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Décisions

CJCE, 29 juin 2004, n° C-110/02

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, République portugaise, République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Timmermans, Rosas, Gulmann, Puissochet, Cunha Rodrigues

Avocat général :

M. Jacobs.

Juges :

MM. La Pergola, Schintgen, von Bahr, Lenaerts

CJCE n° C-110/02

29 juin 2004

LA COUR (assemblée plénière),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 mars 2002, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 230 CE, demandé l'annulation de la décision 2002-114-CE du Conseil, du 21 janvier 2002, concernant l'autorisation d'octroyer une aide par le Gouvernement du Portugal aux éleveurs de porcs portugais bénéficiaires des mesures accordées en 1994 et 1998 (JO L 43, p. 18, ci-après la "décision attaquée").

2 Par ordonnances du président de la Cour des 16 et 19 septembre 2002, la République portugaise et la République française ont été respectivement admises à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil, cette dernière n'étant toutefois autorisée à présenter des observations que lors d'une éventuelle procédure orale.

Le cadre juridique

3 L'article 88, paragraphes 2 et 3, CE prévoit:

"2.Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine.

Si l'État en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la Commission ou tout autre État intéressé peut saisir directement la Cour de justice, par dérogation aux articles 226 et 227.

Sur demande d'un État membre, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut décider qu'une aide, instituée ou à instituer par cet État, doit être considérée comme compatible avec le Marché commun, en dérogation des dispositions de l'article 87 ou des règlements prévus à l'article 89, si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Si, à l'égard de cette aide, la Commission a ouvert la procédure prévue au présent paragraphe, premier alinéa, la demande de l'État intéressé adressée au Conseil aura pour effet de suspendre ladite procédure jusqu'à la prise de position du Conseil.

Toutefois, si le Conseil n'a pas pris position dans un délai de trois mois à compter de la demande, la Commission statue.

3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, aux termes de l'article 87, elle œuvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale."

La décision attaquée et son contexte

4 Par le decreto-lei n° 146-94, du 24 mai 1994 (Diário da República I, série A, n° 120, du 24 mai 1994, ci-après le "décret-loi de 1994"), la République portugaise a institué un régime d'aides portant création, d'une part, d'une ligne de crédit pour le désendettement des entreprises du secteur de l'élevage intensif et, d'autre part, d'une ligne de crédit pour la relance de l'activité porcine. Ce régime d'aides n'a pas été notifié à la Commission.

5 Agissant sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, la Commission a adopté la décision 2000-200-CE, du 25 novembre 1999, relative au régime d'aides mis en œuvre par le Portugal pour le désendettement des entreprises du secteur de l'élevage intensif et la relance de l'activité porcine (JO 2000, L 66, p. 20). Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, la ligne de crédit pour le désendettement des entreprises d'élevage intensif est déclarée incompatible avec le Marché commun dans les cas où l'équivalent-subvention de cette ligne de crédit, cumulé avec les aides aux investissements reçues, dépasse 35 % dans les zones agricoles non défavorisées. Le paragraphe 2 de la même disposition déclare incompatible avec le Marché commun la ligne de crédit pour la relance de l'activité porcine. La récupération des aides déjà illégalement mises à disposition des bénéficiaires, assortie des intérêts sur ces sommes, est ordonnée en vertu de l'article 3 de ladite décision.

6 La République portugaise a par ailleurs instauré, par decreto-lei n° 4-99, du 4 janvier 1999 (Diário da República I, série A, n° 2, du 4 janvier 1999 ci-après le "décret-loi de 1999"), un moratoire prolongeant d'un an le délai de remboursement de certains emprunts contractés par les exploitations du secteur porcin pratiquant la production, l'engraissement et le finissage en cycle fermé, ainsi qu'un financement à court terme en faveur desdites exploitations au moyen de prêts bonifiés. Bien qu'ayant été notifiées à la Commission, ces mesures ont été mises en œuvre avant que cette dernière ne se prononce à leur égard.

7 Ces aides ont été déclarées incompatibles avec le Marché commun et leur récupération ordonnée par la décision 2001-86-CE de la Commission, du 4 octobre 2000, concernant le régime d'aide mis à exécution par le Portugal dans le secteur porcin (JO 2001, L 29, p. 49).

8 Le 23 novembre 2001, la République portugaise a invité le Conseil de l'Union européenne à adopter, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, une "décision l'autorisant à accorder une aide aux éleveurs de porcs portugais qui doivent rembourser les aides perçues en 1994 et en 1998 et [déclarant] cette aide compatible avec le Marché commun".

9 Faisant droit à cette demande, le Conseil a adopté la décision attaquée, dont l'article 1er est libellé comme suit:

"Est considérée comme compatible avec le Marché commun, une aide extraordinaire du Gouvernement portugais au secteur porcin portugais consistant à octroyer une aide aux bénéficiaires visés par les décisions de la Commission du 25 novembre 1999 et du 4 octobre 2000, pour un montant maximum de 16,3 millions d'euros équivalant aux montants que ces bénéficiaires devront restituer en vertu de ces décisions."

10 Après avoir indiqué les circonstances particulières et les caractéristiques du secteur porcin portugais ayant conduit la République portugaise a adopter les décrets-lois de 1994 et de 1999, les motifs de la décision attaquée précisent, à leur point 9, que les aides instituées en vertu desdits décrets-lois, "[...] comme le prouve l'évolution des échanges, n'ont pas eu d'incidences particulières sur les échanges intra-communautaires et, par conséquent, n'ont pas entraîné de distorsion de concurrence."

11 Aux termes des points 12 à 14 des motifs de la décision attaquée:

"(12) La Commission a estimé, dans ses décisions du 25 novembre 1999 et du 4 octobre 2000, que les mesures en question n'étaient pas compatibles avec le Marché commun. En application de ces décisions, une procédure de récupération des aides accordées a été lancée par les autorités portugaises.

(13) Néanmoins, le remboursement des aides accordées compromet la viabilité économique de bon nombre de bénéficiaires et aurait un impact social très négatif dans certaines régions, ainsi, 50 % des porcins sont concentrés sur moins de 5 % du territoire.

(14) Il existe donc des circonstances exceptionnelles permettant de considérer cette aide, à titre dérogatoire et dans la mesure strictement nécessaire au redressement de la situation de déséquilibre constatée, comme compatible avec le Marché commun, dans les conditions prévues par la présente décision."

Sur le recours

12 La Commission invoque cinq moyens au soutien de son recours, tirés respectivement de l'incompétence du Conseil, du détournement de pouvoir et de procédure, de la violation du traité CE et de divers principes généraux, de l'erreur manifeste d'appréciation et du défaut de motivation de la décision attaquée.

Sur le premier moyen

Arguments des parties

13 Par son premier moyen, la Commission soutient que le Conseil n'avait pas compétence pour adopter la décision attaquée. Le raisonnement qu'elle développe à cet égard comporte deux étapes.

14 En premier lieu, la Commission soutient que la décision attaquée a des effets identiques à ceux que produiraient une révocation ou une annulation des décisions 2000-200 et 2001-86, par lesquelles elle a déclaré incompatibles avec le Marché commun les aides versées en vertu des décrets-lois de 1994 et de 1999 et ordonné la récupération de celles-ci.

15 En autorisant le versement aux éleveurs portugais concernés d'une aide d'un montant équivalent à celui qu'ils sont tenus de rembourser en vertu desdites décisions de la Commission, la décision attaquée aurait anéanti les effets de ces dernières. En effet, elle aurait empêché la suppression effective des aides déclarées incompatibles par la Commission, ainsi que le retour au statu quo qu'exige l'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, afin de préserver le marché de distorsions de concurrence.

16 Selon la Commission, la décision attaquée revient en réalité à autoriser les aides initiales, précédemment déclarées incompatibles par cette institution.

17 En second lieu, la Commission soutient qu'il résulte du libellé de l'article 88 CE que le traité a entendu lui confier, à titre de monopole, les missions de contrôle et de gestion des aides d'État. Ceci s'expliquerait par le fait que seule une instance totalement indépendante des États membres est à même d'examiner les mesures d'aide adoptées par ceux-ci avec l'objectivité et l'impartialité requises et d'assurer que la concurrence n'est pas faussée dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

18 Quant au pouvoir conféré au Conseil en vertu de l'article 88, paragraphe 2, CE, il revêtirait un caractère d'exception, exorbitant du droit commun. En attesteraient tant le libellé du troisième alinéa de cette disposition, qui se réfère à des "circonstances exceptionnelles", que celui de son quatrième alinéa, qui prévoit un délai durant lequel la demande de l'État membre suspend la procédure engagée devant la Commission, délai à l'expiration duquel cette dernière recouvre son pouvoir de "statuer", c'est-à-dire de décider définitivement sur les aides concernées. L'octroi au Conseil d'un tel pouvoir de décision, lequel, pour une période limitée dans le temps, prime celui de la Commission, serait au demeurant dépourvu de signification si la décision du Conseil pouvait, en toutes circonstances, l'emporter sur celle de la Commission.

19 Selon la Commission, il s'ensuit que le Conseil n'a pas compétence pour adopter une décision sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, lorsqu'une aide a été déclarée incompatible avec le Marché commun par une décision de la Commission. Dans cette mesure, le Conseil ne serait pas davantage compétent pour anéantir les effets d'une telle décision, en autorisant l'octroi d'aides destinées à compenser, dans le chef des bénéficiaires de l'aide ainsi déclarée incompatible, le remboursement auquel ils sont astreints en vertu de cette décision.

20 Le Conseil soutient, en premier lieu, que le raisonnement de la Commission repose tout entier sur la prémisse selon laquelle la décision attaquée aurait annulé ou révoqué les décisions 2000-200 et 2001-86. Or, la décision attaquée ne remettrait pas en cause les obligations de remboursement découlant de ces décisions, puisque ce serait, au contraire, dans le cadre de la pleine exécution de celles-ci, et en tenant compte des conséquences économiques et sociales engendrées par cette exécution, que le Conseil aurait décidé d'autoriser l'aide nouvelle que la République portugaise se proposait d'accorder.

21 La qualification d'aide nouvelle dépendrait en effet de considérations d'ordre formel et objectif. Or, l'aide autorisée par la décision attaquée consisterait bien en un versement nouveau, résultant d'une disposition nationale autre que les décrets-lois de 1994 et de 1999, répondant à des conditions d'éligibilité et de paiement différentes de celles applicables aux aides accordées sur le fondement de ces décrets-lois.

22 Selon le Conseil, le fait que l'aide autorisée par la décision attaquée constitue une aide nouvelle ressort également de la définition de l'"aide nouvelle" contenue à l'article 1er du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), disposition qui vise à cet égard "tout régime d'aides ou toute aide individuelle, qui n'est pas une aide existante, y compris toute modification d'une aide existante". En effet, la notion d'aide "existante" impliquerait que l'aide en cause a déjà été autorisée, ce qui précisément n'est pas le cas de l'aide sur laquelle porte la décision attaquée.

23 Par ailleurs, l'article 11, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 659-1999, qui prévoit la possibilité d'autoriser l'État membre à accompagner le remboursement de l'aide illégale du versement d'une aide au sauvetage de l'entreprise concernée, confirmerait également la possibilité d'adopter des décisions divergentes concernant des aides d'État accordées successivement aux mêmes opérateurs. Il en irait de même de la jurisprudence communautaire, qui aurait implicitement admis que la Commission puisse subordonner le versement d'aides nouvelles déclarées compatibles à la récupération d'aides antérieures déclarées incompatibles (arrêt du Tribunal du 13 septembre 1995, TWD/Commission, T-244-93 et T-486-93, Rec. p. II-2265, et arrêt de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission, C-355-95 P, Rec. p. I-2549).

24 Enfin, le Conseil fait valoir que ni les décisions de la Commission déclarant une aide incompatible avec le Marché commun ni aucun autre texte n'emportent à l'encontre des bénéficiaires d'une telle aide une interdiction de recevoir d'autres aides dans un futur plus ou moins proche. Le principe de l'examen individuel de chaque aide successive devrait être respecté en toutes circonstances (arrêt du 23 novembre 2000, Wirtschaftsvereinigung Stahl e.a./Commission, C-441-97 P, Rec. p. I-10293, point 55). Si la décision attaquée n'était pas intervenue, l'aide qu'elle a autorisée, qui au demeurant aurait bien été notifiée à la Commission par la République portugaise, aurait dû être examinée par cette institution et donner lieu à une décision de cette dernière.

25 S'agissant, en second lieu, de la portée de l'article 88, paragraphe 2, CE, le Conseil considère que le délai de trois mois mentionné au quatrième alinéa de cette disposition est prévu à de simples fins de suspension. Il s'ensuivrait que le Conseil demeurerait libre d'autoriser l'aide concernée nonobstant l'expiration de ce délai.

26 Quant au conflit susceptible de survenir à cet égard entre une décision antérieure de la Commission, constatant l'incompatibilité d'une aide avec le Marché commun, et une décision postérieure du Conseil, autorisant cette aide, ce dernier soutient que le principe applicable en présence de normes incompatibles est, en l'absence de hiérarchie entre celles-ci, celui en vertu duquel la norme postérieure déroge à la norme antérieure.

27 La République portugaise partage en substance l'analyse du Conseil. L'aide autorisée par la décision attaquée serait une aide nouvelle, distincte de celles instituées par les décrets-lois de 1994 et de 1999, ayant été notifiée à la Commission à ce titre. Ledit État membre ajoute que la circonstance que l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE investit le Conseil du pouvoir de se prononcer non seulement sur une aide "à instituer", mais également sur une aide "instituée", confirme que ce dernier est habilité à autoriser une aide alors même que la Commission s'est déjà prononcée sur celle-ci. En effet, il résulterait du paragraphe 3 du même article que tout octroi ou toute "institution" d'une aide exige un examen préalable de celle-ci par la Commission, en sorte que l'aide ne saurait être instituée que si une décision favorable de la Commission est intervenue à cet égard.

Appréciation de la Cour

28 Aux fins de statuer sur le premier moyen invoqué par la Commission au soutien de son recours, il convient, en premier lieu, de déterminer si, ainsi que cette dernière le soutient, l'article 88, paragraphe 2, CE doit être interprété en ce sens que, dès lors que la Commission a adopté une décision constatant le caractère incompatible d'une aide d'État avec le Marché commun, le Conseil n'est plus autorisé à décider, sur le fondement du troisième alinéa de cette disposition, que ladite aide doit être considérée comme compatible avec le Marché commun.

29 À cet égard, il y a tout d'abord lieu de rappeler que le traité, en organisant par l'article 88 CE l'examen permanent et le contrôle des aides par cette institution, entend que la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun résulte, sous le contrôle du Tribunal et de la Cour, d'une procédure appropriée dont la mise en œuvre relève de la responsabilité de la Commission. Les articles 87 CE et 88 CE réservent ainsi à cette dernière un rôle central pour la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide(voir, notamment, arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, points 9 et 14).

30 Il convient, ensuite, de relever que, ainsi qu'il ressort des termes mêmes de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, cette disposition vise un cas exceptionnel et particulier (arrêt du 12 octobre 1978, Commission/Belgique, 156-77, Rec. p. 1881, point 16). Selon ladite disposition, en effet, le Conseil, statuant à l'unanimité, "sur demande d'un État membre", peut décider qu'une aide, instituée ou à instituer par cet État, doit être considérée comme compatible avec le Marché commun "en dérogation des dispositions de l'article 87 ou des règlements prévus à l'article 89", si des "circonstances exceptionnelles" justifient une telle décision.

31 Il s'ensuit que le pouvoir dont le Conseil se trouve investi par l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE revêt manifestement, ainsi que le soutient à bon droit la Commission, un caractère d'exception.

32 Dans un tel contexte, il doit être admis que les précisions figurant audit article 88, paragraphe 2, troisième et quatrième alinéas, selon lesquelles, d'une part, la saisine du Conseil par un État membre suspend l'examen en cours au sein de la Commission durant un délai de trois mois et, d'autre part, à défaut de décision du Conseil dans ce délai, la Commission statue, indiquent que, lorsque ledit délai a expiré, le Conseil n'est plus compétent pour adopter une décision au titre dudit troisième alinéa à l'égard de l'aide concernée. La prise de décisions dont le dispositif s'avérerait contradictoire est ainsi évitée.

33 L'édiction d'une telle limitation temporelle à la compétence du Conseil lorsque la Commission a déjà ouvert la procédure visée à l'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, sans avoir toutefois encore adopté de décision déclarant l'aide incompatible avec le Marché commun, et la circonstance que la Commission conserve, seule, au terme du délai de trois mois visé au quatrième alinéa de cette disposition, la compétence de statuer sur l'aide concernée, indiquent également que, si aucune demande n'a été adressée au Conseil par l'État membre concerné, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, avant que la Commission déclare l'aide en cause incompatible avec le Marché commun et clôture de la sorte la procédure visée au premier alinéa de la même disposition, le Conseil n'est plus autorisé à exercer le pouvoir exceptionnel que lui confère ledit troisième alinéa aux fins de déclarer une telle aide compatible avec le Marché commun.

34 Il peut être observé à ce dernier égard que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil (C-122-94, Rec. p. I-881), la décision litigieuse du Conseil ne faisait pas suite à une décision de la Commission déclarant une aide incompatible avec le Marché commun, cette dernière s'étant en l'occurrence bornée à estimer, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 3, CE, que le projet d'aide en cause n'était pas compatible avec le Marché commun et à ouvrir la procédure prévue au paragraphe 2, premier alinéa, de cet article.

35 Il peut enfin être relevé que l'interprétation retenue aux points 32 et 33 du présent arrêt, qui permet d'éviter qu'une même aide d'État fasse l'objet de décisions contraires prises successivement par la Commission et le Conseil, contribue, ainsi que la Commission l'a soutenu à juste titre, à la sécurité juridique. En effet, il importe notamment de rappeler à cet égard que le caractère définitif d'une décision administrative, acquis à l'expiration de délais de recours raisonnables ou par l'épuisement des voies de recours, contribue à ladite sécurité (arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, C-453-00, non encore publié au Recueil, point 24).

36 Quant à l'argument du Gouvernement portugais tiré du fait que l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE autorise également le Conseil à se prononcer à l'égard d'aides "instituées", alors qu'il résulterait du paragraphe 3 de cet article que toute "institution" d'une aide exigerait précisément que la Commission se soit préalablement prononcée sur celle-ci, en sorte que le Conseil aurait le pouvoir de statuer à propos d'aides ayant fait l'objet d'une décision antérieure de la Commission, il y a lieu de constater qu'il procède d'une contradiction dans les termes. En effet, il ne saurait être soutenu concomitamment qu'une aide "instituée" au sens de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE est une aide qui doit nécessairement avoir été antérieurement déclarée compatible avec le Marché commun par la Commission, en application des dispositions de l'article 87 CE, et que le Conseil dispose du pouvoir de déclarer ultérieurement une telle aide compatible avec le Marché commun par dérogation à ces dispositions.

37 En second lieu, il incombe à la Cour de vérifier si la circonstance que le Conseil n'a pas compétence pour se prononcer sur la compatibilité avec le Marché commun d'une aide à propos de laquelle la Commission a déjà statué définitivement implique, ainsi que le soutient cette dernière, que le Conseil est également incompétent pour statuer sur une aide qui a pour objet l'attribution, aux bénéficiaires de l'aide illégale antérieurement déclarée incompatible par une décision de la Commission, d'un montant destiné à compenser les remboursements auxquels ceux-ci sont tenus en application de cette décision.

38 À cet égard, il convient de relever, tout d'abord, que, contrairement à ce que soutient le Conseil, il ne saurait être inféré de la jurisprudence de la Cour que, en présence d'une telle aide, les institutions communautaires conservent toute liberté de statuer sans être tenues d'avoir dûment égard à la décision antérieure de la Commission constatant l'incompatibilité des aides initialement consenties aux intéressés.

39 En effet, la Cour a, tout au contraire, jugé que, lorsque la Commission examine la compatibilité d'une aide d'État avec le Marché commun, cette institution doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure ainsi que les obligations que cette décision a pu imposer à un État membre (voir, notamment, arrêts du 3 octobre 1991, Italie/Commission, C-261-89, Rec. p. I-4437, point 20, et TWD/Commission, précité, point 26). La Cour en a notamment déduit que, lorsqu'il n'a été présenté à la Commission aucun élément nouveau lui permettant d'apprécier si les aides en cause pouvaient bénéficier d'une dérogation au titre du traité, celle-ci est fondée à baser sa décision sur les appréciations qu'elle avait déjà portées dans la décision précédente et sur l'inobservation de la condition qu'elle y avait imposée (arrêt Italie/Commission, précité, point 23).

40 La Cour a, de même, jugé qu'un régime transitoire maintenant les effets d'un régime d'aides d'État non notifié à la Commission et déclaré incompatible avec le droit communautaire par une décision de cette dernière - sans toutefois que cette institution ait exigé la récupération des aides concernées -, devait, dans toute la mesure du possible, être interprété d'une manière qui permette d'assurer sa compatibilité avec cette décision, c'est-à-dire en ce sens qu'un tel régime transitoire n'autorise pas l'octroi de nouvelles aides d'État postérieurement à l'abrogation du régime d'aides sanctionné par ladite décision de la Commission (ordonnance du 24 juillet 2003, Sicilcassa e.a., C-297-01, Rec. p. I-7849, point 44).

41 Ensuite, il importe de rappeler que, aux termes d'une jurisprudence constante, la suppression d'une aide étatique, illégalement accordée, par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (voir, notamment, arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit "Tubemeuse", C-142-87, Rec. p. I-959, point 66, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, C-310-99, Rec. p. I-2289, point 98).

42 L'obligation pour l'État membre de supprimer une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le Marché commun vise en effet au rétablissement de la situation antérieure et cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire. Par cette restitution, ce dernier perd l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie (voir, notamment, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-350-93, Rec. p. I-699, points 21 et 22, ainsi que du 7 mars 2002, Italie/Commission, précité, points 98 et 99).

43 Dans ces conditions, admettre qu'un État membre puisse octroyer aux bénéficiaires d'une aide illégale, antérieurement déclarée incompatible avec le Marché commun par une décision de la Commission, une aide nouvelle d'un montant équivalent à celui de l'aide illégale, destinée à neutraliser l'impact des remboursements auxquels ces derniers sont tenus en application de ladite décision, reviendrait à l'évidence à mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu des articles 87 CE et 88 CE(voir, par analogie, arrêts du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, point 17, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, précité, point 104).

44 Enfin, il convient de rappeler que, ainsi qu'il ressort des points 33 et 35 du présent arrêt, dès lors qu'une décision constatant l'incompatibilité d'une aide avec le Marché commun a été adoptée par la Commission, le Conseil ne saurait paralyser l'efficacité de cette décision en déclarant lui-même l'aide compatible avec le Marché commun sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

45 Il s'ensuit que le Conseil ne saurait davantage mettre en échec l'efficacité d'une telle décision en déclarant compatible avec le Marché commun, au titre de ladite disposition, une aide destinée à compenser, au profit des bénéficiaires de l'aide illégale déclarée incompatible par la Commission, les remboursements auxquels ceux-ci sont tenus en application de ladite décision.

46 Force est au demeurant d'admettre que, en de telles circonstances, l'aide octroyée en second lieu est liée d'une manière tellement indissociable à celle dont l'incompatibilité avec le Marché commun a été antérieurement constatée par la Commission qu'il apparaît largement artificiel de prétendre opérer une distinction entre ces aides aux fins de l'application de l'article 88, paragraphe 2, CE.

47 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE doit être interprété en ce sens que le Conseil ne saurait, sur le fondement de cette disposition, valablement déclarer compatible avec le Marché commun une aide ayant pour objet l'attribution, aux bénéficiaires d'une aide illégale antérieurement déclarée incompatible avec le Marché commun par une décision de la Commission, d'un montant destiné à compenser les remboursements auxquels ils sont tenus en application de ladite décision.

48 S'agissant de la présente espèce, il est constant que la République portugaise n'a pas saisi le Conseil d'une demande, présentée sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, aux fins d'obtenir que les aides instituées par les décrets-lois de 1994 et de 1999 soient déclarées compatibles avec le Marché commun. Il est de même constant que ces aides ont été déclarées incompatibles avec le Marché commun et que leur récupération a été ordonnée par les décisions 2000-200 et 2001-86.

49 Quant à la décision attaquée, force est de constater qu'il ressort des termes mêmes de son intitulé et de ceux de son article 1er que l'aide qu'elle a entendu déclarer compatible avec le Marché commun avait pour objet spécifique d'octroyer aux bénéficiaires des aides précédemment déclarées incompatibles avec ledit marché, par les décisions 2000-200 et 2001-86, un montant destiné à permettre à ces derniers de faire face aux remboursements auxquels ils sont tenus en application de ces deux décisions.

50 Ainsi qu'il ressort du point 47 du présent arrêt, le Conseil ne pouvait valablement adopter une décision telle que celle attaquée.

51 Il s'ensuit que le premier moyen invoqué par la Commission au soutien de son recours, tiré du défaut de compétence du Conseil pour adopter la décision attaquée, est fondé et que celle-ci doit, en conséquence, être annulée.

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

52 Le premier moyen de la Commission ayant été accueilli et la décision attaquée devant être annulée de ce chef, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par la Commission au soutien de son recours.

Sur les dépens

53 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Conseil et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, la République portugaise et la République française supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (assemblée plénière),

déclare et arrête:

1) La décision 2002-114-CE du Conseil, du 21 janvier 2002, concernant l'autorisation d'octroyer une aide par le Gouvernement du Portugal aux éleveurs de porcs portugais bénéficiaires des mesures accordées en 1994 et 1998, est annulée.

2) Le Conseil de l'Union européenne est condamné aux dépens.

3) La République portugaise et la République française supportent leurs propres dépens.