Cass. crim., 18 mai 1994, n° 93-80.125
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Jorda
Avocat général :
M. Monestie
Avocat :
SCP Jean-Jacques Gatineau.
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : - C Robert, - C1 Mireille, épouse C, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, du 3 décembre 1992, qui les a condamnés, le premier, pour vente d'objets en donnant à croire qu'ils avaient été fabriqués par des travailleurs handicapés, publicité de nature à induire en erreur, tromperie sur l'origine des marchandises vendues, à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende, la seconde, pour les deux premières infractions, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende et a ordonné la publication ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu les mémoires ampliatif et additionnel produits ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme partiellement que l'association "X" a crée un "Centre d'Aide par le Travail" (CAT) puis un "Atelier Pour l'Emploi" (APE) ; que des produits de cet atelier, ainsi que des vêtements fabriqués par une société Y, ont été décrits dans un catalogue et vendus par l'intermédiaire de représentants dirigés par Mireille C1, épouse C, l'un deux, qui était l'époux de celle-ci, ayant auparavant crée un "Atelier de Production et d'Emploi pour Handicapés" (APEH) ; que les époux C sont poursuivis pour vente d'objets en donnant à croire qu'ils ont été fabriqués par des travailleurs handicapés et publicité de nature à induire en erreur, Robert C l'étant en outre pour tromperie sur l'origine des marchandises vendues ; En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 362-2 et L. 323-33 du Code du travail, 591 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les époux C coupables d'infraction aux labels ;
"aux motifs propres ou adoptés des premiers juges que le terme "handicapé" ne peut apparaître sur les documents commerciaux que dans le cadre de la réglementation des labels ; que l'atelier pour l'emploi n'était ni en fait ni en droit un atelier protégé et n'était pas non plus titulaire du label ; que, dès lors, les documents commerciaux édités par cet organisme ne pouvaient comporter la mention "handicapé" ; "1°) alors que l'infraction aux labels n'est constituée que si le prévenu s'est prévalu d'un label auquel il n'avait pas droit ; qu'en l'espèce, les prévenus n'ont jamais fait état d'un label qui leur aurait été attribué par le ministère du Travail et ne se sont davantage prévalus d'aucun agrément administratif dont aurait bénéficié leur entreprise ; que, dès lors, l'infraction reprochée n'était pas constituée ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ; "2°) alors, en toute hypothèse, que l'infraction n'est constituée que si des produits ont été mensongèrement présentés comme ayant été fabriqués par des travailleurs handicapés ; qu'en l'espèce, il est constant que les produits commercialisés par l'atelier pour l'emploi étaient fabriqués par des travailleurs handicapés ; que, dès lors, l'infraction au label "handicapé" n'était pas caractérisée ; qu'en déclarant néanmoins les prévenus coupables de cette infraction, la cour d'appel a violé par fausse application les textes visés au moyen" ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 362-2 et L. 323-33 du Code du travail, 1134 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les époux C coupable d'infraction aux labels ;
"aux motifs que toutes les transactions effectuées pour le compte de l'atelier pour l'emploi tombent sous le coup de la loi, l'atelier pour l'emploi n'étant ni en fait ni en droit un atelier protégé et n'étant pas titulaire de surcroît du label ; qu'ainsi, seront retenus de ce chef (...) Mireille C ainsi que Robert C dont le réseau commercial, primitivement mis en place par lui au titre de l'atelier de production et d'emploi pour handicapés, était utilisé pour écouler les produits de l'atelier pour l'emploi ; "1°) alors qu'il résulte des pièces de la procédure que les bons de commande établis par l'atelier pour l'emploi ne comportaient aucune mention relative à la fabrication des produits par des travailleurs handicapés ; que, dès lors, l'infraction aux labels n'était pas constituée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a dénaturé les documents litigieux et violé les textes visés au moyen ; "2°) alors, en toute hypothèse, que Robert C avait fait valoir qu'il n'a jamais exercé aucune activité professionnelle au sein de l'atelier pour l'emploi, mais a seulement travaillé pour le centre d'aide par le travail "le Comminges", dont les activités ont été jugées licites ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions, d'où il résultait que Robert C était totalement étranger à l'atelier pour l'emploi et par suite ne pouvait répondre des infractions résultant de l'activité de cet organisme, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; "3°) alors, en outre, qu'en se fondant sur la circonstance que le réseau commercial naguère mis en place par Robert C au titre de l'atelier de production et d'emploi pour handicapés, crée par lui dans la région parisienne en 1983 et supprimé en 1986, avait été utilisé pour écouler les produits de l'atelier pour l'emploi, la cour a statué par un motif inopérant, le chef d'entreprise qui cède ses actifs à un tiers ne pouvant être tenu pour responsable des infractions commises par le cessionnaire au moyen des actifs qui lui ont été transmis ; "4°) alors, enfin, que Mireille C n'aurait pu être tenue pour responsable des infractions résultant de l'activité de l'atelier pour l'emploi que si elle avait personnellement participé à leur commission, ou à tout le moins si elle avait exercé des fonctions de direction au sein de cet organisme ; qu'en entrant en voie de condamnation à son égard sans constater qu'il en aurait été ainsi, la cour d'appel a prisé sa décision de base légale" ; Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de vente d'objets en donnant à croire qu'ils avaient été fabriqués par des travailleurs handicapés, les juges du second degré, par motifs propres et adoptés, relèvent que, l'association "X", et l'APE, qui n'était pas un atelier protégé, n'employaient qu'un petit nombre de travailleurs handicapés et n'avaient pas obtenu le label institué par l'article L. 323-33 du Code du travail ; qu'ils retiennent que tant Robert C que son épouse, responsable de plusieurs représentants, ont vendu ou fait vendre des biens produits par l'APE en les présentant aux clients de celui-ci comme l'ouvrage de personnes handicapées ; qu'ils précisent à cet égard que sur le catalogue de l'APE et des bons de commande apparaît le mot "handicapé" et que les factures et les bons de livraison remis aux clients portent la mention "Association X Insertion-réinsertion professionnelle des handicapés" ; qu'ils ajoutent que, selon les déclarations de plusieurs personnes, celles-ci n'ont passé commande à l'atelier pour l'emploi que parce qu'elles croyaient qu'il s'agissait de biens fabriqués par des personnes handicapées ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui impliquent que les produits vendus avaient été fabriqués pour l'essentiel par des travailleurs non handicapés, et dès lors que cette fabrication n'a pas été contestée devant les juges du fond, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées et qui, après avoir souverainement apprécié la valeur probante des pièces de la procédure, a caractérisé la participation des deux prévenus à la réalisation de la seule infraction prévue par l'article L. 362-2-2 du Code du travail a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, de la règle "non bis in idem", des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les époux C coupables de publicité mensongère ; "1°) aux motifs communs aux deux époux que l'édition d'un catalogue au profit de l'atelier pour l'emploi qui contient l'appellation "atelier" associée à la raison sociale de l'association, qui comporte quant à elle le mot "handicapé", est manifestement destinée à créer une confusion avec la notion d'atelier protégé, alors que l'atelier pour l'emploi non seulement n'est pas un atelier protégé mais ne pourrait même y prétendre, l'effectif des handicapés étant insuffisant par rapport à celui des personnes valides ;
"alors que le caractère mensonger ou trompeur d'une publicité s'apprécie en fonction du degré de compréhension d'un consommateur moyen ; qu'en l'espèce le catalogue édité par l'atelier pour l'emploi comportait la mention "réinsertion socio-professionnelle des handicapés" ; que pour un consommateur normalement intelligent et avisé, ces indications n'évoquent rien d'autre qu'une unité de production où sont employées des personnes handicapées, sans confusion possible avec la notion d'atelier protégé ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé le document publicitaire litigieux et violé les textes visés au moyen ;
"alors, en toute hypothèse, qu'un même fait autrement qualifié ne saurait donner lieu à une double déclaration de culpabilité ; qu'en cas de conflit entre une qualification générale et une qualification spéciale, cette dernière doit prévaloir ; qu'en l'espèce, les faits reprochés aux prévenus consistaient à avoir diffusé un catalogue publicitaire susceptible d'induire en erreur les consommateurs sur les conditions de fabrication et l'origine des produits proposés, en leur laissant croire qu'ils avaient été fabriqués par des travailleurs handicapés ; que ces agissements, étant spécialement incriminés par les dispositions du Code du travail relatives aux labels, ne pouvaient donner lieu à condamnation sur le fondement de la loi du 27 décembre 1973 relative à la publicité mensongère ; qu'en retenant néanmoins cette dernière qualification, concurremment avec celle d'infraction aux dispositions sur les labels, la cour d'appel a méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen ; "2°) au motif propre à Mireille C que celle-ci, en qualité de responsable des représentants, avait immanquablement utilisé le catalogue publicitaire édité par l'atelier pour l'emploi ;
"alors que le délit de publicité mensongère ne peut être imputé qu'à l'annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que Mireille C s'est bornée à utiliser le catalogue édité par l'atelier pour l'emploi ; que ces seuls agissements ne sauraient suffire à caractériser l'infraction reprochée ; qu'en déclarant néanmoins Mireille C coupable de publicité mensongère, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ; "3°) et au motif propre à Robert C que le catalogue présentait également certains articles fabriqués par la société Y, bien que cette société fût totalement indépendante de l'association "X" ;
"alors que Robert C n'aurait pu être déclaré coupable de publicité mensongère que s'il était établi soit qu'il avait ordonné la publicité litigieuse soit qu'il avait personnellement participé à la réalisation du catalogue édité par l'atelier pour l'emploi ; qu'en entrant en voie de condamnation à son égard sans constater qu'il en avait été ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les époux C coupables de publicité mensongère ;
"aux motifs que le catalogue édité au profit de l'atelier pour l'emploi contient l'appellation "atelier" associés à la raison sociale de l'association "X", qui comporte quant à elle le mot "handicapé", ce qui est manifestement de nature à créer une confusion avec la notion d'atelier protégé et caractérise le délit de publicité mensongère, l'atelier pour l'emploi n'étant pas un atelier protégé et ne pouvant même prétendre à cette dénomination, l'effectif des handicapés étant insuffisant par rapport à celui des personnes valides ; que Robert et Mireille C seront retenus de ce chef, celle-ci, en dépit de ses dénégations, ayant immanquablement utilisé ce catalogue en sa qualité de responsable des représentants ; qu'en outre ledit catalogue mentionnait certains produits de la société Y, par ailleurs fournisseur du centre d'aide par le travail ; qu'ainsi se trouve encore caractérisé le délit du publicité mensongère à l'encontre de Robert C, puisque la société Y était totalement indépendante de l'association "X" ;
"alors qu'en déclarant Robert C coupable de l'infraction reprochée, sans répondre aux conclusions dans lesquelles celui-ci avait fait valoir qu'il était totalement étranger à l'APE et par suite n'avait pas à répondre des infractions résultant de l'activité de cet organisme, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, en outre, qu'en se fondant sur la circonstance que la catalogue mentionnait également des produits émanant de la société Y, par ailleurs fournisseur du centre d'aide par le travail, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, le fait que la société Y ait pu être fournisseur du centre d'aide par le travail étant totalement étranger à la question de savoir si le catalogue édité par l'atelier pour l'emploi contenait des allégations mensongères ;
"alors, enfin, qu'en se bornant à relever que Mireille C avait utilisé le catalogue, ce dont il ne résulte nullement qu'elle aurait eu la qualité d'annonceur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision à son égard" ; Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour condamner les époux C du chef de publicité de nature à induire en erreur, la juridiction du second degré relève que le catalogue de l'APE associe l'appellation "atelier" à la dénomination de l'objet de l'association "X" comportant le mot "handicapés" ; qu'elle observe que l'APE n'est pas un atelier protégé et ne peut l'être en raison du nombre insuffisant des travailleurs handicapés ; qu'elle en déduit que les mentions du catalogue tendent à faire croire à ses clients qu'il est un atelier protégé ; qu'elle ajoute que le catalogue décrit des biens produits par une société Y qui n'a à son service aucune personne handicapée ; qu'elle retient la responsabilité des époux C avec celle de Dominique Milan, président de l'association, les prévenus ayant utilisé le catalogue à des fins publicitaires ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les délits de publicité de nature à induire en erreur et de mise en vente d'un objet sans label en donnant à croire qu'il a été fabriqué par des travailleurs handicapés portent atteinte à des intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents, la cour d'appel a, sans dénaturer le document publicitaire litigieux et, répondant aux conclusions prétendument délaissées, caractérisé, sans insuffisance ni contradiction, le délit de publicité de nature à induire en erreur dont la responsabilité, à titre principal, incombe à l'annonceur, ainsi qu'à tous ceux qui, comme les prévenus, ont accompli les actes matériels constitutifs de l'infraction ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er et 7 de la loi du 1er août 1905, du principe non lis in idem, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Robert C coupable de tromperie sur l'origine de la marchandise vendue ;
"au motif que, parmi les articles vendus sous le couvert de l'atelier pour l'emploi, figuraient des produits fabriqués par la société Y où ne travaillait aucun handicapé ;
"alors d'une part, qu'un même fait autrement qualifié ne saurait donner lieu à une double déclaration de culpabilité ; qu'en cas de conflit entre une qualification générale et une qualification spéciale, cette dernière doit prévaloir ; qu'en l'espèce les faits reprochés au prévenu consistaient à avoir commercialisé certains articles en les présentant comme ayant été fabriqués par des travailleurs handicapés, alors qu'en fait ils avaient été réalisés par la société Y qui n'employait aucun handicapé ; que ces faits, étant spécialement réprimés par les dispositions du Code du travail relatives aux labels, ne pouvaient donner lieu également à condamnation du chef de tromperie sur l'origine de la chose vendue ; qu'en déclarant néanmoins le prévenu coupable de cette dernière infraction, la cour d'appel, qui avait déjà retenu la qualification d'infraction aux labels, a violé la règle "non bis in idem" ainsi que les textes visés au moyen" ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire déclarer non constitué le délit de tromperie pour ce qui concerne les ventes intervenues sous le couvert de l'atelier pour l'emploi et retenir ce délit en ce qui concerne les articles fabriqués par la société Y, lesdits articles ayant précisément été vendus sous le couvert de l'atelier pour l'emploi" ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er et 7 de la loi du 1er août 1905, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Robert C coupable de tromperie sur l'origine de la marchandise vendue ;
"au motif que parmi les articles vendus sous le couvert de l'atelier pour l'emploi, figuraient des produits fabriqués par la société Y où ne travaillait aucun handicapé ;
"alors que Robert C avait fait valoir qu'il n'a jamais exercé aucune fonction au sein de l'atelier pour l'emploi et ne pouvait donc être tenu pour responsable des infractions résultant de l'activité de cet organisme ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions, la cour d'appel, qui n'a pas indiqué en quoi le prévenu aurait participé à la commission de l'infraction litigieuse, n'a pas légalement justifié sa décision" ; Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer Robert C coupable de tromperie sur l'origine de la marchandise vendue, la juridiction du second degré relève que des objets décrits sur le catalogue précité avaient été fabriqués par la société Y laquelle n'employait aucune personne handicapée ; qu'elle ajoute que seul le délit de tromperie "sera retenu et non celui d'infraction aux labels" ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations exemptes d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions du prévenu et ne l'a pas reconnu coupable du même fait sous deux qualifications différentes, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.