CA Paris, 1re ch. H, 6 avril 2004, n° ECOC0400196X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Scoot France (SAS), France Télécom (SA)
Défendeur :
Fonectra France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
MM. Carre-Pierrat, Savatier
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Freget, Saint-Esteben, Dupuis-Toubol.
Saisi par une entreprise qui dénonçait les conditions de commercialisation du fichier annuaire de France Télécom, le Conseil de la concurrence a, dans une décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998, sanctionné l'opérateur pour abus de position dominante et prononcé une injonction relative aux conditions de commercialisation des fichiers en cause.
Cette décision a été annulée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris prononcé le 29 juin 1999 qui a néanmoins statué sur le fond du litige en faisant injonction à la société France Télécom, jusqu'à la mise en service de l'organisme prévu à l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications chargé de tenir à jour la liste de l'annuaire universel :
- de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande, la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l'annuaire universel ;
- de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenues par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire.
La cour a également dit que " ces prestations devront être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande, à l'instar, s'agissant de la prestation de déduplication ou topage, de la prestation prévue au catalogue de France Télécom à la rubrique prévoyant la mise en conformité des fichiers tiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers ".
Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 4 décembre 2001.
Deux sociétés, invoquant la nécessité d'accéder à la liste des abonnés au téléphone pour exercer leurs activités, ont saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 463-4 du Code de commerce, d'une procédure de non-respect des injonctions prononcées par la Cour d'appel de Paris.
Il s'agit de la société Sonera (actuellement Fonectra France), qui souhaitait installer un service de renseignements téléphoniques, et de la société Scoot France, qui envisageait de développer un service d'" annuaire intelligent " par téléphone et internet.
Dans une décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002, le Conseil de la concurrence a constaté le non-respect de l'injonction sur deux points :
- non-orientation vers les coûts des prix de consultation de la base annuaire des abonnés au téléphone offerts par la société Intelmatique, filiale de France Télécom ;
- caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaire indiqués en ligne L 12 du catalogue de prix de l'opérateur public pour les utilisateurs ne souhaitant pas exercer une activité d'édition d'annuaires imprimés.
En outre, la même décision a prononcé un sursis à statuer sur le respect de l'injonction relative à l'orientation vers les coûts des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichier.
Faisant application de l'article L. 463-8 du Code de commerce, le rapporteur général a décidé, le 13 septembre 2002, de désigner un expert avec pour mission de :
- décrire les opérations de constitution du fichier commercial et celles de la base annuaire ;
- identifier les tâches spécifiques à la constitution de la base annuaire ;
- apprécier le volume de ces tâches et leur nécessité en considération d'une exigence minimale d'efficacité ;
- évaluer le coût de revient de ces opérations.
La mission d'expertise précisait que " pour l'évaluation des coûts liés aux éventuelles tâches nécessaires de collecte de l'information, il sera procédé à l'appréciation critique de la composante durée nécessaire à la saisie de l'information et à l'analyse critique de la composante taux horaire au regard du coût théorique d'une prestation identique dans un environnement concurrentiel. Le principe retenu est que les opérations imputées à la base annuaire ne doivent comporter aucune opération qui de toute façon est nécessaire pour la constitution du fichier commercial ".
Après dépôt du rapport de l'expert, M. Baloteaud, le Conseil de la concurrence a rendu le 12 septembre 2003 une décision n° 03-D-43 comportant le dispositif suivant :
" Article 1er. - Il est établi que France Télécom n'a pas respecté les injonctions formulées à son encontre par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999 en ce qui concerne l'orientation vers les coûts des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichiers.
Article 2. - Il est infligé à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 40 millions d'euros au titre de cette pratique ainsi que des pratiques de :
- non-orientation vers les coûts des prix de consultations de la base annuaire via les services offerts par la société Intelmatique ;
- caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaires indiqués en ligne L 12 du catalogue de prix de l'opérateur public pour les utilisateurs souhaitant exercer un service de renseignement mais ne souhaitant pas exercer une activité d'édition d'annuaires imprimés.
Article 3. - Les frais d'expertise sont mis à la charge de la société France Télécom, en application de l'article L. 463-8 du Code de commerce.
Article 4. - Dans un délai maximum de trois mois suivant la notification de la présente décision, la société France Télécom fera publier, à ses frais, la partie III de la présente décision dans le quotidien Les Echos. "
Le 17 octobre 2003, la société Scoot France a déposé un recours en annulation et/ou réformation contre la décision du Conseil de la concurrence. La même société a déposé toutefois des conclusions de désistement le 19 janvier 2004.
La cour d'appel reste en revanche saisie d'un recours en annulation et, subsidiairement, réformation, déposé par la société France Télécom le 22 octobre 2003.
Par son exposé des moyens déposé le 24 novembre 2003, la société France Télécom demande à la cour :
- à titre principal, d'annuler la décision du Conseil de la concurrence, l'expertise de M. Baloteaud et le rapport du rapporteur du conseil ;
- subsidiairement, de réformer la décision en ce qu'elle a considéré que France Télécom n'a pas respecté les injonctions formulées à son encontre par la Cour d'appel de Paris pour l'orientation vers les coûts des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichiers ;
- très subsidiairement, de réformer la décision en ce qui concerne la sanction pécuniaire, de dire qu'il n'y a pas lieu à sanction ou de réduire très substantiellement cette sanction ;
- par voie de conséquence, d'ordonner la restitution des sommes indûment payées au titre de la sanction, avec intérêts au taux légal à compter du jour du paiement et application de l'article 1154 du Code civil.
Le ministre de l'Economie a formé un recours incident contre la même décision le 24 novembre 2003 et demande à la cour de réformer ou annuler l'article 2 du dispositif de la décision en prononçant une aggravation significative de la sanction prise contre France Télécom.
La société Fonecta France conclut à l'irrecevabilité partielle ou au rejet des recours de France Télécom et à la condamnation de cette société à lui payer 15 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur les moyens d'annulation de la décision du Conseil de la concurrence :
Considérant que la société France Télécom fait grief à la décision attaquée d'avoir méconnu l'injonction prononcée par la Cour d'appel de Paris (1), violé le principe de l'autorité de chose jugée et la règle " non bis in idem " (2), méconnu les droits de la défense et le principe d'impartialité (3) ;
1. La méconnaissance de l'injonction prononcée par la Cour d'appel de Paris
Considérant que, soulignant que la procédure de contrôle du respect d'une injonction est limitée à la vérification de la bonne exécution de l'injonction qui est d'interprétation stricte, la société France Télécom soutient que le Conseil de la concurrence a introduit à tort dans l'appréciation du coût des prestations de gestion de fichiers et consultation de la base annuaire la notion de coût incrémental que la cour d'appel n'avait pas et ne pouvait pas retenir lors de la fixation de l'injonction, que le conseil a en toute hypothèse retenu une interprétation erronée de cette notion et est allé bien au-delà de l'injonction formulée ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Fonecta France, la société France Télécom est recevable à invoquer un tel moyen, même si elle incrimine ainsi largement l'analyse faite par la première décision du Conseil de la concurrence prononcée le 26 juin 2002 à l'encontre de laquelle aucun recours n'a été formé ; qu'en effet, l'intérêt à agir de France Télécom découle de la reprise de cette analyse et des conséquences que le Conseil en a tiré par sa seconde décision constatant la violation de l'injonction judiciaire dans des conditions faisant grief à la requérante ;
Considérant que, si le moyen exposé est incontestablement recevable, il n'est pas pour autant fondé ;
Considérant en effet que, même si le Conseil de la concurrence évoque dans ses décisions du 26 juin 2002 et 12 septembre 2003 des textes ou décisions de l'ART postérieurs à l'arrêt du 29 juin 1999, la référence à la notion de coût incrémental, qui tend à la seule prise en compte du coût spécifique généré par la production du service d'accès à l'annuaire, à l'exclusion d'autres coûts communs à différents services, constitue une simple application et la traduction économique du choix fait en 1999 par la cour d'appel, pour laquelle les coûts pertinents étaient exclusivement ceux liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à la demande des sociétés Scoot France et Sonera portant sur la consultation de la base annuaire ; qu'en estimant que le périmètre de ces opérations techniques ne doit comporter aucune opération déjà réalisée pour la constitution du fichier commercial de France Télécom, mais pouvait en revanche comprendre celles propres à la constitution de la base annuaire, le Conseil de la concurrence a analysé équitablement les bases de calcul des prestations en cause, sans dénaturer l'arrêt du 29 juin 1999 ni ajouter à une injonction, dont l'interprétation n'a pas été discutée à cette date, visant sans équivoque à empêcher France Télécom d'intégrer à son tarif des coûts autres que les coûts particuliers se rapportant à la fourniture des listes d'abonnés ; que le premier moyen d'annulation de la décision attaquée ne peut dès lors être accueilli ;
2. La violation de l'autorité de la chose jugée et de la règle non bis in idem
Considérant que, selon la société France Télécom, le Conseil de la concurrence aurait entièrement et sans réserve statué le 26 juin 2002, par un simple constat de violation d'une injonction, sur la question de l'inexécution de l'injonction relative, d'une part, à la non-orientation vers les coûts des prix de consultation de la base annuaire via les services d'Intelmatique, d'autre part, au caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaire pour les utilisateurs souhaitant exercer un service de renseignement ; qu'il ne pouvait donc méconnaître cette première décision devenue définitive en prenant à nouveau en considération les mêmes griefs pour la fixation de la sanction pécuniaire prononcée le 12 septembre 2003 ;
Mais considérant qu'il résulte clairement de la décision du 26 juin 2002 que, si le Conseil de la concurrence a estimé que la preuve de la violation de l'injonction n'était à cette date rapportée que pour deux des griefs formulés contre France Télécom, le troisième justifiant un complément d'enquête, il n'a pour autant nullement dispensé France Télécom d'une quelconque sanction pour ces faits et a au contraire subordonné au résultat de cette enquête l'appréciation de la sanction pour l'ensemble des griefs pour lesquels les sociétés Scoot et Sonera l'avaient saisi ; qu'une telle pratique, qui n'empêchait pas France Télécom de contester l'analyse du Conseil de la concurrence et ne viole aucun des principes invoqués par la requérante, ni même l'équité de la procédure, procède d'une exacte application des articles L. 464-2 et L. 464-3 du Code de commerce, une analyse d'ensemble des manquements étant nécessaire à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie ; que le moyen n'est pas fondé ;
3. La violation des droits de la défense et du principe d'impartialité
Considérant que la société France Télécom fait valoir que, lors du complément d'enquête après la décision du 26 juin 2002, le rapporteur a de la manière la plus formelle reconnu son absence d'indépendance à l'égard du Conseil de la concurrence en s'estimant lié par la référence faite par celui-ci aux coûts incrémentaux et en refusant à France Télécom tout débat sur ce point, que la même erreur a été commise par le rapporteur général qui s'est fondé à tort sur la décision du 26 juin 2002 lorsqu'il a ordonné une expertise ;
Mais considérant que la nécessaire séparation des organes de poursuite et de jugement, de même que les pouvoirs propres d'enquête dont disposent les rapporteurs du Conseil de la concurrence, n'interdisaient pas à ceux-ci de se référer à une décision du conseil fixant les termes du débat de l'enquête complémentaire, leur seule obligation, parfaitement respectée en l'espèce comme en attestent les mentions du rapport d'enquête (rapport de M. Henry du 23 avril 2003, page 3), étant de permettre à France Télécom de discuter l'ensemble des données du litige ; que le principe de la contradiction ayant également été respecté devant l'expert (rapport de M. Baloteaud, page 9) et la violation des principes invoqués par France Télécom ne pouvant résulter du seul fait que son argumentation n'a pas été reconnue pertinente, le dernier moyen d'annulation doit également être rejeté ;
Sur les moyens de réformation de la décision du Conseil de la concurrence :
Considérant que par ces moyens, France Télécom reproche à la décision attaquée d'être fondée sur des appréciations techniques erronées (1) et de prononcer une sanction disproportionnée, le ministère de l'Economie soutenant au contraire que cette sanction doit être aggravée (2) ;
1. Moyens relatifs au fond du litige
Considérant que France Télécom fait valoir que le Conseil de la concurrence aurait dû prendre en compte, pour l'appréciation des tarifs pratiqués, une quote-part des frais communs aux activités de constitution de fichiers, une rémunération normale du capital engagé, la rémunération des droits de propriété intellectuelle de l'opérateur ; que le conseil aurait également, selon la société requérante, omis d'exercer son contrôle sur les conclusions de l'expert, tant en ce qui concerne les coûts de gestion informatique et d'administration de la base annuaire que sur les données spécifiques à cette base, les temps de collecte et de saisie des informations, le coût salarial de ces opérations, l'absence de prise en compte par le technicien de certaines marges d'erreur ou d'incertitude ; que la référence faite par le conseil aux comparaisons internationales manque de pertinence, compte tenu des erreurs dont elle est entachée ;
Considérant que, chargé par le Conseil de la concurrence d'identifier les tâches spécifiques à la constitution de la base annuaire, d'apprécier le volume de ces tâches et d'en évaluer le coût de revient, l'expert a constaté que les opérations de saisie nécessaires à cette base annuaire n'étaient pas totalement indépendantes de celles applicables aux autres services de France Télécom (rapport d'expertise, page 59), que la base annuaire est constituée de données correspondant à l'ensemble des renseignements relatifs à un numéro d'appel, que ces données sont composées au maximum de 45 " champs informatiques " dont une minorité est affectée exclusivement, à la constitution de l'annuaire (rapport d'expertise, pages 60 à 73) ; qu'il a estimé que les temps de collecte des " mouvements annuaire ", c'est-à-dire le recueil des informations relatives à la création, à la modification et à la suppression des données annuaire, tel qu'il est évalué dans un rapport technique proposé par l'opérateur historique, devait être affecté d'un abattement forfaitaire de 25 %, pour tenir compte notamment de l'absence de pertinence suffisante des informations fournies (rapport d'expertise, page 88), et que la proportion des " mouvements annuaire " modifiant un " champ spécifique " à cet annuaire devait être évalué à 28,86 % ; que le Conseil de la concurrence a déduit des travaux d'expertise que le coût des opérations de collecte spécifiques à l'annuaire pouvait être fixé comme suit :
- 12,04 millions d'euros pour l'année 1999 ;
- 11,41 ME pour l'année 2000 ;
- 10,16 ME pour 2001 ;
- 9,08 ME pour 2002 ;
Considérant qu'en ce qui concerne les coûts de gestion, qui correspondent, selon France Télécom, aux développements informatiques, à l'hébergement et à l'exploitation informatique de la base annuaire, l'expert les a affectés du même pourcentage de 28,86 % pour tenir compte de la seule activité de tenue de l'annuaire, ces coûts étant dès lors évalués à :
- 0,698 ME pour les années 1999 à 2001 ;
- 0,598 ME pour l'année 2002 ;
- 0,498 ME pour 2003 ;
- que pour les coûts commerciaux, administratifs et de maintenance également invoqués par France Télécom, un rapport identique de 28,86 % leur a été appliqué ;
Considérant qu'en définitive, le Conseil de la concurrence a reconstitué les coûts complets spécifiques à la base annuaire comme étant les suivants :
1999 : 12,96 ME ;
2000 : 12,33 ME ;
2001 : 11,09 ME ;
2002 : 9,97 ME ;
Qu'il a, corrélativement, constaté que les chiffres d'affaires réalisés par France Télécom pour les opérations de vente de la base annuaire s'élevaient à :
1999 : 15,5 ME ;
2000 : 15,5 ME ;
2001 : 15,5 ME ;
2002 : 14,5 ME ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient France Télécom, en excluant des bases de calcul des coûts susceptibles d'être retenus ceux présentés par France Télécom comme étant communs, ou en leur appliquant un abattement forfaitaire, l'expert puis le Conseil de la concurrence n'ont fait que se conformer à la nécessaire prise en considération des seuls frais de production et d'exploitation de la base annuaire ; qu'en effet, les autres coûts invoqués ne sont pas propres à cette base et subsisteraient, à la charge de l'opérateur historique, pour ses fichiers commerciaux ou techniques, même s'il cessait d'exercer l'activité de gestion de l'annuaire ;
Considérant que c'est dans le même esprit, et sans que la fausseté de l'appréciation soit établie par les pièces du dossier, que l'expert a exclu des coûts pertinents ceux se rapportant aux informations des " champs informatiques " non communiqués ou communicables aux opérateurs alternatifs, utilisés par France Télécom pour ses besoins propres ou communes à différents services et à ce titre non spécifiques à la base annuaire ; qu'il a pu, pour l'appréciation des temps de collecte des informations, procéder à des abattements et appréciations des coûts salariaux, certes inférieurs à ceux suggérés par France Télécom, mais conformes à l'environnement concurrentiel des prestations en cause et à l'exigence d'efficacité des opérations requises pour le renseignement des champs spécifiques à la base annuaire ;
Considérant en outre que, tout en sollicitant une rémunération correspondant au capital engagé pour la réalisation et la gestion de la base annuaire, France Télécom se borne à faire état des usages comptables en matière d'investissements informatiques et ne fournit pas d'éléments d'appréciation objectifs et détaillés ayant pu faire l'objet d'une vérification sérieuse par l'expert sur l'importance de ce capital et sa distinction avec les coûts de développement déjà intégrés par l'opérateur dans ses frais de gestion ;
Considérant enfin que la thèse de France Télécom, quant aux droits de propriété intellectuelle qu'elle revendique sur la constitution de l'annuaire, n'est pas plus objectivement vérifiée puisque ces droits ne ressortent d'aucun document particulier ou décision de justice définitive, que leur évaluation apparaît purement hypothétique et qu'à la supposer acquise à France Télécom, la protection de ses données par le Code de la propriété intellectuelle ne saurait faire obstacle à l'application d'une mesure d'orientation vers les coûts prononcée par une autorité de concurrence pour la protection des entreprises contre des pratiques d'abus de position dominante ; qu'ainsi, en l'état d'une décision motivée par référence à l'ensemble des éléments d'information disponibles et sans que soit établie une quelconque erreur manifeste d'appréciation des données essentielles du litige, les moyens de fond présentés par France Télécom ne peuvent être accueillis ;
2. Les moyens relatifs à la sanction pécuniaire
Considérant que la société France Télécom conteste très subsidiairement la sanction pécuniaire qui lui a été infligée en faisant valoir qu'elle a respecté la quasi-totalité des injonctions qui lui ont été notifiées par la cour d'appel, qu'elle a en outre réduit très substantiellement ses tarifs dans des conditions qui témoignent de sa bonne foi, que l'injonction est d'une interprétation incertaine, que le Conseil de la concurrence a commis une erreur sur la durée et l'importance de l'infraction, que les inexécutions qui lui sont reprochées n'ont pas causé un dommage à l'économie justifiant une telle sanction, que les préjudices invoqués par les sociétés plaignantes ne découlent pas des tarifs pratiqués par France Télécom ;
Considérant qu'au soutien de son recours incident, le ministre de l'Economie rappelle que la sanction doit, en cas de non-respect d'une injonction, garantir un niveau d'amende propre à corriger et empêcher la poursuite de telles infractions, que celles-ci ont lourdement et durablement obéré le développement de toute forme de concurrence efficace sur le secteur considéré, que le Conseil de la concurrence n'a pas tenu compte des nouvelles dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, notamment quant au montant révisé des sanctions applicables et à l'état de récidive de la société France Télécom ;
Considérant cependant que, contrairement à ce qui est soutenu par les deux requérants, le Conseil de la concurrence a motivé de manière pertinente sa décision de sanction au regard de la gravité des faits, du dommage causé à l'économie et de la situation de l'entreprise en cause, ces critères d'appréciation du principe de proportionnalité étant applicables aussi bien sous l'empire de l'article L. 464-2 actuel du Code de commerce que dans sa rédaction antérieure au 15 mai 2001, justement retenue par le conseil compte tenu de la date de sa saisine, antérieure à la date d'entrée en vigueur de ce nouveau texte ;
Considérant que le conseil a, sans inexactitude, relevé que la société France Télécom n'avait pas respecté une injonction sur le sens de laquelle elle n'a pu se méprendre puisqu'elle tendait clairement à la suppression des discriminations constatées, entre entreprises du groupe France Télécom et entreprises extérieures à ce groupe, pour l'accès aux données de l'annuaire, à la fixation pour cette prestation d'un prix orienté vers les coûts, à l'obligation de n'inclure dans ceux-ci que les frais liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à la demande ;
Considérant à cet égard que la comparaison entre les charges supportées pour les prestations en cause et les chiffres d'affaires réalisés sur ces prestations, pour les exercices postérieurs à l'injonction (supra, page 9), montre que, même si France Télécom a quelque peu réduit les premières entre 1999 et 2002, l'écart avec les seconds est demeuré manifestement disproportionné, ce qui démontre que pendant toute cette période, l'activité de gestionnaire du fichier annuaire exercée par la requérante n'a jamais été réellement orientée vers les coûts ;
Considérant que même si, sous certains aspects, l'injonction a été respectée, ainsi que le souligne à juste titre France Télécom, la gravité du comportement de l'opérateur historique, pour les pratiques pour lesquelles il est demeuré en infraction, est d'autant plus évidente qu'il est le fait d'une entreprise dominante, investie à ce titre d'une responsabilité particulière sur le marché où elle intervient dans des conditions qui peuvent affecter substantiellement sa structure ;
Considérant que le dommage à l'économie est établi en l'espèce, d'abord par des tarifs de cession de la base annuaire qui ne permettent pas concrètement aux concurrents potentiels de France Télécom d'entrer normalement sur le marché, comme le conseil l'a établi au terme d'une analyse précise des données dont il disposait (décision du 26 juin 2002, page 32) ; qu'il l'est ensuite par la réalisation par France Télécom de profits, évalués à 15 ME en 4 ans, liés à des facturations non conformes à l'injonction délivrée par la cour d'appel ; que le Conseil de la concurrence ayant également pris en considération la situation de l'entreprise en cause dans des conditions non critiquées et fixé la sanction adaptée aux circonstances de l'affaire, les recours principal et incident doivent être rejetés ;
Considérant que l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne s'impose pas,
Par ces motifs : LA COUR, Rejette le recours principal de la société France Télécom et le recours incident du ministre de l'Economie, Donne acte à la société Scoot France de son désistement, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Laisse à la société Scoot France les dépens de son recours, Condamne pour le surplus la société France Télécom aux dépens.
(*) Décision n° 03-D-43 du Conseil de la concurrence en date du 12 septembre 2003, parue dans le BOCCRF n° 16 du 17 décembre 2003