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Décisions

Cass. crim., 27 février 1995, n° 92-86.868

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

Me Ryziger, SCP Célice, Blancpain.

Paris, 13e ch., du 9 déc. 1992

9 décembre 1992

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par C Jean-Pierre, D Paraskeva, W Claude, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 9 décembre 1992, qui, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise et détention de denrées falsifiées, les a condamnés chacun à 50 000 francs d'amende dont 40 000 francs avec sursis. - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 30 et 36 du traité de Rome, de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la décision attaquée a déclaré les demandeurs coupables du délit de tromperie sur les qualités substantielles et la composition de la marchandise en offrant à la vente des bonbons en chocolat qui contenaient de l'acide sorbique, additif dont l'emploi n'est pas autorisé par la réglementation en vigueur et détenu sans motif légitime des bonbons en chocolat de la nature précisée ci-dessus ;

" aux motifs qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 7 juin 1982, modifié par arrêté du 19 janvier 1984, l'addition d'acide sorbique n'est autorisée que dans les fourrages de confiserie, de chocolats de type " fondant" et pour une dose maximale de un gramme par kilogramme et un pH inférieur à 5 ; que le fourrage des Chocolats Léonidas type "Manon" et "Tête de cheval", à base de crème fraîche, ne saurait être qualifié de "fondant" au sens de l'article susvisé ; que la réglementation française en matière d'usage d'acide sorbique étant à l'évidence à la fois claire et accessible, notamment pour des chocolatiers de profession, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu les textes visés à la prévention et constaté que les prévenus se sont rendus coupables d'infraction à ces textes ; qu'aux termes de l'article 36 du traité de Rome du 25 mars 1957, la protection de la santé et de la vie des personnes, des animaux et des végétaux, autorise les Etats à limiter l'application du principe de la libre circulation des biens entre membres de la Communauté, sous réserve de ne pas instituer des discriminations arbitraires ou des restrictions déguisées ; que la réglementation française relative à l'usage d'acide sorbique dans les denrées alimentaires entre par son objet, comme l'ont indiqué de façon circonstanciée les premiers juges, dans le champ d'application des intérêts visés par l'article 36 ; que, d'application générale, ces règles ne sont manifestement ni discriminatoires, ni restrictives du commerce interétatique, s'appliquant dans un but de protection de la santé, aussi bien dans d'autres Etats de la Communauté hors de celle-ci ; que les prévenus soutiennent, en outre, que la procédure d'autorisation d'emploi d'additifs en application de l'article 1er du décret du 15 avril 1912, dont les modalités sont définies par une circulaire du 8 août 1980, serait non conforme au droit européen ; qu'il résulte cependant du dossier qu'aucun des prévenus n'a même soutenu qu' il avait sollicité une pareille autorisation ; que donc, à supposer même que cette procédure soit considérée comme non conforme, cette circonstance serait sans effet sur les faits de la cause ;

" et aux motifs adoptés des premiers juges que la règle générale instaurée par l'article 30 comporte un renvoi à l'article 36 du traité de Rome, permettant aux Etats membres d'interdire ou restreindre l'importation, l'exportation ou le transit de produits pour des raisons "de protection, de la santé et de la vie des personnes" ; que la Cour de justice des Communautés européennes, saisie par le Tribunal correctionnel de Marseille qui l'a interrogée sur la compatibilité de la réglementation française prohibant l'utilisation d'acide sorbique dans la pâtisserie, a indiqué par arrêt du 13 décembre 1990 que les articles 30 et 36 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre interdise la commercialisation d'une denrée alimentaire importée d'un autre Etat membre où elle est également produite et commercialisée, à laquelle une des substances énumérées à l'article 1er de la directive du 5 novembre 1963 a été ajoutée, pourvu que dans l'Etat membre d'importation, la commercialisation de cette denrée soit autorisée selon une procédure aisément accessible aux opérateurs économiques et qui puisse être menée à terme dans les délais raisonnables, lorsque l'adjonction de la substance répond à un besoin réel, notamment d'ordre technologique, et qu'elle ne présente pas un risque pour la santé publique ; qu'il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer dans chaque cas à la lumière des habitudes alimentaires nationales, et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à l'article 36 du traité ; que les conditions auxquelles l'arrêt ci-dessus rappelé subordonne l'application de l'article 36 du traité de Rome sont remplies en l'espèce ; qu'en effet, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France et l'Académie nationale de médecine ont estimé nécessaire de fixer, pour l'acide sorbique, une dose journalière admissible (DJA) limitée de 0 à 25 mg par kilogramme et rendant nécessaire des limitations qualitatives et quantitatives d'emploi ; qu'à cette fin ont été instituées des prohibitions assorties d'une procédure d'autorisation explicitée, en application du décret du 15 avril 1912, par la circulaire du 8 août 1980 publiée au Journal officiel du 25 septembre 1980, facilement accessible à tous ; qu'à l'occasion de chaque demande, les instances saisies s'assurent que l'autorisation d'emploi de l'additif, d'une part répond à une nécessité technologique, d'autre part, ne risque pas d'entraîner un dépassement significatif de la DJA, compte tenu des autorisations déjà accordées pour d'autres denrées alimentaires ; qu'aucune demande d'autorisation n'a été déposée ni par la société Léonidas ni par les importateurs français ; qu'il résulte de ce qui précède que l'interdiction d'ajouter de l'acide sorbique dans les confiseries litigieuses a été édictée en fonction de la consommation globale de cet additif, compte tenu des produits offerts aux consommateurs et des habitudes alimentaires de ceux-ci ; que la réglementation française, dans la mesure où elle a pour objet la protection de la santé publique, où elle a organisé une procédure d'autorisation rendue publique, entre bien dans les prévisions de l'article 36 du traité de Rome tel qu'interprété par la Cour de justice ;

" alors, d'une part, qu'il résulte de l'article 36 du traité de Rome, tel qu'interprété par arrêt de la Cour de justice des Communautés du 13 décembre 1990, que si les articles 30 et 36 du traité CEE ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre interdise la commercialisation d'une denrée alimentaire, importée d'un autre Etat membre où elle est légalement produite et commercialisée, à laquelle une des substances énumérées à l'annexe 1 de la directive n° 64-54 CEE du Conseil du 5 novembre 1963 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les agents alimentaires pouvant être employés dans les denrées destinés à y être ajoutés, c'est à la condition que les autorités nationales compétentes aient démontré, dans chaque cas, à la lumière des habitudes alimentaires nationales, et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à l'article 36 du traité ; qu'en l'espèce actuelle, les premiers juges, dont la cour a adopté les motifs, se sont fondés, pour considérer que la réglementation était nécessaire, sur l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique en France et celui de l'Académie nationale de médecine estimant nécessaire de fixer pour l'acide sorbique une dose journalière admissible limitée de 0 à 25 mg par kilogramme et rendant nécessaire des limitations qualitatives et quantitatives d'emploi ; que la référence à l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et à celui de l'Académie nationale de médecine ne sauraient être considérées comme tenant compte de la recherche scientifique internationale exigée pour qu'une réglementation nationale puisse interdire l'importation d'une denrée alimentaire légalement produite et commercialisée dans un autre Etat membre, et dans laquelle a été introduit un agent conservateur figurant dans la liste de l'annexe 1 de la directive n° 64-54 CEE du Conseil du 5 novembre 1963 ;

" alors, d'autre part, que le fait qu'un opérateur économique n'ait pas personnellement sollicité une autorisation de dérogation à la législation nationale est sans effet sur la compatibilité de la réglementation nationale avec le droit communautaire, la réglementation nationale ne pouvant être appliquée si elle est régulière et l'opérateur intéressé ne pouvant être astreint en toute hypothèse à solliciter une autorisation suivant une procédure qui n'est pas susceptible d'aboutir dans un délai raisonnable au sens de la jurisprudence communautaire ;

" alors, de troisième part, que l'interdiction de la commercialisation d'une denrée alimentaire comportant l'adjonction des agents conservateurs énumérés à l'annexe 1 de la directive n° 64-54 CEE du Conseil du 5 novembre 1963 légalement produite et commercialisée dans un autre Etat membre n'est conforme aux articles 30 et 36 du traité CEE qu'à condition que dans l'Etat membre d'importation la commercialisation de cette denrée puisse être autorisée selon une procédure aisément accessible aux opérateurs économiques et qui puisse être menée dans des délais raisonnables ; qu'en l'espèce actuelle, il résulte du décret du 15 avril 1912 portant règlement d'administration publique de la loi du 1er août 1905 qu'il est interdit de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre, toute marchandise et denrée destinées à l'alimentation humaine, lorsqu'elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par les arrêtés pris de concert par le ministre de l'Agriculture et du développement rural, le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre du Développement industriel et scientifique et le ministre de la Santé publique, sur l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et de l'Académie nationale de médecine ; qu'il résulte de ce texte que la procédure à laquelle font allusion les premiers juges, dans des motifs adoptés par la cour, et qui résulte d'une simple circulaire du 8 août 1980 ne saurait être considérée comme répondant aux exigences du droit communautaire, puisqu'elle est manifestement illégale sur le plan du droit interne, dans la mesure où elle résulte d'une simple circulaire, qui ne saurait déroger à un décret, lequel prévoit l'intervention d'arrêté interministériel pour autoriser l'utilisation de certaines substances ;

" alors, enfin, que les demandeurs avaient fait valoir que le principe de la proportionnalité, dégagé par la Cour de justice exige que si une procédure d'autorisation est mise en place par un Etat membre, cette dernière doit être aisément accessible et doit aboutir dans des délais raisonnables ; qu'enfin, il doit s'agir d'un acte de portée générale ; que la circulaire du 8 août 1980 n'imposait aucun délai impératif à l'Administration pour l'octroi de l'autorisation et que son examen démontre que les modalités pratiques de la constitution du dossier sont fort complexes ; que de plus, la consultation des deux assemblées scientifiques que sont l'Académie nationale de médecine et le Conseil supérieur d'hygiène publique soulignent la lourdeur de la procédure instaurée par la France, de sorte que l'autorisation ne pouvait intervenir dans des délais raisonnables ; que le recours juridictionnel ouvert aux opérateurs économiques s'avère lui aussi fort long, puisqu'en cas de refus une procédure doit être engagée devant les juridictions administratives dont la durée est de plusieurs années ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce point, qu'en ne recherchant pas si la procédure existant en droit interne, laquelle résultait de la circulaire du 8 août 1980, était conforme au droit européen, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision au regard des articles 30 et 36 du traité de Rome " ;

Vu lesdits articles, ensemble les dispositions de la directive n° 64-54 CEE du 5 novembre 1963 ; - Attendu que, selon les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité des Communautés européennes, les restrictions à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ; que si certaines interdictions sont cependant admises, notamment pour des raisons tenant à la protection de la santé publique, c'est à la condition que ces interdictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'à la suite de contrôles de chocolats de marque Léonidas en provenance de Belgique et de la mise en évidence d'acide sorbique, utilisé comme agent conservateur du fourrage de confiserie fait à base de crème fraîche, Jean-Pierre C, Paraskeva D et Claude W, distributeurs de ces produits, ont été poursuivis devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905 devenus L. 213-1 et L. 213-3 du Code de la consommation, 1 et 2 du décret du 15 avril 1912 alors applicable, pour détention de denrées falsifiées et tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise ; Que les prévenus ont soutenu devant les juges du fond que l'interdiction d'un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un Etat membre était contraire aux dispositions de l'article 30 du traité CEE et de la directive n° 64-54 CEE du 5 novembre 1963 ;

Attendu que, pour écarter les conclusions des prévenus et les déclarer coupables des faits visés à la prévention, la cour d'appel énonce, tant par motifs propres que par motifs adoptés des premiers juges, que l'interdiction d'ajouter de l'acide sorbique dans les confiseries a été édictée, à partir d'études scientifiques faites en France, en fonction de la consommation globale de cet additif, eu égard aux produits offerts aux consommateurs français et aux habitudes alimentaires de ceux-ci ; qu'en conséquence, la réglementation nationale, qui a bien pour objet la protection de la santé publique et qui au demeurant organise une procédure d'autorisation à l'intention des opérateurs économiques qui en feraient la demande, satisfait pleinement, selon les juges, aux exigences de l'article 36 du traité CEE telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Bellon du 13 décembre 1990 ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si, en dehors des travaux scientifiques réalisés en France, les résultats de la recherche internationale justifiaient l'interdiction d'un additif autorisé au sein de la Communauté européenne en raison de son utilité technologique et de son absence de risque pour la santé et sans vérifier, par ailleurs, si la procédure d'autorisation, prévue par une circulaire, présentait toutes les garanties nécessaires pour préserver les droits des importateurs de produits comportant un tel additif, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes et principes susvisés ; D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 9 décembre 1992, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Dijon.