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Décisions

CA Poitiers, ch. corr., 15 septembre 1994, n° 94-00166

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Seuzaret

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

Mme Baudon, M. Hovaere

Avocats :

Mes Dubuis, Butruille.

TGI Rochefort-sur-Mer, ch. corr., du 25 …

25 janvier 1994

Décision dont appel:

Le tribunal a:

Sur l'action publique:

- déclaré Jean Jacques S coupable des faits qui lui sont reprochés,

- condamné ce dernier à la peine de 1 mois d'emprisonnement.

Dit qu'il sera sursis à l'exécution de la peine d'emprisonnement.

- l'a condamné à 1 000 F d'amende pour la contravention d'omission du kilométrage du véhicule sur le certificat de vente,

- l'a condamné à 1 000 F d'amende pour la contravention d'omission de remise du rapport de visite technique,

- relaxé Jean-Jacques S de la contravention d'omission d'indiquer sur le mandat de dépôt-vente le millésime de l'année modèle.

Sur l'action civile:

- reçu André Seuzaret en sa constitution de partie civile,

- déclaré Jean-Jacques S responsable du préjudice subi par M. André Seuzaret,

- condamné Jean-Jacques S à payer à André Seuzaret la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts.

Appel a été interjeté par:

- le prévenu, Jean-Jacques S, le 2 février 1994, en ce qui concerne la condamnation pénale et la condamnation civile,

- le Ministère public, le 4 février 1994,

- la partie civile, André Seuzaret, le 7 février 1994.

Décision:

La cour vidant son délibéré,

Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,

Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,

Attendu que Jean-Jacques S est prévenu d'avoir, à Rochefort-sur-Mer:

* le 1er août 1992, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur un véhicule en remettant à Monsieur Seuzaret un bon de commande d'un véhicule d'occasion comportant dans les conditions générales de vente l'engagement du vendeur de procéder à un contrôle de sécurité sur des éléments éventuels du véhicule, et à leur remise en état, contrôle qui n'a pas été effectué,

Infraction prévue et réprimée par les articles 44-I, 44 II al. 7 8, 44 II al. 9 10, 44 II al. 6 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1 de la loi du 1er août 1905,

* le 1er août 1992, trompé M. Seuzaret sur les qualités substantielles d'un véhicule qui présentait de nombreuses anomalies mécaniques (fuites d'huile, déséquilibre des roues, usure anormale des articulations ou des accouplements, flexibles... etc... Infraction prévue et réprimée par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905,

* le 4 août 1992, omis d'indiquer sur le certificat de vente le kilométrage du véhicule,

Infraction prévue et réprimée par l'article 5 du décret 78-993 du 4 octobre 1978 et l'article 13 de la loi du 1er août 1905,

* le 17 juin 1992, omis d'indiquer sur le mandat de dépôt-vente le millésime de l'année modèle,

Infraction prévue et réprimée par l'article 5 du décret 78-993 du 4 octobre 1978 et l'article 13 de la loi du 1er août 1905,

* le 1er août 1992, omis de remettre à M. Seuzaret le rapport de visite technique,

Infraction prévue et réprimée par l'article 5 bis du décret 78-993 du 4 octobre 1978 et l'article 13 de la loi du 1er août 1905

Rappel des faits et de la procédure:

Monsieur S gère un commerce de véhicules d'occasion en dépôt-vente à l'enseigne X à Vergeroux (17).

Le 1er août 1992, Monsieur Seuzaret a signé avec Monsieur S le bon de commande d'un véhicule Polski immatriculé 3408 SF 17, mis en circulation la première fois le 27 avril 1984, pour le prix de 19 800 F.

Ce bon de commande faisait état, tant au recto qu'au verso d'un contrôle de sécurité du véhicule.

Le 3 août 1992, Monsieur S a fait procéder dans un Centre de contrôle technique agrée à la visite technique du véhicule.

Ce contrôle a révélé une dizaine de défauts dont certains affectaient la sécurité d'utilisation du véhicule, par exemple un déséquilibre excessif entre les roues arrières au freinage, une fixation défectueuse de la suspension avant, une différence entre le braquage des deux roues avant, et une usure anormale de certains éléments de la direction.

Monsieur S n'a pas réparé ces anomalies, se contentant de remédier aux légers défauts affectant les serrures, l'éclairage ou l'échappement.

Il a livré le véhicule à Monsieur Seuzaret le 4 août 1992.

Ce véhicule est rapidement tombé en panne. Monsieur Seuzaret a saisi la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes qui a dressé un procès-verbal relevant à la charge de Monsieur S:

- un délit de tromperie sur les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi et les risques inhérents à l'utilisation d'un véhicule d'occasion,

- une contravention pour défaut de mention du kilométrage du véhicule sur le certificat de vente établi le 4 août 1992,

- une contravention pour défaut de mention du millésime de l'année modèle sur le mandat de dépôt-vente du véhicule établi le 17 mai 1992,

- une contravention pour vente du véhicule le 1er août 1992 sans présentation ni remise à l'acquéreur du rapport de visite technique du véhicule.

Monsieur S a été poursuivi pour ces infractions et pour délit de publicité mensongère devant le Tribunal correctionnel de Rochefort-sur-Mer qui a, le 25 janvier 1994, rendu le jugement dont le dispositif est reproduit en tête du présent arrêt.

Ont régulièrement interjeté appel de cette décision : Monsieur S puis le Ministère public et enfin Monsieur Seuzaret partie civile.

Au soutien de son appel Monsieur S allègue:

- que Monsieur Seuzaret avait saisi parallèlement le Tribunal d'instance de Rochefort-sur-Mer d'une demande en résolution de la vente pour vices cachés, et que par jugement définitif en date du 18 février 1993 ce tribunal a débouté Monsieur Seuzaret de sa demande au motif qu'il n'existait ni vice caché ni tromperie de la part du vendeur en l'espèce, notamment du fait que le rapport de contrôle technique faisant état des vices du véhicule avait été remis à l'acquéreur le 4 août 1992, jour de la vente.

* En ce qui concerne la publicité mensongère,

Que les seules conditions générales figurant au verso du bon de commande ne pourraient constituer une publicité au sens de la loi;

* En ce qui concerne le délit de tromperie,

Qu'il ressortirait des pièces du dossier, de l'historique du véhicule vendu et surtout du jugement susvisé du Tribunal d'instance de Rochefort-sur-Mer qu'il ne pourrait y avoir en l'espèce aucune tromperie;

* En ce qui concerne les contraventions,

- que le rapport de contrôle technique effectué le 3 août 1992 a dûment été remis à l'acquéreur le 4 août 1992, jour de la vente,

- que si le certificat de vente établi le 4 août 1992 ne fait effectivement pas état du kilométrage du véhicule, celui-ci est mentionné sur la décharge de responsabilité signée le même jour par Monsieur Seuzaret,

- que le contrat de dépôt-vente mentionnerait bien le millésime de l'année modèle,

* En ce qui concerne l'action civile,

Que celle-ci aurait la même cause et le même objet que l'action intentée par Monsieur Seuzaret devant le tribunal d'instance et qui a donné lieu au jugement définitif du 18 février 1993, et serait dès lors irrecevable devant la juridiction répressive.

Monsieur S demande en conséquence à la cour de le relaxer des fins de la poursuite et de déclarer Monsieur Seuzaret irrecevable en sa constitution de partie civile.

Monsieur l'Avocat général requiert la confirmation du jugement attaqué.

Monsieur Seuzaret, appelant incident, conclut à la confirmation du jugement en ce qui concerne la culpabilité du prévenu et la recevabilité de son action ; il demande en revanche à la cour de réformer cette décision en ce qui concerne l'évaluation de son préjudice et de condamner Monsieur S à lui payer 32 460,66 F en réparation de son préjudice économique et 10 000 F au titre de son préjudice moral.

Discussion:

Sur l'action publique

* Sur le délit de publicité mensongère:

Attendu que les conditions générales de vente portées sur un bon de commande et précisant les obligations contractuelles du vendeur et de l'acquéreur, font partie intégrante du contrat signé par ceux-ci, et ne constituent nullement une publicité destinée à provoquer la signature de la convention par l'acquéreur;

Attendu en conséquence que le non-respect par le vendeur de ses engagements contractuels, tels qu'ils figuraient sur ce bon de commande, ne peut constituer le délit de publicité mensongère ; que Monsieur S doit être relaxé de ce chef de prévention;

* Sur le délit de tromperie:

Attendu que le bon de commande du véhicule litigieux a été signé le 1er août 1992 par Monsieur Seuzaret, acquéreur, et par Monsieur S, vendeur; qu'au bas de ce bon de commande, au-dessus de la signature des parties, figure la mention "la présente commande est soumise aux conditions générales de vente (voir au dos) dont je déclare avoir pris bonne connaissance et que j'accepte sans réserve" ; que ces conditions générales précisent, en leur article 9 que le vendeur s'engage à effectuer un contrôle de sécurité sur les principaux organes du véhicule dont la défectuosité risquerait de provoquer des accidents ; que cet article 9 précise que "les vérifications et, s'il y a lieu les remises en état concernent les organes de direction, les amortisseurs, le système de freinage..."

Attendu qu'au recto de ce bon de commande figurent du reste, en caractères gras, les mentions "Confiance. Contrôle de sécurité";

Attendu que le bon de commande, "ferme et définitive" aux termes de l'article 1er des conditions générales acceptées par les parties, identifie précisément le véhicule acheté, le prix convenu, et la date à laquelle l'acquéreur pourra en prendre livraison ; qu' ainsi, la vente est intervenue entre les parties, conformément aux dispositions de l'article 1583 du Code civil, à la date du 1er août 1992;

Attendu qu'à cette date Monsieur Seuzaret se voyait promettre contractuellement la remise d'un véhicule contrôlé et réparé au niveau des principaux organes de sécurité;

Attendu qu'en réalité Monsieur S n'a fait procéder au contrôle technique qu'après cette vente ;qu'informé alors des vices affectant le véhicule, il a délibérément omis de réparer ou de faire réparer le système de freinage, et les organes de direction ou de suspension défectueux avant de livrer le véhicule à l'acquéreur ;qu'interrogé à ce sujet Monsieur S a allégué qu'il ne pouvait effectuer personnellement ces importantes réparations et que le recours à un sous-traitant eût été "trop coûteux";

Attendu que Monsieur S, vendeur professionnel, a de la sorte délibérément trompé l'acquéreur sur l'état du véhicule, et ce, comme le souligne l'enquêteur de la Direction de la Répression des Fraudes, afin de privilégier son profit immédiat au détriment de la sécurité de Monsieur Seuzaret ;que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont déclaré le prévenu coupable de ce délit;

* Sur les contraventions:

Attendu que le rapport de contrôle technique du véhicule n'a été produit et remis à Monsieur Seuzaret que le 4 août 1992 alors que la vente est intervenue le 1er août 1992;

Attendu que la cour constate que le certificat de cession du véhicule, versé au dossier, ne précise nullement le kilométrage de la voiture;

Attendu en conséquence que ces deux contraventions sont établies;

Attendu en revanche que c'est par de justes motifs que les premiers juges ont relaxé le prévenu pour la troisième contravention visée à la prévention;

* Sur la peine:

Attendu que les peines prononcées apparaissent adaptées à la gravité des faits, à l'attitude et à la personnalité du prévenu et aux circonstances de l'espèce et seront confirmées;

Sur l'action civile

Attendu que l'action engagée par Monsieur Seuzaret devant le Tribunal d'instance de Rochefort-sur-Mer avait pour objet la résolution de la vente sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil ;qu'en revanche, sa constitution de partie civile devant la juridiction répressive a pour objet d'une part de voir déclarer Monsieur S coupable des infractions pénales dont il a été victime et d'autre part d'obtenir réparation du préjudice que ces infractions lui ont causé,que ces deux actions ne procèdent dès lors ni de la même cause ni du même objet et sont toutes deux recevables devant le juge compétent;

Attendu qu'au vu des justificatifs, et notamment des factures, produits par Monsieur Seuzaret il convient de fixer à 12 000 F le montant de l'indemnité qui réparera intégralement le préjudice qu'il a subi du fait des infractions commises par Monsieur S;

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort. Reçoit Monsieur S en son appel principal et le Ministère public et Monsieur Seuzaret en leurs appels incidents. Sur l'action publique Confirme le jugement attaqué sur la culpabilité sauf en ce qui concerne le délit de publicité mensongère. Relaxe Monsieur S du chef de publicité mensongère. Confirme les peines prononcées. Le tout en application des articles susvisés et 473 du Code de procédure pénale. Sur l'action civile Confirme le jugement attaqué sur la recevabilité de la constitution de partie civile de Monsieur Seuzaret. Le réforme sur les dommages-intérêts alloués à celui-ci. Condamne Monsieur S à payer à Monsieur Seuzaret douze mille francs (12 000 F) à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues. Le condamne aux frais de l'action civile.