Ministre de l’Économie, 11 février 2004, n° ECOC0400202Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Bayard Presse
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 19 décembre 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition des sociétés Milan Presse et Editions Milan (ci-après Milan) par la société Bayard Presse (ci-après Bayard).
I. - Les entreprises concernées et l'opération
Bayard est une société anonyme de droit français contrôlée par la congrégation religieuse des Assomptionnistes, [...] qui possède [...] % du capital et des droits de vote, le reste étant détenu par [...]. Les activités de Bayard s'articulent autour de trois pôles : la presse (presse jeunesse, presse senior et presse religieuse), l'édition de livres (livres pour la jeunesse et livres religieux) ainsi que leur diffusion par l'intermédiaire de sa filiale à 100 % Sofédis et l'édition de produits multimédia. Bayard a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires mondial de 332,8 millions d'euros, dont 301,6 dans l'Union européenne et 269,9 en France.
Milan est une société anonyme de droit français dont le capital est actuellement détenu par la société Finadin (49,9 %), les fondateurs de Milan (42,9 %) et la société Tofinso Investissement (7,2 %). Milan est présente dans les même domaines d'activité que Bayard : la presse (presse jeunesse et presse " territoire "), l'édition de livres pour la jeunesse et de livres pour adultes et l'édition de produits multimédia. Milan a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires mondial de 73,3 millions d'euros, dont 69,7 dans l'Union européenne et 67,5 en France.
L'opération consiste en l'acquisition par Bayard de la totalité du capital de Milan, en vertu d'un protocole d'accord signé le 10 décembre 2003. Elle constitue donc une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.
Les activités des entreprises concernées se chevauchent dans les secteurs de l'édition de produits multimédia, de l'édition de livres et de la presse, qui seront analysés successivement dans la présente décision.
II. - L'édition de produits multimédia
Dans un avis du 29 février 2000 (1), le Conseil de la concurrence a souligné qu'il existe un marché distinct de l'édition de produits multimédia et que ce marché est de dimension nationale.
Selon les entreprises concernées, ce marché comprend la vente, entre autres, de jeux vidéo, de livres, de logiciels de référence (systèmes d'exploitation tels que Windows) et de logiciels interactifs éducatifs ou d'art, sur différents supports tels que les cassettes pour consoles de jeux et les CD-Rom. S'il n'a pas précisément délimité ce marché dans son avis précité, le conseil a toutefois indiqué que les logiciels pour consoles de jeux et les logiciels éducatifs en faisaient partie. La question d'une définition précise de ce marché peut toutefois rester ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
Bayard et Milan, qui sont toutes deux actives sur ce secteur, proposent des CD-Rom à contenu ludo-éducatif (11 titres pour Bayard et 7 titres pour Milan). L'activité " édition multimédia " représente un chiffre d'affaires de [...] euros pour Bayard et [...] millions d'euros pour Milan.
Même en retenant une définition étroite du marché de l'édition de produits multimédia limitée aux CD-Rom ou aux CD-Rom à contenu éducatif, la part de marché cumulée des entreprises concernées est de [0-10] % dans le premier cas et de [0-10] % dans le second. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence dans ce secteur, notamment par création ou renforcement de position dominante, sur le ou les marchés de l'édition multimédia.
III. - L'édition de livres
1. La définition des marchés
En ce qui concerne l'édition de livres, les entreprises concernées estiment que leurs activités se chevauchent principalement sur le marché de la vente de livres destinés à la jeunesse (2). En ce qui concerne les autres marchés de l'édition de livres (livres de littérature générale destinés à un public adulte) sur lesquels Bayard et Milan sont actifs, l'opération conduit à un chevauchement d'activités extrêmement marginal quelle que soit la définition retenue. Ils ne seront donc pas pris en compte aux fins de la présente analyse.
Dans une décision récente, la Commission européenne a indiqué que le marché de la vente de livres pour la jeunesse constituait un marché pertinent distinct (3), sans qu'il soit nécessaire d'opérer des segmentations plus fines par types de livres au sein de ce marché. Elle a également estimé que les différents marchés de vente de livres (dont les livres pour la jeunesse) pouvaient être subdivisés selon les types de revendeurs (4). Aux fins de la présente analyse, la question de cette subdivision peut rester ouverte, les conclusions demeurant inchangées.
Pour éditer des livres, les éditeurs doivent acquérir des droits d'auteur, soit directement auprès des auteurs pour la création d'un ouvrage (droits primaires français), soit auprès d'autres éditeurs, par exemple pour l'édition en français d'un livre préalablement publié en langue étrangère (droits primaires étrangers) ou pour une réédition en format de poche (droits secondaires poches). Il existe donc en amont de l'activité de ventes de livres pour la jeunesse un marché de l'acquisition de droits d'auteur sur lequel Bayard et Milan sont présents en tant qu'acheteurs. La question d'une segmentation de ce marché entre les différents droits primaires et secondaires peut rester ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
Enfin, au sein du marché de ventes de livres pour la jeunesse, il est permis de s'interroger sur l'existence d'un marché spécifique du livre pour la jeunesse en format de poche, compte tenu des spécificités de ce format (identité visuelle, prix inférieur, rééditions d'ouvrage parus auparavant en grand format). Il n'y a pas lieu toutefois de se prononcer définitivement sur cette distinction, compte tenu de son absence d'impact sur les résultats de l'analyse.
En ce qui concerne la délimitation géographique, les entreprises concernées estiment que le marché de la vente de livres pour la jeunesse est de dimension internationale et à tout le moins européenne, compte tenu des volumes significatifs d'exportations et d'importations de livres entre la France et les autres pays européens. Il apparaît toutefois que ce marché est de dimension nationale ou plutôt linguistique, la Commission estimant, dans sa décision du 23 juillet 2003 précitée (5), que les marchés de vente de livres de littérature générale et d'ouvrages de référence étaient de dimension " supranationale couvrant le bassin francophone de l'Union européenne ". En ce qui concerne le marché de l'acquisition de droits d'édition de livres jeunesse, elles considèrent que celui-ci est de dimension mondiale car les maisons d'édition françaises sont en concurrence pour les acquisitions de droits avec d'autres maisons d'édition situées dans des pays francophones (6). Les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelles que soient les délimitations géographiques retenues, la question peut rester ouverte.
2. Analyse concurrentielle
En ce qui concerne les droit d'auteur, Bayard a acquis en 2002 des droits pour un montant de [...] millions d'euros contre [...] million d'euros pour Milan. Ces droits ont été acquis à 90 % en France pour Bayard et à 95 % pour Milan. Les entreprises concernées ont fourni des données sur une base nationale permettant d'établir que leur poids cumulé en matière d'acquisition de droits est de [0-10] % ([0-10] % pour Bayard et [0-10] % pour Milan).
Pour les marchés de la vente de livres pour la jeunesse, et en distinguant les ouvrages en grand format des ouvrages au format de poche, les entreprises concernées détiennent sur une base nationale pour le grand format une part de marché cumulée de [0-10] % en valeur (Bayard : [0-10] % et Milan : [0-10] %) et de [0-10] % en volume (Bayard : [0-10] %, Milan : [0-10] %). En ce qui concerne les ouvrages pour la jeunesse en format de poche, la part de marché cumulée en France des entreprises concernées est de [10-20] % en valeur (Bayard : [10-20] % et Milan : [0-10] %) et de [10-20] % en volume (Bayard : [10-20] % et Milan : [0-10] %).
Ces parts de marché sont donc relativement limitées et ne conduisent pas à l'identification de marchés affectés. Par ailleurs, que ce soit pour l'acquisition de droits ou la vente de livres pour la jeunesse en grand format ou au format poche, les entreprises concernées devront faire face à des concurrents de taille significative tels que Hachette Livre (Deux Coqs d'Or, Didier Jeunesse, Disney Hachette Edition, Grasset-Jeunesse, le Livre de Poche Jeunesse et Hatier), Editis (7) (Nathan Jeunesse, Hemma, Syros et Pocket Jeunesse), Gallimard (Gallimard Jeunesse, éditeur des ouvrages " Harry Potter ", et Folio Junior), Flammarion (Flammarion Jeunesse, Castor Poche, Casterman Jeunesse, J'ai Lu) et l'Ecole des Loisirs.
En conséquence, compte tenu du niveau de parts de marché de la nouvelle entité et de la présence de concurrents puissants, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés d'acquisition de droits d'édition de livres jeunesse et de vente de livres pour la jeunesse.
IV. - La presse
Les activités des parties ne se chevauchent que dans le secteur de la presse destinée à la jeunesse. Les entreprises concernées distinguent, conformément à la pratique du Conseil de la concurrence (8), du ministre (9) et de la Commission européenne (10) entre le marché du lectorat, le marché de la vente d'espaces publicitaires et le marché des petites annonces. Bayard et Milan ne publiant pas de petites annonces dans leurs publications destinées à la jeunesse, les seuls marchés concernés par l'opération sont ceux de la vente des espaces publicitaires et du lectorat.
Bayard propose 17 titres de presse jeunesse recensés par Diffusion contrôle dans la catégorie " presse grand public jeunes " et par le Syndicat national de la presse jeunesse (SNPJ). Milan pour sa part propose 16 titres. Les autres opérateurs de presse jeunesse sont Hachette (Disney Hachette presse, Hachette Filipacchi et Edi Presse) avec 16 titres, Fleurus Presse (filiale du groupe Le Monde) avec 10 titres, Cyber Press Publishing avec 6 titres, Jibena avec 5 titres, Faton avec 4 titres, Playbac avec 4 titres, Nathan avec 3 titres et EMAP-Excelsior avec 3 titres. Au total, les parties ont recensé 217 titres actuellement commercialisés en France par 67 éditeurs.
1. La vente d'espaces publicitaires
Selon la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence et du ministre, les différents supports publicitaires (presse, affichage, télévision, radio, cinéma) ne sont pas substituables entre eux (11). Dans ce même avis, le Conseil de la concurrence a estimé que la presse magazine n'était pas substituable à la presse quotidienne, en raison de contraintes techniques liées à l'utilisation de papiers différents.
Au cas d'espèce, les parties ne sont en concurrence pour la vente d'espaces publicitaires que dans les publications destinées à la jeunesse. Il n'est toutefois pas nécessaire de délimiter plus précisément le marché de produits, les conclusions de la présente analyse ne s'en trouvant pas modifiées. Conformément à la pratique du Conseil et du ministre, les marchés de la vente d'espaces publicitaires sont de dimension nationale.
Pour l'analyse concurrentielle, on peut observer que les recettes publicitaires des éditeurs de presse jeunesse sont faibles ([< 10] % pour Bayard et [< 10] % pour Milan) et qu'elles concernent principalement les publications destinées aux adolescents pour lesquelles les parties sont nettement moins présentes que des concurrents tels qu'EMAP-Excelsior ou Edi Presse (groupe Hachette). Les parties ont par ailleurs fourni des données faisant apparaître un faible nombre d'annonceurs communs entre les publications éditées par Bayard et celles éditées par Milan.
En conséquence, et compte tenu du faible impact concurrentiel de l'opération, l'opération ne porte pas atteinte à la concurrence sur le ou les marché(s) de la vente d'espaces publicitaires.
2. Le lectorat
a) La définition des marchés
Dans leur notification, les parties estiment que le marché pertinent du lectorat est celui de la vente de titres de presse destinés à un public jeune allant de 0 à 20 ans.
Les parties font valoir en effet que les principaux opérateurs présents dans le secteur de la presse jeunesse offrent une gamme de titres couvrant toutes les périodes de la jeunesse. Les éditeurs doivent en effet prendre en compte le caractère évolutif de leur lectorat et ainsi mettre en place un chaînage de titres couvrant l'ensemble des tranches d'âge et adaptant le contenu éditorial, par des thématiques variées, à l'évolution des centres d'intérêt de l'enfant et de l'adolescent. Les titres de presse jeunesse sont distribués selon les mêmes canaux (kiosque et abonnements) et à des prix comparables. Il existe donc, selon les parties, une forte substituabilité de l'offre justifiant l'existence d'un marché unique de la presse jeunesse.
Du point de vue de la demande, si les parties reconnaissent que les attentes et les goûts d'un enfant en matière de presse varient avec l'âge, elles considèrent qu'une segmentation par tranches d'âge se heurte à la difficulté d'identifier de manière claire des frontières entre les tranches d'âge qui soient suffisamment étanches pour établir des segments autonomes et distincts. Une telle segmentation, qui ne serait pas fondée sur une nomenclature exhaustive et fiable, mais sur des déclaratifs d'âge de la part des éditeurs, qui sont par nature subjectifs, ne pourrait aboutir qu'à des parts de marché incertaines.
En ce qui concerne le contenu éditorial, si le marché de la presse jeunesse a pu être analysé par le passé au regard de deux grandes classifications éditoriales, la presse éducative (visant à accompagner le développement personnel de l'enfant) et la presse à visée purement distractive (12), cette classification n'est plus selon les parties de mise aujourd'hui. En effet, tous les éditeurs de presse jeunesse ont développé des contenus éditoriaux mêlant dans des proportions variables l'éducatif et le distractif, la majorité des titres des parties et de leurs concurrents étant élaborée selon une trame rédactionnelle associant fonctions de distraction et d'apprentissage (13).
Les réponses au test de marché conduit dans le cadre de l'analyse de la présente opération ne permettent pas de conclure avec suffisamment de certitude quant à la délimitation du ou des marchés pertinents du lectorat en matière de presse jeunesse.
En ce qui concerne les tranches d'âge, les opérateurs du marché soulignent qu'une segmentation est possible entre les magazines destinés aux enfants ne sachant pas encore lire (jusqu'à 6-7 ans) où la lecture est accompagnée de la médiation de l'adulte, ceux destinés aux enfants à l'école primaire (7-12 ans) pour lesquels la lecture devient plus autonome, et enfin les magazines destinés aux préadolescents et adolescents.
Une délimitation précise des frontières de ces trois éventuels marchés se heurte toutefois aux difficultés évoquées par les parties dans leur notification, à savoir le caractère parfois arbitraire, voire l'absence, de déclaratifs d'âge de la part des éditeurs. Ainsi, la répartition des titres par classes d'âge, et donc le calcul des parts de marché, devient un exercice particulièrement délicat. Par ailleurs, on constate également des stratégies de différenciation des éditeurs à l'intérieur de ces classes d'âge : certains titres s'adressent aux enfants de 1 à 3 ans et d'autres aux enfants de 3 à 5 ans et apparaissent donc comme imparfaitement substituables entre eux du point de vue de la demande du parent acheteur. A l'inverse, il convient de noter des chevauchements de ces classes d'âge pour certains magazines : les magazines de contes, par exemple, sont d'abord achetés par les parents de très jeunes enfants pour être lus avec la médiation de l'adulte et ils peuvent également être lus plus tard par l'enfant seul. Dans ce cas, la stratégie des éditeurs consiste à faire apparaître des tranches d'âge particulièrement larges (3-8 ans par exemple).
En ce qui concerne le contenu éditorial, certaines observations recueillies auprès de tiers soutiennent l'existence de différences de contenu rédactionnel entre les titres à caractère plus éducatif ou pédagogique que distractif (tels que ceux édités par Bayard, Milan et d'autres opérateurs de presse jeunesse comme Fleurus Presse, filiale du groupe Le Monde-La Vie catholique) et des titres d'autres éditeurs à visée purement distractive. Il apparaît en outre que, pour les enfants de moins de 7 ans, les magazines " éducatifs " comportent un cahier spécial " parents ", incluant des interventions de psychologues ou de spécialistes de sciences de l'éducation prolongeant la démarche éducative poursuivie à l'intérieur du magazine.
Toutefois, certains éditeurs soulignent l'existence croissante de concepts mixtes " ludo-éducatifs " rendant cette distinction et ainsi la classification des titres concernés parfois malaisées à établir. De même, la plupart des titres de presse jeunesse édités par les parties et leurs concurrents suivent, à tranches d'âge équivalentes, un canevas rédactionnel comparable (histoires, jeux, bande dessinée, rubrique d'éveils et d'activités), la présence ou non du cahier " parents " constituant souvent le principal objet de différenciation entre les titres " éducatifs " et les autres.
L'ensemble de ces éléments conduit à ne pas trancher de manière définitive la question de la délimitation exacte du ou des marchés pertinents du lectorat dans le secteur de la presse jeunesse, les différents magazines destinés à la jeunesse apparaissant comme étant des biens différenciés et imparfaitement substituables.
Sur le plan géographique, les parties estiment que le marché de la presse jeunesse tel qu'elles l'ont défini est de dimension nationale, en raison de l'importance de la langue et des spécificités culturelles, ainsi que de l'existence d'un régime d'autorisation préalable à l'importation de certains titres. Il apparaît en effet que la concurrence entre les éditeurs s'exerce au niveau national. Toutefois, comme pour la définition du ou des marchés de produits, la question de la délimitation précise du marché géographique peut rester ouverte.
b) Analyse concurrentielle
Compte tenu de la nature différenciée et hétérogène des titres de presse jeunesse et de la structure oligopolistique de l'offre, le mode d'analyse le plus opératoire en l'espèce consiste à appréhender directement si l'opération risque de porter atteinte à la concurrence par la mise en œuvre de mécanismes susceptibles de conduire à une augmentation des prix préjudiciable aux consommateurs.
Sur un marché oligopolistique, en effet, une concentration peut porter atteinte à la concurrence alors même qu'elle n'augmente pas le risque d'une position dominante collective si, dans certaines conditions, il devient profitable pour les parties à la concentration d'augmenter unilatéralement leurs prix pour certains produits, dès lors que cela ne se traduira pas par une perte de chiffre d'affaires au profit des concurrents, mais par un report de demande au profit de produits également proposés par la nouvelle entité. Ces effets unilatéraux sont maximisés lorsque les parties à une concentration offrent des biens ou des services constituant des substituts proches et que les autres opérateurs offrent des substituts moins proches (14).
Dans le cadre de la présente analyse, on s'intéressera en particulier à la capacité de la nouvelle entité d'augmenter unilatéralement ses prix, dans la mesure où les parties à l'opération offriraient, du point de vue de la demande, des substituts proches (et où donc une augmentation de prix d'un titre Bayard se traduirait majoritairement par un report des achats sur un titre Milan) et où les concurrents (Fleurus, Disney) proposeraient des titres certes substituables à ceux des parties, mais qui seraient des substituts moins proches. Dans ce type de cas, l'augmentation de prix peut être profitable pour la nouvelle entité.
Au cas d'espèce, et à partir des résultats du test de marché, il a été procédé à un inventaire des titres de presse édités par les opérateurs concurrents des parties et constituant des substituts (proches ou éloignés) de ceux des parties. Cette méthodologie a conduit à opérer des regroupements des titres de presse jeunesse selon deux critères : l'âge du public visé et la thématique dominante du magazine.
Il convient de noter que les catégories ainsi identifiées ne constituent pas des marchés pertinents de produits, en ce sens que si les titres appartenant à une même catégorie peuvent être considérés comme des substituts proches, les titres appartenant à des catégories voisines, soit du point de vue de la classe d'âge, soit du point de vue de la thématique, sont également des substituts, quoique moins proches. Ces catégories constituent des modalités de regroupement des magazines selon le degré de substituabilité, afin de déterminer vers quels magazines interviendrait le report de demande en cas d'augmentation unilatérale du prix d'un titre d'une catégorie par la nouvelle entité.
Le degré de substituabilité entre deux titres appartenant à la même catégorie a pu être apprécié en fonction de plusieurs paramètres : le prix, le format, le contenu éditorial, le positionnement, l'ancienneté sur le marché et la diffusion payée qui permettent de mesurer la notoriété du titre, le réseau de distribution, etc.
Il ressort tout d'abord de l'analyse de ces paramètres que, dans la mesure où ces magazines répondent à une demande différenciée en fonction de l'âge du lecteur, le degré de substituabilité entre les différents titres de presse jeunesse peut être extrêmement variable en fonction de l'âge. Dès lors, des classes d'âge correspondant aux différents cycles scolaires, au moins pour l'école primaire, ont pu donc être identifiées aux fins de la présente analyse :
- bébés et jeunes enfants jusqu'à l'entrée en école maternelle ;
- cycle des apprentissages premiers ou cycle 1 : deux premières années de maternelle ;
- cycle des apprentissages fondamentaux ou cycle 2 : grande section de maternelle, CP et CE 1 ;
- cycle des approfondissements ou cycle 3 : CE 2, CM 1 et CM 2 ;
- cycle 3 bis, correspondant aux titres positionnés sur des tranches d'âge couvrant la fin de l'école primaire et le début du collège ;
- collèges ;
- lycées.
Par ailleurs, il apparaît qu'à partir du cycle 2 les magazines diffèrent selon la thématique dominante du contenu éditorial (15). En particulier, il apparaît qu'il existe, outre des magazines à contenu généraliste, des titres qui sont plus ou moins spécialisés sur un des aspects du développement personnel de l'enfant ou sur un centre d'intérêt particulier. Les thématiques suivantes ont pu être identifiées :
- généraliste ;
- apprentissage de la lecture ;
- nature, découverte et animaux ;
- activités pratiques ;
- histoires et contes ;
- religion ;
- filles ;
- actualités ;
- monopersonnages.
Le tableau ci-dessous identifie les catégories, marquées d'une croix, sur lesquelles Bayard et Milan offrent au moins un titre simultanément :
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Il ressort donc de l'instruction du dossier que Bayard et Milan offrent des titres constituant de proches substituts dans les catégories suivantes : bébés ; cycle 1 ; cycle 2 : titres généralistes ; cycle 2 : titres à dominante lecture ; cycle 2 : titres à dominante nature, découverte et animaux ; cycle 2 : titres à dominante histoires ; cycle 3 : titres à dominante lecture ; cycle 3 : titres à dominante nature, découverte et animaux ; cycle 3 bis : titres à dominante lecture.
Pour les catégories " bébés ", " cycle 1 ", " cycle 2 : titres généralistes ", " cycle 2 : titres à dominante lecture ", " cycle 2 : titres à dominante nature, découverte et animaux ", " cycle 2 : titres à dominante histoires ", " cycle 3 : titres à dominante lecture ", " cycle 3 : titres à dominante nature, découverte et animaux ", bien que les parties offrent des titres constituant des substituts plus ou moins proches, au moins un titre concurrent constituant une alternative proche, au regard des critères susmentionnés, et crédible du point de vue des consommateurs a pu être identifié.En effet, des opérateurs concurrents (notamment Fleurus Presse et le groupe Hachette Filipacchi, via Disney Hachette Presse) offrent, pour chaque catégorie, au moins un titre susceptible de bénéficier de reports de demande en cas d'augmentation du prix d'un titre de la nouvelle entité. En outre, dans une perspective dynamique, les deux opérateurs précités disposent de capacités de réaction face à la stratégie de la nouvelle entité, leur permettant de repositionner leur offre ou de créer de nouveaux titres. En effet, d'une part, Fleurus Presse est un opérateur de presse jeunesse, adossé au groupe de presse Le Monde/La Vie Catholique, et qui a connu un développement important. Sur les deux dernières années, Fleurus a lancé plusieurs titres comme Pirouette, Les P'tites Sorcières et Les P'tites Princesses. D'autre part, le groupe Hachette Filipacchi, qui appartient au groupe Lagardère, est également un opérateur important dans le secteur de la presse jeunesse ; malgré un positionnement actuel de ses titres de presse jeunesse sur un contenu plutôt " ludo-éducatif ", ce groupe pourrait notamment bénéficier de la présence dans son périmètre des principales maisons d'édition de livres scolaires en France (Hachette et Hatier) pour repositionner son offre.
En revanche, pour la catégorie " cycle 3 bis - titres à dominante lecture ", où la nouvelle entité sera présente avec les titres D Lire et Tout à Lire, le titre concurrent identifié par les parties (Les P'tites Sorcières) ne peut être considéré comme un substitut suffisamment proche de ceux des parties pour capter une part suffisamment significative des reports de demande en cas d'augmentation du prix de D Lire ou Tout à Lire. En effet, si Les P'tites Sorcières se place sur un positionnement lecture, elle s'adresse à un lectorat exclusivement féminin, ce qui exclut tout report de demande de la part du lectorat masculin de D Lire ou Tout à Lire, qui représente, selon les parties, 40 % du lectorat de ces deux titres. Les éventuels reports de demande ne pourraient donc jouer que sur une fraction du lectorat, ce qui renforce la probabilité pour la nouvelle entité de pouvoir mettre en œuvre de manière profitable une stratégie d'augmentation des prix sur ces titres. Dès lors, en dépit de la capacité des opérateurs concurrents de créer des titres, il n'a pu être exclu, à l'issue de la phase initiale d'instruction, que les effets unilatéraux résultant de l'opération pour cette catégorie de titres ne soient de nature à porter atteinte à la concurrence.
Afin de lever ce risque d'atteinte à la concurrence, Bayard s'est engagé, par courrier en date du 21 janvier 2004, à céder à un tiers agréé par le ministre, et selon les modalités définies dans la lettre d'engagement du 10 février 2004 jointe en annexe de la présente, le titre Tout à Lire actuellement édité par Milan.
En considération de cet engagement, annexé à la présente décision et qui en fait partie intégrante, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le ou les marchés de la presse destinée à la jeunesse. Je vous informe par conséquent que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
Engagements souscrits dans le cadre de l'opération de concentration Bayard Presse/Editions Milan et Milan Presse
Dans le cadre de l'acquisition par la société Bayard Presse, des sociétés Editions Milan et Milan Presse, notifiée le 19 décembre 2003, et conformément à l'article L. 430-5 II du Code de commerce, la partie notifiante consent à l'engagement exposé ci-dessous.
Cet engagement est présenté sous condition de l'adoption d'une décision d'autorisation de l'opération conformément à l'article L. 430-5-III, troisième alinéa, du Code de commerce.
La société Bayard Presse s'engage à céder le titre de presse jeunesse Tout à Lire, actuellement détenu et exploité par la société Milan Presse.
La cession de ce titre comprendra l'ensemble des actifs corporels et incorporels liés à l'exploitation de ce titre, à savoir :
- le transfert de la pleine propriété des marques et autres droits de propriété intellectuelle liés au titre Tout à Lire ;
- le transfert de l'ensemble des contrats conclus avec des tiers et nécessaires à l'impression, la distribution et la diffusion de ce titre ;
- le transfert de l'ensemble des stocks liés à la fabrication et/ou à la vente de ce titre, existant au jour de la cession ;
- la fourniture de la liste des auteurs et illustrateurs intervenant dans la rédaction des différentes rubriques du titre ;
- la fourniture de l'ensemble des informations statistiques relatives à la vente de ce titre en kiosque et par abonnement ;
- le transfert de la " dette abonnés " relatifs à ce titre, au jour de la cession ;
En ce qui concerne les relations existant entre Milan Presse et les auteurs ou illustrateurs qui interviennent pour la rédaction des différentes rubriques du titre, il est rappelé que ceux-ci ne sont liés que par des bons de commande de pige, sans contrat de longue durée. Ces auteurs et illustrateurs ne sont liés par aucune exclusivité et sont libres de travailler avec un ou plusieurs éditeurs de leur choix. A cet égard, la société Bayard Presse s'engage à faire ses meilleurs efforts auprès des auteurs et illustrateurs concernés pour qu'ils poursuivent leur collaboration au titre une fois celui-ci cédé.
En ce qui concerne le personnel de rédaction, il n'est pas exclusivement attaché à ce titre. Il est par ailleurs rappelé, d'une part, que ce personnel est basé à Toulouse et, d'autre part, qu'il bénéficie de la clause de conscience édictée par la loi sur la presse et codifiée à l'article L. 761-5 du Code du travail. [...]
La société Bayard s'engage à conclure un accord irrévocable de cession du titre Tout à Lire dans un délai maximum de [...] mois à compter de la notification par le ministre de la décision d'autorisation de l'opération.
La société Bayard soumettra l'identité de l'acquéreur retenu à l'agrément préalable du ministre afin que celui-ci s'assure de la viabilité, de l'indépendance et des compétences du repreneur proposé, ainsi que de sa motivation nécessaire pour exercer une compétition active et durable.
Pendant la période intérimaire précédant la cession, la société Bayard Presse s'engage à préserver la pleine valeur économique et concurrentielle du titre Tout à Lire jusqu'à la date de sa cession effective.
Bayard s'engage à rendre compte au ministre, par l'envoi d'un rapport trimestriel, des démarches entreprises pour la mise en œuvre de l'engagement souscrit et à lui faire part des éventuelles difficultés rencontrées dans la recherche d'un repreneur pour le titre Tout à Lire.
En cas de difficulté pour réaliser cet engagement dans le délai de [...] mois précité, Bayard s'engage à confier un mandat irrévocable de cession du titre Tout à Lire à un intermédiaire indépendant des parties et agréé par le ministre (un mandataire).
Si Bayard confie un mandat de cession, la proposition de Bayard doit parvenir au ministre au moins [...] jours avant l'expiration de la première période de [...] mois. La proposition devra permettre de vérifier que le mandataire remplit les conditions de professionnalisme et d'expertise nécessaires à la réalisation de son mandat de cession.
Dans un délai de [...] jours à compter de la notification de la proposition de Bayard, le ministre a le pouvoir d'accepter de mandataire ou de le refuser au cas où les conditions précitées ne seraient pas remplies. Il a également le pouvoir d'approuver les termes du mandat ou de les modifier de telle manière que ledit mandat permette de satisfaire à l'engagement proposé.
Le mandataire entre en fonction dans la semaine suivant l'agrément du ministre.
La mission du mandataire consistera, tout en tenant compte des intérêts légitimes de Bayard, à :
- vendre le titre Tout à Lire, sans être tenu de respecter un prix de réserve, dans un délai maximum de [...] mois à compter de l'expiration du premier délai de [...] mois, à un acheteur dont l'identité sera soumise à l'agrément préalable du ministre afin que celui-ci s'assure de la viabilité, de l'indépendance et des compétences du repreneur proposé, ainsi que de sa motivation nécessaire pour exercer une compétition active et durable ;
- rendre compte au ministre et à Bayard des démarches entreprises pour la recherche d'un repreneur et des accords conclus.
Bayard s'engage à répondre aux demandes d'assistance et d'information émanant du mandataire dans le cadre de l'exécution de sa mission.
Le ministre, après avoir entendu le mandataire, peut ordonner à Bayard de révoquer le mandataire si ce dernier ne s'accomplit pas de sa mission de façon à permettre la réalisation de l'engagement, ou pour tout autre motif légitime. Sur les mêmes fondements, le mandataire peut également être révoqué par Bayard, après approbation du ministre et après que le ministre l'a entendu. Un nouveau mandataire est alors désigné selon la procédure décrite ci-dessus.
Je vous prie de croire, Monsieur le ministre, à l'assurance de mes sentiments respectueux.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Avis n° 00-A-04 du 29 février 2000 relatif à l'acquisition par la société Vivendi de la participation de 15 % détenue par le groupe Richemont dans la société Canal +.
(2) Hors bandes dessinées ; seul Bayard est actif sur le marché de la bande dessinée destinée à la jeunesse.
(3) Décision du 23 juillet 2003 relative à la demande de renvoi des autorités françaises de l'affaire M 2978 Lagardère/Natexis/VUP, paragraphe 87, et décision finale M 2978 Lagardère/Natexis/VUP du 7 janvier 2004.
(4) Décision du 23 juillet 2003 précitée, paragraphe 78. Il s'agit des librairies de niveau 1, des librairies de niveau 2, des grossistes et des hypermarchés.
(5) Cf. décision M 2978 précitée.
(6) Cf. décision du 23 juillet précitée, paragraphe 145, où la Commission a estimé que le marché secondaire d'acquisition des droits poche pour les ouvrages de littérature générale est de dimension " supranationale ".
(7) Auparavant Vivendi Universal Publishing.
(8) Avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 relatif à la prise de participation de la Société générale occidentale dans le capital de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point.
(9) Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 14 octobre 2002 au directeur général de la société éditrice du Monde, relative à une concentration dans le secteur de l'édition, BOCCRF n° 8 du 11 juillet 2003. Lettre en date du 31 décembre 2002 au conseil de la société Socpresse, relative à une concentration dans le secteur de la presse écrite, en instance de publication. Lettre en date du 17 avril 2003 aux conseils de la société The Future Network plc, relative à une concentration dans le secteur des magazines consacrés à l'informatique, en instance de publication.
(10) Voir notamment les décisions de la Commission IV/M.665 - CEP/Groupe de la Cité du 29 novembre 1995, IV/M.1401 - Recoletos/Unedisa du 1er février 1999 et IV/M.1445 - Gruner + Jahr/Financial Times/JV du 20 avril 1999.
(11) Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 13 août 1999 aux conseils de la société Decaux SA relative à une concentration dans le secteur de l'affichage publicitaire, BOCCRF n° 16 du 26 septembre 1999 et avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 précité.
(12) Cf. Jean-Marie Charron " La presse des jeunes ", éditions Repères-La découverte, 2002, pages 36 et 37.
(13) Il convient toutefois de faire observer que Bayard se présente comme " le leader de la presse éducative en France ".
(14) Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 29 août 2002 au conseil de la société Mr Bricolage, relative à une concentration dans le secteur de la vente au détail de matériaux et matériel de bricolage, BOCCRF n° 19 du 31 décembre 2002. Lettre au conseil de la société Socpresse en date du 31 décembre 2002 précitée.
(15) Les magazines pour enfants de moins de 5 ans sont en principe des magazines généralistes sans thématiques dominantes.