anormales que l'on voudrait imposer à l'industrie constitueraient une mesure d'effet équivalent à une entrave à la libre circulation des marchandises imposée par l'article 30 du traité de Rome ; mais que d'éventuels fabricants étrangers ne sauraient être juridiquement admis à dénaturer le produit litigieux" ;

"alors que saisie de la question de connaître si l'interdiction par un Etat membre du recours à des méthodes de fabrication admises dans l'industrie agro-alimentaire des divers Etats membres ne constituait pas une mesure d'effet équivalent à une entrave à la libre circulation des marchandises, imposée par l'article 30 du traité de Rome, la cour n'a pas légalement justifié son refus de surseoir à statuer en relevant que les fabricants étrangers ne sauraient être admis à dénaturer le produit litigieux" ;

Attendu qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel, dont la décision peut être soumise à la Cour de cassation, de n'avoir pas fait droit à une demande de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes et de sursis à statuer ; Qu'en effet, les juridictions nationales sont les interprétés naturels du traité CEE et que l'article 177 de ce texte ne prévoit la saisine obligatoire de la Cour de justice des Communautés européennes qu'à la charge des seules juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, et lorsque les dispositions du traité nécessitent interprétation ;

Sur la demande de saisine, par la Cour de cassation, de la Cour de justice des Communautés européennes ; Attendu que les faits reprochés à Gilbert L consistent en la vente en France de produits fabriqués en France ; que, dès lors, la demande de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes est sans objet ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; Dit n'y avoir lieu à saisir d'une question préjudicielle la Cour de justice des Communautés européennes ;

Rejette le pourvoi.