Cass. crim., 20 mars 1996, n° 95-80.266
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Rapporteur :
M. Mistral
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Blanc.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par I Philippe, B Jacques, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 1994, qui les a condamnés, le premier, pour tromperie, infraction à l'article 1er de la loi du 24 juin 1928 et complicité de faux en écritures privées et d'usage de faux, à 6 mois d'emprisonnement assortis du sursis simple et à une amende de 20 000 francs, le second, pour complicité de tromperie, à 2 mois d'emprisonnement assortis du même sursis et à une amende de 8 000 francs, et a prononcé sur les réparations civiles; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Vu les mémoires produits; - Sur le premier moyen de cassation proposé par Philippe I et pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, des articles 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, de l'article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Philippe I coupable de tromperie;
"aux motifs que Philippe I, acquéreur courant septembre 1989 d'un véhicule BMW 530 I, gravement accidenté l'a, après réparations et au vu d'un certificat de contrôle de l'exécution des travaux par Jacques B, expert, sollicité par la société Y, l'a fait immatriculé au nom de Jacqueline L puis, par l'intermédiaire de Robert G, l'a revendu au garage X d'Aurillac en échange avec soulte d'un véhicule BMW 525 TD; que ce véhicule a été revendu le 23 août 1990 à la société CGA Automobiles et qu'à l'occasion de la revente envisagée de ce véhicule à un client, il a été constaté que ce véhicule avait été gravement accidenté et mal réparé et qu'il se trouvait atteint de vices le rendant impropre à l'usage auquel il est destiné, présentant en effet des traces de réparations très mal exécutées et en dehors des règles de l'art et de méthodologie préconisées par le constructeur; que Philippe I n'a été en mesure de produire des factures de réparations et de fournitures de pièces que pour des montants minimes au regard du coût des réparations estimées par l'expert Vivier qui avait à l'origine examiné le véhicule et l'avait considéré comme non économiquement réparable; que ses allégations sur la réalité des travaux effectuées sont contredites par les témoins et notamment par le carrossier Nanko selon lequel c'est Philippe I qui, non-professionnel de l'automobile, avait effectué l'essentiel des travaux; que les anomalies dont était atteint le véhicule vendu provenaient de réparations non effectuées dans les règles de l'art par Philippe I lui-même, par des amis non-professionnels ou par des professionnels travaillant "au noir" et à l'économie ce que Philippe I ne pouvait ignorer lorsqu'il a revendu ce véhicule aux Etablissements X;
"et aux motifs que la mauvaise foi de Philippe I résulte suffisamment des conditions dans lesquelles s'est opéré l'échange de ce véhicule défectueux contre un autre véhicule semblable et d'un état conforme et qui montre qu'il voulait rester le plus possible anonyme telles que la mise du véhicule au nom de Jacqueline L, sa mère, qui ignorait tout de l'opération, à la prise par lui du nom de Jacqueline L lors des transactions, à la prise de faux nom par son intermédiaire G; que Philippe I ne saurait invoquer sa méconnaissance des vices entachant le véhicule et qui résultaient de son propre fait au motif que l'expert Jacques B avait certifié le bon état de ce véhicule au regard de la sécurité dans la mesure où cette certification n'apparaît que de pure complaisance; qu'en effet Jacques B qui n'a pas respecté la procédure de l'arrêt du 14 avril 1986 pour la remise en état des véhicules classe VGA (c'est-à-dire véhicules gravement accidentés) n'a pu justifier de la réalité même de l'examen personnel du véhicule et de la connaissance des réparations devant être effectuées, telles qu'elles résultaient de l'expertise Vivier;
"1°) alors que la loi du 1er août 1905 n'institue aucune présomption de mauvaise foi et que la cour d'appel qui avait expressément constaté que l'expert Jacques B qui avait été sollicité par le garage Y qui avait vendu le véhicule BMW 530 I, avait certifié le bon état du véhicule au regard de la sécurité ce qui impliquait que Philippe I pouvait avoir toute confiance qu'il avait été procédé à la vérification dans les règles de l'art de l'état du véhicule après réparation, ne pouvait déduire la mauvaise foi du demandeur qui n'est pas un professionnel de l'automobile, de la circonstance que cet expert n'avait pas respecté la procédure de l'arrêté du 14 avril 1986 pour la remise en état des véhicules classe VGA, sans s'expliquer sur le point de savoir si Philippe I avait connaissance de la réglementation et de sa méconnaissance par l'expert et sans rechercher s'il existait une collusion entre lui et l'expert Jacques B désigné par son propre vendeur;
"2°) alors que la présomption d'innocence qui doit bénéficier à tout prévenu impose à la partie poursuivante de rapporter la preuve de tous les éléments -y compris intentionnels- de l'infraction et que les motifs de la décision attaquée impliquent manifestement un renversement de la charge de la preuve;
"3°) alors que le délit de tromperie n'est constitué qu'autant que le prévenu a connu à l'époque de la transaction reprochée l'état défectueux ou non conforme de la marchandise; que cette connaissance doit résulter sans ambiguïté des énonciations des juges du fond et qu'en se bornant à faire état de la volonté de Philippe I de rester le plus anonyme possible lors de la vente d'un véhicule dont la conformité était attestée par un expert, l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé cette connaissance et que dès lors sa décision est dépourvue de base légale;
"4°) alors que, pour établir sa bonne foi, Philippe I soutenait dans ses conclusions déposées devant la cour, qu'il avait fait procéder aux réparations du véhicule accidenté par M. Nanko, garagiste qui, à cet effet, avait demandé à être réglé en espèces pour que la remise en état soit effectuée à moindre prix; que certes ce professionnel avait contesté lors de son audition par la gendarmerie avoir effectué les travaux concernés mais que ses allégations n'étaient nullement crédibles dans la mesure où les factures d'approvisionnement auprès des concessionnaires BMW s'étaient trouvées toutes libellées à La Carrosserie Jean-Michel, raison sociale de la SARL gérée par M. Nanko et qu'en ne s'expliquant pas sur ce chef péremptoire des conclusions du demandeur, la cour d'appel a méconnu les dispositions impératives de l'article 593 du Code de procédure pénale;
"5°) alors qu'en matière de tromperie, la mauvaise foi du prévenu doit être appréciée par référence aux personnalités respectives des parties au contrat; que Philippe I faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il n'était pas un professionnel de l'automobile et qu'au contraire, la société X, acheteur, était spécialisée dans la réparation et la vente de véhicules d'occasion et que, dès lors, elle était présumée être en mesure de s'assurer exactement de l'état du véhicule qui lui était proposé et que l'arrêt qui n'a pas répondu à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu encourt la censure de la Cour de cassation";
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par le même demandeur et pris de la violation de l'article 1er de la loi du 24 juin 1928, de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de l'article 121-3 du nouveau Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, de l'article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Philippe I coupable de suppression frauduleuse d'un numéro de série et d'immatriculation d'un véhicule;
"aux motifs que le véhicule Range Rover qui appartenait à la société Cofibail et qui était loué à un sieur Georget avait été accidenté le 3 décembre 1989, classé non réparable économiquement et vendu à l'état d'épave avec la carte grise le 7 janvier 1990 à Philippe I pour la somme de 60 000 francs alors que la meilleure offre des récupérateurs n'était que de 28 000 francs; que l'expertise a montré que le véhicule n'avait pas été réparé, aucune trace de démontage n'apparaissant mais que l'ensemble des numéros d'identification du châssis et de la caisse avaient été burinés ou falsifiés et que de fortes présomptions existaient que la carte grise achetée par Philippe I avec l'épave avait en fait et simplement été affectée à un autre véhicule d'origine inconnue; que Philippe I a prétendu avoir réparé le véhicule avec l'aide de copains dont un certain Didier P mais que l'information a montré qu'il mentait et qu'il apparaît établi qu'il est le seul responsable de l'achat, de la transformation, de la revente et donc de la falsification du véhicule par suppression des numéros d'identification;
"1°) alors que pour relaxer le demandeur du chef de recel de vol du véhicule Range Rover, la cour d'appel a expressément constaté que l'enquête n'avait pas permis d'identifier l'origine exacte de ce véhicule, qu'il se déduit de cette constatation qu'il est impossible de savoir entre quelles mains le véhicule en cause a pu passer et par conséquent, s'il y a eu altération des numéros d'identification du châssis et de la caisse, à quel moment cette altération a pu se produire et si Philippe I en est l'auteur;
"2°) alors que le caractère frauduleux de l'altération, élément essentiel du délit prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 24 juin 1928 s'évinçait selon la prévention de la provenance délictueuse du véhicule et que cette circonstance ayant été écartée par l'arrêt, la cour d'appel ne pouvait sans insuffisance et sans renversement de la charge de la preuve, déduire la mauvaise foi du prévenu d'une simple hypothèse non vérifiée par elle à savoir l'affectation purement éventuelle de la carte grise achetée par Philippe I avec l'épave à un autre véhicule d'origine inconnue";
Sur le troisième moyen de cassation, proposé par le même demandeur et pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, des articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société CGA Automobiles et lui a alloué des dommages-intérêts;
"1°) alors qu'en matière de tromperie, seul le contractant est recevable à se constituer partie civile; qu'en l'espèce selon les énonciations de l'arrêt, Philippe I avait vendu le véhicule BMW à la société X qui l'avait elle-même revendu à la société CGA Automobiles, en sorte que cette dernière qui n'avait manifestement pas, dans la transaction poursuivie à l'encontre du demandeur, la qualité de contractant ne pouvait invoquer un préjudice direct pouvant servir de base à une intervention civile devant la juridiction répressive;
"2°) alors que l'existence, au profit de la partie civile, d'un préjudice direct résultant de l'infraction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision";
Et sur le moyen unique de cassation proposé par Jacques B et pris de la violation des articles 59 et 60 de l'ancien Code pénal, 121-7 du nouveau Code pénal, 1 de la loi du 1er août 1905, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jacques B, expert en automobile, coupable de complicité du délit de tromperie reproché à Philippe I pour avoir trompé son cocontractant sur les risques inhérents à l'utilisation d'un véhicule BMW qu'il avait revendu après avoir fait procéder aux réparations nécessaires;
"aux motifs que Jacques B avait certifié le bon état de ce véhicule au regard de la sécurité; qu'il n'avait pas respecté la procédure de l'arrêté du 14 avril 1986 pour la remise en état des véhicules classés "VGA" et n'avait pu justifier de la réalité de l'examen personnel de véhicule, de la personne à qui il avait fait ses recommandations en vue des travaux, dans le mesure où Philippe I, qui ne l'avait pas rencontré, n'avait pas été en mesure d'indiquer le nom du réparateur; qu'en permettant, grâce à un certificat de complaisance, la remise en circulation d'un véhicule susceptible d'être encore dangereux, Jacques B s'était rendu complice de la tromperie commise par Philippe I, toute remise sur le marché d'un véhicule d'une valeur supposée importante permettant d'envisager qu'il fera, à plus ou moins brève échéance, l'objet d'une revente, même si l'identité du futur acquéreur n'était pas connue;
"alors, d'une part, que la complicité suppose le dessein de s'associer à la commission d'une infraction et la volonté de permettre la réalisation de celle-ci par son auteur principal ; qu'en considérant que la simple délivrance par Jacques B d'un certificat permettant la remise en circulation du véhicule le rendait complice de la tromperie commise par Philippe I, dans la mesure où la remise sur le marché du véhicule "permettait d'invisager" qu'il ferait un jour l'objet d'une revente à un acquéreur potentiel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision;
"alors, d'autre part, que la complicité suppose qu'une aide ait été apportée à l'auteur principal de l'infraction dans les faits qui ont facilité son action; que la cour d'appel, qui a constaté que Jacques B n'avait jamais rencontré Philippe I, aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si les deux hommes, qui ne se connaissaient pas, n'avaient pas été dans l'impossibilité d'agir de concert";
Les moyens étant réunis; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, et du jugement qu'il confirme partiellement, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que par des motifs dépourvus d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les prévenus dans le détail de leur argumentation, a, sans inverser la charge de la preuve et sans méconnaître la présomption d'innocence, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, matériels et intentionnel, d'une part le délit de tromperie et l'infraction à l'article 1er de la loi du 24 juin 1928 - devenu l'article L. 217-2 du Code de la consommation - d'autre part, la complicité de tromperie dont elle a déclaré, respectivement, Philippe I et Jacques B coupables et ainsi justifié l'allocation à la partie civile de l'indemnité propre à réparer le préjudice en résultant directement; d'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, ainsi que de la valeur et de la portée des éléments de preuve, contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette les pourvois.