Cass. crim., 25 novembre 1992, n° 91-82.639
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Louise
Avocat général :
M. Perfetti
Avocat :
Me Ancel.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par la société Actival International, partie civile, contre l'arrêt n° 1 de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 14 mars 1991, qui l'a déboutée de sa demande après relaxe d'Abilio R du chef de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue; - Vu le mémoire produit; - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 4 du décret n° 55-241 du 10 février 1955, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé R des fins de la poursuite et a débouté la partie civile de ses demandes, fins et conclusions;
"aux motifs que, "de première part, qu'il n'est pas établi par les pièces de la procédure que 25 % du lot de conserves présentaient des traces extérieures d'altération de nature à rendre le lot non commercialisable, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret n° 55-241 du 10 février 1955; qu'il est surprenant que la société Actival, alors qu'il n'y avait aucune urgence particulière, les denrées alimentaires n'étant pas particulièrement altérables et les 96 000 boîtes de conserves de marque "El Pilar" étant parvenues à destination le 15 décembre 1982, ait fait procéder à une expertise le 28 décembre 1982 par Michel Christen, ingénieur expert, à Saint-Leu d'Esserent (60), sans qu'Abilio R ou un de ses fondés de pouvoir, ait été à même d'y assister puisque la lettre recommandée adressée le 23 décembre 1982 ne lui a été remise que le 30 décembre 1982; que l'on se demande pour quelles raisons la société Actival n'a pas fait constater par huissier le mauvais état externe de la livraison et n'ait pas, dans les plus brefs délais, informé les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes si elle estimait avoir été trompée; qu'il apparaît pour le moins curieux que la société Actival n'ait pas, selon les usages commerciaux, retourné la marchandise, allant même, au contraire, jusqu'à commercialiser une partie des boîtes, à savoir, selon ses propres dires, près de 60 000 sur les 96 000 boîtes expédiées, et à en faire détruire un grand nombre; de seconde part, que le fait de livrer des boîtes de conserves dont l'emballage, dans sa partie extérieure, aurait été altéré ne saurait constituer une tromperie au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905; qu'en effet, dès lors que le défaut est visible et immédiatement décelable, il ne peut y avoir intention d'induire en erreur; qu'un tel fait n'ouvre droit qu'à des réparations civiles ou commerciales; que, dès lors, le délit de tromperie n'est pas caractérisé;
"alors, d'une part, qu'en énonçant, pour déclarer que le délit de tromperie n'était pas caractérisé, qu'il n'était pas établi que
25 % du lot de conserves présentait des traces extérieures d'altération de nature à rendre le lot non commercialisable, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret n° 55-241 du décret du 10 février 1955 (p. 4 alinéa 1er), bien que ce pourcentage ne concerne que la procédure de retrait de la marchandise et ne constitue en aucune manière une condition du délit de tromperie , la cour d'appel a violé par fausse application l'article 4 du décret du 10 février 1955 et par refus d'application l'article 1er de la loi du 1er août 1905;
"alors, d'autre part, qu'en estimant que ne pouvait constituer une tromperie , au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 , le fait de livrer des boîtes de conserves dont l'emballage dans sa partie extérieure était altéré (p. 4 alinéa 4), sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les conclusions de la société Actival International, si, indépendamment des altérations extérieures des boîtes, le délit de tromperie sur les qualités substantielles du produit n'était pas caractérisé en l'espèce du fait d'une non-conformité des produits par rapport aux échantillons (p. 8 in fine), d'une absence de code sur les boîtes (p. 9), d'un étiquetage erroné (p. 9 alinéa 6), de l'existence d'une forte proportion d'asperges avariées ou non conformes aux normes de calibre (p. 9 et 10) ou d'une non-conformité du poids du produit (p. 10), la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 et a laissé sans réponse les conclusions de la société Actival International;
"alors, de troisième part, que, dans ses conclusions d'appel (p. 10 in fine et 11 alinéa 1er) la société Actival International faisait valoir qu'elle avait été contrainte de procéder très rapidement à la destruction de la marchandise qui présentait un danger pour le consommateur dans la mesure, d'une part, où elle n'avait pu obtenir du fournisseur espagnol l'assurance que les boîtes litigieuses ne seraient pas commercialisées, d'autre part, que le gérant de la société Actival International était lui-même passible d'une sanction pénale sur le fondement des dispositions de la loi du 1er août 1905 , s'il conservait la garde de produits toxiques ou corrompus; qu'en estimant (p. 4 alinéa 6) qu'il n'y avait dans cette affaire "aucune urgence particulière", en sorte que la société demanderesse aurait dû attendre l'arrivée de R ou de l'un de ses représentants pour procéder à l'expertise et aurait dû retourner les marchandises en Espagne, la cour d'appel, qui n'a pas examiné le bien-fondé des raisons invoquées par la demanderesse pour justifier son attitude, a laissé sans réponse les conclusions précitées;
"alors, enfin, qu'en énonçant, d'une part, qu'il n'était pas établi que 25 % du lot de conserves présentaient des traces d'altération -ce dont il résultait aux termes de l'article 4 alinéa 5 du décret du 10 février 1955 que le détenteur des lots n'était nullement tenu d'avertir le service de la répression des fraudes- puis en s'étonnant, d'autre part, que la société Actival International "n'ait pas, dans les plus brefs délais, informé les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes", alors qu'aux termes mêmes de l'arrêt, la demanderesse n'était nullement tenue de procéder à une telle démarche, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs";
Vu lesdits articles; - Attendu que le délit de tromperie est indépendant des dispositions de l'article 4 du décret du 10 février 1955 et peut être constitué en cas de vente de conserves quelque soit le pourcentage de boîtes présentant des signes extérieurs d'altération;
Attendu, en outre, que les juges doivent répondre aux conclusions dont ils sont régulièrement saisis;
Attendu que, pour relaxer Abilio R poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles de boîtes de conserves, les juges du second degré énoncent "qu'il n'est pas établi... que 25 % du lot de conserves" ait présenté "des traces extérieures d'altération de nature à rendre le lot non commercialisable, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret n° 55-241 du 10 février 1955";
Mais attendu qu'en subordonnant ainsi la commission du délit de tromperie à un élément constitutif qu'il ne comporte pas et en s'abstenant de répondre aux conclusions de la partie civile qui faisait valoir que les signes extérieurs d'oxydation étaient susceptibles de correspondre à une altération des denrées conservées, la cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés; d'où il suit que la cassation est encourue;
Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susmentionné de la Cour d'appel de Paris, en date du 14 mars 1991, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.