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Décisions

CA Nancy, ch. corr., 29 juin 1990, n° 639-90

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Grosjean

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lilti

Avocat général :

M. Ker

Conseillers :

MM. Depretz, Cunin

Avocats :

Mes Aubry, Cousin.

TGI Epinal, ch. corr., du 20 déc. 1989

20 décembre 1989

Le prévenu a été déféré devant le Tribunal correctionnel d'Epinal pour avoir à Vittel, le 6 juin 1987, trompé Monsieur Eric Grosjean sur les contrôles effectués en établissant sciemment un certificat de contrôle technique d'un véhicule d'occasion Renault 6155 QQ 88 de plus de cinq ans d'âge faisant état de faits matériellement inexacts.

Faits prévus et réprimés par les articles 161 al. 4-1° du Code pénal, 1 et 16 de la loi du 1er août 1905.

Par jugement contradictoire en date du 20 décembre 1989 duquel le prévenu, le Ministère public et la partie civile ont régulièrement et respectivement relevé appel le 21 et le 26 décembre 1989, le Tribunal correctionnel d'Epinal a:

"- déclaré Maurice B coupable des faits qui lui sont reprochés,

"- en répression, l'a condamné à une amende de 10 000 F,

"- l'a condamné en outre aux frais envers l'Etat.

"Sur l'action civile,

"- déclaré recevable la constitution de partie civile de Monsieur Grosjean à l'encontre de Monsieur B,

"- condamné Monsieur B à verser à Monsieur Grosjean la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts, et celle de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce, LA COUR

I - En la forme

Attendu que les appels interjetés par le prévenu, le Ministère public et la partie civile, réguliers en la forme ont été enregistrés dans les délais légaux;

Qu'il y a lieu de les déclarer recevables;

II - Au fond

Sur l'action publique

Attendu que Maurice B conclut en ces termes:

"I - Dire et juger que la condition préalable de l'incrimination de tromperie, prévue par l'article 1er de la loi du 1er août 1905 est, un contrat qui est ou va être conclu, ayant pour objet certaines marchandises ou des services,

"II - Constater d'une part, que le contrat de vente ayant pour objet le véhicule Renault immatriculé 6155 QQ 88 a été conclu à Darney le 5 juin 1987 entre Jean-Claude Mouton, vendeur, et Eric Grosjean, acheteur, sans le concours du prévenu B (cf. réquisitoire définitif, alinéa 1er et 03 et D4),

"En conséquence, dire et juger que le prévenu B ayant été totalement étranger à la conclusion et à l'exécution de la vente précitée, n'a pu être l'auteur d'une tromperie ayant affecté le consentement de l'acheteur Grosjean, et le renvoyer des fins de la poursuite sans peine ni dépens (Poitiers, 19 novembre 1987 et Dijon 24 juin 1987),

"III - Constater d'autre part, que le contrat ayant pour objet la prestation de services de contrôle technique du véhicule visé au II ci-dessus est intervenu entre Mouton et la SA Garage X dont B est dirigeant à Vittel, le 6 juin 1987, soit le lendemain de la vente dudit véhicule (cf. D 6 copie du rapport de contrôle et D 4 déclaration Mouton, 3e alinéa),

En conséquence, dire et juger que le contrôle technique du 6 juin 1987 (imputé au prévenu B mais établi par un préposé de la SA X) établi à la seule demande de Mouton, n'a pu affecter par tromperie de son auteur, une vente déjà conclue depuis la veille entre Mouton et Grosjean; et renvoyer B des fins de la poursuite sans peine ni dépens,

"IV - Constater en tous cas que l'auteur du contrôle technique et signataire du rapport du 6 juin 1987 (cf. note d'audience) est Monsieur Etienne Fuchs, préposé de la SA Garage X et qu'il n'est établi à la charge de celui-ci aucun fait constitutif de tromperie ni aucune intention coupable,

"En conséquence, renvoyer le prévenu B des fins de la poursuite, sans peine ni dépens,

"V - Constater enfin et très subsidiairement que le rapport de contrôle technique établi à Bonvillet le 6 août 1987 par le Garage Humblot, à la demande de Grosjean, est inopposable au prévenu, puisqu'établi non contradictoirement deux mois après celui effectué par le Garage X et après que le véhicule ait parcouru 5 149 kms, alors d'une part qu'aucune prééminence ou hiérarchie n'existe légalement entre centres de contrôle agréés et que d'autre part l'article 12 de la loi du 1er août 1905 prévoit que toutes les expertises nécessitées pour l'application de la loi sont contradictoires,

"En conséquence, infirmer le jugement entrepris,

"Renvoyer Monsieur B des fins de la poursuite sans peine ni dépens,

"Débouter la partie civile de sa demande et la condamner en tous les dépens.

Sur ce,

Attendu qu'il résulte de l'enquête préliminaire et de l'information que Monsieur Mouton qui désirait vendre son véhicule Renault 5 l'avait remis, à cette fin, en dépôt dans le garage qu'exploite Monsieur Saussure;

Attendu que le 5 juin 1987, un particulier, Monsieur Grosjean manifestait l'intention d'acheter ce véhicule dont le prix était fixé à 14 000 F; que le véhicule ayant plus de 5 ans d'âge, Monsieur Mouton, accompagné de Monsieur Saussure, amenait le 6 juin 1987 le véhicule au garage X sis à Vittel et dont Monsieur B est le gérant, et ce, afin de lui faire subir le contrôle technique prévu par l'arrêté du 4 juillet 1985;

Attendu que Monsieur Grosjean auquel le rapport de contrôle et le certificat de passage étaient remis, prenait livraison du véhicule le 13 juin 1987;

Attendu que début juillet 1987, alors qu'il faisait procéder par le garage L'Huillier à une révision de son véhicule, ce dernier l'avisait de ce qu'il avait constaté sur le véhicule de graves anomalies et lui conseillait de faire procéder à un nouveau contrôle technique par un établissement agréé;

Attendu que Monsieur Grosjean ayant pris rendez-vous avec le Garage Humblot, celui-ci procédait à un nouveau contrôle technique le 6 août 1987 et délivrait à Monsieur Grosjean un rapport faisant état de très nombreux défauts dont beaucoup portaient sur des éléments essentiels du véhicule;

Attendu que Monsieur Grosjean déposait plainte le 6 août 1987; qu'après une enquête préliminaire, une information était ouverte; qu'à l'issue de cette information, Monsieur B était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir trompé Monsieur Grosjean sur les contrôles effectués, en établissant sciemment un certificat de contrôle technique faisant état de faits matériellement inexacts.

Sur le premier moyen:

Attendu que certes Maurice B n'a pas participé au contrat de vente conclu entre Jean-Claude Mouton, vendeur et Eric Grosjean, acheteur; qu'il lui est, par contre, fait grief d'avoir trompé Eric Grosjean sur la prestation de service que constitue le contrôle technique du véhicule, objet du contrat de vente; que ces faits répondent bien aux prévisions des articles 1 et 16 de la loi du 19 août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produit ou de service;

Que le moyen doit être écarté

Sur le second moyen:

Attendu que matériellement la tromperie résulte de la comparaison entre le rapport de contrôle établi le 6 juin 1987 par le Garage de Maurice B et celui établi le 6 août 1987 par un deuxième établissement agréé par le Préfet des Vosges;

Attendu que Eric Grosjean a pris possession du véhicule le 13 juin 1987; que s'il avait été informé de l'état réel de celui-ci à ce moment là, il aurait pu refuser d'en prendre livraison et demander la résolution de la vente;

Que dès lors, la tromperie a influé sur la vente;

Que le moyen doit être rejeté;

Sur le troisième moyen:

Attendu qu'il apparaît que le contrôle qui a donné lieu au rapport du 6 juin 1987 a éludé la plupart des anomalies affectant l'état et la sécurité du véhicule; qu'en effet, il fait état d'un seul défaut qui a trait à l'efficacité de la suspension alors que le second contrôle relève 26 points dont 16 à revoir immédiatement sur les 52 points qui font l'objet d'un contrôle technique;

Attendu qu'en certifiant que le véhicule a été contrôlé par le garage dont il est le responsable, Eric B même s'il n'a pas effectué matériellement le contrôle, a trompé Eric Grosjean sur les qualités substantielles de sa prestation de service;

Que le moyen n'est pas fondé;

Sur le quatrième moyen:

Attendu que le second contrôle technique établi à Bonvillet le 6 août 1987 par le Garage Humblot ne constitue pas une expertise au sens de l'article 12 de la loi du 1er août 1905;

Qu'il a simplement permis d'établir l'état réel du véhicule à l'aide d'un document légal lorsqu'un premier contrôle s'est avéré erroné; qu'en fait il a pour but de faire constater par un spécialiste agréé les défauts que présentent le véhicule acheté sans que l'on puisse considérer ce document comme une expertise; qu'il permet au plaignant de justifier la tromperie dont il a fait l'objet;

Que d'ailleurs une expertise est plus complète puisqu'elle détermine les anomalies et chiffre le coût des réparations, c'est-à-dire le préjudice, élément qui fait défaut lors d'un contrôle technique;

Sur l'intention frauduleuse:

Attendu qu'en cette matière il convient de rechercher si le comportement du prévenu a bien eu pour effet d'induire le cocontractant dans l'erreur;

Attendu qu'en l'espèce ce comportement résulte des circonstances et notamment du fait que les anomalies éludées étaient d'une telle importance et d'une telle gravité (oxydation généralisée portant sur des éléments de rigidité, sur des éléments porteurs, sur des éléments de fixation, sur des éléments de direction) que nul professionnel ne pouvait les ignorer;

Que Monsieur L'Huillier bien que garagiste non agréé pour le contrôle les relevait d'ailleurs trois semaines après;

Attendu que la matérialité de l'intention frauduleuse étant établie, le délit est constitué;

Qu'il échet de confirmer le jugement sur le principe de la culpabilité;

Sur la peine:

Attendu qu'en raison des circonstances de la cause, de la nature des faits et de la personnalité du prévenu, la peine infligée par les premiers juges est justifiée et doit être confirmée;

Sur l'action civile:

Attendu qu'Eric Grosjean conclut en ces termes:

"Confirmer le jugement dont est appel en ce qui concerne la culpabilité de B et en ce qui concerne l'indemnité allouée en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

"L'infirmer en ce qui concerne les dommages-intérêts alloués à Grosjean.

"Condamner B à payer à Grosjean la somme de 16 518,20 F,

"Le condamner en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à payer à Grosjean une nouvelle indemnité de 5 000 F,

"Le condamner aux dépens.

Attendu que la cour estime que le tribunal a correctement apprécié le préjudice subi par Eric Grosjean en le fixant à la somme de 5 000 F; que c'est à juste titre qu'il lui est alloué la somme de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Qu'il échet de confirmer les dispositions civiles du jugement;

Attendu qu'il convient d'allouer à Eric Grosjean la somme de 1 500 F en remboursement des frais non taxables à hauteur d'appel;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit comme réguliers en la forme les appels du prévenu, du Ministère public et de la partie civile du jugement en date du 20 décembre 1989 du Tribunal correctionnel d'Epinal; Au fond, Sur l'action publique, Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions pénales; Condamne Maurice B aux frais envers le Trésor liquidés à la somme de 1 010 F; Dit que la contrainte par corps s'exécutera conformément aux dispositions des articles 750 et suivants du Code de procédure pénale; Sur l'action civile, Confirme le jugement en toutes ses dispositions civiles; Y ajoutant, Condamne Maurice B à payer à Eric Grosjean la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) en remboursement des frais non taxables par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à hauteur d'appel; Le condamne en outre aux dépens d'appel né de l'action civile; Le tout par application des articles susvisés, 473, R. 246, 515, 749 et suivants du Code de procédure pénale.