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Décisions

Cass. crim., 12 octobre 1992, n° 91-85.019

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchella

Rapporteur :

M. Bayet

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Parmentier.

Lyon, ch. corr., du 5 juin 1991

5 juin 1991

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par D François, K contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, chambre correctionnelle, en date du 5 juin 1991 qui, pour tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles des marchandises vendues, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 6, 3, d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu de procéder à l'audition des témoins Danièle Maurin, Michel Laplace et Mireille Laplace;

"aux motifs que dès lors que les enquêteurs avaient qualité pour procéder à de véritables actes d'information en interrogeant notamment ces témoins, leur audition ne présenterait aucune utilité et ne saurait donc être ordonnée;

"alors qu'aux termes de l'article 6, 3, d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales "tout accusé a droit notamment à interroger ou "faire interroger les témoins à charge"; qu'il en résulte que, sauf impossibilité dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d'appel sont tenus, lorsqu'ils en sont légalement requis, d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge qui n'ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu; que tel était le cas en l'espèce et que les juges d'appel qui n'ont aucunement constaté l'impossibilité d'ordonner l'audition des témoins sollicités encourt une cassation certaine pour violation des droits de la défense";

Attendu que pour refuser de faire droit à la demande du prévenu qui sollicitait l'audition de certains témoins au soutien d'une exception de nullité du procès-verbal des agents des fraudes, base de la poursuite, la cour d'appel, après avoir écarté ladite exception comme non fondée en droit, constate que les auditions sollicitées ne présentent dès lors aucune utilité et ne sauraient être ordonnées;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 4 du Code pénal, de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 , des articles 385, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu, négociant en vins, coupable pour avoir fraudé la qualité des vins livrés courant 1982 à 1984 à 12 acheteurs en leur adressant des vins différents de ceux qu'ils avaient commandés mais conformes à la facture qui leur était adressée;

"aux motifs, repris des premiers juges, d'une part, que lors de l'enquête opérée par les enquêteurs du service de la Répression des Fraudes, il est apparu un certain nombre de faits particulièrement troublants; que plusieurs amicales, comités d'entreprise de départements disséminés sur le territoire français proposaient à leurs membres des vins d'appellation d'origine contrôlée achetés auprès de la société X, que les bons de commande internes établis par ces organismes à but non lucratif comportaient des mentions "vins déclassés" sous appellation contrôlée, Moulin à Vent, Morgon, Beaujolais, Mâcon blanc; que les factures établies par la société X mentionnaient des vins livrés différents (vins de table Descombetrois, vins de table blanc, vins de table rouge 13°); que l'examen attentif des bons de commandes manuscrits de ces acheteurs montrent leur intention très nette d'acquérir des vins d'appellation d'origine déclassée dont ils connaissaient parfois la correspondance dans les appellations internes de la société X; qu'en présence de telles commandes provenant de divers départements de France, François D prétend leur avoir livré des mélanges de vins divers de sa composition "D trois, cinq, sept, huit ou dix"; qu'il prétend avoir prévenu téléphoniquement tous ses clients de leur erreur s'agissant de la nature des vins qu'il pouvait fournir; qu'il se défend en faisant valoir qu'aucun client ne s'était plaint d'une livraison erronée; que les commandes réitérées parfois depuis plusieurs années de clients désirant obtenir du Morgon, du Moulin à Vent et d'autres vins du Beaujolais auprès de François D montrent que ceux-ci s'attendaient à des livraisons de vins AOC "déclassés", c'est-à-dire hors contingent; qu'ainsi en témoigne leur acceptation sans protestation du stratagème de factures faisant apparaître du vin de table à un prix supérieur au vin de table ordinaire mais inférieur à celui d'un vin d'appellation contrôlée et l'absence de toute plainte;

"aux motifs propres, d'autre part, que le libellé des commandes de tous ces clients prouvait qu'ils étaient persuadés d'acheter des vins d'appellation d'origine contrôlée "Morgon, Moulin à Vent ou Beaujolais" ayant fait l'objet d'un déclassement, certains étant même expressément mentionnés en cette circonstance; que le cas de la société Negrier qui a confirmé par écrit une commande téléphonique antérieure démontre que, contrairement à ce qu'il prétend, D ne faisait pas détromper par téléphone les clients qui identifiaient à des vins d'appellation déclassée des vins de table 12°, 13° ou 13°5 de son tarif; que l'exemple des commandes multiples de Da Costa, échelonnées sur 16 mois et mentionnant toujours l'appellation "Morgon" alors même que les factures indiquaient "vin de table rouge" constitue la preuve irréfutable de ce que D faisait croire à ses clients qu'il leur livrait en les facturant comme vins de table, des vins d'appellation déclassée; que les clients étaient entretenus dans leur erreur pour des prix relativement élevés (entre 5 et 7 francs le litre HT) et en tout cas supérieurs à ceux de simples vins de table, des vins qui leur étaient ainsi vendus; que le fait de livrer à des personnes qui commandent des vins sous une appellation d'origine contrôlée, des vins de table constitués de mélanges de vins provenant de différents pays de la Communauté économique européenne constitue une tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles des marchandises vendues; que l'erreur commise par de nombreux clients sur ces particularités des vins achetés aux sociétés dirigées par le prévenu ne saurait résulter du hasard ni d'une concertation entre eux, alors que ces clients sont éparpillés dans toute la moitié Nord de la France et que les commandes litigieuses s'échelonnent sur deux ans; qu'elle a nécessairement été provoquée par une tromperie volontaire de la part du prévenu et de ses préposés, que la preuve formelle existe au dossier en ce qui concerne un client dénommé Jacques Bantellier domicilé à Arras, lequel ayant commandé le 9 janvier 1978 aux établissements X l'envoi de leurs conditions de vente concernant leur "Morgon", qu'il avait eu l'occasion de déguster en famille, s'est vu répondre "Monsieur, suite à votre courrier du 9, nous avons le plaisir de vous remettre nos différents tarifs départ, nous pensons que le vin qui vous intéresse est du vin rouge 13°"; et que de même sur les commandes de vin d'appellation des clients précités, le personnel des sociétés dirigées par le prévenu s'est contenté d'écrire en regard des vins commandés la dénomination du produit qui devait être livré, sans que jamais l'attention du client fût attirée par écrit sur le fait qu'aucun vin d'appellation n'était disponible au prix mentionné sur sa commande; "alors, d'une part, que la loi pénale est d'interprétation restrictive; que l'article 1er de la loi du 1er août 1905 incrimine le fait pour quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, d'avoir trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers sur la nature, l'origine, les qualités substantielles et la composition ou la teneur en principes utiles de toute marchandise; que ce texte laisse hors de son champ d'application la simple inexécution du contrat lorsqu'elle est accompagnée d'une indication claire que l'accipiens n'a pas lue et qu'en l'espèce le seul fait pour le prévenu d'avoir livré à ses contractants un vin différent de celui indiqué dans leur commande tout en accompagnant leur envoi du produit d'une facture correspondant effectivement et explicitement au produit livré, ne pouvait servir de soutien à une condamnation pénale du chef de tromperie; "alors, d'autre part, que les juges correctionnels ne peuvent légalement statuer que sur les faits visés dans l'ordonnance de renvoi ou dans la citation; que ce principe du droit interne est un élément essentiel du procès équitable au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en fondant leur conviction pour caractériser la mauvaise foi du prévenu sur des faits qui, à les supposer établis, concerneraient une période non visée par la prévention, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe susvisé; "alors, enfin, que si en matière de fraude commerciale, les juges du fond ont tout pouvoir pour reconnaître l'existence de la mauvaise foi, leur appréciation à cet égard n'est souveraine que si elle n'est pas contredite par des faits qu'ils ont eux-mêmes constatés et par les conséquences légales que ces faits comportent et que dès lors, pour la période visée par la prévention c'est-à-dire 1982 à 1984- les juges du fond ne pouvaient déduire l'élément intentionnel du délit de l'erreur grossière commise par les acheteurs en dépit des indications claires figurant sur les factures du négociant en vins d'où la qualité de vins de table des produits livrés apparaissait sans aucune ambiguïté";

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et celles du jugement qu'il adopte mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond ont, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction et sans excéder les limites de leur saisine, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, y compris intentionnel, le délit de tromperie retenu à la charge du prévenu; Que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être admis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.