Cass. crim., 23 novembre 1994, n° 93-81.963
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Seme, Cattier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Souppe (faisant fonctions)
Rapporteur :
M. Blin
Avocat général :
M. Libouban
Avocat :
Me Copper-Royer.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - N Michel, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, du 25 mars 1993, qui, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, l'a condamné à 100 000 francs d'amende, a ordonné l'affichage de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ; Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 485, 486 et 592 du Code de procédure pénale, vice de forme ;
"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué, que la cour était composée lors des débats, de M. Depretz, président, M. Gillet et Mme Debonne, conseillers ; que la cour n'indique pas le nom des magistrats qui ont délibéré et que celle-ci était composée différemment lors du prononcé de la décision, M. Boilevin ayant remplacé Mme Debonne ;
"alors qu'est irrégulière la composition d'une cour d'appel, dès lors qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que les magistrats ayant assisté aux débats, au délibéré et au prononcé de l'arrêt, ne sont pas les mêmes ; qu'en l'espèce, l'arrêt ne précise pas la composition de la cour d'appel lors du délibéré et énonce qu'il a été rendu par une cour composée différemment ; qu'ainsi, la présomption de régularité posée par l'article 592 du Code de procédure pénale ne pouvait s'appliquer dans ce cas" ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que, lors des débats la cour d'appel était composée de M. Depretz, président, de M. Gillet et de Mme Debronne, conseillers ; que la cour a ensuite délibéré conformément à la loi et que M. Depretz a donné lecture de la décision à une audience ultérieure tenue dans une autre composition, ainsi que le permet l'article 485, dernier alinéa, du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué n'encourt pas le grief allégué au moyen, lequel, dès lors, ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise ;
"aux motifs qu'il est constant que le véhicule litigieux avait été acheté, dans un premier temps, par M. Seme, le 4 septembre 1986, avec un kilométrage garanti de 90 000 km ; que M. Seme devait parcourir environ 20 000 km par an ; qu'il est établi qu'au 30 juin 1988, le véhicule avait 130 000 km au compteur ; qu'il résulte des déclarations de M. Seme qu'en juin 1989, le kilométrage du véhicule était d'environ 150 000 km lorsque la voiture fut accidentée ; qu'à la suite de cet accident, la 305 a été jugée "économiquement irréparable" par l'assureur qui laissa à M. Seme le soin de négocier l'épave du véhicule ; que celui-ci a été racheté, le 20 septembre 1989, par le garage Bessemer pour la somme de 4 000 francs ; que le demandeur a revendu le véhicule à Mme Cattier, en janvier 1990, sans l'informer du fait que la voiture avait été accidentée et en lui garantissant un kilométrage de 106 713 km ; que Mme Cattier a connu de nombreux problèmes avec son véhicule acquis pour la somme de 30 000 francs alors que la cote Argus était de 19 400 francs ; que l'expert Dequivre a relevé que la 305 présentait plusieurs défauts importants et qu'elle avait subi un important choc arrière la rendant économiquement irréparable ;
"que s'il est constant que l'auteur de la manipulation est, et restera inconnu, il n'en demeure pas moins que le compteur ne s'est pas "rajeuni" tout seul et que le véhicule, qui avait 130 000 km le 30 juin 1988, ne pouvait avoir 106 713 km le 2 janvier 1990 et qu'en le garantissant, pour ce dernier kilométrage, à cette date, le prévenu a trompé son acheteur ;
"que la subtile distinction entre "l'épave au sens économique" et "l'épave au sens matériel" ne doit pas faire oublier qu'au sens commun du terme, le mot "épave" a une signification bien précise pour le consommateur moyen dont on a toutes les raisons de penser qu'il ne ferait pas l'acquisition d'un véhicule, surtout à un prix supérieur à celui de la cote Argus, s'il était au préalable informé que, même "au sens économique", le véhicule a été considéré, un an auparavant, comme une épave dont l'état était tel que le coût de la remise en état ne justifiait pas celle-ci (ce qui démontre l'importance des dégâts mentionnés par le cabinet Dequivre), et ne peut faire oublier le principe juridique maintes fois rappelé par la Cour de cassation : le vendeur d'un véhicule automobile se rend coupable de tromperie sur les qualités substantielles pour avoir omis d'indiquer que le véhicule avait été accidenté, l'existence d'un accident antérieur ayant endommagé, au point de le réduire à l'état d'épave, un véhicule, étant de nature à écarter certains acheteurs et devant être révélé par le vendeur même si les dégâts causés à la voiture ont été normalement réparés ; qu'il importe donc peu, comme le soutient un second expert, M. Bligny, dont les conclusions sont en contradiction avec celles du premier, que la réparation ait été faite correctement, l'infraction étant établie dès lors que le vendeur, outre le fait d'avoir garanti un kilométrage erroné, a caché à l'acheteur l'existence d'un accident antérieur ;
"alors que, d'une part, la tromperie sur les qualités de la chose vendue, pour être punissable au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, doit résulter d'une intention frauduleuse et porter sur les qualités substantielles du produit vendu ; qu'il appartient au juge de constater les circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu et de préciser que les qualités substantielles sur lesquelles le consommateur a été trompé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui constate, en ce qui concerne le kilométrage, que "l'auteur de la manipulation est et "restera inconnu" et en déduit que le prévenu a trompé son acheteur, sans caractériser l'intention coupable, a privé sa décision de toute base légale ;
"alors, d'autre part, que la cour a relevé que, selon l'expert Bligny, la réparation du véhicule avait été faite correctement ; que, par suite, les juges du fond ne pouvaient pas condamner le demandeur du chef de tromperie sur les qualités substantielles pour avoir omis d'indiquer que le véhicule avait été accidenté sans rechercher si la remise en état n'avait pas pour effet d'effacer toute atteinte aux qualités substantielles du véhicule résultant de ce que celui-ci avait été antérieurement accidenté et rendait ainsi sans intérêt cette circonstance" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable et ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de cette infraction ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour a ordonné l'affichage de la décision aux frais du condamné à toutes les entrées du garage pendant deux mois ;
"alors que la publication du jugement de condamnation, à titre de peine complémentaire, ne peut excéder sept jours ; qu'en ordonnant l'affichage du jugement pendant deux mois aux portes du garage, les juges du fond ont violé les textes visés au moyen" ; vu lesdits articles ;
Attendu que les juges ne sauraient prononcer une peine d'une durée supérieure à celle que fixe la loi ;
Attendu que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel, après avoir déclaré Michel N coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, a, notamment, ordonné l'affichage de la décision aux portes du garage du condamné pendant deux mois ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le temps pendant lequel l'affichage doit être maintenu, ne peut, aux termes de l'article 7 de la loi du 1er août 1905, devenu l'article L. 216-3 du Code de la consommation, excéder 7 jours, la cour d'appel a méconnu les textes et griefs susvisés ; qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, Casse et annule, mais en ses seules dispositions concernant l'affichage, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel d'Amiens, du 25 mars 1993 ; Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ; Dit que la durée de l'affichage sera de sept jours ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel d'Amiens, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;