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Décisions

CA Nancy, ch. corr., 21 octobre 1992, n° 990-92

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pérardot, UFC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lilti

Substitut :

général: M. Ker

Conseillers :

MM. Courtois, Bloch

Avocats :

Mes Begel, Pierret-Pobey, Bentz.

TGI Epinal, ch. corr., du 4 mars 1992

4 mars 1992

Le prévenu a été déféré devant le Tribunal correctionnel d'Epinal pour avoir à Epinal le 14 juin 1990,

Trompé Madame Jeanine Pérardot sur les contrôles effectués, en établissant sciemment un certificat de contrôle technique d'un véhicule d'occasion Peugeot 305 GLD "8431 QV 88" de plus de cinq ans d'âge faisant état de faits matériellement inexacts,

Faits prévus et réprimés par les articles 161 alinéa 4-1° du Code pénal, 1er et 16 de la loi du 1er août 1905 relative à la répression des fraudes.

Par jugement contradictoire en date du 4 mars 1992, duquel le prévenu, le Ministère public et les parties civiles ont régulièrement et respectivement relevés appel le 4, 5 et 10 mars 1992, le Tribunal correctionnel d'Epinal a:

- déclaré Philippe E coupable des faits reprochés,

- en répression, l'a condamné à 6 000 F d'amende,

- l'a condamné en outre au remboursement des frais.

Sur l'action civile:

- reçu Madame Pérardot Jeanine et l'Union fédérale des consommateurs d'Epinal en leurs constitutions de partie civile,

- condamné Philippe E à payer:

* à Madame Pérardot Jeanine la somme de 14 526,52 F, toutes causes de préjudices confondus et ce avec intérêts au taux légal à compter du jugement et la somme de 800 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

* à l'Union fédérale des consommateurs d'Epinal, la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 800 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- et l'a condamné aux dépens.

Sur ce, LA COUR:

I - En la forme:

Attendu que les appels interjetés par le prévenu, le Ministère public et les parties civiles, réguliers en la forme, ont été enregistrés dans les délais légaux;

Qu'il y a lieu de les déclarer recevables;

Attendu que le prévenu est premier appelant, et des dispositions pénales et civiles du jugement entrepris, que son appel est suivi dans l'ordre, de ceux du Ministère public et de ceux des deux parties civiles, Madame Jeanine Pérardot et l'Union Fédérale des Consommateurs d'Epinal;

II - Sur l'action publique:

Attendu que le prévenu n'a pas été cité directement par le Parquet, ni jugé ni déclaré coupable du seul fait qualifié seulement d'établissement volontaire d'un certificat faisant état de faits matériellement inexacts mais, compte-tenu de la rédaction de la citation reprise dans le jugement, qu'il l'a été simultanément sous la qualification de tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service;

Que le visa des textes fait dans ladite citation et repris par le jugement correspond aux articles 161 alinéa 4-1° du Code pénal et 1 et 16 de la loi du 1er août 1905 relative à la répression des fraudes;

Attendu qu'il s'agit en l'espèce d'un seul et même fait daté du 14 juin 1990 et situé à Epinal;

Que la poursuite, en fonction des pièces sur lesquelles elle s'appuie et de cette rédaction initiale, ne vise pas des qualifications distinctes énoncées successivement ensemble, mais, au contraire, est faite par assimilation de deux qualifications en une seule énoncée d'un bloc;

Que, précisément, en fonction des pièces sur lesquelles elle s'appuie, cette poursuite nécessite, ce qui est le rôle du tribunal, puis, comme ici, de la cour, la définition de celle des deux qualifications ainsi cumulées qui doit seule être retenue dans la limite des qualifications, faits et peines, visés dans la citation directe;

Qu'en l'espèce, ce n'est pas un fait volontaire par lequel le prévenu aurait certifié un fait qu'il savait faux qui lui est reproché s'agissant d'une poursuite basée sur la négligence fautive reprochée à un prestataire de service;

Que la qualification retenue doit être précisément celle, seule, résultant de l'application des articles 1 et 16 susvisés de la loi du 1er août 1905;

III - Au fond:

1°) Sur la culpabilité

Attendu que les premiers juges ont décrit le reproche qui peut être fait pénalement au prévenu dans le cadre de sa prestation de service en retenant le caractère intentionnel et la mauvaise foi;

Attendu que le prévenu fait conclure à sa relaxe en exposant qu'il s'est conformé à la norme AFNOR applicable au contrôle technique des véhicules à la date du 14 juin 1990 et plus particulièrement aux deux organes litigieux, c'est-à-dire la coupelle d'appui du ressort de suspension avant gauche et les équerres de fixation de l'essieu arrière et que, tenu d'un seul contrôle visuel sans démontage, il avait rempli son office sans en outre, aucune collusion entre lui et le vendeur, aucune connaissance par lui des vices du véhicule vendu ni négligence dans un contrôle illusoire;

Attendu que les débats ont inclus l'audition comme témoin de Monsieur Walter, expert en automobiles près cette cour, qui était, à l'époque, intervenu hors le cadre judiciaire et à la seule requête de Madame Pérardot, acquéreur du véhicule; que les pièces versées incluent le rapport de cet expert pour cet acquéreur et les procès-verbaux des déclarations des intéressés, vendeur, acquéreur et Monsieur E, notamment, lui-même, ainsi que les normes techniques et réglementaires applicables;

Attendu que Monsieur E ne conteste pas que le véhicule litigieux a été contrôlé par les soins de ses propres services étant gérant de la société "X" ou "Y", ni qu'il est ainsi un professionnel précisément non seulement spécialisé dans l'automobile mais particulièrement dans le contrôle tel qu'il est prévu par la réglementation;

Qu'il ne peut dès lors ignorer que, si les normes AFNOR publiées définissent les contrôles et les opérations pour les mener à bien de manière minimum, il a, en sa qualité, une obligation de fiabilité dans cette prestation de service qu'est le contrôle;

Que cette obligation de fiabilité lui impose, d'une part, de ne pas s'en remettre purement à ses subordonnés sans soit vérifier lui-même le travail fait, soit avoir pris toutes mesures utiles pour faire assurer à coup sûr cette fiabilité et, d'autre part, lui impose aussi de renseigner utilement toute personne qui aura à connaître du véhicule contrôlé sur l'état de ce véhicule et sur les vérifications plus approfondies qui, pouvant ne pas être du domaine du contrôle, doivent être indiquées comme à faire aussitôt ou dès que possible, selon le cas, et par ailleurs;

Qu'ainsi le tribunal doit être approuvé en ce qu'il a estimé que la coupelle d'appui précitée n'était pas visible sans démontage, ce que Monsieur Walter, l'expert précité, a également indiqué notamment devant la cour, et n'était pas un organe susceptible d'être l'objet du contrôle technique litigieux;

Mais que le tribunal doit aussi être approuvé en ce qu'il a retenu contre le prévenu le problème de la fixation de l'essieu arrière;

Attendu que Monsieur E n'a pas contesté la corrosion de ces éléments et a seulement déclaré que la norme ne lui imposait pas de tester avec un outil l'importance de cette corrosion dont il a déclaré dès son audition initiale par procès-verbal qu'elle avait été vue (PV du service des fraudes);

Attendu que le rapport de contrôle ne comporte que deux mentions:

- l'une, qui est la seule dans la partie constituée par les cases à cocher pour "réparation immédiate" ou "dès que possible" et qui concerne le "lave-glace" et "dès que possible", et la seconde, dans la rubrique "observations", où est écrit "dès que possible Plancher corrosion";

Qu'aucune mention ni dans les colonnes avec cases ni dans les autres rubriques ne figure pour la suspension et les essieux;

Attendu que la comparaison de ce rapport avec les propres déclarations du prévenu, avec les constatations et précisions de Monsieur Walter, les constatations des enquêteurs et celles des intéressés, dont l'acquéreur, ne permettent pas d'accorder à ce rapport la moindre fiabilité;

Attendu qu'en effet, un tel rapport ne comporte aucune indication, hormis celle du plancher, permettant de considérer que le véhicule a été convenablement, fut-ce visuellement, contrôlé, mais laisse au contraire à considérer qu'il n'y a aucune autre anomalie;

Que, si le véhicule a été vu, le rapport est lui-même non fiable car il ne fait pas ressortir ce qui a été vu, et conduit à estimer possible que, même, le véhicule n'ait pratiquement pas été examiné du tout;

Attendu que, dans un cas comme dans l'autre, le résultat est que la prestation de service de contrôle technique a été faite avec une légèreté coupable constitutive, de la part du professionnel spécialisé responsable qu'est le prévenu de l'élément intentionnel et même de la mauvaise foi dans l'accomplissement de cette prestation;

Que l'une des qualités substantielles primordiales de la prestation dont il s'agit est d'être faite dans des conditions de sérieux et de fiabilité telles que l'utilisateur, qu'il soit ou non cocontractant du contrôleur, s'il l'est de celui qui remet le véhicule au contrôle, sera renseigné convenablement non seulement sur ce que le contrôle a décelé et sur la manière dont il a été fait mais aussi sur ce que les services de contrôle indiquent que l'utilisateur devra faire vérifier hors même le cadre du contrôle proprement dit;

Qu'ainsi la corrosion constatée de l'essieu arrière et de ses fixations devait, soit faire l'objet d'une mention dans les cases prévues à cet effet pour "réparation immédiate" ou "dès que possible", soit , au minimum, faire l'objet d'une mention spécifique dans la rubrique "observations" libellée de telle sorte que le lecteur soit averti de cette corrosion et de la nécessité de la faire examiner par ailleurs de façon approfondie;

Que l'absence en l'espèce de toute mention au regard de ce que Monsieur E a lui-même indiqué que ses services avaient vu, constitue cette carence fautive directe dans la fiabilité du contrôle;

Que les articles 1 et 16 de la loi du 1er août 1905 ne limitent pas l'incrimination au cas de collusion entre le prestataire de service et le vendeur ni à une connaissance des vices de l'objet de la prestation mais portent sur les caractéristiques de la prestation indépendamment des cocontractants;

Attendu qu'il y a donc lieu de retenir le prévenu comme coupable d'avoir commis le délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service relative à un véhicule automobile au détriment de l'acquéreur de ce véhicule;

2°) Sur la peine

Attendu qu'eu égard aux faits retenus, à la qualification donnée, à la gravité de ces faits et à leur nature bien spécifique par rapport au prévenu et tout en tenant compte des éléments de personnalité et de circonstances atténuantes, il y a lieu de confirmer comme adéquate la sanction prononcée par le tribunal;

IV- Sur les actions civiles:

Attendu que Madame Pérardot, partie civile, acquéreur du véhicule, demande l'augmentation des sommes qui lui ont été allouées en reprenant ses demandes initiales soit 15 626,52 F de préjudice matériel, 6 000 F de dommages et intérêts et 6 000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et ce à hauteur d'appel avec intérêts de juillet 1990 date des incidents survenus avec le véhicule;

Que l'UFC demande que lui soient alloués 10 000 F de dommages et intérêts outre 5 000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et non le seul franc symbolique apprécié par les premiers juges;

Mais attendu qu'au vu des pièces produites et des explications des parties la cour est en mesure à la lecture du jugement de constater que les premiers juges ont, pour les deux parties civiles, fait une exacte appréciation des préjudices respectifs, de leurs liens avec les faits, de leur nature et de leurs montants ainsi que des montants à allouer en première instance en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et du sort des dépens de première instance; que les intérêts courront de la date du jugement confirmé consacrant les préjudices;

Qu'à hauteur d'appel, à raison des éléments soumis à la cour et de ce qui est ici jugé, il n'est pas inéquitable que chacune des parties civiles appelantes conserve la charge des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer et que chacun, du prévenu et des deux parties civiles, ait la charge des dépens de l'action civile en appel qui les concernent respectivement;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit comme régulier en la forme les appels du prévenu, du Ministère public et des parties civiles du jugement en date du 4 mars 1992 du Tribunal correctionnel d'Epinal; Sur l'action publique : Déclare le prévenu coupable d'avoir à Epinal le 14 juin 1990, trompé Madame Jeanine Pérardot, acquéreur d'un véhicule automobile, sur les qualités substantielles de la prestation de service de contrôle technique dudit véhicule, par application des articles 1 et 16 de la loi du 1er août 1905; Condamne le prévenu à la peine de 6 000 F d'amende; Le condamne aux frais de première instance et d'appel liquidés à la somme de 1 050 F; Dit que la contrainte par corps s'exécutera conformément aux dispositions des articles 749 et suivants du Code de procédure pénale; Sur les actions civiles: Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles, assorties des intérêts au taux légal à compter dudit jugement; Déboute les parties civiles de leurs demandes plus amples ou contraires y compris quant à l'application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à hauteur d'appel; Laisse à chacun, du prévenu et des deux parties civiles, la charge des dépens des actions civiles qui les concernent respectivement pour ce qui est de ceux d'appel; Le tout par application des articles susvisés, 445 et suivants, 473, 513 et 515 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil.