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Décisions

Cass. crim., 27 février 1995, n° 89-83.952

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

Me Ryziger, SCP Célice, Blancpain.

Colmar, ch. corr., du 9 mai 1989

9 mai 1989

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par K René, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 9 mai 1989, qui, pour infractions aux articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905, l'a condamné à 10 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 30 et 36 du traité de Rome, 11-4 de la loi du 1er août 1905 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré René K coupable du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise et de vente de denrées alimentaires falsifiées ;

" aux motifs qu'il n'existe pas de texte communautaire autorisant les incorporations des additifs conservateurs et édulcorants découverts dans les salades, interdits en France ; que leur interdiction relevant de la protection de la santé publique, constitue une exception comme il est prévu à l'article 36 du traité de Rome et ne contient pas de mesure discriminatoire à l'encontre de la production d'autres Etats membres, de sorte qu'il n'y a lieu à renvoi en interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes ; et que le prévenu aurait dû faire procéder à des analyses comme il en avait l'obligation, pour vérifier la conformité du produit aux normes françaises ; que, d'ailleurs des salades étaient qualifiées d'"alsacienne" ce qui ne correspond pas à une fabrication allemande spécialement destinée à l'exportation ;

" alors que, d'une part, l'exception prévue à l'article 36 est subordonnée à la démonstration que la mesure nationale est bien justifiée et proportionnée à ce qui est nécessaire aux fins d'une protection efficace de la santé publique compte tenu, notamment de l'état de la recherche scientifique internationale et des habitudes alimentaires de la population du pays d'importation ; qu'à défaut de cette preuve, l'interdiction d'importation décidée par une législation nationale est contraire à l'article 30 même s'il n'en résulte pas de discrimination à l'égard des produits importés, d'autres Etats membres ; qu'en se bornant à une simple affirmation, sans préciser en quoi l'interdiction d'utiliser de la saccharine ainsi que certains colorants (acides benzoïque et sorbique) dans les préparations alimentaires était indispensable à la sauvegarde de la santé publique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de condamnation ;

" alors que, d'autre part, selon la Cour de justice, ainsi qu'il résulte notamment d'un arrêt du 11 mai 1989 dans l'affaire Wurmser, l'obligation de vérification mise à la charge de l'importateur par la loi de 1905, n'est conforme au traité que dans la mesure où elle n'est pas assortie d'exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu, notamment, des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur ; qu'ainsi faute de rechercher si les analyses prévues par le texte précité n'excédaient pas l'objectif visé et si l'importateur ne disposait pas d'autres moyens de preuve, lui permettant normalement de considérer que les produits commercialisés répondaient aux normes internes, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;

" alors, enfin que, d'autre part, la prévention était strictement limitée à une prétendue tromperie "en raison de la présence dans le produit de saccharine" et "à la mise en vente de produits comportant des additifs non autorisés", de sorte que, dans la mesure où l'arrêt retient d'autres chefs de prévention éventuellement liés à l'origine des produits mais non débattus, il sort des limites de la poursuite violant ainsi l'article 388 du Code de procédure pénale ; que pour les mêmes raisons, l'arrêt qui se fonde sur des faits non débattus viole l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Vu lesdits articles, ensemble les dispositions de la directive n° 64-54 CEE du 5 novembre 1963 ; - Attendu que, selon les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité des Communautés européennes, les restrictions à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ; que si certaines interdictions sont cependant admises, notamment pour des raisons tenant à la protection de la santé publique, c'est à la condition que ces interdictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'à la suite de contrôles de salades composées en provenance d'Allemagne et de la mise en évidence d'additifs utilisés comme agents conservateurs ou comme édulcorants, René K, gérant de la société X, importateur de ces produits, a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905 devenus les articles L. 213-1 et L. 213-3 du Code de la consommation, 49 de la loi du 30 mars 1902, 1er et 2 du décret du 15 avril 1912 alors applicable, pour détention de denrées falsifiées et tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise ;

Attendu que, pour déclarer René K coupable des faits visés à la prévention, les juges du fond relèvent que la commercialisation de denrées alimentaires, comportant des additifs autres que ceux prévus par la réglementation, est illicite en France ; qu'ils ajoutent que cette interdiction s'applique aux produits importés, même légalement fabriqués et commercialisés dans un Etat membre de la CEE, sans que cette mesure, justifiée par la protection de la santé publique, puisse être considérée, en l'absence de textes communautaires autorisant l'emploi de tels produits, comme une entrave à la libre circulation des marchandises ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'en l'état de l'harmonisation intervenue au sein de la Communauté européenne à la suite de l'entrée en vigueur de la directive n° 64-54 CEE, un Etat membre ne pouvait interdire la commercialisation d'une denrée comportant un des additifs visés par ce texte qu'à la double condition que cette interdiction fût justifiée compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale ainsi que des habitudes alimentaires du pays et, en outre, qu'elle pût faire l'objet, le cas échéant, de dérogations éventuelles, à la demande des importateurs de ces produits, selon des modalités accessibles et dans un délai raisonnable, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés ; D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Colmar, en date du 9 mai 1989 et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Dijon.