CA Lyon, 3e ch. civ., 8 janvier 2004, n° 02-03257
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Blain Olewan
Défendeur :
Boulay, Union contact loisirs (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
MM. Santellini, Kerraudren
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, SCP Aguiraud Nouvellet, SCP Dutrievoz
Avocats :
Mes Piot, Le Gagne.
Faits - procédure et prétentions des parties:
Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 20 décembre 1999 intitulé "contrat de concession de marque", la société Union contact loisirs (UCL) a concédé à Mme Blain la marque UCL afin qu'elle exploite une agence matrimoniale dans le secteur Lyon Est.
Par un autre acte non daté, Mme Boulay, propriétaire d'une agence matrimoniale à l'enseigne UCL, a vendu celle-ci à Mme Blain pour la somme de 84 000F.
Par acte du 10 avril 2000, Mme Blain a assigné devant le Tribunal de commerce de Lyon la société UCL en nullité du contrat de concession du 20 décembre 1999 et Mme Boulay en nullité de la vente de son agence matrimoniale.
Par jugement du 20 mars 2002, le tribunal a débouté Mme Blain de ses demandes.
Appelante, Mme Blain demande à la cour, par conclusions en date du 18 octobre 2002, d'infirmer le jugement entrepris, et de:
- pour Mme Boulay,
à titre principal, constater que le protocole de vente intervenu constitue une vente de fonds de commerce, constater que cet acte de vente ne respecte pas les formalités prescrites par la loi du 29 juin 1935, dire et juger que la vente du fonds de commerce est nulle,
à titre subsidiaire, constater que Mme Boulay ne lui a délivré aucun fichier de clientèle, constater que son erreur portait sur les qualités substantielles de la chose vendue, dire et juger que son consentement a été vicié et que le protocole de vente est nul,
à titre infiniment subsidiaire, constater le défaut d'exécution de l'obligation de délivrance du fichier de clientèle développé par Mme Boulay, et prononcer la résolution judiciaire de la vente,
- pour la société UCL,
à titre principal, constater que le contrat de concession de marque ne respecte pas les obligations d'information prévues par la loi du 31 décembre 1989, que le fichier national fourni par la société UCL est dépourvu de sérieux et demeure insuffisant, dire et juger que son consentement a été vicié et que le contrat de concession est nul,
à titre subsidiaire, constater le défaut d'exécution de l'obligation de délivrance de la société UCL dans un fichier de clientèle sérieux et exploitable et prononcer la résolution judiciaire du contrat de concession de marque,
à titre infiniment subsidiaire, constater que la société UCL a commis une faute en ne respectant pas son obligation d'information du franchisé et la condamner à réparer le préjudice par elle subi.
Elle demande, en conséquence, à la cour de condamner Mme Boulay et la société UCL in solidum:
- à lui rembourser les sommes payées pour la vente nulle, soit les sommes de 84 000 F + 15 678 F + 4 575,84 F + 3,050,56 F, représentant une somme totale de 107 304,40 F soit 16 358,45 euro,
- à lui payer la somme de 17 882,27 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,
- à lui payer la somme de 7 622,45 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- à lui payer la somme de 4 573,47 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Mme Boulay, intimée, demande à la cour, par conclusions déposées le 7 janvier 2003, de confirmer le jugement et de condamner Mme Blain à lui payer la somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à titre subsidiaire de dire et juger qu'elle sera relevée et garantie par la société UCL et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à titre infiniment subsidiaire de réduire les condamnations sollicitées par Mme Blain et de lui accorder les plus larges délais de paiement.
La société UCL, par conclusions du 14 mai 2003, demande la confirmation du jugement en soutenant que le contrat de concession de marque est valable. Elle sollicite la condamnation de Mme Blain à lui payer la somme de 7 622,45 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
La cour se réfère, pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, aux écritures précitées.
Motifs et décision:
Sur la nullité de la cession de l'agence matrimoniale:
Attendu qu'aux termes du protocole de vente, "Mme Boulay vend à Mme Blain son affaire matrimoniale sous enseigne Union Contacts Loisirs pour la somme de 84 000 F';
Que Mme Boulay ne conteste pas qu'il s'agit d'un acte de cession d'un fonds de commerce;
Attendu qu'en vertu de l'article L. 141-1 du Code de commerce, dans son acte constatant une cession amiable de fonds de commerce, le vendeur est tenu d'énoncer le nom du précédent vendeur, la date et la nature de son acte d'acquisition ainsi que le prix, l'état des privilèges et nantissements grevant le fonds, le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de chacune des trois dernières années d'exploitation ou depuis son acquisition s'il ne l'a pas exploité depuis plus de trois ans, les bénéfices commerciaux réalisés pendant le même temps, le bail, sa date, sa durée, le nom et l'adresse du bailleur et du cédant s'il y a lieu;
Que l'omission des énonciations ci-dessus prescrites peut, sur la demande de l'acquéreur formée dans l'année, entraîner la nullité de l'acte de vente dans le cas où l'omission a vicié son consentement et a été pour lui la cause d'un préjudice;
Attendu que Mme Boulay admet que l'acte de vente conclu ne contient pas les mentions exigées par la loi;
Qu'elle soutient toutefois qu'il ne saurait y avoir lieu à nullité au motif que c'est Mme Blain elle-même qui a rédigé l'acte de cession et qui a omis d'y faire apparaître les mentions requises;
Attendu que les énonciations relatives notamment au chiffre d'affaires des trois dernières années et aux bénéfices commerciaux ainsi qu'à la date et la durée du bail ont pour objectif de protéger l'acquéreur en lui permettant de contracter en toute connaissance de cause;
Que Mme Boulay ne serait fondée à opposer à Mme Blain "sa propre turpitude" ou "ses propres erreurs" qu'à la condition que cette dernière ait connu les exigences de la loi et ait eu la volonté d'y passer outre; que la preuve n'en est pas rapportée; qu'au contraire, l'absence de mention du chiffre d'affaires et du bénéfice réalisés par Mme Boulay ainsi que du bail ne peuvent être imputés à Mme Blain qui ne pouvait les connaître; que Mme Boulay qui désirait vendre son affaire aurait dû communiquer ces renseignements à Mme Blain;
Attendu que Mme Boulay ne peut se prévaloir de ce qu'elle ne pouvait faire figurer dans l'acte de cession les chiffres réalisés dans la mesure où, à la date de la cession, elle ne disposait pas de ces éléments, son bilan n'ayant été réalisé que le 30 mars 2000; qu'il lui appartenait de prendre toutes dispositions pour fournir ces informations à l'acquéreur en procédant au besoin par approximation à partir des éléments comptables en sa possession;
Attendu qu'au moment de la vente Mme Boulay avait à peine six mois d'activité et son affaire était en phase de démarrage ainsi qu'elle le précise dans ses écritures; que Mme Blain n'a eu connaissance d'aucun chiffre lui permettant de se faire une idée de l'activité de l'agence et de déterminer si celle-ci était viable; que l'omission des énonciations requises n'a pu que vicier le consentement de Mme Blain, ce qui justifie que soit prononcée la nullité de l'acte;
Attendu que Mme Boulay sera en conséquence condamnée à restituer à Mme Blain le prix de 84 000 F, soit 12 805,72 euro, qu'elle a perçu; qu'elle soutient que ce prix devrait être réduit pour tenir compte du coefficient de vétusté à appliquer sur les meubles que lui restituera Mme Blain; que la nullité de la cession a pour conséquence d'une part la restitution du prix, d'autre part la restitution des meubles sans que ceux-ci puissent bénéficier d'un coefficient de vétusté;
Attendu qu'il appartient à Mme Blain, qui entend en outre obtenir paiement de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice par elle subi du fait de la vente nulle, d'apporter la preuve de l'existence du préjudice invoqué;
Attendu que Mme Blain soutient que, Mme Boulay ayant résilié son bail commercial, elle a dû en contracter un et qu'elle est dans l'obligation de payer au bailleur au minimum trois années de loyer, soit une somme de 105 300 F et 16 052,88 euro dont elle demande le remboursement sous forme de dommages-intérêts;
Que Mme Blain ne démontre pas avoir effectivement réglé trois années de loyers à son bailleur; qu'elle sera déboutée de cette demande;
Attendu que Mme Blain prétend qu'elle a dû exposer des frais administratifs pour la somme de 12 000 F, "dont elle apporte justificatifs", mais elle n'indique pas précisément de quels frais il s'agit; qu'en tout état de cause, elle ne donne aucune indication sur ce qu'a été sa propre exploitation, son chiffre d'affaires et le bénéfice retiré de sorte qu'à supposer qu'elle ait exposé des frais elle ne rapporte pas la preuve d'un préjudice;
Qu'enfin le préjudice moral allégué par Mme Blain n'est pas démontré;
Attendu que Mme Boulay sollicite des délais de paiement mais ne fournit à l'appui de sa demande aucune justification de sa situation actuelle (le document le plus récent produit étant l'avis d'impôt sur le revenu 2001); que sa demande sera rejetée;
Sur la nullité du contrat:
Attendu qu'en vertu de l'article L. 330-3 du Code de commerce, toute personne qui met à disposition d'une autre personne son nom commercial, une marque ou enseigne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité est tenue, préalablement à la signature du contrat, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause;
Que l'article 1er du décret du 4 avril 1991 énumère les informations que doit contenir le document;
Attendu que la société UCL a rempli son obligation de renseignement pré-contractuelle en remettant à Mme Blain un document intitulé "Carte d'identité Union Contacts Loisirs" lequel comporte des renseignements relatifs à l'identification de la société et à la marque commerciale exploitée, la domiciliation bancaire, la date de création de l'entreprise avec l'historique du développement du réseau et l'expérience professionnelle du dirigeant, les comptes annuels des deux derniers exercices annexés au document, une liste annexée des agences faisant partie du réseau avec date de conclusion du contrat, le nombre d'entreprises ayant cessé de faire partie du réseau au cours des douze derniers mois, la description du marché de référence dans le domaine du conseil matrimonial, les perspectives de développement du marché;
Attendu que Mme Blain ne peut valablement soutenir ne pas avoir reçu les documents annexés suivants: liste des agences faisant partie du réseau au moment des faits et comptes annuels de deux derniers exercices que la société UCL verse aux débats en annexe au document d'information, dès lors qu'elle a signé la "Carte d'identité" juste en dessous de la mention "Informations pré-contractuelles et documents annexés mis à jour et reçus le 31/11/99 à Lyon par Mme Blain";
Qu'en revanche, la société UCL ne justifie pas de l'existence de l'annexe 3 censée décrire l'état local du marché dans le territoire d'exclusivité de la concession ni de l'annexe 2 censée relater le nombre de personnes adultes seules en France et l'état général du marché;
Qu'elle ne peut prétendre avoir rempli son obligation d'information s'agissant de la présentation de l'état général et local du marché par la seule indication, particulièrement vague et en tout cas non ciblée sur le marché local, (qu'elle comprend aussi dans les perspectives de développement): "Union Contacts Loisirs envisage une extension européenne ainsi que des partenariats avec des organismes de loisirs";
Attendu que l'essentiel, pour le futur franchisé, est de disposer de toutes informations non seulement sur l'état général mais surtout sur l'état local du marché, ces informations lui étant nécessaires pour apprécier si et dans quelle mesure l'activité sous franchise qu'il envisage d'exercer est viable, la rentabilité de l'entreprise, les moyens à mettre en œuvre pour en assurer le développement;que dans le cas de Mme Blain, elles l'étaient d'autant plus que celle-ci n'avait pas d'expérience en matière de courtage matrimonial;
Qu'ainsi, le consentement de Mme Blain s'est trouvé vicié du fait du défaut d'information prévu par les dispositions légales;
Qu'il y a lieu, en conséquence, de faire droit à sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat de franchiseet condamner la société UCL à lui rembourser les sommes versées au titre de ce contrat, soit la somme de 2 390,10 euro correspondant au droit d'entrée, la somme de 697,58 euro correspondant à la caution pour l'achat de la concession, la somme de 465,05 euro correspondant aux redevances pour frais de marque des mois de janvier et février;
Attendu que c'est à tort que Mme Blain sollicite la condamnation in solidum de Mme Boulay et de la société UCL à lui restituer les sommes qu'elle a versées à chacune d'entre elles; que Mme Boulay et la société UCL ayant perçu des sommes distinctes en vertu de contrats différents, chacune ne peut être condamnée à restituer que ce qu'elle a reçu;
Attendu qu'ainsi qu'il a été dit plus haut la demande de dommages-intérêts formée par Mme Blain n'est pas justifiée et ne peut prospérer contre la société UCL;
Sur l'appel en garantie dirigé par Mme Boulay à titre la société UCL:
Attendu que Mme Boulay soutient que conformément aux dispositions de la Charte des Concessionnaires elle a informé la société UCL de son intention de vendre, que la société UCL s'est particulièrement impliquée dans la cession de son fonds de commerce en procédant à la parution d'annonces publicitaires et en recevant les personnes intéressées, que les dispositions contractuelles imposaient à cette société de donner aussi bien à Mme Blain qu'à elle-même des conseils pour cette cession et qu'elle n'a pas répondu à son obligation de conseil;
Attendu que les obligations contractées par la société UCL (stage de formation, visites, assistance juridique...) l'ont été dans le seul cadre du contrat de concession de marque et ne sauraient être étendues à la cession du cabinet que le concessionnaire, aux termes du même contrat, a le droit de céder après accord préalable de la société UCL;
Que l'appel en garantie de Mme Boulay doit être rejeté;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à l'appelante la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure; qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euro à la charge in solidum des intimées;
Par ces motifs LA COUR, Réformant le jugement et statuant à nouveau, Déclare nul l'acte de vente de fonds de commerce conclu entre Mme Boulay et Mme Blain. Condamne Mme Boulay à rembourser à Mme Boulay le prix de 12 805,72 euro. Déclare nul le contrat de concession de marque en date du 20 décembre 1999. Condamne la société UCL à rembourser à Mme Blain la somme de 3 552,73 euro. Déboute Mme Boulay de son appel en garantie et de sa demande de délais de paiement. Déboute Mme Blain de sa demande en paiement de dommages-intérêts. Condamne in solidum Mme Boulay et la société UCL à payer à Mme Blain la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes des parties comme non fondées. Condamne in solidum Mme Boulay et la société UCL aux dépens de l'instance avec, pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Junillon-Wicky avoués.