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Décisions

CA Paris, 8e ch. A, 26 novembre 2002, n° 2001-22335

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gerling Namur Assurances du Crédit (SA)

Défendeur :

Gernigon (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazières

Conseillers :

MM. Piquard, Brunet

Avoués :

SCP Moreau, Me Blin

Avocats :

Mes Gil Guzman, Boccalini.

TI Le Raincy, du 27 sept. 2001

27 septembre 2001

Par actes sous seing privé du 14/10/1994, M. Gernigon Jean-Luc, exploitant son fonds de commerce de librairie papeterie presse, a souscrit au profit de son commerce un contrat de location de matériel de télésurveillance avec la société Fimacom (société Financière Matra Communication), et auprès de la société CET (Cie Européenne de Télésurveillance) fournisseur du matériel loué, un abonnement de télésurveillance moyennant 610 F par mois HT, comprenant le coût de la prestation de télésurveillance ainsi que le coût de la location du matériel.

Le contrat de location a été souscrit pour une période irrévocable de 48 mois. Le loyer, payable entre les mains de Fimacom était fixé initialement à 990 F HT par mois, comprenant à la fois le coût de la location du matériel (85 %) et le coût de la prestation de télésurveillance. M. Gernigon ayant cessé de payer les loyers en invoquant la cession de son fonds de commerce en mars 1995, le contrat a été résilie le 28/04/1995. La société Namur Assurances du Crédit, assureur de Fimacom qui a payé à son assurée à ce titre la somme de 60 252,10 F a été subrogée dans les droits de Fimacom.

Par requête du 20/03/1997, la société Namur Assurances du Crédit a sollicité du juge d'instance du Raincy qu'il enjoigne à M. Gernigon de lui verser 53 227,68 F (mensualités impayées) outre les intérêts au taux de 18 % (2 766,21 F) et une clause pénale (4 258,21 F), le tout représentant l'indemnité de résiliation suivant décompte arrêté au 14/01/1997.

Une ordonnance d'injonction de payer a été rendue le 10/4/1997 pour un montant de 52 227,68 F en principal, outre les intérêts au taux légal à compter du 15/1/1997.

M. Gernigon et son épouse ont formé opposition et fait délivrer à la société Namur Assurances du Crédit une assignation aux fins d'entendre:

- prononcer la rétractation du commandement de payer 60 261,11 F signifié le 4/2/2000,

- condamner la société demanderesse à leur verser 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir.

Le premier juge a estimé abusive la clause du contrat de location interdisant de mettre fin à celui-ci en cas de cause légitime comme la cession de fonds de commerce et celle prévoyant une durée irrévocable de 4 années.

La société Gerling Namur Assurances du Crédit appelante a demandé à la cour de: (écritures du 9/9/2002)

- infirmer le jugement entrepris,

- constater que l'ordonnance d'injonction de payer n'a été rendue qu'à l'encontre de M. Gernigon,

en conséquence:

- déclarer irrecevable et en tout cas non fondé Mme Gernigon en ses demandes,

- constater que le contrat de location liant la société Fimacom (aux droits de laquelle succède la société Gerling Namur Assurances du Crédit) et M. Gernigon a été exécuté,

subsidiairement,

- dire que l'exception de nullité dont s'agit est une nullité relative,

- constater que M. Gernigon a confirmé le contrat de location,

- dire M. Gernigon irrecevable et en tout cas non fondé en ses demandes,

au contraire,

- dire la société Gerling Namur Assurances du Crédit recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer l'ordonnance d'injonction de payer du 10/4/1997 en toutes ses dispositions,

- condamner M. Gernigon à régler à la société Gerling Namur Assurances du Crédit la somme de 538 114,51 euros (?),

Subsidiairement et si par impossible la cour considérait que la cession de fonds de commerce est opposable à la société Gerling Namur Assurances du Crédit,

Vu les dispositions de l'article 10-1 b et c du contrat de location,

- condamner M. Gernigon à régler à la société Gerling Namur Assurances du Crédit la somme de 9 009,74 euros,

- si la cour entend déduire les 16 % du montant de société Gerling Namur Assurances du Crédit la somme de 7 568,18 euros,

et y ajoutant:

- condamner M. et Mme Gernigon au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

M. et Mme Gernigon ont ainsi conclu leur argumentation en cause d'appel : (écritures du 21/8/2002)

- confirmer le jugement déféré,

subsidiairement:

Vu les dispositions de L'article 1152 du Code civil,

- dire que l'indemnité litigieuse, stipulée quelque soit l'hypothèse de résiliation, constitue une pénalité dont le montant est manifestement excessif,

- modérer à un montant symbolique le montant de ladite pénalité qui ne saurait excéder trois mois de loyers, et débouter la société Gerling Namur Assurances du Crédit du surplus de ses prétentions,

- condamner en tout état de cause la société Gerling Namur Assurances du Crédit à payer la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus de celle précédemment allouée de ce chef par le premier juge,

- rejeter toutes les demandes contraires,

- et condamner la société Gerling Namur Assurances du Crédit en tous les dépens de première instance et d'appel.

Sur ce LA COUR,

Considérant que devant la cour M. et Mme Gernigon intimés ne critiquent pas expressément les dispositions du jugement en ce qu'elles ont déclaré irrecevable l'opposition de Mme Gernigon et rejeté l'argumentation de M. Gernigon sur le fondement de la loi sur le démarchage, qu'au besoin la cour adopte expressément les motifs du premier juge sur ces points;

Considérant qu'il sera ajouté que le contrat a été conclu par M. Gernigon au nom de "la Tabaterie", que l'article L. 121-22 du Code de la consommation prévoit que ne sont pas soumises à la loi sur le démarchage à domicile les locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation commerciale ou de toute autre profession, qu'il ne peut être sérieusement contesté que le matériel loué et le contrat d'entretien afférent avaient pour objet la surveillance des locaux commerciaux, que ç'est d'ailleurs à raison de la vente du fonds que M. Gernigon entend se dégager de ses obligations au motif que le successeur n'a pas souhaité continuer les contrats souscrits;

Considérant sur le caractère abusif des clauses du contrat, qu'il y a lieu d'observer qu'il a été souscrit deux conventions distinctes mais complémentaires:

- un contrat de location assurant le financement du matériel de vidéo-surveillance conclu avec Fimacom aux droits de laquelle Gerling Namur Assurances du Crédit est subrogée,

- un contrat de prestation de services sous la forme d'un abonnement de vidéosurveillance conclu avec la société CET, qui n'a d'ailleurs pas été appelée en la cause;

Considérant que la société Fimacom a acquis pour le compte de M. Gernigon le matériel choisi par lui, que les conventions de l'espèce ne se réduisent aucunement à un contrat de prestation de services de télésurveillance lequel peut être interrompu, moyennant préavis sinon sans risque d'exploitation du moins sans grand risque financier par le prestataire de services;

Considérant que la société de financement ayant acquis le bien comptant dans l'intérêt exclusif du locataire doit être assurée d'une durée irrévocable minimale et de la poursuite à son terme du contrat, en l'espèce 4 ans, pour compenser et rémunérer le service rendu par le crédit ainsi octroyé et les risques financiers pris, que dans une telle hypothèse ni la durée du contrat qui est ainsi fonction du coût du matériel acquis, ni l'indemnité de résiliation en cas de résolution anticipée ne présentent un caractère abusif;

Considérant que permettre au locataire de mettre fin à tout moment à la location romprait l'équilibre financier du contrat alors que le bailleur a fait un investissement dans l'intérêt du locataire, investissement qui doit être amorti ;

Considérant que la recommandation émise par la Commission des clauses abusives sur les contrats de télésurveillance distingue précisément et expressément les contrats d'abonnement à une prestation de services de ceux incluant l'acquisition et la location de matériel, que la Commission recommande de considérer comme abusives diverses clauses visées à l'article 24 mais dont aucune ne concerne la situation présente;

Considérant que M. Gernigon invoque plus spécialement la clause 24 a qui stipule "obliger le consommateur à poursuivre le paiement des loyers alors que le contrat de télésurveillance serait suspendu, résolu ou résilié" laquelle ne reflète pas le cas de l'espèce sinon par une assimilation hâtive ;

Considérant que l'article 24 ne constitue précisément qu'une recommandation qui n'est pas reprise par décret comme prévu au paragraphe 1er de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, que les articles R. 132-1 et R. 132-2 du même Code ne renvoient pas à l'article de la recommandation invoqué par l'intimé;

Considérant encore que la cession de son fonds de commerce par M. Gernigon ne saurait être opposée à la société Gerling Namur Assurances du Crédit subrogée dans les droits de Fimacom alors qu'en application des dispositions de l'article 1165 du Code de la consommation les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent pas aux tiers, que la clause qui interdit de se prévaloir de la vente du commerce surveillé ne fait ainsi qu'appliquer la loi ;

Considérant au demeurant que l'argumentation ci-dessus développée ne l'est qu'à toutes fins, que l'article L. 132-1 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives n'est applicable que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou commerçants;

Considérant que c'est à tort qu'en l'espèce le premier juge a écarté le qualificatif de professionnel en ce qui concerne M. Gernigon qui a contracté pour les besoins de son commerce et en qualité de commerçant pour une acquisition et un service ayant un rapport direct avec son activité de buraliste et les risques spécifiques qui s'y attachent;

Considérant que l'argument selon lequel M. Gernigon n'aurait pas été un spécialiste de la télésurveillance est spécieux, que des connaissances techniques clans ce domaine n'ont aucun caractère déterminant pour la conclusion d'un contrat dont il convenait seulement d'examiner l'opportunité et les contraintes financières et juridiques qu'il comportait, examen qui entrait dans la sphère de compétence du commerçant concerné;

Considérant que l'article 10 c du contrat de location prévoit une indemnité de résiliation, qui à supposer même qu'elle constitue une clause pénale réductible, ne peut l'être qu'à la condition qu'elle présente un caractère manifestement excessif;

Considérant que la clause qui prévoit une indemnité de résiliation égale au total des loyers TTC et une indemnité de 10 % en sus ne présente aucun caractère manifestement excessif alors qu'elle ne fait que procurer au bailleur un avantage équivalent à celui qui aurait été retiré de la poursuite du contrat à son terme outre une majoration raisonnable;

Considérant que M. Gernigon ayant réglé le montant de 3 loyers reste redevable de 45 loyers à 1 193,94 F TTC [soit] 53 327,30 F [+] indemnité de 10 % [soit] 5 372,73 F, [=] 59 100,03 F (soit 9 009,74 euros).

Considérant que cette somme est supérieure à la demande principale formulée par la société Gerling Namur Assurances du Crédit qui limite ses prétentions à la confirmation de l'ordonnance 52 227,68 F en principal, soit 7 962,06 euros ;

Considérant qu'il appartenait à M. Gernigon commerçant de lire les clauses explicites de son contrat et de ne pas s'engager dans un investissement conséquent réalisé à crédit et non comptant moins de 6 mois avant la vente de son fonds ou de négocier celle-ci de telle sorte que la poursuite des contrats soit assurée, que le crédit-bailleur ou son subrogé n'ont pas à supporter les conséquences des revirements et approximations de gestion de M. Gernigon;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Gerling Namur Assurances du Crédit la charge de la totalité de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris. Statue à nouveau : Déclare Mme Gernigon irrecevable en son opposition. Déclare M. Gernigon recevable. Condamne M. Jean-Luc Gernigon à payer à la société Gerling Namur Assurances du Crédit : 1) la somme de 7 962,06 euros en principal, 2) celle de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. Rejette toutes autres demandes des parties. Condamne M. Gernigon aux dépens de première instance et d'appel. Admet M. Blin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.