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Décisions

CA Agen, ch. corr., 14 octobre 1993, n° 930216

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Delfour

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dreuilhe

Substitut :

général: M. Kubiec

Conseillers :

Mme Dauriac, M. Lateve

Avocats :

Mes Montagne, Tertre.

TGI Cahors, ch. corr., du 22 janv. 1993

22 janvier 1993

Faits de la procédure:

Suivant jugement rendu le 22 janvier 1993, le Tribunal correctionnel de Cahors a relaxé Christian F, artisan menuisier, qui avait délivré une assignation en paiement de ses travaux devant le juge civil trois jours avant que le maître de l'ouvrage, Solange Delfour ne dépose plainte par lettre au Service de la Répression des Fraudes pour tromperie sur les qualités substantielles de marchandises et d'une prestation de service.

Le tribunal relevait que deux experts désignés successivement dans l'instance civile ne constataient aucun élément, dans les quelques défauts dans la quantité et la qualité du travail effectué par F, qui puisse constituer une qualité substantielle au sens de la loi de 1905.

Le 28 janvier 1993, Maître Keraval, agissant au nom et pour le compte de sa cliente, Madame D, relevait appel des dispositions civiles de cette décision, par déclaration au greffe du Tribunal correctionnel de Cahors.

Le 29 janvier 1993, le Ministère public relevait appel incident des seules dispositions pénales de ce jugement.

Réguliers tant sur le plan de la forme que des délais, les appels sont recevables.

Le prévenu, cité à domicile, est présent assisté de Me Montagne.

La partie civile citée à personne par acte de Me Veyssière, huissier de justice à Cahors est absente, mais a fait parvenir une lettre de désistement d'appel en date du 16 septembre 1993.

Renseignements:

Le prévenu n'a jamais été condamné et fait l'objet de bons renseignements.

Faits:

Par jugement en date du 10 juin 1993, le Tribunal de grande instance de Cahors a rejeté la demande de sursis à statuer jusqu'à la décision pénale présentée par Madame Delfour et condamné celle-ci à payer le reliquat des travaux évalués à la suite de deux expertises 168 176 F, alors que Monsieur F les avait facturés 173 339,57 F, 5 000 F à titre de dommages et intérêts et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En 1977, Monsieur et Madame Delfour agrandissaient une maison qu'ils avaient acquise à Caillac en effectuant d'abord le gros œuvre. Puis ils s'adressaient à divers artisans et Monsieur F devait établir trois devis à partir de 1988. Il devait expliquer qu'un devis et une facture avaient été faits uniquement pour correspondre à un prêt sollicité par Madame Delfour auprès de l'ANAH.

Au mois de septembre 1990 Monsieur F demandait une réception des travaux. Devant le refus de Madame D, il lui envoyait une lettre recommandée le 19 octobre 1990 valant mise en demeure d'avoir à payer le solde des travaux. Madame Delfour estimait la facture trop importante par rapport aux travaux et les parquets de chêne et de châtaignier de qualité insuffisante et mal posés.

Elle répondait en menaçant de déposer plainte et Monsieur F l'assignait alors en paiement devant le tribunal de grande instance.

Aucun des devis n'avait été accepté et aucune commande n'avait été faite par écrit par Madame D. Or, les propriétaires se sont dispensés d'architecte ou de principal entrepreneur et si une partie de leur réclamation est liée à la qualité du parquet, une autre résulte de la qualité des travaux, prestation de service où ils avaient eux-mêmes assuré le rôle de maître d'œuvre.

Madame Delfour se plaignait à la Répression des Fraudes qu'un pan de mur n'avait pas été isolé, que de l'air frais circulait dans la salle de bain et que la descente d'eau de pluie avait été mal posée. Or, dans les devis figurent des métrés sans indication de l'emplacement des travaux.

En présence de la seule facture servant de base à l'assignation civile et du premier rapport d'expertise, les inspecteurs de la Répression des Fraudes ont dressé procès-verbal en estimant que pour les parquets la mention du devis 1er choix n'existait pas mais qu'il y avait une qualité "premier" dont les normes devaient s'appliquer au litige et que si les lames de parquet en chêne massif correspondaient bien à cette norme, la pose n'était pas conforme pour du chêne de classe Premier car il y avait environ 25 % de lames de 20 à 30 centimètres au lieu de 20 % maximum admis par cette norme ainsi que trop de lames "à coupes perdues" de moins de 15 centimètres. Ils estimaient qu'il y avait dans le parquet en châtaignier trop d'anomalies et de grincements et que ces défauts devaient être considérés comme un déclassement de la norme de pose pour de la qualité "premier". Ils estimaient que la différence entre les métrés facturés et constatés par le premier expert, Monsieur Bousquet était trop importante et constituait donc une tromperie.

Moyens des parties:

Par conclusions parvenues à la cour le 30 août 1993, le prévenu sollicite sa relaxe en faisant notamment remarquer que la première facture avait été délivrée dès décembre 1989 pour permettre à Madame Delfour d'obtenir le déblocage du prêt ANAH et que si la loi de 1905 s'applique maintenant aux services, la simple contestation d'une facture, même si des points peuvent être discutés, comme précisé par les experts dans l'affaire civile, ne peut constituer une tromperie.

D'après le prévenu la médiocrité du chantier a été liée à l'absence de coordination et de supervision. Les experts civils ont tenu compte de la prestation fournie et des quelques défauts en moins value. Aucune isolation n'avait été commandée pour le mur non isolé.

Son conseil relevait également que les plaques de plâtre ayant été posées dans la salle de bains, le chauffagiste avait fait passer des tuyaux sans faire de raccord de plâtre.

Ce manquement regrettable ne peut être reproché soutient-il à Christian F en l'absence d'indication contractuelle d'un travail supplémentaire de finition dont il serait tenu. Le résultat déficient du chauffage qu'il soit lié à une isolation commandée insuffisante ou un mauvais calcul du chauffagiste ne concerne pas le prévenu qui a fait poser les plaques commandées.

Madame Delfour contestant le métré par rapport au travail fini, aucune tromperie ne peut être reprochée en l'absence de preuve du travail expressément commandé et en présence de trois devis successifs se superposant pour partie.

Le Ministère public se rapporte à justice.

Décision de la cour:

Attendu que si la loi de 1905 sur les fraudes a été étendue aux services, encore faut-il que, pour dresser procès-verbal, les agents puissent constater une tromperie sur les qualités substantielles d'un service, cause déterminante du contrat ou du choix du contractant ou de la prestation commandée;

Attendu que Madame Delfour a voulu, pour l'organisation d'un chantier important, se passer d'architecte ou de maître d'œuvre, ce qu'elle avait le droit de faire; que néanmoins, en l'absence de devis accepté, d'échange de lettres avant travaux, si l'existence d'un contrat était manifesté par le début des travaux rapportant la preuve de la volonté commune des parties de les faire exécuter par le cocontractant, l'étendue des travaux et la qualité du travail fourni ne pouvaient se présumer;

Attendu que c'est à tort que le Service de la Répression des Fraudes a dressé procès-verbal au vu d'une facturation non payée et soumise à l'examen du juge civil, acte d'un seul cocontractant qui était soumis à la discussion judiciaire et à la contestation de l'autre partie;

Attendu qu'en l'état de la seule plainte de la victime supposée, la preuve était impossible à rapporter d'une tromperie sur les qualités substantielles d'un contrat de travaux du bâtiment résultant d'un accord de volonté où le travail ne découlait que d'instructions verbales du propriétaire, maître d'œuvre, le devis n'ayant fait que des estimations de métré et des prix à la surface et ne pouvant servir de preuve en l'absence d'acceptation;

Attendu qu'en s'inspirant des constatations du premier expert et de leur propre examen visuel, les agents se sont trompés en fait après s'être trompés en droit; que les métrés des travaux de plâtrerie de Christian F, sous contractés, avaient été faits en incluant les ouvertures dans le prix et la surface globale; qu'en effectuant, le calcul du métré, si la surface plate était plus réduite que celle calculée avec précision par les experts, il fallait alors tenir compte du travail au niveau des ouvertures, encadrements de portes et de fenêtres, qui nécessitant plus de découpes et de finitions, devaient alors soit être recalculé en équivalent surface plane soit donner lieu à une plus value;

Attendu que le résultat des deux expertises civiles a tourné à la déconfiture de Madame Delfour; que si sa bonne foi est mise en cause, la légèreté des agents du Service de la Répression des Fraudes est à l'origine de la procédure pénale, puisqu'ils pouvaient, avant de dresser procès-verbal, procéder à des auditions d'autres artisans ayant travaillé sur le chantier de Madame D;

Attendu que le seul véritable grief concerne le plancher en chêne qui aurait dû être mieux posé et fini, mais ce seul travail médiocre de l'artisan portant sur 1-16e de l'ensemble des travaux ne pouvait pas, en l'absence de preuve qu'il s'agissait pour Madame Delfour de la cause déterminante de son engagement, constituer une qualité substantielle de l'ensemble du service proposé par Monsieur Christian F; qu'il s'ensuit que les défauts dans la pose du parquet en châtaignier ne pouvaient donner lieu qu'à une action en responsabilité contractuelle civile de Monsieur F que la décision de relaxe déférée sera donc confirmée;

Attendu que Madame Delfour s'étant désistée de son appel sera condamnée aux dépens de l'action civile en cause d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare les appels réguliers et recevables en la forme, Au fond confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions pénales et civiles, Condamne Madame Delfour aux dépens de l'action civile en cause d'appel, Laisse les dépens de l'action publique à la charge du trésor, Le tout par application des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.