Livv
Décisions

Cass. crim., 14 mars 1994, n° 93-82.225

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchela

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Amiel

Avocats :

SCP Guiguet, Bachelier, Potier de la Varde.

Colmar, ch. corr., du 3 mars 1993

3 mars 1993

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par E Bernard, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 3 mars 1993, qui, pour publicité de nature à induire en erreur et tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, l'a condamné à 30 000 francs d'amende, ainsi qu'à la publication de la décision; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard E coupable de publicité mensongère;

"aux motifs que la mention "vendangé tardivement" peut créer notamment chez le consommateur non averti une confusion avec la mention de qualité supérieure "vendange tardive", et que cette publicité est par conséquent de nature à induire en erreur l'acheteur sur les qualités substantielles du produit;

"alors que l'indication exacte, à destination du public, d'une caractéristique de laquelle le produit tire effectivement une qualité particulière ne constitue pas une indication fausse ou de nature à induire en erreur punissable en application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973; que, dès lors, en décidant que constituait le délit prévu par cette loi le fait, pour le prévenu, d'avoir exactement indiqué que ses vins à appellation Riesling et Gewurztraminer de 1985 avaient été "vendangés tardivement", ce qui conférait à ceux-ci une qualité particulière, en raison du risque de confusion avec l'indication réglementée "vendanges tardives" qui ne dépend d'ailleurs pas de la date des vendanges, la cour d'appel a faussement appliqué les dispositions précitées";

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard E responsable de tromperie sur les qualités de la chose vendue;

"aux motifs que les vins incriminés ne peuvent prétendre à la désignation de vendange tardive; la notion de vendange tardive bénéficie d'une réputation entretenue par les médias; elle est considérée comme prestigieuse et le consommateur à la recherche d'une qualité supérieure optera pour ce produit; que la seule notion de vendange tardive suscite l'intérêt du client; que la désignation de "vendangé tardivement le 25 novembre 1985" revêt la même force et séduit par l'identité apparente des deux notions pourtant fondamentalement distinctes puisque la "vendange tardive" répond à des critères objectifs légalement protégés et le produit "vendangé tardivement le 25 novembre 1985" est une création du commerçant viticulteur non contrôlée par une autorité extérieure; que l'assimilation est encore accentuée par la mention générique "cuvée de prestige" et la différence de prix qui achève de persuader l'acheteur qu'il se porte acquéreur de la qualité supérieure qu'il convoite (ainsi le Riesling "réserve particulière" coûte 18,50 francs et le Riesling 85 "vendangé tardivement" 37 francs); qu'il est ainsi établi que le prévenu a trompé ou tenté de tromper tout acquéreur sur la nature ou les qualités de la marchandise en mettant en vente et en ayant vendu des vins d'Alsace Riesling et Gewurztraminer 85 avec la mention vendangé tardivement alors que ces vins ne pouvaient pas, à défaut d'agrément, être commercialisés sous la qualification "vendange tardive";

"alors que la tromperie devant, pour être punissable au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, résulter d'une intention frauduleuse, il appartient au juge de constater les circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu; que, dès lors, en s'abstenant de réfuter les motifs, reproduits par les conclusions d'appel du prévenu, par lesquels les premiers juges, pour écarter l'existence d'une telle intention et prononcer la relaxe du chef de tromperie, avaient constaté que le prix des bouteilles incriminées était deux à trois fois moindre que celui des bouteilles de vendanges tardives, ce qui excluait que Bernard E ait entendu faire croire à ses clients qu'il s'agissait de produits de cette qualité, la cour d'appel qui n'a par ailleurs fait état d'aucun élément susceptible de caractériser une telle intention, n'a pas légalement constaté le délit de tromperie dont elle a déclaré ce dernier coupable";

Les moyens étant réunis; - Attendu que Bernard E, viticulteur, a été poursuivi, sur le fondement des dispositions des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, devenus respectivement les articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation, pour avoir commercialisé des vins d'Alsace, avec un étiquetage et des publicités indiquant "cuvée prestige" et "vendangé tardivement le 20 novembre 1985";

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de publicité mensongère et de tromperie, la cour d'appel, après avoir rappelé que la réglementation vinicole réservait la mention "vendange tardive" aux vins remplissant certaines conditions et ayant fait l'objet d'examens spéciaux et souligné que les produits présentant ce label jouissaient d'un grand prestige auprès des consommateurs, relève que Bernard E a, par un étiquetage et une publicité équivoques, ainsi que par la fixation d'un prix élevé, créé une confusion entre sa production, qui ne satisfait pas aux conditions voulues, et les vins susnommés, plus recherchés, et qu'il avait ainsi sciemment trompé la clientèle sur les qualités substantielles de la marchandise vendue;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision; que les moyens qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, contradictoirement et librement débattus devant eux, ne peuvent qu'être écartés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.