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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 29 janvier 2004, n° 01-03055

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Morel

Défendeur :

Ventilairesec (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

MM. Bancal, Bertrand

Avoués :

SCP Fontaine-Macaluso-Jullien, SCP Guizard-Servais

Avocats :

Me Grignon Dumoulin, SCP Beal Vanbatten, SCP Tournier.

T. com. Nîmes, du 21 juin 2001

21 juin 2001

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SA Ventilairsec, entreprise commercialisant des systèmes de ventilation mécanique pour les logements, a conclu le 1er mars 1992 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée avec M. Michel Morel, domicilié à Bernis (30620), lui confiant les 12 départements du Sud de la France suivants: 04, 05, 06, 07, 11, 13, 26, 30, 34, 66, 83, 84 pour vendre ses produits. Ce contrat écrit prenait la suite d'un précédent contrat, en vigueur depuis le 1er octobre 1990.

Par avenant conclu le 1er mars 1995, le secteur géographique a été modifié et ramené aux 9 départements suivants: 11, 13, 30, 34, 48, 66, 84, 2A et 2B, alors que la rémunération sous forme de commission était portée de 10 % à 12 % du montant hors taxes des factures.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 novembre 1995, elle a rompu ce contrat, avec un préavis de trois mois, qui s'est achevé le 28 mars 1996, M. Morel n'ayant reçu cette lettre que le 28 décembre 1995, ainsi qu'il l'indique dans sa lettre en date du 17 décembre 1996.

M. Michel Morel a assigné le 5 décembre 1997 la SA Ventilairsec devant le Tribunal de commerce de Nîmes, sollicitant sa condamnation à lui payer les sommes de:

- 55 000 F à titre de dommages et intérêts,

- 111 900 F à titre d'indemnité de rupture d'un contrat d'agent commercial,

- 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par décision en date du 21 juin 2001, cette juridiction a:

- dit et jugé que M. Michel Morel avait commis des fautes dans l'exécution de son mandat d'agent commercial,

- débouté M. Michel Morel de l'ensemble de ses demandes, et la SA Ventilairsec de sa demande reconventionnelle,

- condamné M. Michel Morel à payer à la SA Ventilairsec la somme de 2 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Le 27 juillet 2001 M. Michel Morel a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 31 octobre 2003 et signifiées à son adversaire le même jour, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, M. Michel Morel soutient que:

- la rupture de son contrat d'agent commercial par la SA Ventilairsec a été collective, avec plusieurs autres agents commerciaux, deux, au motif prétendu d'une insuffisance du chiffre d'affaires réalisé,

- ses performances ont été perturbées par le retard au lancement et les difficultés de mise au point technique, en 1995, du produit Hygrostar,

- la SA Ventilairsec avait accepté, malgré la rupture, le principe d'une indemnité de rupture de 69 933 F TTC par lettres en date du 15 et du 28 janvier 1996,

- seule la faute grave prive l'agent commercial de son indemnité de rupture, et ce n'est pas le cas d'une insuffisance du chiffre d'affaires, alors même que le préavis a été accompli ensuite,

- la SA Ventilairsec doit être condamnée à lui payer une indemnité de rupture évaluée à la somme de 17 072,77 euro, et celle de 8 458,52 euro à titre de dommages et intérêts pour son préjudice supplémentaire causé par la défaillance du mandant lors du lancement du matériel Hygrostar, avec intérêts de retard au taux légal depuis l'assignation et capitalisation des intérêts de retard.

M. Michel Morel sollicite en outre le paiement de la somme de 3 048 euro pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 3 juin 2003 et signifiées à son adversaire le même jour, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, la SA Ventilairsec demande la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de M. Michel Morel à lui payer une somme de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts, reconventionnellement, outre celle de 3 200 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2003.

Pour une plus ample relation des faits, de la procédure et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures déposées par les parties.

Sur ce,

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES DE MOREL:

Attendu que la recevabilité de l'appel principal, comme celle de l'appel incident, ne sont ni contestées ni contestables;

Attendu que la demande principale de M. Michel Morel a pour objet le paiement d'une indemnité de cessation de son contrat d'agent commercial, rompu par la SA Ventilairsec par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 28 décembre 1995, sur le fondement des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, ancien article 12 de la loi du 25 juin 1991;

Que M. Morel a régulièrement notifié au mandataire qu'il entendait faire valoir ses droits à cet égard, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 décembre 1996, dans le délai d'un an prescrit à cet article;

Que l'agent commercial dont le contrat est rompu par son mandant, conformément aux dispositions susvisées, a droit à une indemnité compensatrice du préjudice que lui fait subir la cessation des relations, sauf dans le cas où celle-ci est provoquée par une faute grave de l'agent commercial, en application de l'article L. 134-13, 1° du Code de commerce;

Que la lettre de la SA Ventilairsec notifiant à M. Michel Morae la rupture du contrat d'agent commercial, en date du 23 novembre 1995, ne lui impute aucune faute grave, lui reprochant seulement "le manque d'évolution des ventes dans son secteur", sans autres précisions;

Que le mandant demandait aussi dans cette lettre à l'agent commercial d'accomplir son préavis de trois mois;qu'il ressort par ailleurs de la convention des parties qu'elles n'avaient pas défini entre elles le manque d'évolution des ventes dans le secteur confié à M. Morel comme constitutif d'une faute grave, laquelle est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel;

Qu'au demeurant la SA Ventilairsec, dans sa réponse à la demande de M. Michel Morel du 17 décembre 1996, par lettre en date du 15 janvier 1997, reconnaît devoir une indemnité de rupture à celui-ci, contestant simplement son montant réclamé pour la somme de 350 000 F;

Qu'elle lui a ensuite proposé la somme de 69 933,02 F à titre d'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial, calculée à partir des commissions versées durant les 24 derniers mois, soit la somme de 108 525,02 F, déduction faite de frais prétendument exposés par un autre agent commercial pour assister un client de M. Morel, accusé de défaillance envers celui-ci;

Qu'il s'ensuit que, de l'aveu même du mandant, la rupture du contrat d'agent commercial de M. Michel Morel n'a pas été motivée par la commission d'une faute grave reprochée à celui-ci,quelle que soit la position qu'il adopte depuis l'engagement de la procédure judiciaire, en soutenant désormais que c'est une faute grave qui a motivé cette décision de rupture;

Qu'au surplus la cour relève que M. Michel Morel, exerçant sa fonction depuis plus de 4 ans avec la SA Ventilairsec et dont le taux de rémunération avait alors augmenté, de 10 % à 12 %, avait changé de secteur géographique depuis le 1er mars 1995 et qu'il n'est présenté aucune étude comparative sur ce nouveau secteur, permettant de déterminer l'évolution des ventes entre la période antérieure au 1er mars 1995 et les 8 mois qui ont suivi, jusqu'à la lettre de résiliation;

Que selon le décompte des commissions produits, il apparaît que le montant perçu par l'agent commercial du 1er mars 1995 au 1er mars 1996 était supérieur, donc en progression par rapport à celui de l'année précédente, dans l'ancien secteur géographique (66 611,76 F contre 45 378,28 F); qu'en cet état la preuve d'une activité insuffisante, à l'origine d'un chiffre d'affaires en baisse ou non conforme aux prévisions des parties, imputable à M. Morel, n'est pas rapportée;

Attendu d'autre part que l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas conditionnée en son principe par l'apport de clientèle par le mandataire au mandantet son calcul prend en compte l'ensemble des éléments de la relation commerciale des parties, dont notamment les commissions perçues auprès de la clientèle exploitée régulièrement par l'agent commercial, quelle que soit son origine; que le moyen tiré de l'allégation, contestée au demeurant par M. Morel, de l'absence d'apport par celui-ci de nouveaux clients durant l'exercice de son contrat d'agent commercial, s'avère inopérant de ce chef;

Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris et de dire que la SA Ventilairsec est tenue de payer à M. Michel Morel l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce, correspondant à la perte des revenus tirés de la clientèle dont il est privé, sans contrepartie;

Attendu que sur la base des commissions versées durant les deux dernières années d'exercice du mandat d'agent commercial de M. Michel Morel, de mars 1994 à mars 1996, pour un total de 108 525,02 F + 3 465,02 F, montant du mois d'avril 1994 omis dans le décompte produit et justifié par la facture de la SA Ventilairsec, soit 111 990,04 F (17 072,77 euro), il y a lieu d'évaluer la somme due par la SA Ventilairsec à 17 000 euro, toutes causes de préjudice confondues de ce chef;

Attendu en effet que l'existence de difficultés techniques pour la commercialisation d'un nouveau matériel, même si elle a perturbé la commercialisation effectuée par l'agent commercial, ne caractérise en soi aucune faute du mandant, susceptible d'ouvrir droit à paiement de dommages et intérêts ni d'augmenter l'indemnité de rupture; que cela fait partie des aléas de l'industrie et du commerce, supportés financièrement tant par le mandant que par son mandataire, dans le cadre de leur mandat d'intérêt commun;

Que de même l'intervention de M. Daniel Golunski pour régler des litiges au sein de son secteur géographique après la résiliation de son contrat, ou se substituer à M. Morel lorsqu'il n'était pas disponible ainsi que le rappelait la lettre du 5 janvier 1996, comme les difficultés à obtenir de nouvelles adresses de clients ou de la documentation actualisés, alléguées par l'agent commercial dans sa lettre du 28 décembre 1995, n'ont manifestement pas affecté les résultats commerciaux de M. Morel, qui demeurent en hausse par rapport à l'exercice précédent et sont même très supérieurs en moyenne au 1er trimestre de 1996, par rapport aux trimestres précédents;

Qu'il convient donc de rejeter le surplus de la demande d'indemnité de cessation de contrat comme la demande de dommages et intérêts pour préjudice supplémentaire du fait de la perte alléguée de commissions sur des ventes prétendument rendues impossibles par le retard de mise au point technique du produit Hygrostar, et du fait de l'attitude alléguée de la SA Ventilairsec durant la période de préavis;

Attendu que le préjudice indemnisé étant évalué au jour du présent arrêt, les intérêts au taux légal courront sur la somme de 17 000 euro à compter de cette décision, sans qu'il y ait lieu à leur capitalisation, les conditions de l'article 1154 du Code civil n'étant pas réunies;

SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE:

Attendu que la SA Ventilairsec sollicite la condamnation de M. Michel Morel à l'indemniser du préjudice causé par la perte de deux clients, les sociétés CMI et Vitriflex, en 1992 et 1993;

Mais attendu, d'une part, que lors de la survenance de ces faits, la SA Ventilairsec n'a pas jugé que les fautes alléguées, désormais reprochées à son agent commercial, justifiaient la prise d'une sanction quelconque à son encontre, comme elle pouvait pourtant le faire, elle ne saurait réclamer des dommages et intérêts à ce dernier de ce chef après la rupture de son contrat d'agent commercial motivé par d'autres causes, plusieurs années après les faits;

Que d'autre part, aucun des éléments produits n'établit la responsabilité personnelle de M. Michel Morel dans la perte invoquée de ces deux clients; que notamment la lettre du 20 mars 1995 adressée par la SA Ventilairsec à M. Morel, si elle lui reproche de ne pas avoir suivi la clientèle de la société Vitriflex, ne lui impute aucune responsabilité directe dans le fait que celle-ci se soit adressée à des concurrents au cours des 18 derniers mois;

Qu'en outre la perte momentanée du client CMI (EURL Centre Montpelliérain d'isolation) peut aussi bien provenir des termes agressifs employés par le gérant de la société Ventilairsec dans une lettre du 27 décembre 1991, lui reprochant sa "négligence" à payer une somme "faible" de 327,34 F, et la menaçant de transmettre son dossier à son service de recouvrement, à ses frais en sus, tout en l'informant qu'à l'avenir elle se refusait à la livrer sauf si elle réglait d'avance, ce qui dénote une attitude peu commerciale pour un montant de facture dérisoire;

Que de même il n'est pas rapporté la preuve d'un dommage subi par la SA Ventilairsec du fait d'une mauvaise gestion de son secteur par M. Morel, l'avis donné par l'agent commercial qui l'a remplacé, M. Daniel Golunski, le 14 mai 1996, ne suffisant pas à établir ce préjudice, en l'absence de production des chiffres d'affaires réalisés en 1995 et les années suivantes dans le même secteur géographique connue au niveau national, notamment;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré qui a rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la SA Ventilairsec et de la débouter en conséquence de son appel incident;

SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS:

Attendu qu'il y a lieu de réformer également le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. Michel Morel aux dépens de première instance et à payer à la SA Ventilairsec une somme de 2 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; qu'il y a lieu au contraire de condamner la SA Ventilairsec, qui succombe, aux entiers dépens de première instance et d'appel;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de M. Michel Morel comme de la SA Ventilairsec les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens;

Par ces motifs : La COUR, Statuant, publiquement et par arrêt contradictoire, Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce; Vu les articles 1134,1147, 1153-1, 1154 et 1315 du Code civil, Reçoit les appels en la forme; Réformant le jugement du Tribunal de commerce de Nîmes prononcé le 21 juin 2001; Condamne la SA Ventilairsec à payer à M. Michel Morel une somme de 17 000 euro à titre d'indemnité de cessation de son contrat d'agent commercial, notifiée le 28 décembre 1995, avec intérêts de retard au taux légal à compter de ce jour; Déboute la SA Ventilairsec de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure de première instance; Condamne la SA Ventilairsec aux dépens de première instance et d'appel; Confirme le jugement entrepris pour le surplus; Rejette toutes autres demandes des parties; Autorise la SCP Guizard-Servais, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.