CA Lyon, 1re ch., 5 décembre 1991, n° 8904502
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Sud-Est
Défendeur :
Bel (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge
Conseillers :
Mme Biot, M. Roux
Avoués :
Mes Guillaume, Brondel-Tudela
Avocats :
Mes Rousset Bert, Coulaud.
Exposé du litige:
Par acte notarié du 14 juin 1984, faisant suite à une offre de prêt en date du 5 mai 1984, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) du Sud-Est a consenti aux époux Michel Bel et Henriette Bernard un prêt immobilier de 500 000 F, au taux effectif global de 17,8949 % l'an, remboursable en 20 ans par annuités progressives.
Les époux Bel ont remboursé leur prêt de façon anticipé après avoir vainement tenté d'en renégocier le coût.
Par acte du 18 août 1988, ils ont assigné la CRCAM aux fins:
- de faire constater qu'elle avait refusé de leur consentir un nouveau prêt et d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 12 438,10 F au titre des frais exposés pour la souscription d'un autre emprunt à la Banque Nationale de Paris (BNP)
- d'obtenir le remboursement de la somme de 45 506,25 F réclamée indûment à titre d'indemnité de résiliation anticipée en violation des dispositions d'ordre public de la loi du 13 juillet 1979;
- d'obtenir paiement de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 21 juin 1989, auquel il convient de se reporter pour l'exposé des moyens des parties, le Tribunal de grande instance de Lyon a considéré que:
- le refus de vente allégué n'était pas constitué;
- l'offre de prêt était conforme aux exigences de la loi du 13 juillet 1979 quant à l'évaluation du coût des indemnités de résiliation anticipée;
- l'article 1152 du Code civil était applicable tant à l'indemnité proprement dite de remboursement anticipé qu'à celle de remise à taux d'intérêt moyen;
Après avoir réduit au pourcentage de 8 % du capital restant dû le montant total de l'indemnité de résiliation, réglé par les époux Bel pour 55 280,67 F, le tribunal a condamné la CRCAM au paiement de 15 638,97 F avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 1988, a rejeté toutes demandes de dommages-intérêts ainsi qu'en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a condamné les époux Bel aux dépens.
Appelante, la CRCAM conclut à la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 15 638,97 F. Elle soutient que l'article 1152 du Code civil n'est pas applicable à l'indemnité compensatrice de mise à taux d'intérêt moyen d'un montant de 46 119,84 F mais seulement à celle d'un montant de 9 307,41 F de remboursement anticipé au titre des intérêts non encore échus. Elle réclame 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les époux Bel forment appel incident pour obtenir:
- le remboursement de la somme de 55 427,25 F indûment réclamée par la CRCAM alors que l'offre de prêt n'a pas fourni les éléments permettant, comme l'exige l'article 5 de la loi du 13 juillet 1979, d'évaluer le coût des indemnités de remboursement anticipé;
- le paiement de la somme de 12 438,10 F correspondant aux frais du nouveau prêt contracté à la BNP suite au refus de vente opposé par la CRCAM.
Subsidiairement, les époux Bel concluent à la confirmation du jugement.
Ils réclament 20 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive ainsi que 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision:
Attendu que le tribunal, par des motifs que la cour adopte, a exactement énoncé qu'aucun refus de vente ne pouvait être imputé à la CRCAM;
Qu'il est indifférent qu'elle ait accepté de renégocier les conditions de prêts souscrits par d'autres de ses clients; qu'en effet, elle était entièrement libre d'accepter ou de ne pas accepter les renégociations sollicitées;
Attendu que l'article 5 de la loi du 13 juillet 1979 dispose que l'offre de prêt doit énoncer, en donnant une évaluation de leur coût, les stipulations qui conditionnent la conclusion du prêt;
Que les modalités de remboursement anticipé sont visées par ce texte;
Que l'offre formulée par la CRCAM aux époux Bel est conforme aux prescriptions légales;
Qu'en effet, sous le titre "Indemnité de remboursement anticipé", il est prévu "En cas de remboursement anticipé, une indemnité égale à deux mois d'intérêts calculés au taux moyen du prêt sur le capital remboursé par anticipation sera exigée";
Que, sous le titre "Indemnité compensatrice", il est prévu "Si le prêt comporte des mensualités progressives, il sera perçu par le prêteur une indemnité : celle-ci représente un complément d'intérêts destiné à rendre égal le taux de rendement du prêt, à la date du remboursement anticipé, au taux moyen du prêt tel que prévu initialement dans le présent contrat";
Qu'en page 3, l'offre mentionne le détail des échéances et précise que le montant de la période d'amortissement du prêt est établi à partir d'une progressivité de l'annuité de 9 % pendant les trois premières années, de 6 % les quatre années suivantes et de 2,25 % pour les années restant à courir;
Que ces éléments permettaient aux emprunteurs d'évaluer le coût entraîné par un remboursement anticipé;
Attendu que l'article 12 alinéa 2 de la loi du 13 juillet 1979 dispose que, lorsque le prêteur est en droit d'exiger une indemnité au titre des intérêts non encore échus, cette indemnité ne peut, sans préjudice de l'application de l'article 1152 du Code civil, excéder un montant fixé suivant un barème déterminé par décret;
Que l'alinéa 1 du décret du 28 juin 1980 fixe le montant de cette indemnité; que l'alinéa 2 énonce "Dans le cas où un contrat de prêt est assorti de taux d'intérêts différents selon les périodes de remboursement, l'indemnité prévue à l'alinéa précédent peut être majorée de la somme permettant d'assurer au prêteur, sur la durée courue depuis l'origine, le taux moyen prévu lors de l'octroi du prêt";
Qu'il s'ensuit, contrairement à l'opinion de la CRCAM, que l'article 1152 alinéa 2 du Code civil est applicable à l'indemnité dite de remise à taux moyen qui ne constitue qu'une majoration de l'indemnité générale prévue par l'article 12 alinéa 2 de la loi du 13 juillet 1979;
Que le tribunal a exactement qualifié le caractère manifestement excessif de la somme réclamée;
Attendu que le jugement sera entièrement confirmé;
Attendu que les époux Bel ne démontrent pas que la CRCAM ait résisté dans une intention nuisible ou avec une légèreté blâmable;
Attendu que la CRCAM, qui succombe dans son appel, doit avoir la charge de la totalité des dépens;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser les époux Bel supporter l'intégralité des frais irrécouvrables qu'ils ont dû exposer en appel;
Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Déboute les époux Michel Bel et Henriette Bernard de leur demande en dommages-intérêts; Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) du Sud-Est à payer aux époux Bel la somme de 6 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Guillaume, avoué.