CA Nancy, 2e ch. com., 10 mai 2000, n° 97-00926
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Poste
Défendeur :
Masson
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moureu
Conseillers :
MM. Malherbe, Courtois
Avoués :
SCP Bonet, Leinster, Wisniewski, SCP Millot-Logier-Fontaine
Avocats :
Mes Joubert, Kremser.
I - Procédure et prétentions des parties:
Par déclaration du 25 mars 1997, La Poste, Etablissement Public, siège à Nancy, a interjeté appel d'un jugement rendu contradictoirement le 19 décembre 1996 par le Tribunal de commerce de Briey, entre elle, demanderesse à l'injonction de payer et défenderesse à l'opposition, d'une part, et l'intimée, Madame Isabelle Masson, exerçant sous l'enseigne Isabelle Parfumerie, défenderesse à l'injonction de payer et demanderesse à l'opposition, d'autre part, et qui a statué comme suit:
- "reçoit Mademoiselle Isabelle Masson, "Isabelle Parfumerie", en son opposition à l'ordonnance d'injonction de payer inscrite sous le n° 454-95 l'opposant à La Poste et la déclare bien fondée,
- "en conséquence:
- "déboute La Poste de toutes ses demandes,
- "condamne La Poste à payer à Mademoiselle Isabelle Masson, "Isabelle Parfumerie", la somme de 5 965,58 F (cinq mille neuf cent soixante-cinq francs cinquante huit centimes),
- "la condamne au paiement de la somme de 2 000 F TTC (deux mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC,
- "déboute Mademoiselle Isabelle Masson, "Isabelle Parfumerie", de toutes ses autres demandes,
- "condamne La Poste aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'injonction de payer".
Sur son appel La Poste a conclu les 21 juillet 1997, 20 mai 1999 et 20 janvier 2000 et, sur sa propre constitution, Madame Masson a conclu les 9 mars 1998 et 28 septembre 1999.
L'ordonnance de clôture rendue le 1er février 2000 a fixé l'audience de plaidoiries au 15 mars 2000 et, à cette date, l'affaire a été appelée et retenue.
Le présent arrêt est rendu contradictoirement.
Le 1er mars 1999 en vertu de son article 32, est entré en vigueur le décret 98-1231 du 28 décembre 1998 qui, par son article 11, a modifié la rédaction de l'article 455 du NCPC et, par son article 29, celle de l'article 954 du NCPC.
La cour fait application de ces textes et a visé ci-dessus les conclusions respectives des parties pour valoir exposé de leurs moyens et prétentions et retient les conclusions finales des parties, respectivement des 20 janvier 2000 et 28 septembre 1999, dans les termes de la nouvelle rédaction de l'article 954 du NCPC en fonction de laquelle, en outre, les parties ont conçu ces conclusions finales.
L'appelante, La Poste, demande à la cour (20 janvier 2000) de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, d'y faire droit et, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de:
- "condamner Madame Masson au paiement de la somme de 6 077,70 F outre les intérêts moratoires conventionnels au taux de 1,5 % par mois à compter du 31 mai 1995,
- "la condamner également au paiement de la somme de 911,66 F au titre de la clause pénale outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 29 novembre 1995,
- "la condamner également au paiement de la somme de 2 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC,
- "la condamner enfin aux entiers dépens, d'instance et d'appel y compris aux frais de signification de l'ordonnance d'injonction de payer, lesquels seront recouvrés directement par la SCP Bonet-Leinster-Wisniewski, avoués associés conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC".
Pour sa part, l'intimée, Madame Masson, demande à la cour (28 septembre 1999) de:
- "déclarer l'appel de La Poste recevable mais mal fondé et l'en débouter,
- "vu l'article L. 132-1 du Code de la consommation:
- "vu les articles 1147, 1150 et 1152 du Code civil:
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- "débouter La Poste de toutes demandes, fins et conclusions contraires,
- "la condamner, en outre, à payer à l'intimée 4 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
- "la condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC par la SCP Millot-Logier-Fontaine, avoués".
II- Motifs de la décision:
Madame Masson pour les besoins de son commerce de parfumerie où elle exerce à Briey, a fait imprimer, afin de réaliser une campagne de promotion et de publicité 22 000 cartons d'invitations à son salon, et s'est adressée à La Poste désirant s'assurer une distribution ponctuelle et effective, donc de qualité et de sécurité telle que celle pour laquelle La Poste, en secteur commercial concurrentiel, de droit privé avec ses concurrents et ses clients, propose, notamment aux professionnels de tous domaines pour la diffusion de leurs supports destinés au public un contrat dénommé "Postcontact" que Madame Masson a passé le 4 mai 1995 pour 21 745 cartes.
La distribution prévue devait avoir lieu dans 21 745 boîtes aux lettres pour les 21 745 cartes remises à La Poste soit une large diffusion dans le secteur géographique de Briey, ville où est situé le bureau de La Poste où Madame Masson a contracté et remis les cartes le 2 mai 1995, date prévue, à distribuer et le salon de cette dernière. Cette distribution était prévue pour commencer le 9 mai 1995 et se terminer le 13 mai 1995. Le contrat énonçait les 10 communes des environs de Briey (mais ne comprenant pas Briey) constituant les zones de distribution.
Ayant eu l'occasion de s'enquérir des premiers effets de cette campagne autour d'elle et par l'écho reçu auprès de personnes directement en contact avec elle susceptibles de lui donner des informations des quartiers, bourgs et autres personnes connues de cette première série de gens, Madame Masson se rendit rapidement compte qu'un nombre important de destinataires n'avaient pas reçu sa carte.
Il ne s'agissait pas d'une distribution nominative à des destinataires inscrits sur la carte ou une enveloppe ni d'une distribution séparée de tout autre courrier mais il s'agissait, néanmoins, d'une distribution individuelle en ce que chaque boîte aux lettres de chaque personne en disposant, dans le secteur géographique prévu par Madame Masson et La Poste et pour lequel le nombre adéquat de cartes a été remis à La Poste, devait en recevoir une.
L'ensemble des attestations produites établit la réalité des indications de l'intimée sur la non-réception de sa carte par ses clients qu'elle impute à La Poste.
Ayant mené sans perte de temps des investigations personnelles initiales lui confirmant cette carence répétée à l'égard de nombreux destinataires, Madame Masson s'adressa à La Poste à Briey avec laquelle ce contrat avait été conclu pour un montant total de 6 077,70 F en vue de cette campagne prévue par elle pour se clore le 20 mai 1995.
Par lettre du 13 juin 1995, Madame Masson confirma à La Poste ces difficultés et le 22 juin 1995, le service chargé des relations commerciales avec les entreprises et commerçants de cette région du nord de la Meurthe et Moselle de La Poste, le Groupement Postal du Pays Haut, sous la signature du directeur de ce Groupement, lui répondit que, à la suite de la lettre de Madame Masson du 13 juin 1995 "il avait prescrit une enquête dont les résultats confirmaient les déclarations de Madame Masson" et qu'il "avait pris les mesures appropriées pour remédier à cette "situation inadmissible" et demandé au Délégué Commercial de la rencontrer pour lui proposer un avoir" en lui présentant ses excuses pour terminer cette lettre.
Postérieurement fut donc proposé à Madame Masson un avoir de 2 000 F.
Celle-ci, qui avait, dans sa lettre du 13 juin 1995, demandé un dédommagement à la mesure de sa dépense et rappelé à La Poste le coût de l'imprimeur et celui demandé par La Poste, estima cette proposition inacceptable mais La Poste lui envoya peu après la facture de 6 077,70 F (facture du 19 mai 1995 - prix net, échéance au 31 mai 1995) et essuya le refus de Madame Masson de la payer suivi d'une mise en demeure par La Poste (LRAR du 29 novembre 1995) et de la requête du 20 décembre 1995 en injonction de payer à Madame Masson puis de l'ordonnance d'injonction du 30 décembre 1995 du Président du Tribunal de commerce de Briey et de l'opposition à cette ordonnance par Madame Masson du 10 janvier 1996 qui donna lieu au jugement entrepris.
La demande de La Poste s'élevait aux 6 077,70 F susvisés plus 50,65 F d'intérêts moratoires (à 1,5 % par mois du 31 mai 1995 au 20 décembre 1995) plus 911,66 F au titre de la "clause pénale" de 15% soit un total de 7 740,01 F incluant 700 F demandés au titre de l'article 700 du NCPC.
Le contrat comportait un article 5 "paiement" comportant un 5.5 prévoyant des intérêts moratoires de 1,5 % par mois pour tout retard de paiement sans nécessité de mise en demeure et un 5.6 prévoyant une "clause pénale" (ainsi expressément qualifiée par le contrat) due après mise en demeure restée sans suite et d'un montant forfaitaire de 15 % des sommes restant dues en cas de retard de paiement.
Le contrat comportait ensuite un article 7 intitulé "responsabilité" avec 8 sous-articles, puis un article 8 "réclamations" avec 3 sous-articles, un article 9 "indemnisation" avec 3 sous articles et un dernier article, 10, en 2 alinéas.
Ces articles 7 à 10 sont ci-après intégralement reproduits:
"Article 7: Responsabilité.
7.1 La Poste est libre d'utiliser la méthode qu'elle souhaite pour l'exécution de la prestation.
7.2 La Poste n'est pas tenue d'effectuer une distribution particulière indépendante de toute autre distribution de Postcontact sauf stipulation contractuelle préalable entraînant un supplément tarifaire.
7.3 Un exemplaire du Postcontact objet du contrat doit être remis à La Poste avant la prestation pour en vérifier la conformité avec les lois ou les règlements.
7.4 Si les Postcontact présentent un caractère:
- non conforme aux lois ou aux règlements ou
- portant atteinte aux bonnes moeurs ou
- susceptible de troubler l'ordre public,
la diffusion peut être refusée même après acceptation de la prestation par La Poste.
La Poste ne sera tenue qu'au remboursement des sommes déjà versées par le client dans le cadre du présent contrat.
7.5 En cas d'intervention des autorités judiciaires ou administratives faisant obstacle au déroulement d'une diffusion, La Poste n'est tenue à aucun remboursement ni à aucun dommage et intérêt.
7.6 En aucun cas, La Poste ne saurait être responsable des vols, dommages ou pertes causés par des tiers aux Postcontact qui lui sont confiés aux fins de distribution; les assurances pour couvrir tous ces risques sont à la charge du client.
7.7 La Poste décline toute responsabilité dans les cas suivants: absence de boîtes aux lettres, accès aux boîtes aux lettres impossible, boîtes trop étroites pour les documents, habitation avec chien méchant, refus des destinataires d'accepter les Postcontact, ou Postcontact enlevés par des tiers.
7.8 Le client assume l'entière responsabilité du contenu des Postcontact.
Article 8: Réclamations.
8.1 Toute réclamation doit être transmise à l'établissement postal figurant au recto du présent contrat, par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai de 48 heures après la date prévue de fin de distribution.
8.2 Toute réclamation concernant la distribution doit comprendre l'indication des zones où la distribution n'a pas été effectuée,
8.3 Toutes réclamations non effectuées dans les formes explicitées aux articles 8-l et 8-2 sont réputées non fondées, de ce fait toute indemnisation est exclue.
Article 9: Indemnisation.
9.1 La Poste est réputée avoir rempli tous ses engagements si 90 % au moins des Postcontact sont distribués dans les boîtes à lettres accessibles de la zone définie au contrat.
9.2 Dans le cas où le client prouve dans les formes prévues à l'article 8 du présent contrat que plus de 10 % de la quantité totale de Postcontact confiés à La Poste n'a pas été effectivement distribué, La Poste fera un avoir du montant correspondant à la quantité non distribuée ou procédera à une réduction de la facturation au prorata des défectuosités dûment constatées.
9.3 Il est expressément convenu que toute indemnité autre que celle figurant à l'article 9 est exclue.
Article 10: Litiges.
Tout litige né de l'interprétation et/ou de l'exécution du présent contrat donnera lieu à une tentative de règlement amiable entre les parties.
A défaut d'accord amiable, le litige sera porté par la partie la plus diligente devant la juridiction judiciaire compétente".
Ces articles, comme le reste de son contrat "Postcontact" qu'elle a elle-même conçus et propose à ses clients sans qu'en soient négociés les termes, sont, ainsi qu'elle les a rédigés et quelles que soient la valeur et l'effet qui pourront leur être reconnus ou non quant à leur validité à l'égard du co-contractant, opposables tels quels in extenso à La Poste non seulement comme conçus par elle mais encore parce qu'elle s'en est toujours, et encore devant la cour, prévalue dans ce litige.
Or La Poste, en s'en prévalant, n'en tire pas elle-même les conséquences dans ses conclusions contre l'intimée en prétendant maintenir notamment que Madame Masson n'aurait ni respecté les exigences de formes et délais de réclamation (article 8) ni établi que les exigences des articles 9.1 et 9.2 étaient remplies.
En effet elle ne tire pas simultanément les conséquences de sa lettre à Madame Masson du 22 juin 1995 où elle vise le contrat "Postcontact" et "répond à une lettre du 13 juin 1995 de Madame Masson". Il n'a jamais été soutenu depuis 1995 à ce jour inclus que le signataire de cette lettre de La Poste du 22 juin 1995 n'était pas la personne adéquate pour écrire au nom de La Poste ce qui y est écrit, que ce soit quant à l'identité ou au titre, la qualité ou les pouvoirs de ce Monsieur Arnould, "directeur du Groupement".
Or non seulement dans cette lettre La Poste, par son représentant qualifié, ne fait aucune allusion à une tardiveté de la réclamation de Madame Masson ni à une inobservation des formes pour la présenter mais encore La Poste ne prétend d'aucune manière même implicite, que la condition des articles 9.1 et 9.2 sur le "seuil" de 10 % n'aurait pas été respectée.
La lettre du 22 juin 1995 de La Poste est parfaitement explicite: La Poste indique qu'elle "a prescrit une enquête pour déterminer les conditions de cette "distribution et que les résultats confirment les déclarations de Madame Masson" et "qu'elle a pris les mesures pour remédier à cette situation inadmissible et a demandé à son délégué commercial de la rencontrer pour lui proposer un avoir, en lui présentant ses excuses".
La proposition de l'avoir selon les termes combinés des articles 8 et 9 ci-dessus cités du contrat de leurs sous-articles ne se conçoit, selon la lettre de ces articles tels que La Poste les soutient ici, que si les exigences posées par ces textes sont remplies.
La lettre du 22 juin 1995 est une lettre qui, explicitement et contrairement aux conclusions de La Poste, constitue une reconnaissance de responsabilité totale et sans réserve et sans que soit, fut-ce implicitement, opposé à Madame Masson un non-respect des exigences de ces articles 8 et 9 de telle sorte que La Poste ne saurait, après avoir écrit cette lettre explicite à Madame Masson, ni contester sa totale responsabilité sans réserve dans l'inexécution du contrat ni prétendre que les formes et délais et le "seuil" de 10 % des articles 9.1 et 9.2 n'auraient pas été respectés.
Il résulte seulement de cette lettre que précisément La Poste entend appliquer ces textes en proposant un avoir.
Il est exact qu'elle n'y renonce pas à sa facture.
La Poste ne peut donc ni prétendre qu'elle ne serait pas seule responsable de l'inexécution contractuelle ni que les conditions posées par ces articles 8 et 9 ne seraient pas remplies.
En outre, non seulement La Poste y "présente ses excuses" à Madame Masson mais elle qualifie elle-même la situation "d'inadmissible" et précise que c'est "à la suite de l'enquête que La Poste a elle-même prescrite que les résultats correspondent à ce qu'a indiqué Madame Masson".
Il y a donc eu une enquête interne et cette enquête a abouti à des résultats qui confirment, et non contredisent ou minimisent, les doléances de l'intimée.
La Poste, qui ne produit pas cette enquête interne, n'est jamais revenue sur son contenu avant de s'exprimer par les conclusions qu'elle a présentées aux premiers juges puis à la cour où elle critique les doléances de Madame Masson après les avoir donc, au vu de sa propre enquête, admises sans restriction.
La Poste n'a en outre avancé aucune raison pour son inexécution et, dans la mesure où son enquête la lui a révélée à titre interne, c'est ce qui a amené le qualificatif "inadmissible" utilisé dans cette même lettre par La Poste pour caractériser cette "situation".
La Poste ne saurait prétendre qu'elle n'a proposé un avoir "qu'à titre commercial" alors qu'elle ne prévoit contractuellement que ce mode d'indemnisation lorsque sa responsabilité est établie et une indemnisation due dans les conditions des articles et sous-articles 7 à 9 de son contrat conçu par elle et La Poste ne saurait prétendre non plus, sauf à effectuer une confusion délibérée que l'énoncé des clauses dont elle se prévaut lui interdire de faire, que parce qu'elle n'aurait pas renoncé à sa facture elle n'aurait pas reconnu sa responsabilité.
La faute contractuelle lourde est considérée comme équivalente à la faute dolosive qui se distingue par la volonté de provoquer le dommage causé par l'inobservation du contrat.
La faute lourde est celle qui, confinant au dol par sa gravité, révèle un comportement extrêmement grave qui dénote l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée, étant maître des moyens de cet accomplissement.
Le contrat que La Poste a établi prévoit qu'elle reste maîtresse des moyens de l'exécution de la mission. La Poste, professionnelle de la distribution d'objets qui est sa raison d'être autant que son objet, a accepté la mission de l'espèce en toute liberté et connaissance de cause.
Elle n'est, dans le cadre de ce contrat et pour son exécution, ni un organisme administratif exerçant un pouvoir d'autorité ni de puissance publique ni un établissement en situation de monopole ni accomplissant une tâche de travail public ni une activité de service public et son co-contractant n'est pas un usager captif qu'elle ne saurait contraindre, par un système de contrat d'adhésion obligatoire, à accepter, pour avoir recours à ses services, des clauses contraires aux règles commerciales de droit privé seules applicables aux rapports entre elle et Madame Masson en l'espèce et que les dispositions contractuelles qui régissent ses rapports avec celles-ci doivent donc respecter.
Lorsque La Poste, à la suite de sa propre enquête interne, qualifie la "situation d'inadmissible" et correspondant aux doléances de Madame Masson, elle ne saurait prétendre (laissant en outre à cette enquête "interne" ce caractère en n'en produisant par les pièces qui n'ont pourtant rien de réglementairement confidentiel) que la faute lourde n'est pas établie alors même qu'il résulte de ce qu'elle écrit elle-même et qui lui est opposable que les faits ont été établis par elle et comportent le caractère de gravité et d'inaptitude à l'exécution de la mission qui caractérisent cette notion de faute contractuelle lourde.
Les limitations d'indemnisation prévues au contrat, même si le contrat ne prévoit pas la faute lourde de La Poste, ne sauraient donc s'appliquer en l'espèce et l'absence de mention contractuelle de ce chef ne saurait avoir pour effet de créer une situation excluant l'existence d'une telle faute lourde, en exemptant La Poste ou exonérant celle-ci des conséquences.
La division des articles, notamment, celle entre 7 "responsabilité" et 9 "indemnisation" dans la rédaction du contrat cité ci-dessus est en outre conçue de telle sorte qu'elle crée délibérément une confusion illégitime entre responsabilité et indemnisation en énonçant des limitations qui sont des limitations de responsabilité alors qu'elles sont présentées comme limitation d'indemnisation.
Il en est tout particulièrement ainsi du seuil des 10 % des articles 9.1 et 9.2, notamment qui exonèrent, telles que soutenues par La Poste, celle-ci dans tous les cas où pas plus de 10 % des objets confiés n'auraient pas été distribués et créent une situation où La Poste n'est en réalité jamais tenue de distribuer la totalité de ce qui lui est remis n'encourant aucune responsabilité pour toute inexécution ne dépassant pas 10 % du nombre d'objets remis.
Si l'on peut admettre, en théorie, et sous réserve de ce qui sera dit ci-après pour cette espèce, une notion de seuil d'indemnisation au titre d'une limitation d'indemnisation entre professionnels commerçants sous forme d'une sorte de franchise de réparation, cette notion ne peut être confondue comme le fait ici La Poste avec un niveau de déclenchement de l'existence de sa responsabilité ce qui est une autre question qui ne relève que de l'exécution ou non du contrat pour laquelle La Poste a une obligation d'exécution ponctuelle et complète pour laquelle elle doit mettre en œuvre les moyens nécessaires et dont il est ici établi qu'elle ne l'a pas respectée et dont elle ne peut s'exonérer que par l'effet d'une cause étrangère car il n'est pas de son pouvoir de créer des clauses qui par leur nature sont des clauses de non responsabilité alors qu'elles sont présentées volontairement comme des clauses de limitation de réparation.
Il n'est pas loisible à La Poste de s'écarter des règles du droit contractuel par des clauses qui ne sont pas présentées pour ce qu'elles sont.
En outre cette présentation a un autre effet, et un autre but, recherché par La Poste, qui s'en prévaut pleinement et explicitement jusque devant la cour, qui est de faire peser la charge de la preuve non seulement de l'existence de l'inexécution, ce qui est possible, mais de la démonstration d'un manquement de La Poste dans tous les cas pour mettre en jeu sa responsabilité contractuelle, ce qui ne l'est pas, sur son seul co-contractant.
De plus les articles 9.1 et 9.2 mettent un commerçant, un professionnel, un co-contractant exerçant à titre personnel ou doté d'une petite structure dans l'impossibilité de rapporter les preuves qu'exige La Poste à cause du nombre et de l'étendue géographique et du délai alors même que La Poste a une structure adaptée à ces paramètres et qui est précisément celle qu'elle propose.
La Poste s'abstrait ainsi unilatéralement et abusivement des règles des articles 1134 alinéa 3, 1147 et 1315 du Code civil et si elle veut pouvoir obtenir un paiement c'est en établissant qu'elle a rempli son obligation dans des conditions qui la rendent créancière de Madame Masson.
Or c'est le contraire qui est ici établi et malgré les clauses dont croit pouvoir se prévaloir La Poste: il est ici en effet établi dans les conditions susvisées que La Poste n'a pas exécuté le contrat et que sa carence est constitutive d'une faute lourde ce qui ne lui permet ni d'opposer à Madame Masson ni des clauses de limitation de responsabilité ni des clauses de limitation d'indemnisation ni de réclamer le paiement de sa facture.
Comme elle en avait parfaitement les moyens, ainsi que sa propre référence à sa propre "enquête interne" dans sa lettre du 22 juin 1995 le montre, La Poste pouvait, si elle entendait réclamer un paiement partiel de facture, donner à Madame Masson les éléments permettant de voir avec elle dans quelle mesure il y avait eu exécution effective quoique partielle et quel montant pouvait légitimement y correspondre dans la mesure où il n'y avait pas faute lourde de la part de La Poste.
Mais non seulement ce n'est pas ainsi que La Poste a procédé avec Madame Masson mais la faute lourde établie de l'appelante n'aurait pas permis de légitimer un processus qu'elle n'a même pas cherché à utiliser et qui aurait pu, le cas échéant, permettre à Madame Masson d'estimer qu'une indemnisation d'un montant crédible et acceptable lui était proposé, de l'accepter et de prévenir ce procès.
En outre c'est à juste titre que Madame Masson invoque les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et à tort que l'appelante les considère comme inapplicables dans ses rapports avec Madame Masson.
En effet cet article n'est inapplicable entre professionnels pour les besoins de leur profession que si, pour l'exercice de celle-ci, il existe un rapport entre elle et celle du co-contractant qui permette de dire que les deux professions ne sont pas étrangères l'une à l'autre ni spécifiques et spéciales chacune à leur domaine et ne place pas le co-contractant dans une position identique à celle du consommateur.
Ainsi ce n'est pas parce que Madame Masson est commerçante et a eu souvent recours à La Poste pour distribuer son courrier professionnel que cela fait d'une commerçante en parfumerie pour les besoins de sa publicité une professionnelle de la distribution d'objets postaux en grand nombre ce qui requiert une organisation et un savoir-faire que La Poste prétend avoir et qui ne consiste pas simplement à une multiplication d'une opération manuelle "de porte à porte".
Il n'y a en effet ici aucun rapport direct entre l'exécution des prestations contractuelles et l'activité de Madame Masson même en étendant le champ de ces activités à celui de la publicité pour sa parfumerie dès lors que Madame Masson a eu recours à des moyens dont un commerçant individuel n'a pas la disposition, la pratique, la possibilité ni le savoir-faire qu'ont seuls, notamment quant à la conception de l'organisation et à ce savoir-faire, les professionnels spécialistes de la distribution d'objets et alors qu'il s'agissait ici d'autre chose que de placards posés sur le magasin ou de tracts distribués dans les maisons de la rue où il est situé. Madame Masson s'est retrouvée ici dans une situation identique à celle d'un consommateur au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Même s'il ne s'agissait pas d'un nombre d'objet (2 745) extrêmement grand ni d'une zone de diffusion extrêmement large (10 communes), il s'agissait d'une prestation du domaine du spécialiste de la distribution excédant celui d'un commerçant en parfumerie à titre individuel ou dans le cadre d'une petite structure et, pour La Poste, il s'agissait au contraire d'un nombre et d'une zone dont elle ne saurait prétendre que, à son échelle, ce nombre ou cette zone étaient de nature par leur importance à lui créer un problème quelconque.
En l'espèce, les clauses de ce contrat ont créé entre Madame Masson exerçant personnellement le commerce de parfumerie sous l'enseigne "Isabelle Parfumerie" à Briey et La Poste, Etablissement Public, exerçant dans le cadre commercial contractuel de sa spécialité, un déséquilibre correspondant à la définition donnée par cet article L. 132-1 du Code de la consommation et ce déséquilibre significatif portait sur une limitation de La Poste en cas de non-exécutionn totale ou partielle ou d'exécution défectueuse par La Poste de l'une quelconque de ses obligations contractuelles.
Pour l'ensemble de ces raisons qui s'ajoutent les unes aux autres sans être nécessairement dépendantes les unes des autres pour leur existence et leurs effets, La Poste ne peut obtenir paiement de Madame Masson à laquelle elle doit l'indemnisation de tout le préjudice que sa faute lourde à l'origine de l'inexécution a causé.
En l'espèce la discussion ci-dessus est indépendante de la question de la distribution indépendante car il est exact que le contrat ne la prévoyait pas même si Madame Masson s'est plainte de son absence car le litige porte sur l'ensemble des autres questions ci-dessus analysées qui amènent à la solution retenue.
Enfin l'article 5.6 prévoyant une clause pénale, ainsi qualifiée expressément par ce contrat et dont La Poste s'est prévalue, crée une "clause pénale" forfaitaire applicable en cas de retard de paiement en sus des intérêts moratoires de l'article 5.5 mais ne prévoit pas qu'elle puisse être soumise au juge alors que c'est le propre d'une clause pénale et qu'elle ne porte pas sur des clauses contractuelles relatives à la résiliation du contrat ou sa non-exécution sauf à ne créer d'obligation qu'à la charge du co-contractant et à faire abstraction de l'article 1152 du Code civil et alors, en outre, qu'il ne s'agit pas de dommages et intérêts édictés pour assurer l'exécution d'une obligation.
La construction résultant de l'accumulation des articles 5 précités (5.5 et 5.6) et 7 à 10 précités a aussi pour effet de faire de cet ensemble, conçu comme tel et indissociable par La Poste qui s'en prévaut ainsi, un ensemble de clauses participant de ce déséquilibre précité caractérisé dans les conditions prévues par l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
En l'espèce, La Poste a donc non seulement manqué à son propre contrat tel qu'elle s'en prévaut, et par une faute lourde, mais a agi pour se prévaloir de ce contrat, de telle sorte que, telle qu'elle prétend l'appliquer à Madame Masson, La Poste contrevient aux articles L. 132-1 du Code de la consommation et 1134 alinéa 3, 1147, 1150, 1152 et 1315 du Code civil.
Il y a donc lieu de débouter La Poste du fond de son appel et en toutes ses demandes.
La demande de confirmation de l'intimée est en outre justifiée car l'évaluation du préjudice causé à l'intimée par la faute lourde contractuelle de l'appelante a pu à juste titre être appréciée par les premiers juges à un montant de 5 965,68 F de dommages et intérêts qui équivaut à ce que Madame Masson a eu à payer à l'imprimeur pour ses cartons. En effet, si c'est à juste titre et dans une mesure que Madame Masson elle-même ne critique pas devant la cour où elle se borne à demander une confirmation que les premiers juges ne l'ont pas suivie en ses demandes en première instance excédant ce montant, il existe un rapport direct entre ce préjudice ainsi évalué et la faute lourde de La Poste, d'une part, et, d'autre part, c'est La Poste elle-même qui n'a pas permis de prendre la mesure d'une exécution partielle alors même, en outre, que c'est de manière fondée, à partir des pièces produites et des écritures respectives, que l'on peut constater comme l'intimée qu'elle n'aurait pas engagé une telle dépense si elle n'avait pas été assurée d'une distribution complète et ponctuelle pour une campagne close le 20 mai 1995 et en comptant sur La Poste qui fait état auprès de ses clients, y compris professionnels, de ses qualités, comme elle l'a fait en l'espèce, propres à garantir mieux que d'autres cette ponctualité, cette qualité de distribution et son caractère complet.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions et La Poste supportera les dépens qui suivent le sort du fond, en première instance par confirmation, comme pour ceux d'appel devant la cour et, à raison de cette issue au fond et de cette charge des dépens, La Poste, en considération aussi des critères énoncés en outre par l'article 700 du NCPC, sera déboutée de sa demande au titre de ce texte en vertu duquel elle paiera 3 000 F à Madame Masson.
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable l'appel interjeté par La Poste, contre le jugement du Tribunal de commerce de Briey du 19 décembre 1996, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Déboute La Poste en toutes ses demandes, La condamne à payer trois mille francs (3 000 F) à Madame Isabelle Masson, exerçant sous l'enseigne Isabelle Parfumerie à Briey en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel, Autorise la SCP Millot-Logier-Fontaine, avoués associés, à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.