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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 25 février 2004, n° 2003-07583

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence Baert Souillart (SARL)

Défendeur :

Lactalis Consommation Hors Foyer (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Picque, Roche

Avoués :

SCP Lagourgue-Olivier, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Leloup, Urion.

T. com. Paris, 21e ch., du 31 janv. 2003

31 janvier 2003

Le contrat d'agence commerciale qu'elle avait conclu initialement en 1994 avec la SNC Lactalis Consommation Hors Foyer - LCHF - (société Lactalis), ayant été résilié le 27 septembre 2000, la SARL Agence Baert Souillart - ABS - (société ABS) l'a attraite le 5 septembre 2001, devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre condamner à lui payer, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges:

- 5 908,52 euro TTC augmentés des intérêts au taux légal à compter du 11 novembre 2000 et leur capitalisation annuelle, au titre des commissions dues sur les ventes à Penny Market,

- 5 837,20 euro TTC majorés des intérêts au taux légal à compter du 1er mai 2001, au titre des commissions dues postérieurement à la cessation du contrat,

- 69 411,53 euro majorés des intérêts au taux légal à compter de l'assignation outre leurs capitalisations annuelles, au titre de l'indemnité de cessation de contrat, et 3 200 euro de frais irrépétibles.

La société Lactalis s'est opposée, à titre principal, aux demandes de la société ABS et a sollicité subsidiairement, de limiter:

- les commissions [concernant la société Penny Market] à 4 940,24 euro, et [celles dues au titre de l'article 5-2 alinéa 2 du contrat], à 4 880,60 euro,

- l'indemnité de fin de contrat à 11 479,56 euro, et de condamner la société ABS à lui verser 3 500 euro de frais non compris dons les dépens.

Par jugement contradictoire du 31 janvier 2003 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a condamné la société Lactalis à payer globalement 27 173,72 euro à la société ABS, augmentés des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2001 et leur capitalisation annuelle dans les termes de l'article 1154 du Code civil, outre 3 000 euro de frais non-taxables.

Appelante le 10 mars 2003, la société ABS expose, aux termes de ses ultimes conclusions signifiées le 13 janvier 2004, que le contrat d'agence commerciale a pris effet le 1er janvier 1994 pour une durée initiale d'un an, puis est devenu à durée indéterminée, faute d'avoir été dénoncé par les parties dans les conditions de son article 9-4, le préavis de dénonciation étant alors fixé à trois mois. Il a été résilié par lettre du 27 septembre 2000 à effet du 31 décembre suivant, aucune faute n'étant reprochée à l'agent.

L'appelante critique le jugement en ce qu'il a limité à six mois de commissions le montant de l'indemnité de cessation et qu'il n'a pas alloué la TVA sur les deux condamnations prononcées au titre des commissions.

Concernant ces dernières, elle indique:

- qu'elle n'a pas accepté la suppression unilatérale de la commission perçue sur les ventes faites à l'entreprise Penny Market et conteste que son prétendu silence ait pu emporter son accord, alors que les chèques de règlement ont été encaissés en acompte sur les sommes restant dues,

- que la revendication du client concerné de ne plus traiter avec un agent commercial ne supprime nullement son droit à commission dès lors que l'intéressé fait partie de son secteur et qu'au surplus, il a été apporté par l'agent commercial lui-même,

- que les parties sont d'accord sur le calcul du montant des commissions concernant tant le client Penny Market, que l'article 8-2 alinéa 2 du contrat, mais que le tribunal a refusé, à tort, d'y inclure le montant de la TVA.

La société ABS invoque la nullité de l'article 10 du contrat qui limite l'indemnité de cessation de contrat à la valeur revenant personnellement à l'agent dans l'apport, la création ou le développement de clientèle pour le compte du mandant. Elle soutient que cette clause se heurte aux dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code commerce qui fixe l'indemnité à hauteur du préjudice subi, de sorte que le chiffre d'affaires réalisé avec la clientèle pré-existante lors de la conclusion du contrat d'agent commercial, ne peut pas être écarté de l'assiette de calcul.

Elle invoque les usages de la profession d'agent commercial et la jurisprudence pour revendiquer une indemnité égale à deux années de la moyenne des commissions perçues au cours des trois dernières années. La société ABS conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Lactalis à lui payer:

- 4 940,24 euro HT au titre des commissions Penny Market,

- 4 880,20 euro HT au titre de celles correspondantes à l'article 8-2 alinéa 2 du contrat, le tout augmenté des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2001 et leur capitalisation annuelle dans les termes de l'article 1154 du Code civil, outre 3 000 euro de frais non-taxables.

Poursuivant sa réformation pour le surplus, elle sollicite l'application de la TVA sur les montants HT alloués au titre des commissions, soit de les fixer respectivement à 5 908,52 euro TTC et 5 837,20 euro TTC.

Elle requiert en outre de porter à 69 411,53 euro, le montant de l'indemnité de cessation du contrat d'agence, outre une indemnité complémentaire de 4 000 euro pour ses frais irrépétibles.

Intimée, la société Lactalis demande liminairement, aux termes de ses dernières écritures signifiées le 21 janvier 2004, le rejet des débats des pièces et conclusions communiquées les 9 et 13 janvier 2004, par la société ABS. Elle fait valoir que le prononcé de la clôture était initialement fixé au 14 janvier 2004 et que les bilans simplifiés des années 2000, 2001 et 2002 auraient pu être produits bien antérieurement d'autant que leur communication avait été vainement requise par ses soins au cours de la première instance.

Sur le fond, la société Lactalis réplique que le territoire concédé n'était pas vierge de toute prospection lors de la souscription du contrat litigieux, puisque plus de cinq millions de litres de lait y étaient annuellement vendus. Elle précise que la société ABS n'a cependant pas eu d'indemnité à verser ou de prix d'acquisition de clientèle à financer lors de la reprise du secteur à l'occasion de la souscription du contrat. Elle considère en conséquence que l'article 10 du contrat est conforme aux prévisions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, puisque que l'indemnité stipulée n'est pas préalablement déterminée, mais est fonction du préjudice effectivement subi, ce dernier étant forcément moindre que celui qui serait survenu si l'appelante avait eu à acquérir préalablement la clientèle existante au moment de la souscription du contrat.

La société Lactalis considère aussi qu'il appartient à la société ABS de rapporter la preuve tant de l'usage invoqué que du dommage qu'elle prétend éprouver, l'indemnité ne pouvant pas être supérieure au montant réel de celui-ci. Elle prétend qu'en tout état de cause, il n'existe pas de disposition législative ou réglementaire qui impose le versement de deux années de commissions. Elle en déduit, à titre subsidiaire, qu'en fixant l'indemnité à six mois, le tribunal a fait une juste application de la loi sur la base d'éléments objectifs, en tenant compte tout à la fois de la durée des relations contractuelles, du montant [limité] des investissements réalisés par l'agent, des éventuels frais de licenciement, du temps nécessaire pour se reconvertir et de l'apport réel de clientèle.

Elle prétend, concernant la modification de la commission sur les ventes réalisées avec la société Penny Market, qu'aux termes de sa lettre du 29 janvier 1999 à la société ABS, un accord était intervenu entre les parties, selon lequel la nouvelle commission était fixée à 0,02 F par litre en contrepartie de l'engagement de la société ABS d'obtenir l'accord du client sur une majoration tarifaire. Aucun accord de la société Penny Market sur l'augmentation des tarifs n'ayant été établi par la société ABS, le paiement de la commission sus-visée a été suspendu le 12 mai 2000, ce qui a été confirmé par lettre du 29 juin 2000 sans faire l'objet à l'époque, de contestation de l'appelante.

L'intimée soutient qu'en matière commerciale, le silence gardé à réception d'une lettre récapitulant les propositions auxquelles les correspondants sont par ailleurs parvenus, vaut acceptation des termes de celle-ci, de sorte que, selon la société Lactalis, par son silence à réception des lettres précitées, la société ABS a tacitement accepté " la suspension provisoire du versement des commissions sur le client Penny Market ".

La société Lactalis prie la cour d'écarter des débats les pièces et conclusions des 9 et 13 janvier 2004. Formant implicitement appel incident, elle conclut à la réformation du jugement entrepris, en ce qu'il a fait droit à la demande concernant les commissions sur les ventes à la société Penny Market et a annulé l'article 10 du contrat fixant les modalités de calcul de l'indemnité de fin de contrat.

Elle prie également la cour:

- de dire que la société ABS a implicitement accepté la décision de suspendre les commissions litigieuses et d'ordonner le remboursement des sommes versées à ce titre en exécution provisoire du jugement,

- de limiter l'indemnité de fin de contrat à 11 479,56 euro et d'ordonner la restitution de la différence, trop versée en exécution de l'exécution provisoire de la décision des premiers juges.

Elle requiert aussi, 10 000 euro de frais non compris dans les dépens et, subsidiairement, la confirmation pure et simple du jugement.

Sur ce,

Sur l'incident

Considérant que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 janvier 2004;

Qu'antérieurement, alors que la clôture était initialement envisagée le 14 janvier précédent selon date annoncée dans le bulletin du 29 décembre 2003 de fixation du calendrier, la société Lactalis en a sollicité le report, aux termes des lettres des 13 et 14 janvier 2004 de son avoué, aux motifs précisément des dernières productions survenues et de la signification de nouvelles conclusions;

Qu'au surplus, la société Lactalis a elle-même déposé d'ultimes écritures et a communiqué deux pièces nouvelles (n° 16 et 17) le jour même du prononcé de l'ordonnance de clôture (21 janvier 2004), sans provoquer de demande de rejet de la part de son adversaire;

Qu'il apparaît dès lors que l'intimée a disposé d'un laps de temps suffisant pour prendre connaissance, analyser et le cas échéant répliquer tant aux pièces communiquées les 9 et 13 janvier 2004, qu'aux conclusions de l'appelante signifiées le 13 janvier 2004;

Qu'en conséquence, l'incident soulevé par la société Lactalis sera rejeté;

Sur les commissions réclamées

Considérant que le montant de 4 880,60 euro et des commissions résultant de l'application des stipulations de l'article 8-2 alinéa 2 du contrat, n'est pas discuté;

Considérant par ailleurs, concernant les commissions sur les ventes à la société Penny Market, que contrairement à ce que laisse entendre la société Lactalis, il ne résulte pas des termes de la lettre adressée le 29 janvier 1999 par la société Besnier, aux droits et obligations de laquelle se trouve l'intimée, que la nouvelle commission d'un montant de 0,02 F par litre applicable à compter du 1er janvier 1999, ait été assortie de l'engagement de l'agent commercial d'obtenir un quelconque accord du client concerné sur une nouvelle grille tarifaire;

Qu'en application de l'article 1315 du Code civil, il appartient à la société Lactalis de rapporter la preuve de l'obligation de la société ABS dont elle invoque l'inexécution pour justifier la "suspension" du paiement de la commission correspondante;

Qu'en outre, le commissionnement de la société ABS sur les ventes à la société Penny Market constitue un droit qui lui a été consenti contractuellement, pour lequel l'éventuel renoncement doit être sans équivoque;

Qu'en l'espèce, le prétendu silence de la société ABS, invoqué par la société Lactalis, ne constitue pas un renoncement sans équivoque de l'intéressée à ses commissions sur les ventes Penny Market, puisque l'appelante a précisé, sur la facture du 28 février 2001 pour la période considérée, que celle-ci avait été établie à partir du relevé dressé par la société Lactalis et "sous réserves de vérification", et qu'elle a précisé, par sa lettre du 3 septembre 2001, qu'elle encaissait le chèque correspondant en tant "qu'acompte sur les sommes nous restant dues au titre des commissions de l'année 2000";

Qu'au surplus, contrairement à ce qu'affirme la société Lactalis, sa lettre du 12 mai 2000 à la société ABS a fait l'objet d'une réponse de cette dernière le 30 mai suivant, des termes de laquelle il ne résulte pas qu'elle admet, même implicitement, avoir souscrit une obligation quant à l'obtention d'un accord de la société Penny Market sur l'éventuelle élévation des tarifs;

Considérant aussi, que la matérialité du montant de 4 940,24 euro et, au titre des commissions Penny Market, n'a pas été discutée;

Que par ailleurs il n'est pas davantage contesté que les commissions de l'agent commercial sont soumises à la TVA et qu'il convient dès lors de faire droit à la demande correspondante de l'appelante en substituant les montants TTC à ceux HT fixés par le tribunal;

Sur l'indemnité de cessation du contrat d'agence

Considérant qu'il est constant que le contrat d'agence commerciale s'est déroulé du 1er janvier 1994 au 31 décembre 2000, soit pendant sept années entières;

Que l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, n'implique pas un apport initial ni une création de clientèle par l'agent et que toutes les commissions brutes perçues par celui-ci doivent être intégrées dans son calcul;

Qu'en limitant l'indemnité de l'agent commercial à la valeur lui revenant " personnellement dans l'apport, la création ou le développement de clientèle ", l'article 10 du contrat litigieux n'est pas conforme aux dispositions d'ordre public du texte précité, en ce qu'il a pour effet d'empêcher l'indemnisation entière du préjudice éprouvé par l'intéressée du fait de la cessation du contrat d'agence;Qu'il est en conséquence réputé non écrit, en application de l'article L. 134-16 du Code de commerce;

Considérant par ailleurs, que l'indemnité ayant pour objet la réparation du dommage résultant de la privation pour l'avenir du courant d'affaires sur lequel l'agent percevait une commission, l'éventuel exercice d'autres mandats par celui-ci, est sans incidence sur son calcul;

Qu'il suit que la production, réclamée en première instance par la société mandante, des bilans des trois derniers exercices sociaux de l'agent, est inopérante pour la détermination du montant de l'indemnité requise, dès lors que le montant annuel des commissions antérieurement versées n'est pas sérieusement controversé ;

Considérant que la cessation du contrat a également pour effet de priver l'agent de la possibilité de la transmission, à titre onéreux, de son mandat à un successeur et que l'indemnité a pour objet de compenser la perte de ce droit qui a une valeur patrimoniale;

Qu'il y a lieu, eu égard à la durée des relations contractuelles, de fixer l'indemnité de cessation du contrat due par le mandant à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois derniers exercices, en ce compris les commissions sur les ventes à la société Penny Market;

Que les montants indiqués par la société ABS n'ont pas été contredits par la société Lactalis et qu'il convient dès lors, de fixer cette indemnité au montant arrondi de 69 410 euro;

Sur les intérêts moratoires, l'anatocisme et les frais irrépétibles

Considérant que le caractère indemnitaire fait échapper l'indemnité au champ d'application de la TVA et que, la fixation de son montant ne résultant pas de l'application de clauses contractuelles, les intérêts moratoires ne sont applicables qu'à compter du jour où celle-ci a été déterminée pour la première fois par le tribunal;

Que par ailleurs la capitalisation annuelle des intérêts sera ordonnée dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil, la demande correspondante ayant été formulée dans l'acte introductif d'instance;

Qu'en outre, il serait inéquitable de laisser à l'appelante, la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel;

Par ces motifs, Rejette l'incident, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a: - admis le principe des commissions restant dues et de l'indemnisation de la cessation du contrat, - condamné la SNC Lactalis Consommation Hors Foyer - LCHF - aux dépens de première instance et à verser 3 000 euro de frais irrêpétibles à la SARL Agence Baert Souillart - ABS -, sauf à préciser que l'article 10 du contrat est réputé non écrit, Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SNC Lactalis Consommation Hors Foyer - LCHF - à payer à la SARL Agence Baert Souillart - ABS -: - 5 908,52 euro TTC au titre des commissions concernant la société Penny Market, majorés des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 septembre 2001, valant mise en demeure, - 5 837,20 euro TTC au titre de celles dues au titre de l'article 8-2 alinéa 2 du contrat, majorés des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 septembre 2001, valant mise en demeure, - 69 410 euro au titre de l'indemnité de cessation du contrat, majorés des intérêts au taux légal à compter de la décision du 31 octobre 2003 des premiers juges, Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts dus sur les trois sommes dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil, Condamne la SNC Lactalis Consommation Hors Foyer -LCHF- aux dépens d'appel et à verser 2000 euro de frais non-taxables à la SARL Agence Baert Souillart -ABS-, Admet la SCP Lagourgue, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.