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Décisions

Cass. crim., 6 décembre 1993, n° 93-80.868

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchella

Rapporteur :

M. Gondre

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

Mes Choucroy, Foussard.

Rennes, ch. corr., du 23 juill. 1992

23 juillet 1992

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par: - B Francis, - la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 23 juillet 1992, qui, d'une part, dans les poursuites exercées contre Francis B et la société X, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, a constaté que les dispositions fiscales du jugement étaient devenues définitives, d'autre part, a condamné Francis B à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende pour vente de produits propres à effectuer la falsification des boissons, a ordonné la publication et l'affichage de la décision et a donné acte à la partie civile de son désistement; Vu les mémoires produits en demande et en défense; Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 502, 509 et 593 du Code de procédure pénale, 1134 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que la cour n'est saisie que des dispositions pénales et civiles du jugement pour décider que les dispositions fiscales sont définitives;

"aux motifs que, lorsqu'un jugement contient des dispositions définitives sur des chefs de prévention distincts et qu'il n'y a appel que sur certaines d'entre elles, la juridiction du second degré ne peut statuer que sur celles dont elle est saisie, les limitations et restrictions devant résulter de l'acte d'appel; qu'à l'examen de l'acte d'appel il apparaît que le prévenu et son civilement responsable ont entendu seulement critiquer les seules dispositions pénales du jugement relatives à la falsification de boissons, c'est-à-dire le délit de droit commun prévu et réprimé par la loi du 1er août 1905 et par le décret du 22 janvier 1919, ainsi que les condamnations civiles; que le dispositif du jugement comportant des sanctions prononcées au titre des trois actions distinctes pénales, civiles et fiscales, le prévenu et le civilement responsable étaient en mesure, s'ils en avaient exprimé la volonté, de mentionner dans l'acte d'appel les condamnations prononcées sur l'action fiscale; que les mentions portées sur l'acte d'appel ne laissent aucun doute sur l'intention du prévenu et du civilement responsable de limiter leur recours aux condamnations prononcées au titre de l'action pénale et civile, qu'en conséquence il y a lieu pour la cour de constater que les dispositions relatives à l'action fiscale sont définitives;

"alors que, s'il appartient à la cour d'appel de déterminer l'étendue de sa saisine, elle ne saurait lui apporter des restrictions que ne contient pas l'acte d'appel; que, dès lors, en l'espèce où il résulte des mentions de ce document, que le mandataire du prévenu et du civilement responsable, en présence d'un formulaire préétabli qui mentionnait que l'appel portait sur les dispositions pénales et sur les dispositions civiles du jugement, a coché les deux cases correspondantes sans spécifier aucune restriction à son appel, la cour ne pouvait légalement limiter la portée de cet appel général portant manifestement sur l'ensemble des dispositions du jugement, en prétendant qu'il en résulterait que le prévenu et le civilement responsable avaient entendu exclure les dispositions fiscales de leur recours";

Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces de procédure et des mentions de l'arrêt attaqué que Francis B et la société X ont déclaré interjeter appel des dispositions pénales et civiles du jugement, concernant la poursuite du chef de "vente de produits propres à effectuer la falsification des boissons";

Attendu qu'en cet état, et dès lors que l'acte d'appel ne visait pas les infractions à la législation sur les contributions indirectes, c'est à bon droit que l'arrêt attaqué a constaté que les dispositions fiscales du jugement étaient devenues définitives; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1 et 3 de la loi du 1er août 1905, 423, 425 et 426 du Code général des impôts, 1791, 1794 et 1799 A dudit Code et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Francis B coupable de vente en connaissant leur destination de produits propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme;

"aux motifs propres à la cour que le prévenu a vendu en quatorze mois plus de 855 tonnes de sucre sans acquit à caution et prétend, d'une part, qu'il s'agit de vente au détail et, d'autre part, que la preuve n'est pas rapportée de la vente à des viticulteurs; que les articles 425 et 426 du Code général des impôts réglementant les ventes de sucre par quantités égales ou supérieures à 25 kg; qu'en l'absence de factures, de titres de mouvements, d'inscription sur les registres de sortie, le prévenu a rendu impossible toute vérification de l'Administration alors que son entreprise située dans une région viticole a réalisé l'essentiel de ses approvisionnements de mai à septembre pour commercialiser de très importantes quantités de sucre de juin à fin octobre, soit avant les vendanges, que les investigations des enquêteurs montrent l'impossibilité matérielle de commercialiser le sucre par quantités inférieures à 25 kg alors qu'il s'approvisionne essentiellement en sacs de 50 kg et que les sacs nécessaires au conditionnement au détail n'ont pas été retrouvés par les enquêteurs, que le prévenu, qui admet que "sa clientèle se compose de 50 % de "viticulteurs" affirme néanmoins ne vendre le sucre sans titres de mouvement "qu'à des clients de passage "dont il ignore l'identité"; que cette explication ne peut être retenue, le prévenu dirigeant une entreprise implantée dans le vignoble depuis de nombreuses années n'ignorant nullement que l'emploi de sucre vendu sans acquit permet aux viticulteurs de pratiquer la chaptalisation non déclarée, voire le sucrage au-delà des limites autorisées;

"et aux motifs adoptés des premiers juges que le prévenu use bien sûr de l'argument connu en la matière: la vente au détail de sacs inférieurs à 25 kg, le flagrant délit, rare en ce domaine, amenait le droit positif à établir les présomptions de fraudes; parmi les critères prétoriens s'observe le rythme accéléré des ventes litigieuses à l'approche des vendanges; l'aspect occulte, la dissimulation des transferts par l'absence de comptabilité révélatrice institue un fort soupçon; l'absence de facture ou leur anonymat dénote une discrétion suspecte; la dissimulation manifeste ressort du défaut de toute mention de la sortie du gros stock des Ets B; le refus du prévenu de signer le procès-verbal de la DGCRF ne témoigne pas d'une conscience immaculée; cette attitude négative rejoint son mutisme sur le nom des clients payeurs en espèces; dix ans plus tôt un camion transportait clandestinement quarante sacs de 50 kg de sucre de la SARL B vers un vigneron;

"alors que l'article 3-4 de la loi du 1er août 1905 qui n'édicte aucune présomption de fraude ne permet de sanctionner que ceux qui ont exposé, mis en vente ou vendu en connaissant leur destination, des produits, objets ou appareils propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux; que dès lors en l'espèce, où les premiers juges ont proclamé qu'il existait des présomptions de fraude en la matière et où ils ont, comme les juges d'appel, déduit la culpabilité du demandeur de divers éléments dont aucun ne pouvait établir, ni que le prévenu avait vendu du sucre par quantités égales ou supérieures à 25 kg, dans des conditions irrégulières, ni qu'il ait alors su que ce sucre était destiné à réaliser des chaptalisations prohibées, ni d'ailleurs que de telles chaptalisations aient jamais été réalisées à l'aide du sucre litigieux, les juges du fond n'ont pas caractérisé à la charge du prévenu la réunion des éléments constitutifs de l'infraction dont ils l'ont déclaré coupable";

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie et a caractérisé en tous ses éléments, y compris intentionnel, la vente de produits propres à effectuer la falsification des boissons, délit dont elle a déclaré Francis B coupable; que, dès lors, le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause soumis au débat contradictoire, ne saurait être accueilli;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.