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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 14 janvier 2004, n° 2002-12123

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

San Marina (SA)

Défendeur :

SM Nice TNL (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

SCP Gibou- Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Loubeyre, Gastaldi.

T. com. Paris, 15e ch., du 31 mai 2002

31 mai 2002

N'étant pas payée par sa franchisée du prix de ses dernières fournitures, la SA San Marina a attrait le 9 janvier 2001, la SARL SM Nice TNL (société TNL) devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre condamner à lui payer 153 812,17 F, augmentés des intérêts au taux contractuel de 7,74 % l'an, à compter du 28 juin 2000, outre, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges, 20 000 F de frais irrépétibles et la capitalisation annuelle des intérêts. Subsidiairement, elle a requis la résiliation du contrat de franchise du 15 avril 1998 aux torts exclusifs de la société TNL et la condamnation de celle-ci à lui payer 250 000 F de dommages et intérêts "pour atteinte à son image de marque et à l'efficacité de son réseau commercial", et 300 000 F de dommages et intérêts "pour perte de marge consécutive à la rupture abusive de la franchise", autre la restitution "manuelle" des panonceaux-enseignes sous astreinte de 5 000 F par jour de retard, passé le délai de huit jours "suivant l'assignation".

La société TNL a attrait le même jour la société San Marina devant la même juridiction aux fins de l'entendre condamner à lui payer 1 116 964 F en réparation du dommage éprouvé du fait la rupture de la franchise par inexécution des engagements du franchiseur et de lui rembourser le droit d'entrée de 60 000 F outre la TVA, majorés des intérêts "depuis la date à laquelle les mensualités ont été payées". La société TNL a aussi sollicité la compensation de l'indemnité requise avec la somme de 153 812,17 F restant due au franchiseur, et 40 000 F de frais non compris dans les dépens.

Par jugement contradictoire du 31 mai 2002, le tribunal a:

- joint les cieux instances,

- prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société San Marina et donné acte à la société TNL de ce qu'elle tient à disposition du franchiseur, les panonceaux et enseignes,

- condamné la société San Marina à payer à la société TNL 150 000 euros de dommages et intérêts, majorés des intérêts au taux légal à compter du légal à compter du jugement,

- condamné la société TNL à payer à la société San Marina 23 448,51 euros (153 812,17 F),

- ordonné la compensation entre les deux sommes,

- et condamné la société San Marina à verser 6 000 euros de frais irrépétibles à la société TNL.

Appelante le 27 juin 2002, la société San Marina indique, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 17 octobre 2003, avoir toujours approvisionné la société TNL malgré ses retards chroniques de paiement, jusqu'au 5 mai 2000, date à laquelle la franchisée a temporairement suspendu son activité suite à un dégât des eaux dans son magasin du centre commercial Carrefour en centre-ville de Nice. Elle constate que le montant de l'arriéré n'est pas contesté et elle prétend:

- qu'elle a immédiatement délégué ses services techniques afin d'étudier les travaux à effectuer pour la remise en état du local de la société TNL et en a fait parvenir le résultat à l'expert de la compagnie d'assurance de cette dernière,

- que la société TNL a expressément refusé la dernière livraison du 9 mai 2000, en raison précisément du sinistre survenu,

- que la franchisée a ensuite à nouveau sollicité le 13 septembre 2000 une livraison en s'engageant à payer l'arriéré, pour finalement refuser les marchandises les 4 et 18 octobre suivants, en n'en prenant pas livraison en dépit des relances qui lui ont été envoyées, de sorte que le franchiseur conteste vigoureusement être à l'origine d'une prétendue rupture d'approvisionnement.

La société San Marina en déduit qu'après la survenance du sinistre, la société TNL n'a jamais eu l'intention réelle de reprendre son activité commerciale et subodore qu'elle sollicite l'indemnisation par son franchiseur de prétendus préjudices pour lesquels elle sollicite par ailleurs l'indemnisation de son assureur à hauteur globalement de 1 515 422 F.

Elle fait essentiellement valoir:

- que l'intimée ne jouissait de l'exclusivité que dans le périmètre du centre commercial, la boutique ouverte Boulevard Masséna étant au demeurant une "boutique de centre ville" ne faisant pas directement concurrence à la boutique "de centre commercial",

- que la franchisée a, de fait, cessé son activité en ayant cédé le bail de son local le 30 novembre 2000, au prix de 1,3 MF, l'extrait Kbis du registre du commerce révélant une cessation définitive d'activité le 1er décembre 2000,

- qu'en arrêtant son activité commerciale, la société TNL a "de facto" rompu unilatéralement le contrat de franchise sans le solliciter judiciairement au mépris de l'article 1184 du Code civil.

L'appelante conteste aussi l'évaluation du préjudice invoqué par l'intimée et estime que celle- ci a déjà cédé son droit au bail pour un montant supérieur à la valeur du fonds de commerce de chaussure résultant des normes d'évaluation de la profession. Elle objecte que la baisse invoquée du chiffre d'affaires résulte de la seule cessation d'activité et que l'intimée ne justifie pas de la réalité des travaux dont elle sollicite l'indemnisation.

La société San Marina conclut à la réformation du jugement et sollicite:

- la condamnation de la société TNL à lui payer 23 448,51 euros (153 812,17 F), majorés des intérêts au taux contractuel de 7,74 % l'an, à compter du 28 juin 2000 et leur capitalisation annuelle,

- le prononcé de la résiliation du contrat de franchise au jour de la cession de bail du 30 novembre 2000, aux torts exclusifs de la société TNL,

- la condamnation en conséquence de cette dernière à lui payer 38 112,25 euros (250 000 F) pour atteinte à son image de marque et à l'efficacité du réseau, et 45 734,71 euros (300 000 F) au titre des dommages et intérêts pour perte de marge,

- la restitution "physique" des panonceaux et enseignes au siège de l'appelante et aux frais de l'intimée, sous astreinte de 762,25 euros par jour de retard, passé le délai de huit jours suivant la signification de l'arrêt,

- 4 500 euros de frais irrépétibles.

Intimée, la société TNL réplique, dans des conclusions signifiées le 4 novembre 2003, que nonobstant le dégât des eaux qu'elle subissait le 5 mai 2000, le franchiseur n'a pas hésité, dès le 26 mai suivant, à la mettre en demeure de payer le montant de la dernière commande, au mépris de son obligation d'assister le franchisé, et à l'exclure de fait des franchisés en omettant de la convoquer à la réunion d'octobre 2000 de ceux-ci. Elle prétend qu'une commande de 1 744 paires de chaussure étant en attente depuis mars 2000 et qu'en cessant les livraisons en dépit d'une mise en demeure du 13 septembre 2000, la société San Marina l'acculait à la ruine et l'a contrainte de rechercher une solution de rechange soit la cession de son droit au bail, afin d'éviter de tout perdre.

Elle s'insurge contre les affirmations de l'appelante insinuant qu'elle payait toujours en retard, alors qu'elle avait opté pour le paiement comptant et le bénéfice de l'escompte, lequel a, au demeurant, été unilatéralement baissé d'un point par le franchiseur.

Elle prétend ne pas avoir été en état d'ouvrir son commerce malgré une tentative deux mois après le sinistre, du fait de la carence du franchiseur qui n'a pas renouvelé la marchandise en dépit de ses demandes, l'ouverture n'étant pas commercialement concevable, selon l'analyse de l'intimée, avec seulement 650 paires de chaussures en stock, alors que celui-ci était habituellement de 4 000 paires et que le magasin récemment ouvert par la société San Marina à proximité disposait de 10 000 paires de chaussures.

Elle indique avoir seulement perçu 150 000 F de son assureur.

La société TNL conclut à la confirmation du jugement entrepris, en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusif du franchiseur et lui a donné acte de la mise à disposition des panonceaux et enseignes.

Poursuivant sa réformation des chefs de ses autres demandes, elle sollicite la condamnation de la société San Marina à lui payer:

- 170 280,06 euros (1 116 964 F), augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, au titre globalement,

- de la valeur des éléments du fonds de commerce autres que le droit au bail et le remboursement des travaux initialement exécutés et devenus inutiles du fait de la cession du droit au bail,

- de la perte de marge brute sur la vente de la marchandise qui ne lui a pas été livrée,

- de la perte de chance de "s'adonner à d'autres activités et d'utiliser ses possibilités à des fins lucratives conformes à sa vocation de société de commerce",

- 150 000 euros en réparation du préjudice économique résultant "de l'immobilisation des sommes auxquelles elle avait manifestement droit depuis la rupture du contrat de franchise",

- 9 146,94 euros (60 000 F), outre TVA et intérêts depuis la date à laquelle les mensualités correspondantes ont été réglées, au titre du remboursement du droit d'entrée.

L'intimée requiert aussi 6 097,96 euros (40 000 F) de frais non compris dans les dépens.

Sur ce,

Sur le solde du prix des marchandises antérieurement livrées:

Considérant que le montant principal du solde réclamé n'est pas contesté;

Que les différentes missives des 28 juin, 7 juillet, 14 et 29 novembre 2000, ne contiennent pas une interpellation suffisante pour faire courir les intérêts moratoires dans les conditions prescrites par l'article 1153 du Code civil, de sorte que ceux-ci ne seront appliqués qu'à compter de l'assignation du 9 janvier 2001, valant mise en demeure;

Considérant par ailleurs, que l'article 10 b du contrat de franchise stipule que les intérêts seront calculés "au taux d'escompte de la Banque de France majoré de 5 points" et que la société TNL n'a pas contredit la société San Marina lorsque celle-ci a indiqué que le taux d'escompte concerné était de 2,74 %;

Qu'il résulte par ailleurs, de la relation de la procédure par les premiers juges, que la capitalisation annuelle des intérêts a été judiciairement demandée pour la première fois le 30 novembre 2001 devant le tribunal;

Qu'en conséquence le montant de 23 448,51 euros (153 812,17 F), sera majorés des intérêts au taux de 7,74 % l'an à compter du 9 janvier 2001, la capitalisation annuelle, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, étant appliquée à partir du 30 novembre 2001;

Sur la résiliation du contrat de franchise et les indemnités correspondantes:

Considérant qu'il est constant que la société TNL a cédé le 30 novembre 2000, le droit au bail de son local commercial et qu'elle n'exploite plus le magasin de vente de chaussures, objet de la franchise depuis cette date au plus tard;

Considérant que le franchisé étant un commerçant indépendant du franchiseur, l'obligation d'assistance de ce dernier concerne l'exploitation de la franchise elle-même et n'implique pas l'obligation pour le franchiseur de renoncer à l'application des clauses financières du contrat, lorsque le franchisé est victime d'un sinistre affectant le fonctionnement normal de son magasin;

Qu'en outre, aux termes de l'article 13 du contrat, le franchisé s'est engagé à souscrire toute police d'assurance rendue nécessaire par l'exercice de son activité en veillant à prémunir son exploitation contre les différents sinistres susceptibles de l'affecter et de souscrire notamment, une assurance perte d'exploitation;

Qu'en conséquence, les marchandises livrées avant la survenance du sinistre étaient contractuellement payables au plus tard dans un délai de 60 jours, en application des stipulations de l'article 10 b du contrat;

Considérant aussi qu'il ressort de l'émargement figurant sur le bulletin de livraison du transporteur, que la société TNL a effectivement refusé la marchandise le 9 mai 2000 au motif de la survenance du dégât des eaux dans son magasin en précisant "attendre instructions.";

Qu'elle prétend néanmoins s'être trouvée en difficulté lors de la réouverture du magasin, du fait d'une insuffisance de marchandises;

Mais considérant qu'elle ne justifie pas avoir transmis les instructions de reprise de livraison suite à celles de suspension données lors de la tentative de livraison du 9 mai 2000 et que les termes de la prétendue mise en demeure contenue dans la lettre du 13 septembre 2000 de son conseil à la société San Marina, ne comportent pas de précision sur les marchandises dont la livraison immédiate est sollicitée;

Qu'il résulte des lettres recommandées des 18 octobre et 14 novembre 2000, du franchiseur à la franchisée, lesquelles sont restées sans réponse, que cette dernière n'a pas pris livraison des marchandises qui lui étaient à nouveau expédiées;

Que par ailleurs, il n'est pas davantage allégué, ni a fortiori démontré, que l'ouverture du magasin San Marina boulevard Masséna à Nice, se situait à l'intérieur du territoire concédé défini à l'article 2 du contrat de franchise;

Qu'en conséquence, la société TNL ne rapporte pas la démonstration, qui lui incombe, d'avoir été contrainte par l'attitude du franchiseur, de cesser son activité et de céder son droit au bail;

Considérant en revanche, qu'en cédant le droit au bail du local dans lequel elle exploitait initialement son commerce de vente au détail de chaussures et sans le reprendre à proximité immédiate dans le périmètre défini au contrat, ni même annoncer qu'elle allait le faire dans un proche délai, la société TNL a, de fait, rompu le contrat de franchise à la date de la cession du bail le 30 novembre 2000, toutes ses prétentions à l'encontre de la société San Marina, s'en trouvant dès lors, sans fondement;

Considérant par ailleurs, que cette dernière ne rapporte pas davantage la preuve de l'atteinte alléguée à son image et à l'organisation du réseau;

Que le franchisé n'ayant pas d'obligation de réaliser un chiffre d'affaire minimum, le franchiseur ne justifie pas non plus de la certitude d'une perte de marge sur la vente des produits pendant la durée restant initialement à courir de la franchise;

Sur la restitution des panonceaux et enseignes:

Considérant que le jugement dont appel a donné acte à la société TNL de ce qu'elle les tient à la disposition de la société San Marina;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 16 du contrat de franchise, la restitution de l'enseigne et de tous matériels, est à la charge et aux frais du franchisé sous la pénalité journalière de 5 000 F (762,25 euros) sans précision de délai;

Qu'il convient en conséquence d'ordonner la restitution des panonceaux et enseignes dans les conditions du contrat en octroyant à la franchisée, un délai de quinze jours pour le faire, à compter de la signification de l'arrêt, tout en limitant le calcul de la peine pendant un mois, délai à l'issue duquel il sera, le cas échéant, à nouveau fait droit dans le cadre de l'exécution de l'arrêt;

Considérant aussi, qu'il serait inéquitable de laisser à la société San Marina la charge définitive des frais irrépétibles qu'elle a exposés tout au long de l'instance;

Par ces motifs: Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il joint les deux instances originelles, Statuant à nouveau, Condamne la SARL SM Nice TNL à payer à la SA San Marina 23 448,51 euros majorés des intérêts au taux de 7,74 % l'an à compter du 9 janvier 2001, avec capitalisation annuelle, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à partir du 30 novembre 2001; Dit que le contrat de franchise est résilié depuis le 30 novembre 2000, aux torts exclusifs de la société SM Nice TNL; Déboute la SARL SM Nice TNL de toutes ses demandes et la SA San Marina de ses autres prétentions; Condamne en outre la SARL SM Nice TNL aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la SA San Marina, 4 500 euros de frais irrépétibles; Admet la SCP Gibou-Pignot & Grappotte-Benetreau au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.