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Décisions

Cass. crim., 22 août 1990, n° 86-92.614

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

UFC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchella (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Souppe

Avocat général :

M. Rabut

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, Me Roger.

Paris, 13e ch. Corr., du 10 avr. 1986

10 avril 1986

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par l'Union fédérale des consommateurs, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris (13e chambre correctionnelle), en date du 10 avril 1986, qui a déclaré irrecevable son action contre Robert M, Guy M2 et la compagnie X civilement responsable du chef de loterie prohibée. Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 46 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 21 mai 1836, 410 et 411 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action civile de l'organisation exposante du chef de loterie prohibée ;

" aux motifs qu'il est constant que l'Union fédérale des consommateurs est une association dont les statuts lui donnent mission de représenter en tous lieux et auprès de toutes instances, et notamment en justice, les intérêts matériels et moraux des consommateurs et usagers ; qu'elle a été agréée par les arrêtés des 8 juillet 1976 et 4 décembre 1981 pour exercer l'action civile dans le cadre des dispositions de l'article 46 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ; que ces dispositions permettant aux associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs d'exercer devant toutes les juridictions l'action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs sont dérogatoires au droit commun ; qu'elles sont, toutefois, d'interprétation étroite ; que les associations de consommateurs agréées pour exercer l'action civile ne tiennent d'aucune disposition de la loi le droit de poursuivre la réparation du trouble que porte une infraction aux intérêts généraux de la société, cette réparation étant assurée par l'exercice de l'action publique ; qu'en l'espèce, l'Union fédérale des consommateurs (UFC) qui s'élève contre les contrats de capitalisation avec tirage au sort, dénommés " Carat ", offerts à sa clientèle par la compagnie X et a pris l'initiative de poursuites du chef de " loterie prohibée " à l'encontre de son président-directeur général et du directeur de la branche " capitalisation " n'était nullement habilitée à mettre en mouvement l'action publique, le délit reproché sanctionnant une atteinte à l'ordre public et non à l'intérêt des consommateurs ; qu'en effet, contrairement à ce que soutient l'UFC, dans toute loterie ou opération assimilée, le joueur, en l'absence de manœuvres frauduleuses dont il serait victime, ne subit aucun préjudice dont il puisse demander réparation, le gagnant pouvant à l'évidence se prévaloir d'un gain tandis que le perdant ayant accepté librement et en toute connaissance de cause de " courir sa chance ", n'a pas sujet à se plaindre si celle-ci ne lui est pas favorable ;

" alors que la circonstance qu'un texte a été édicté dans un intérêt général ne saurait faire échec à l'application de l'article 46 de la loi du 27 décembre 1973 autorisant les associations régulièrement déclarées et agréées, ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts de consommateurs, d'exercer devant toutes les juridictions l'action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ; que la prohibition des loteries prévues par la loi du 21 mai 1836 a pour objet d'éviter que l'espérance d'un gain acquis par voie du sort n'amène le public à perdre de l'argent ; qu'elle a ainsi pour objet la protection et l'intérêt collectif des consommateurs auxquels sa violation porte préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, en affirmant que le délit de " loterie prohibée " sanctionne une atteinte à l'ordre public et non à l'intérêt des consommateurs, a méconnu les principes ci-dessus rappelés ;

" alors, surtout, que l'intérêt collectif des consommateurs est distinct du dommage subi personnellement par chacun de ces consommateurs de sorte que la cour d'appel ne pouvait déclarer l'action de l'organisation de consommateurs exposante irrecevable en se fondant sur l'absence prétendue de préjudice du joueur participant à une loterie ou opération assimilée " ;

Vu lesdits articles ; - Attendu que la prohibition des loteries, qui ont pour résultat l'attribution par l'intervention du hasard d'un bien de consommation aux joueurs, tend à la protection de ces derniers contre l'attrait de l'aléa que ces jeux comportent ;qu'il s'ensuit que sa transgression, pénalement punissable, est de nature à porter atteinte non seulement à l'intérêt général mais aussi à l'intérêt collectif des consommateurs ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que l'Union fédérale des consommateurs, organisme habilité par application de l'article 46 de la loi du 27 décembre 1973 à exercer l'action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, a cité Robert M et Guy M2 ainsi que la compagnie X comme civilement responsables devant la juridiction correctionnelle du chef de loterie prohibée pour avoir accordé un avantage par voie de tirage au sort aux souscripteurs du contrat de capitalisation proposé au public ;

Attendu que pour déclarer cette action irrecevable, la cour d'appel énonce que le délit reproché porte atteinte à l'ordre public et non à l'intérêt des consommateurs dès lors que dans toute loterie ou opération assimilée le joueur en l'absence de manœuvres frauduleuses dont il serait victime ne subit aucun préjudice, le gagnant pouvant se prévaloir d'un gain tandis que le perdant, ayant accepté librement et en toute connaissance de cause de " courir sa chance, n'a pas sujet de se plaindre si celle-ci ne lui est pas favorable " ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi alors que le préjudice direct ou indirect porté par une infraction à l'intérêt collectif des consommateurs ne se confond pas avec le préjudice subi personnellement par les victimes directes de l'infraction, la cour d'appel a méconnu la partie des textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ; D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 10 avril 1986, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi : Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.