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Décisions

Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-82.451

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Libouban

Avocat :

Me Copper-Royer

Rennes, ch. corr., du 18 mars 1993

18 mars 1993

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par P Christian, L Jean, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 18 mars 1993, qui, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, les a condamnés chacun à une amende de 50 000 francs, outre la publication et l'affichage de la décision; - Vu le mémoire produit commun aux demandeurs; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré P et L coupables du délit de tromperie prévu à l'article 1er de la loi du 1er août 1905 et, en répression, les a condamnés à diverses peines;

"aux motifs que "sur les emballages des litres de lait saisis figurait une mention selon laquelle la teneur minimale en matières grasses et protéiques garantie était respectivement de 15,45 et 30 grammes par litre; valeurs correspondant d'ailleurs à celles du dernier accord interprofessionnel homologué ou du règlement CEE n° 1411-71 du 29 juin 1971; "que les résultats des analyses des 24 échantillons prélevés sur trois journées de fabrication ont révélé: pour 16 d'entre eux que leur teneur en matière protéiques était inférieure, et ceci d'une manière particulièrement nette pour la journée du 14 février 1990 où les échantillons prélevés présentaient des taux de 28,1 à 28,7 grammes par litre, au minimum pareillement garanti; "que l'infraction est donc bien constituée dans sa matérialité, ces constituants étant des qualités substantielles du lait ainsi que le manifestent d'ailleurs les garanties portées sur l'emballage par le fabricant; "... (que), sur l'intention, ... l'entreprise faisait procéder quotidiennement à des "autocontrôles" qui révélaient, notamment pour les journées de production considérées, des teneurs en matières grasses et surtout en matières protéiques régulièrement et nettement inférieures, par unités analysées, à celles garanties (B. 33 à B. 35); "qu'en raison de leur importance et de leur constance, ces déficits, relevés sur trois jours de production, ne peuvent être considérés comme fortuits; "que les responsables de la laiterie de la Haye ne contestent d'ailleurs pas n'avoir pris en compte que les teneurs moyennes journalières et non les taux par unité produite; "qu'au surplus, la production de la journée du 15 février 1990 ne respectait même pas cette teneur moyenne (B. 34); "... (que) sur l'imputabilité, ... il appartenait à Christian P, directeur général de l'ULN, de mettre en place tous les moyens nécessaires afin de vérifier la conformité de la production de la laiterie de Derval aux minima garantis sur l'emballage et de s'assurer de leur respect en donnant les instructions nécessaires et en répondant aux contrôles appropriés; "qu'il sera relevé que cette unité assurait une bonne partie de la production du groupe puisque, pendant la semaine considérée, elle avait traité 2 044 876 litres de lait UHT (B.37); "... que si, en matière de tromperie, il appartient au chef d'entreprise en vertu de ses pouvoirs d'administration générale de mettre en place un système de contrôle de sa production par rapport notamment aux qualités substantielles qu'il garantit, cela n'exclut pas que la responsabilité pénale d'un de ses préposés puisse être également retenue; "qu'en l'espèce, Jean L, directeur régional de l'ULN et responsable de la laiterie de Derval, a produit du lait UHT qu'il savait, par les autocontrôles qu'il faisait pratiquer, être d'une teneur en matières protéiques notamment, nettement inférieure à celle garantie sur l'emballage, qu'il est donc coauteur de cette tromperie; "... qu'il convient dans l'appréciation des sanctions de tenir compte du volume de production concerné" (arrêt p. 7 5, 6, 7, 8, 9 et p. 8);

"alors qu'il n'y a délit de tromperie au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 que si un contrat a été conclu ou va l'être concernant la marchandise en cause; qu'il résulte des trois procès- verbaux "de prélèvement d'échantillons" établis par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, bases des poursuites, que ces prélèvements ont été effectués avant toute commercialisation des produits; que la cour d'appel n'a d'ailleurs pas constaté que les tetra-bricks de lait litigieux étaient vendus ou en instance de l'être; qu'elle n'a ainsi pas relevé à l'encontre des prévenus un élément constitutif essentiel du délit dont elle les a déclarés coupables; que sa décision manque donc de base légale au regard du texte susvisé";

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré P, directeur général, d'une union de Coopératives dont le siège est à Condé-sur-Vire (50 890), coupable d'une tromperie sur les qualités substantielles du lait conditionné et emballé dans une usine située à Deval (44 390) et dirigée par un préposé; "aux motifs que "sur l'intention,... l'entreprise faisait procéder quotidiennement à des "autocontrôles" qui révèlaient, notamment pour les journées de production considérées, des teneurs en matières grasses et surtout en matières protéiques régulièrement et nettement inférieures, par unités analysées, à celles garanties (B. 33 à B. 35); "qu'en raison de leur importance et de leur constance, ces déficits, relevés sur trois jours de production, ne peuvent être considérés comme fortuits; "que les responsables de la laiterie de la Haye ne contestent d'ailleurs pas n'avoir pris en compte que les teneurs journalières et non les taux par unité produite; "... il appartenait à Christian P, directeur général de l'ULN, de mettre en place tous les moyens nécessaires afin de vérifier la conformité de la production de la laiterie de Derval aux minima garantis sur l'emballage et de s'assurer de leur respect en donnant les instructions nécessaires et en procédant aux contrôles appropriés" (arrêt p. 7, deux derniers et p. 8 1 et 3);

"alors que si, en matière de fraude commerciale, les juges du fond ont tout pouvoir pour reconnaître ou dénier l'existence de la mauvaise foi, leur appréciation à cet égard n'est souveraine que si elle n'est pas contredite par les faits qu'ils ont eux-mêmes constatés et par les conséquences légales que ces faits comportent; qu'en l'espèce la Cour de Rennes n'a pu, sans insuffisance et contradiction, déclarer établie l'intention frauduleuse déniée par P poursuivi en sa qualité de directeur général de l'Union Laiterie Normande dont le siège et l'activité principale sont à Condé- sur-Vire (Manche), sans qu'aucune intervention personnelle ait été retenue à sa charge et au seul motif d'un défaut, de surveillance, sans rechercher, s'agissant d'une des usines du groupe située à Derval (Loire-Atlantique), si la direction de celle-ci n'avait pas qualité pour exercer cette surveillance, et tout en déclarant L, directeur de l'usine, coupable des mêmes faits, pour n'avoir pas tenu compte des résultats des autocontrôles qu'il avait pratiqués";

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 469-2 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré P et L coupables du délit de tromperie, les a condamnés, chacun, à la peine de 50 000 francs d'amende;

"alors que, dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, P et L avaient demandé, au cas où ils seraient déclarés coupables des faits leur étant reprochés, d'être dispensés de peine; que faute de s'être expliquée sur cette demande, la cour d'appel a privé sa décision de motifs";

Les moyens étant réunis; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, pour partie reprises au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue dont elle a déclaré les prévenus coupables; Que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que leur faculté, dont ils ne doivent aucun compte, d'accorder ou non le bénéfice d'une dispense de peine à des prévenus reconnus coupables, ne sauraient être admis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.