CA Bordeaux, 2e ch., 17 mai 2004, n° 03-05232
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Reytier
Défendeur :
Commext (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Boyreau, Monroux, SCP Touton-Pineau, Figerou
Avocats :
Mes Gravas, Dupouy.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTION DES PARTIES
Par acte du 26 novembre 1998 Monsieur Gilles Reytier a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Bordeaux la SARL Commext qui commercialise des carrelages après importation auprès de grandes surfaces, magasins spécialisés, en paiement de rappel de commissions, d'une indemnité de préavis, d'une indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial pendant la période de 1992 au 31 mars 1994, date de la notification de la rupture, outre les commissions sur commandes prévues ultérieurement à cette date résultant directement de son activité.
Par jugement du 30 mars 2001 le tribunal de commerce a débouté Monsieur Reytier de toutes ses demandes, ce dernier ne justifiant pas d'un contrat d'agent commercial.
Monsieur Reytier a interjeté appel le 17 mai 2001 cet appel enrôlé sous le n° 01-2507 acte radié par ordonnance du 30 septembre 2003 faute de diligences des parties;
Il a été réenrôlé le 14 octobre 2003 sous le n° 03-5232.
Vu les dernières conclusions des:
- 14 octobre 2003 de Monsieur Reytier, 4 février 2004 de la SA Commext.
DISCUSSION
A l'appui de son appel Monsieur Reytier prétend avoir été lié à la société Commext par un contrat d'agent commercial, et donc avoir été mandataire,
Tandis que cette dernière invoque l'existence d'un courtage commercial, le courtier étant un commerçant, mettant en rapport vendeur et acheteur pour faciliter les transactions, n'intervenant pas pour contracter au nom de l'une ou l'autre des parties, contrairement à l'agent commercial qui négocie et conclut toutes opérations commerciales au nom et pour le compte de son mandant.
Il appartient à Monsieur Reytier de rapporter la preuve que le contrat qu'il allègue répond aux exigences de l'article L. 134-1 alinéa 1 du Code du commerce qui précise:
"L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières";
Et à supposer que cette preuve soit rapportée, il doit encore établir:
- que des commissions sont dues par son mandant,
- que la rupture est imputable à ce dernier.
Sur l'existence d'un contrat d'agent commercial:
Si Monsieur Reytier rapporte la preuve:
- qu'il a été inscrit au RCS du Tribunal de commerce de Melun de 1988 au 12 janvier 1995 en qualité d'agent commercial,
- qu'il a perçu des commissions de la société Commext,
Il convient de déterminer à quel titre ces commissions ont pu être payées,
Étant ajouté que Monsieur Reytier était agent commercial d'autres sociétés dont la société Les Docks de Romainville (la LDR) dans laquelle sa compagne Corinne Philis avait des intérêts, que cette circonstance n'est pas exclusive qu'il ait pu mener des opérations d'agent commercial avec cette société en qualité de mandataire de la société Commext.
Preuve du mandat donné par la société Commext à Monsieur Reytier est établie par:
- les lettres de mission des 27 octobre et 12 décembre 2002 aux termes desquelles la société Commext a précisé les conditions fermes des opérations que devait préparer Monsieur Reytier, définissant les matériaux, leur volume, les prix définitifs, le taux de commissionnement,
- les lettres et fax subséquents certes adressés à LDR mais à l'attention de Monsieur Reytier,
- la situation des commissions au 30 juin 1993 détaillant les divers clients et les relevés semestriels de commission LDR et Socimat,
- par la lettre du 21 octobre 1993 qui définit les objectifs détaillés par client pour 1994 ainsi que les conditions liées à ces objectifs et qui propose à Monsieur Reytier la rédaction d'un contrat écrit d'agent commercial définissant plus précisément les obligations respectives des parties, méprenant les objectifs plus haut retenus,
- par la lettre du 21 mars 1994 qui notifie à Monsieur Reytier la rupture de leurs relations pour différents motifs tenant aux clients LDR, Socimat, Bricomarché, Bricorama précisant à propos de ce dernier "l'opération sur laquelle vous nous aviez engagés a été un fiasco total.". "En conséquence, considérant de surcroît qu'il n'y a eu aucune création de clientèle entrant dans notre créneau commercial, il est inutile de poursuivre plus avant... vous trouverez donc en annexe le solde de commissions 93 qui clôture définitivement nos relations".
Cette lettre de rupture est restée sans réponse, avant celle du 23 mars 1995 qui précise:
"L'analyse des années 1993 et 1994 fait ressortir des éléments totalement différents de ce qui vous permette d'avancer dans votre courrier du 31 mars 1994,
C'est pour cela que j'étais dans une obligation d'attente de délai légal pour vous répondre et exprimer mon désaccord sur cette rupture abusive. vous vous êtes servi de moi pour rentrer chez de gros clients avec lesquels j'avais mes introductions. Je vous ai permis de récupérer une usine bulgare produisant des carreaux 15 x 15.
Après avoir effectué une enquête approfondie auprès de mes différents clients qui sont devenus les vôtres grâce à mon travail, je me vois contraint de vous demander une indemnité de rupture de contrat abusive".
Monsieur Reytier rapporte donc la preuve de l'existence d'un contrat d'agent commercial conclu fin 1992 auquel a mis fin le 21 mars 1994 la société Commext.
Sur le solde de commissions:
Monsieur Reytier dont le contrat a été rompu le 21 mars 1994, a attendu plus de 5 années pour réclamer en cours d'instance paiement d'un solde de commissions fixé forfaitairement à 1 500 000 F pour les motifs suivants:
"En fonction des comptes présentés par Commext pour les années 1993 et 1994 pour les commandes passées par Monsieur Reytier ou par Commext avec la clientèle de Monsieur Reytier en 1995 et 1996 après la résiliation du contrat.
En effet, il était dû en commandes avant la résiliation
pour Bricorama au 31 mars 1994: 400 000F
pour Baktor: 120 000F
pour Dubois Matériaux: 60 000F
pour LDR: 200 000F
et pour Socimat: 70 000F
TOTAL: 850 000F
et depuis la résiliation au moins 850 000 F en fonction des objectifs fixés à 750 000 F et 1 000 000 F par an pendant deux ans, chiffre ramené à 1 500 000 F.
Ce chiffre de commissions est confirmé par les objectifs fixés par Commext pour 1993 (750 000 F) et 1994 (1 000 000 F). Car s'il n'avait pas obtenu dès 1993 l'objectif fixé, l'objectif 1994 n'aurait pu être porté à un chiffre supérieur et au moins égal ('minimum 750 000 F)."
Toutefois Madame Le Roch expert-comptable a, par écrit, attesté le 30 décembre 1999 que ne figure pas dans la comptabilité de 1991 à 1995 de la société Commext des factures pour les clients suivants: Bricorama - Baktor - Bao - Chrétien -Bricosphère -Domaxel - Castorama;
Par ailleurs la Socimat selon les factures versées au dossier était cliente de Commext antérieurement à l'intervention de Monsieur Reytier, et son représentant Monsieur Peudevin a attesté avoir eu pour seul interlocuteur Monsieur Palacin gérant de la Commext, pour une opération;
L'opération Bricorama - Baktor a été annulée selon les fax versés au dossier;
En suite d'incidents de paiement selon les fax versés au dossier, Commext a été contrainte de reprendre les marchandises commandées par LDR, et aucun élément du dossier n'établit l'existence de commandes passées par LDR par l'intermédiaire de Monsieur Reytier; de façon plus générale un rappel de commissions ne peut être établi sur la base d'objectifs mais sur des commandes effectives passées par l'intermédiaire de l'agent pendant son mandat ou principalement due à son activité.
Page 8 in fine de ses dernières conclusions Monsieur Reytier propose un autre calcul plus précis de rappel de commissions qui ne paraît pas repris page 22 et dans le dispositif;
Quoiqu'il en soit, cette demande, à la supposer maintenue, n'est pas justifiée.
Il ne peut donc rien être alloué à Monsieur Reytier au titre de rappel de commissions.
Sur la rupture du contrat:
Par application des articles L. 134-12 et 13 du Code du commerce:
"En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice de préavis en réparation du préjudice subi" et cette réparation n'est pas due "si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent".
En l'espèce c'est la société Commext qui a pris l'initiative de la rupture le 21 mars 1994 en notifiant à Monsieur Reytier un certain nombre de griefs;
A supposer même ceux-ci justifiés, ils ne caractérisent pas la faute grave dès lors que les obligations respectives des parties n'avaient pas été formalisées par écrit, qu'aucun courrier préalable ne faisait précisément état de difficultés particulières susceptibles de justifier la rupture.
Monsieur Reytier est donc en droit de réclamer une indemnité de rupture par application de l'article L. 134-12 du Code du commerce et une indemnité compensatrice de préavis de 2 mois, les relations ayant duré plus d'un an, par application de l'article L. 134-11 du même Code sur la base des commissions effectivement payées et des offres de la Commext et eu égard à la brièveté des relations, au peu d'efficacité dont a fait preuve l'agent, dans les conditions qui suivent, les intérêts étant calculés par application de l'article 1153-1 du Code civil à compter de l'assignation introductive d'instance dans la cadre de la réparation intégrale du préjudice.
Sur l'indemnisation de la perte de clientèle:
Monsieur Reytier prétend que les médisances de la société Commext ont anéanti sa propre clientèle, il n'en justifie pas, et réparation du préjudice subi par la rupture lui est donnée.
Sur les frais irrépétibles:
Il est équitable de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans les conditions qui suivent.
DECISION
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement; Condamne la société Commext à payer à Monsieur Reytier les sommes de: 1°) 12 000 euros à titre d'indemnité de rupture, 2°) 2 055 euros à titre d'indemnité de préavis, 3°) 2 500 euros au titre des frais irrépétibles; outre les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de l'assignation introductive d'instance pour ce qui concerne les deux premières sommes; Déboute les parties de leurs autres demandes; Condamne la société Commext aux dépens de première instance et d'appel, application étant faite de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.