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Décisions

Ministre de l’Économie, 31 décembre 2003, n° ECOC0400215Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Santé France SA

Ministre de l’Économie n° ECOC0400215Y

31 décembre 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 28 novembre 2003, vous avez notifié le projet de cession par la société Gastro Louvre SA à la société Santé Finance SA (ci-après " Santé Finance ") de 100 % des parts et droits de vote des sociétés Clinique Paul Doumer et Clinique du Louvre. L'opération a été formalisée par un protocole signé entre les parties le 20 novembre 2003.

I. - Les parties et l'opération

La clinique Paul Doumer et la clinique du Louvre sont des établissements de santé privés à but lucratif sis à Paris, respectivement dans les 16e et 1er arrondissements. La clinique Paul Doumer, dite clinique du Trocadéro, est titulaire de l'autorisation d'exploiter 76 lits et places de chirurgie (52 lits de chirurgie et 24 places en anesthésie et chirurgie ambulatoire). En 2002, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 10,4 millions d'euros. Pour sa part, la clinique du Louvre est titulaire de l'autorisation d'exploiter 48 lits et places de chirurgie (23 lits de chirurgie et 25 places en anesthésie et chirurgie ambulatoire). En 2002, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 7,9 millions d'euros.

Les deux cliniques ont donc pour activité une prestation de diagnostics et de soins de courte durée avec ou sans hébergement dans la seule discipline chirurgie (à l'exclusion des disciplines de médecine et obstétrique). En outre, elles sont toutes deux principalement active en matière de chirurgie digestive. En 2002, elles ont réalisé un chiffre d'affaires combiné de 18,3 millions d'euros, en France exclusivement.

Santé Finance est détenue par la société Médi-Partenaires, société par actions simplifiées qui n'a qu'une activité de holding de Santé Finance. Médi-Partenaires est détenue à 80 % et contrôlée exclusivement, par l'intermédiaire de sa filiale Santé Partenaires, par UHS, troisième opérateur de santé privé aux Etats-Unis. Les 20 % du capital restant sont répartis entre des sociétés qui [...]. Aucun droit de veto n'est concédé aux [...] sociétés minoritaires mentionnées ci-dessus, que ce soit sur la définition du budget et du business plan, sur la gestion ou la politique commerciale ou sur la désignation du management de Santé Finance.

Santé Finance, société par actions simplifiée, détient des participations majoritaires et le contrôle exclusif de 12 cliniques MCO sur le territoire national, participations s'échelonnant à hauteur de 91,78 (*) à 100 % du capital selon les cliniques. Seule 1 de ces 12 cliniques MCO est située en Ile-de-France, la clinique de Bercy, sise à Charenton-le-Pont (94).

UHS a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé mondial d'environ 2 715 millions d'euros. Elle a réalisé en France, via Santé Finance, un chiffre d'affaires consolidé de 105 millions d'euros en 2002.

L'opération notifiée consiste en l'acquisition de la totalité du capital et des droits de vote de la clinique Paul Doumer et de la clinique du Louvre par le groupe Santé Finance. Ayant pour corollaire le transfert du contrôle exclusif de ces cliniques au profit dudit groupe, cette opération constitue donc une opération de concentration au regard de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire. Elle est en revanche soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. - La définition des marchés

A. - Les marchés de service

Dans deux décisions, l'une en date du 10 octobre 2002 (1), et l'autre en date du 4 décembre 2003 (2), le ministre de l'Economie a abordé la question de la définition des marchés dans le secteur de la production de diagnostics et de soins en établissement de santé.

Il avait alors admis qu'il n'y avait pas lieu de segmenter l'activité de production de diagnostics et de soins hospitaliers, avec ou sans hébergement, selon les statuts juridiques des établissements de santé. En effet, si les établissements de santé peuvent être juridiquement distingués, selon qu'ils sont établissement de santé public, établissement de santé privé à but non lucratif (3), ou encore établissement de santé privé à but lucratif, et si ces différents statuts influent directement sur l'activité de ces différents établissements de santé, eu égard notamment à l'étendue des missions, aux modalités de fonctionnement, au statut des personnels, aux équipements et aux modes de rémunération, il a été établi que ces établissements étaient bien actifs sur les mêmes marchés. Le ministre mettait en outre en exergue, dans la décision la plus récente précitée, que les évolutions récentes de la législation applicable, et notamment la mise en œuvre de la tarification à l'activité (" T 2 A "), venaient au surplus renforcer cette analyse.

Dans les décisions précitées, le ministre soulignait la possibilité d'une segmentation des marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers par " groupes d'activité spécialisée " au sein de chacune des grandes disciplines (médecine, chirurgie, obstétrique...). Il indiquait alors qu'une telle segmentation est justifiée par la spécialisation pointue des praticiens hospitaliers, par la nécessité d'obtenir des autorisations spécifiques pour l'exercice de certaines spécialités médicales ou chirurgicales, et, compte tenu de ces éléments auxquels s'ajoute la logique économique induite par la T 2 A, par la tendance à la spécialisation des établissements de santé. Ainsi pourrait-il être envisagé, s'agissant de la discipline de chirurgie, des segments tels que " chirurgie orthopédique, traumatologie de l'appareil locomoteur, chirurgie des nerfs périphériques ", " neurochirurgie et chirurgie du rachis hors traitements orthopédiques ", " chirurgie viscérale ", " chirurgie ORL, stomato, thyroïde et parathyroïde ", " chirurgie ophtalmique ", " chirurgie vasculaire périphérique, amputations pour troubles vasculaires ou métaboliques ", " chirurgie gynécologique et sein ", " chirurgie hépato-biliaire et pancréatique ", " chirurgie urologique ", " chirurgie de l'appareil génital masculin ", ou encore " chirurgie cardio-thoracique, sauf transplantations cardiaques "...

Dans la lettre en date du 4 décembre 2003 précitée, le ministre s'interrogeait sur la pertinence d'opérer une segmentation plus fine au sein de chacun des groupes d'activité spécialisée. Il avait relevé à cet égard une certaine " surspécialisation " des praticiens ; ces derniers, encouragés par la recherche d'un savoir-faire tendent à s'orienter vers le traitement d'une ou plusieurs pathologies d'une même partie anatomique ou d'un même organe, traitements relevant bien entendu de leur spécialisation originelle, mais pratiqués à l'exclusion de tous autres. Ce phénomène est particulièrement observé s'agissant des spécialités chirurgicales.

Une segmentation au sein des groupes d'activité spécialisée peut également sembler légitime eu égard à la singularité de la demande sur certains actes classifiés dans un groupe donné. Ainsi, des actes de rhinoplastie, classés dans le groupe " chirurgie ORL, stomato, thyroïde et parathyroïde ", sont motivés non par une décision médicale après diagnostic, suite à un traumatisme par exemple, mais par un souci esthétique du patient. Ces actes de " bien être " ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie et sont le plus souvent pratiqués dans des établissements spécialisés en réponses d'ordre esthétique. Il en est de même s'agissant d'autres actes, classés dans d'autres groupes d'activité mais pratiqués dans ce même souci d'esthétique non post-traumatique : mammopexie et mammoplastie, chirurgie de la sénescence du visage (" lifting ")... La singularité de la demande de ce type d'actes, la spécialisation de l'offre et la tendance de ces établissements spécialisés à proposer une gamme complète d'interventions esthétiques de confort pourrait justifier un regroupement de ces actes au sein d'un groupe d'activité " chirurgie esthétique ", groupe ne faisant, pour l'heure, l'objet d'aucun classement par les autorités sanitaires.

Toutefois, il n'apparaît pas nécessaire, au cas présent, de se prononcer sur la pertinence de ces délimitations de marchés de service ; dans la mesure où les conclusions demeurent en tout état de cause inchangées, l'activité des parties sera ci-dessous observée selon une segmentation opérée par groupe d'activité spécialisée au sein de la discipline de chirurgie, seule concernée par l'opération. Les groupes d'activité spécialisée principalement concernés par l'opération sont les groupes " chirurgie viscérale ", " chirurgie vasculaire périphérique, amputations pour troubles vasculaires ou métaboliques ", " chirurgie orthopédique, traumatologie de l'appareil locomoteur, chirurgie des nerfs périphériques ", " chirurgie gynécologique et sein ", " chirurgie ophtalmique ", et " chirurgie ORL, stomato, thyroïde et parathyroïde ". Enfin, l'impact de l'opération sur les segments rhinoplastie, mammopexie et mammoplastie, et chirurgie de la sénescence du visage sera évalué.

B. - Les marchés géographiques

Dans les décisions précitées, le ministre, se fondant sur les instruments de régulation dévolus aux ARH, avait retenu une délimitation locale, au plus régionale, s'agissant des marchés de l'offre de diagnostics et de soins des établissements de santé MCO. Il énonçait notamment que " les marchés de l'offre de soins hospitaliers en établissements de santé publics et privés, avec ou sans hébergement, sont [...], à quelques rares exceptions près, des marchés locaux. Le périmètre de ce marché local est fonction du marché de l'offre de soins étudié ".

Il n'est toutefois pas nécessaire au cas d'espèce, de les délimiter avec plus de précision. Les parties à la concentration étant actives en Ile-de-France et leur patientèle originaire à 92 % de la région (4), l'analyse portera sur les activités de diagnostics et de soins des établissements de santé concernés dans la région Ile-de-France.

III. - Analyse concurrentielle

En région Ile-de-France, les parties à la concentration sont toutes deux actives sur la seule discipline de Chirurgie.

En 2002, il est recensé en Ile-de-France 218 établissements de santé offrant des diagnostics et soins en Chirurgie.

En chirurgie, 21 417 lits et places sont autorisés au niveau régional (5). Les cliniques objets de la cession disposent de 124 lits et places de chirurgie, soit 0,6 % des lits et places du contingent régional. Quant à Santé Finance, elle exploite, au travers de la clinique de Bercy, 73 lits et places de chirurgie, soit 0,3 % du contingent régional. Le nouvel ensemble disposera donc de l'autorisation d'exploiter 197 lits et places de chirurgie, soit 0,9 % du contingent régional.

Sur aucun des groupes d'activité spécialisée concernés, l'opération ne conduit à une représentativité du nouvel ensemble supérieure à [0-10] % de l'activité régionale considérée.

S'agissant des actes de bien-être esthétique évoqués, la représentativité du nouvel ensemble dans l'activité régionale n'excède [0-10] % que sur les seules interventions chirurgicales de la sénescence du visage (" liftings "). Les cliniques objets de la cession ont réalisé, en 2001, [10-20] % des " liftings " pratiqués en établissements de santé franciliens, la clinique de Bercy, [0-10] %.

Il peut donc être conclu, au regard de l'ensemble de ces éléments, que la concentration projetée n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l'offre de diagnostics et de soins des établissements de santé dans les différents groupes d'activité spécialisée de chirurgie concernés.

Par ailleurs, si l'opération peut avoir un impact sur les liens contractuels actuels des cliniques objets de la cession, et notamment sur leur affiliation à l'une ou l'autre des différentes centrales d'achat du secteur (6), il convient de souligner que, dans le secteur de la santé, les fournisseurs pharmaceutiques ou équipementiers sont très concentrés. Ils ont un poids économique très important, sans aucun rapport avec ce que peuvent représenter les regroupements des établissements de santé qui existent actuellement en France, que ces regroupements soient structurels ou contractuels. L'intégration de la clinique du Louvre et de la clinique Paul Doumer au sein du groupe Santé Finance n'est donc pas de nature à créer un renforcement significatif de la puissance d'achat de la nouvelle entité.

En conclusion, il apparaît, au regard de l'ensemble des éléments développés, que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.

(*) Erreur matérielle : lire " 81,48 % " au lieu de " 91,78 % ".

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Lettre d'autorisation de l'acquisition de l'hôpital-clinique Claude Bernard par Santé Finance, publiée au BOCCRF n° 5 du 20 mai 2003.

(2) Lettre d'autorisation de l'acquisition de la clinique des Cèdres par Capio Santé, en cours de publication.

(3) Catégorie au sein de laquelle cohabitent deux statuts différents : les établissements de santé privés à but non lucratif participant au service public (dits " PSPH ") et ceux qui sont dits " ne participant pas au service public ".

(4) 49 % des patients des cliniques concernées sont originaires de Paris intra-muros, 43 % de la banlieue parisienne et 7 % ne sont pas originaires de la région considérée.

(5) 19 324 lits et 2 093 places de chirurgie ambulatoire. Source ; étude sur " le suivi du SROS " réalisée en mars 2003 par l'Agence régionale d'hospitalisation d'Ile-de-France.

(6) A savoir, principalement, la Centrale d'achats d'hospitalisation privée et publique (CAHPP), à laquelle les entités cibles sont adhérentes, la Centrale d'achat, de conseil et d'information des cliniques (CACIC), ou le Club H, centrale d'achat à laquelle le groupe acquéreur adhère.