CA Versailles, ch. com. réunies, 8 juin 2004, n° 02-03579
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fiat Auto France (SA)
Défendeur :
Paty Automobiles (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
Mmes Valantin, Brylinski, MM. Coupin, Fedou
Avoués :
Mes Ricard, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Mes Henry, Fourgoux
Faits et procédure:
La société Fiat Auto France (société Fiat), liée à la SA Paty Automobiles (société Paty) par un contrat de concession exclusive à durée indéterminée, pour la région de Nogent-le-Rotrou, conclu le 2 janvier 1989, a expédié à son concessionnaire, le 10 août 1996, une lettre contenant résiliation du contrat pour le 31 août 1997.
Puis, après lui avoir expédié une mise en demeure en raison de sommes restées impayées, la société Fiat, par courrier en date du 3 février 1997, a finalement résilié le contrat de concession avec effet immédiat, en application de l'article 7-2b du contrat.
Le 27 avril suivant, la société Paty a saisi le Tribunal de commerce de Paris en invoquant une rupture abusive. Outre des dommages-intérêts, elle a sollicité le paiement de sommes au titre d'une prime dite "MOS" (Minimum Operating Standard) pour les années 1994, 1995 et 1996.
Par jugement prononcé le 6 avril 1998, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu le caractère abusif de la rupture et a fait droit aux demandes de paiement de dommages-intérêts, de paiement du stock et de paiement des primes MOS pour 1994 et 1995.
Sur appel de la société Fiat, la Cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et a débouté la société Paty de l'ensemble de ses demandes, dans un arrêt rendu le 20 octobre 1999.
La Cour de cassation, formation commerciale, financière et économique, statuant le 26 mars 2002 sur le pourvoi formé par la société Paty, a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris "Mais seulement en ce qu'il a écarté la demande en paiement de la société Paty au titre de primes dites "MOS 1994" et a renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Versailles. Elle a reproché à la Cour d'appel de Paris de ne pas avoir examiné les justificatifs présentés par la société Paty à titre de preuve de la créance qu'elle revendiquait.
Prétentions et moyens des parties:
Devant la présente cour, la société Paty demande:
De confirmer le jugement du Tribunal de commerce en ce qu'il a condamné la société Fiat à lui payer la somme de 201 199 F HT soit 30 672,53 euros au titre de la prime MOS 1994 ce, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 1994 selon un taux majoré en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce (soit la somme de 17 273,56 euros au 11 mars 2003) à parfaire au jour du prononcé de l'arrêt.
Elle demande également que la cour condamne la société Fiat au paiement de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la date de la résiliation du contrat de concession en réparation du préjudice qu'elle a subi et d'une somme au titre de la perte de chance, ainsi que des frais de procédure;
Qu'enfin, elle déboute la société Fiat de l'ensemble de ses demandes et la condamne au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
S'agissant de sa demande de paiement de la prime MOS, fondée sur la circulaire de la société Fiat du 10 février 1994 destinée à favoriser la qualité de services indépendamment du volume des ventes, elle fait valoir qu'elle a fourni à la société tous les éléments exigés par la circulaire qui ne posait aucune condition de délai pour les donner;
Elle sollicite que la cour réévalue le montant des sommes dues à compter de sa date d'exigibilité au 31 décembre 1994 en appliquant 1,5 fois le taux de l'intérêt au taux légal en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce.
Par ailleurs, estimant que le non-paiement de cette prime est à l'origine directe de sa situation financière défavorable, dans la mesure où l'allocation de la prime MOS 1994 lui aurait permis de satisfaire l'impayé lequel a favorisé la demande de résiliation de la SA Fiat qui, autrement, aurait dû la motiver par la réorganisation de son réseau, la société Paty demande de condamner la société Fiat à des dommages-intérêts correspondant à une année de marge brute car elle considère qu'un préavis d'un an aurait dû lui être accordé, comme le prévoit le contrat de concession;
En outre, elle sollicite l'indemnisation de sa perte de chance de voir son activité se poursuivre; elle l'évalue au coût de licenciement de son personnel après la résiliation et à la valeur de son stock de pièces détachées qu'elle n'a pas pu écouler.
Elle considère que sa prétention est recevable en application de l'article 565 du nouveau Code de procédure civile en tant qu'elle tend aux mêmes fins que sa demande de paiement de la prime MOS 1994 dont elle ne fait que tirer les conséquences logiques;
La société Fiat conclut à l'infirmation des dispositions du jugement du Tribunal de commerce concernant la prime MOS 94 en considérant qu'elle n'est redevable d'aucune somme à ce titre; elle estime que la SA Paty n'a pas droit à la prime MOS 94 car elle n'a pas fourni les justificatifs dans le délai de 45 jours de la fin du trimestre;
Que ceux qui avaient été transmis en 1995 étaient inexploitables et que finalement les CRA (documents de gestion dits CRA) remaniés ont été transmis en 1997 et non en 1995;
Elle demande de fixer en tout état de cause, le point de départ des intérêts dus sur cette prime à la date de l'assignation devant le tribunal de commerce;
A titre subsidiaire,
Elle réclame le débouté de la société Paty de ses prétentions au titre de la cessation de ses relations contractuelles;
Elle invoque tout d'abord l'irrecevabilité de ces demandes, en tant qu'elles tendent à remettre en cause la résiliation du contrat de concession alors que la cassation ne porte pas sur ce point; elle oppose l'autorité de chose jugée. Elle souligne que la société Paty reprend à l'appui de sa demande de dommages-intérêts les mêmes arguments que ceux développés à l'appui de la résiliation abusive du contrat de concession;
Elle fait valoir que de toute façon, la société Paty ne démontre pas le lien de causalité existant entre l'absence de versement de la prime MOS 1994 et la résiliation du contrat de concession, ni le préjudice qu'elle prétend avoir subi et qu'elle fixe en référence à la durée du préavis dont elle aurait dû bénéficier à son avis, ni la perte de chance reliée au coût de licenciement de son personnel et du prix du stock de pièces détachées;
En tout état de cause, elle soulève l'irrecevabilité de la demande nouvelle présentée au titre des frais de procédure et faisant, de toute façon, double emploi avec celle relative aux frais non répétibles.
Elle demande à titre personnel de condamner la société Paty au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Elle fait essentiellement valoir que les conditions d'attribution de la prime MOS 1994 n'étaient pas remplies; qu'en particulier, la société Paty n'a pas fourni les justificatifs dans les 45 jours de la fin du trimestre;
Que compte tenu de leur production en 1997, les intérêts ne peuvent courir qu'à compter de l'assignation;
Elle souligne que les demandes d'indemnisation concernent la demande de résiliation du contrat de concession; qu'il y a identité de cause, de parties et d'objet alors que la cassation ne porte pas sur ce point;
Que la société Paty ne démontre aucun lien de causalité entre le non-paiement de la prime de 1994 et la résiliation du contrat de concession, ni d'ailleurs le préjudice subi.
Motifs de la décision:
Sur la demande de paiement de la "prime dite MOS" (Minimum Operating Standard) pour l'année 1994;
Considérant que selon la circulaire du 10 février 1994, l'obtention de la prime supposait la présence d'un contrat en cours, la mise à disposition des éléments du bilan officiel et les données de gestion provenant des documents de gestion CRS (compte de résultat sectoriels), l'obtention d'un minimum de notes CSI (indice de satisfaction de la clientèle établi par un sondage effectué par une société indépendante, la Sofres);
Que le montant de la prime MOS, indépendante de la prime de volume, était ainsi calculé en fonction des points obtenus par le concessionnaire pour son respect des standards établis pour la vente de ses produits par la SA Fiat France, multipliés par un coefficient CSI (indice de satisfaction de la clientèle opéré par sondage), avec application d'un pourcentage variant entre 0,5 % et 2,5 % sur la facture brute de Fiat Auto France auprès du concessionnaire; que le nombre de points minimum pour l'obtention de la prime était de 500 points pour l'année 1994;
Considérant qu'il ressort d'une lettre datée du 23 octobre 1995 de la SA Fiat au Groupement Amical des Concessionnaires Fiat que les document de gestion CRA de la concession de Nogent-le-Rotrou (SA Paty) transmis au conseiller de gestion durant l'année 1994 se sont révélés inexploitables;
Que dès lors, il apparaît que le délai de la transmission des documents exigés ne se trouvait pas en cause mais seulement leur lisibilité; que de nouveaux documents ont été transmis au cours de l'année 1997;
Considérant que la SA Fiat Auto France prétend que les documents ont été remaniés et que de tels documents devaient être présentés dans les 45 jours comme prévu dans une lettre en date du 14 novembre 1988 expédiée au prédécesseur de la SA Paty;
Que cependant, si cette lettre mentionne qu'à la fin de chaque trimestre, le compte de résultat sectoriel et le bilan sur le modèle Fiat devaient être transmis dans les quinze jours de la date d'arrêté, elle ne vise pas les documents remaniés;
Que dans ces conditions, la SA Fiat Auto France n'est pas fondée à opposer la tardiveté des documents transmis;
Considérant s'agissant du montant de cette prime, que la SA Paty fournit à l'appui du montant de prime qu'elle revendique un document faisant ressortir la vente de 183 véhicules pour un prix total de 8 047 960,73 F (1 226 903,70 euros ) en 1994; que la SA Fiat Auto France qui oppose que le prix total a été de 7 601 148,53 F (1 158 787,62 euros) ne fournit toutefois qu'un document incomplet contenant le détail des ventes pour le dernier trimestre 1994 avec indication du montant global; qu'elle ne donne aucune explication sur les raisons de cette différence de montant alors que la SA Paty a produit un document relatant in extenso toutes les ventes de l'année 1994 qui ne se trouvent pas contredites de façon sérieuse par la SA Fiat Auto France;
Qu'il sera, en conséquence, retenu un montant de facturation brute de 8 047 960,73 F (1 226 903,70 euros), de sorte qu'au vu du nombre de points obtenus par la SA Paty, le montant de la prime est de 2,5 % soit un montant de 201 199 F (30 672,59 euros) HT; ainsi qu'en avait décidé les premiers juges;
Considérant que la SA Paty demande que la somme accordée au titre de la prime MOS soit augmentée à compter du 31 décembre 1994, d'un taux d'intérêt légal majoré à une fois et demie en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce;
Considérant que selon cet article, en sa rédaction issue de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 tel que modifié par les lois des 31 décembre 1992 et 29 janvier 1993, applicable en l'espèce:
"Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les modalités de calcul et les conditions dans lesquelles des pénalités sont appliquées dans les cas où les sommes dues sont versées après la date de paiement figurant sur la facture lorsque le versement intervient au-delà du délai fixé par les conditions générales de vente;
Ces pénalités sont d'un montant au moins équivalent à celui qui résulterait de l'application d'un taux égal à une fois et demie le taux de l'intérêt légal";
Qu'il résulte de ce texte, que les pénalités ont une origine contractuelle et doivent avoir été prévues par les parties;
Or,considérant que la circulaire qui est à l'origine de la prime MOS ne prévoit aucune pénalité au cas de non-règlement;qu'il n'est pas produit d'acte contractuel relatif à l'application de pénalités pour retard;que dans ces conditions, la demande d'application de pénalités en l'absence de toute preuve de clause les prévoyant, n'est pas fondée;
Que dès lors, seuls les intérêts au taux légal sont dus, et ce, à compter de la mise en demeure de la SA Fiat Auto France soit à compter du 24 avril 1997, date de son assignation devant le Tribunal de commerce de Paris à défaut d'autre preuve;
Sur le préjudice causé à la SA Paty en raison du non-paiement de la prime MOS 1994:
Considérant que la SA Paty tend à obtenir paiement de dommages-intérêts au titre de la réparation de son préjudice subi par la mise en péril de sa situation financière sollicitant à ce titre le paiement d'une année de préavis soit la marge bénéficiaire brute de toutes ses activités confondues et son indemnisation au titre de la perte de chance de voir son activité commerciale se poursuivre et se développer;
Qu'elle fait valoir qu'en refusant le paiement de la prime MOS 1994, la SA Fiat Auto France l'a placée dans une situation périlleuse et sans issue;qu'elle l'a privée de la possibilité de régler une créance impayée de 108 720,03 F (16 574,26 euros) et ainsi de poursuivre son activité commerciale et qu'au contraire, elle a été contrainte de procéder au licenciement de son personnel et n'a pas pu écouler son stock de marchandises;
Considérant que la SA Fiat Auto France oppose l'autorité de chose jugée; que la SA Paty soutient que l'objet de sa demande d'indemnisation a un objet différent dans la mesure où elle ne demande plus à être indemnisée en raison du caractère abusif de la rupture du contrat de concession mais des conséquences préjudiciables du non-paiement de la prime MOS de 1994;
Considérant que le litige concerne les mêmes parties; que la demande a pour objet une indemnisation et pour cause la faute commise par la société Fiat Auto France;
Considérant à cet égard que, selon la SA Paty la faute réside dans le non-paiement de la prime MOS 1994 qui est à l'origine du préjudice matériel qu'elle a subi;
Maisconsidérant que ce préjudice est directement lié à la rupture du contrat de concession; que par cette demande d'indemnisation, la SA Paty remet en cause la résiliation intervenue et son absence de caractère abusif;
Considérant que, dans l'arrêt de cassation partielle prononcé le 26 mars 2002, la chambre commerciale, économique et financière, prenant en considération, l'existence d'impayés, a constaté que la SA Fiat avait résilié le contrat de concession en application de l'article 7-2 b du contrat au motif que sa mise en demeure n'avait pas été suivie d'effet dans les 8 jours et a considéré "qu'en l'état de ces seules constatations, il ressort que la SA Fiat n'a fait qu'appliquer la clause résolutoire de plein droit dans les conditions prévues au contrat ce qui excluait tout abus de sa part...";
Qu'en l'absence de cassation sur le caractère abusif de la résiliation du contrat de concession, il est désormais jugé de façon irrévocable que la résiliation n'a pas un caractère abusif;
Considérant que l'arrêt ayant déjà pris en considération le moyen lié au non-paiement de la prime MOS 1994 en tant qu'impayé, sans le retenir comme un élément susceptible d'ouvrir droit à une indemnisation, dans ces conditions, la SA Paty est irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée, à solliciter un dédommagement pour préjudice matériel en invoquant de nouveau l'absence de règlement de la prime MOS 1994;
Considérant, s'agissant de l'indemnisation sollicitée pour perte de chance, que la SA Paty ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité directe entre le non-paiement de la prime MOS pour l'année 1994 et la résiliation intervenue alors que pour s'opposer à la résiliation, elle faisait état d'autres sommes dues par la société Fiat Auto France (autres primes MOS 1995 et 1996, paiement de fournitures....);
Que le paiement à temps de la prime MOS 1994, qui devait intervenir courant 1995 il n'excluait pas la survenance d'autres événements susceptibles de maintenir la SA Paty en situation de débit à l'égard de la société Fiat Auto France;
Qu'en l'occurrence, il résulte des éléments du dossier que la SA Paty disposait de garanties importantes; qu'elle était également créancière de la SA Fiat qui en avait connaissance; et que la résiliation est survenue par application de la résiliation de plein droit du seul fait du non-respect du paiement sous huit jours après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception, sans vérification des motifs de l'absence de paiement;
Qu'à défaut du lien de causalité directe démontré entre l'absence de paiement de la prime MOS 1994 et la résiliation, la SA Paty ne peut, en conséquence, qu'être déboutée de sa demande d'indemnisation pour perte de chance;
Sur la demande de remboursement au titre des frais:
Considérant que la SA Paty demande remboursement des frais qu'elle a exposés comme frais de procédure;
Or, considérant que cette demande qui est nouvelle est irrecevable en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile;
Que de toute façon, la SA Paty ne justifie pas de frais exceptionnels; qu'autrement, le régime de ces frais est défini par les articles relatifs aux dépens (696 à 699 du nouveau Code de procédure civile) ou l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais qui ne sont pas compris dans les dépens;
Qu'en conséquence, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de ce chef;
Considérant que la SA Paty succombe en son recours, qu'elle devra supporter les dépens d'appel outre les dépens de première instance; qu'en outre, l'équité commande d'accorder à la SA Fiat Auto France une indemnité de 650 euros en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, sur renvoi après cassation partielle de la décision de la Cour d'appel de Paris du 20 octobre 1999 par l'arrêt prononcé par la chambre commerciale, économique et financière le 26 mars 2002; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SA Fiat Auto France à payer à la SA Paty automobiles une somme de 201 199 F HT soit 30 672,59 euros avec intérêts au taux légal, sauf à fixer leur point de départ au jour de l'assignation du 24 avril 1997; Condamne la SA Paty à régler à la société Fiat Auto France la somme de 650 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA Paty Automobiles aux dépens des deux instances et autorise Maître Ricard, avoué, à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.