CA Rennes, 1re ch. B, 8 mars 2001, n° 00-01122
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dudouit
Défendeur :
Bidan (ès qual.), Autoport (Sté), Loquais (ès qual.), Auto Port (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boivin
Conseillers :
Mme Nivelle, M Bohuon
Avoués :
SCP Castres Colleu & Perot, Me Gautier
Avocats :
Mes Bancel-Guezello, Dumont.
Faits - procédure - moyens :
Le 12 mai 1995 M. Jacky Dudouit a signé auprès de la société Autoport, concessionnaire BMW à Lorient, un bon de commande pour l'achat d'un véhicule BMW 325 TDS Pack, au prix de 233 274,91 F garanti jusqu'au 12 août 1995, avec engagement par le concessionnaire de reprendre le même véhicule d'occasion pour 178 274,91 F. Le contrat prévoyait en son article 5 qu'en cas d'annulation de la commande le concessionnaire retiendrait sur le prix de vente une commission de 10 % et les frais de remise en état et de vente.
Après avoir indiqué dans un premier temps, le 10 juillet 1995, que le véhicule ne pourrait pas être livré en septembre comme prévu mais avec un mois de retard, la société confirmait finalement à M. Dudouit, le 20 août 1995, que le véhicule serait livré dans les délais convenus.
Entre temps, le 5 août 1995, M. Dudouit avait adressé une lettre à la société Autoport faisant état de l'annulation de la commande en raison du retard prévu dans la livraison.
M. Dudouit n'ayant jamais pris possession du véhicule commandé et le véhicule de reprise ayant été vendu, la société Autoport a réclamé à M. Dudouit une somme de 29 533,83 F correspondant 10 % du montant de la valeur de reprise prévue augmentée des frais afférents à la remise en état et à la revente du véhicule.
La société Autoport a été mise en redressement judiciaire le 7 mai 1998.
Saisi par Maîtres Bidan et Loquais, pris en leurs qualités d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers de la société Autoport, d'une demande de condamnation à paiement de M. Dudouit, le Tribunal de grande instance de Lorient a d'abord, par jugement du 6 avril 1999, sursis à statuer pour production de pièces, puis, par jugement du 23 novembre 1999, a condamné M. Dudouit à la somme de 22 131,78 F avec intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 1997, avec exécution provisoire.
M. Dudouit a fait appel le 14 février 2000. Il demande à la cour de déclarer nul et de nul effet le contrat initial n° 170608 du 12 mai 1995, qui a été annulé et remplacé par le bon de commande n° 170612 du même jour, de dire et juger inopposables les conditions générales de vente, le second bon de commande n'ayant pas été signé, car le prix du véhicule neuf était incertain, de constater que la société Autoport a agi en l'absence de tout contrat, de constater que le défendeur reconnaît et savait que le véhicule n'était pas la propriété de M. Dudouit mais en location au nom de sa concubine Mme Crevecoeur, de dire et juger qu'il ne peut donc être considéré comme le bénéficiaire de la prestation du concessionnaire, et en conséquence de réformer le jugement.
Il demande subsidiairement de confirmer le jugement en ce qu'il déclare régulière l'annulation de la commande par M. Dudouit en application des dispositions de l'article 4 du contrat litigieux, de dire et juger abusive la clause de l'article 5 des conditions générales de vente du bon de commande, selon laquelle en cas d'annulation de la commande le concessionnaire n'est pas tenu d'effectuer la reprise et si le véhicule est vendu le prix de vente est remis au client sous déduction d'une commission de 10 % et des frais afférents à la remise en état et à la vente, et en conséquence de réformer le jugement.
Il demande très subsidiairement de réformer le jugement au motif que s'il avait eu connaissance du long délai de livraison il n'aurait pas contracté ni laissé son ancien véhicule à la revente, de dire et juger par conséquent mal fondées toutes demandes en paiement formées par Maîtres Bidan et Loquais, sur le fondement de l'article 1135 du Code civil.
Il demande de débouter Maître Loquais de sa demande reconventionnelle et pour le cas où il serait condamné à payer une commission à la société Autoport, de confirmer le jugement en ce qu'il arrêta le montant de cette commission à 22 131,78 F.
Enfin il demande la condamnation de Maître Loquais en qualité à lui payer 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Maître Loquais, ès qualité de liquidateur de la société Autoport, demande à la cour de débouter M. Dudouit de toutes ses demandes, de réformer partiellement le jugement et de condamner M. Dudouit à verser à la société Autoport la somme principale de 29 533,83 F augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 octobre 1997, 5 000 F de dommages et intérêts pour résistance abusive, 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Il expose que le véhicule d'occasion a été racheté non pas à M. Dudouit mais à la société Natio Location, son propriétaire, qui le louait à Mme Crevecoeur, la concubine de M. Dudouit, qu'il a été racheté pour le prix de 178 274,91 F avec frais, ce prix ayant servi de base de calcul des 10 %, puis qu'il a été revendu pour le prix de 175 000 F à M. Carre.
Il réplique à M. Dudouit que le deuxième bon de commande n'ayant pas été signé n'a pas de valeur contractuelle, que d'ailleurs les conditions générales des bons sont rigoureusement identiques, que le droit à la commission n'est pas lié à l'annulation de la commande initiale mais à la rémunération de sa prestation d'intermédiaire dans la revente, que le prix de reprise n'a pas été inférieur au prix du marché, et enfin, que la société Autoport n'a pas manqué à son obligation de livraison.
Motifs
Le premier bon de commande, portant le numéro 170608, n'a pas été annulé valablement par le seul courrier du 5 août 1995 de M. Dudouit car les conditions d'annulation prévues par l'article 4-d des conditions générales de la commande n'étaient pas réunies.
En effet, selon l'article précité, " en cas de dépassement de la date limite de livraison du véhicule du modèle ou de l'année modèle faisant l'objet de la commande excédant sept jours, l'acheteur aura, pendant un délai de 60 jours ouvrés décompté à partir de la date de la livraison, la faculté d'annuler sa commande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ".
Or, s'il est possible que le courrier du 20 août 1995 ait été établi par le concessionnaire pour échapper à l'annulation de la commande, il ne s'ensuit pas que M. Dudouit tirait de l'annonce d'un retard de livraison probable le droit unilatéral d'annulation fondé, selon l'article précité, sur un retard effectif de livraison.
D'ailleurs, à supposer établi que le concessionnaire voulait échapper à l'annulation, rien ne permet de penser qu'il voulait y échapper par une promesse qu'il savait ne pas pouvoir tenir plutôt que par une diligence accrue en concertation avec l'usine.
Bien au contraire le courrier initial de la société Autoport en date du 10 juillet 1995 démontre la volonté de cette dernière d'agir avec son client de façon transparente et loyale, puisqu'elle le prévient d'un retard possible par rapport aux prévisions contractuelles.
Si M. Dudouit n'était pas en droit d'annuler la commande de façon unilatérale, il résulte en revanche de l'envoi d'un nouveau bon de commande par la société Autoport, portant le numéro 170612, avec mention que ce bon annulait et remplaçait le n° 170608, que les parties étaient d'accord pour l'annulation de la commande sous le numéro 170608.
Cependant le deuxième bon de commande, portant le numéro 170612, n'a pas de valeur contractuelle car il n'a pas été signé par M. Dudouit, et ceci nonobstant la revente intervenue du véhicule d'occasion, qui ne constitue nullement un début d'exécution du deuxième bon de commande, comme l'allègue M. Dudouit.
Les parties n'étaient plus liées à ce stade par de quelconques obligations contractuelles.
Elles se trouvaient néanmoins dans la situation prévue à l'article 5 du premier bon de commande selon lequel :
" En cas d'annulation de la commande du véhicule neuf quelle que soit la cause, le concessionnaire n'est pas tenu d'effectuer la reprise ou de respecter tout engagement de reprise.
Si le véhicule de reprise a été vendu par le concessionnaire, le prix de vente est remis au client sous déduction d'une commission de 10% et des frais afférents à la remise en état du véhicule. "
La reprise était donc devenue facultative pour le concessionnaire, mais elle s'est néanmoins réalisée, sans opposition du client.
Quant à la commission de 10 %, elle est due quelle que soit l'interprétation donnée à cet article 5, soit commission due pour toute revente, soit commission due seulement en cas de revente après annulation de la commande, puisqu'il y a eu annulation de la commande.
Par contre il y a lieu de retenir les motifs du tribunal concernant le montant de la commission et des frais, notamment sur la base de calcul de la commission, qui est le prix de vente et non la valeur de reprise, ce qui conduit à fixer la somme éventuellement due à 22 131,78 F, comme fixée par le jugement, et non à celle de 29 533,83 F réclamée par Maître Loquais.
Il reste à apprécier le caractère abusif ou non de l'article 5.
Certes, cet article est contraire aux préconisations de l'annexe de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, car il peut avoir pour effet de limiter ou d'exclure les droits du consommateur en cas d'inexécution de ses obligations par le professionnel, en l'occurrence d'exclure l'obligation de reprise en cas d'annulation consécutive à un retard fautif dans la livraison.
Cependant le consommateur ne saurait invoquer le caractère abusif d'une clause contractuelle dans la mesure où il ne se trouve pas dans la situation que la loi entend empêcher. Or en l'espèce il n'y a pas au de retard de livraison fautif de la part de la société Autoport, mais seulement un avertissement qu'un retard était possible. De surcroît les préjudices invoqués par M. Dudouit n'existent pas puisque la valeur de reprise, soit 178 274,91 F, a été supérieure au prix de revente, soit 175 000 F, et puisqu'il prétend que la commission de 10 % est liée à l'annulation de la commande, et que l'annulation est de sa propre initiative.
Malgré tout cela le jugement devra être réformé, parce que M. Dudouit n'était pas le propriétaire du véhicule d'occasion, et qu'aucune somme ne lui a été versée sur la vente de ce véhicule. Or selon l'article 5 du bon de commande, sur lequel se fonde en définitive la demande de la société Autoport, le prix de vente doit être remis au client, sous déduction de la commission et des frais de vente.
M. Dudouit n'ayant ni bénéficié du prix de vente, ni même reçu celui-ci à titre transitoire, il ne peut lui être réclamé une commission qui doit en être déduite.
Enfin il sera équitable de laisser à la charge des parties les frais engagés par elles et non compris dans les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Déclare l'appel recevable; Infirme le jugement, Déboute la société Autoport, Maître Loquais ès qualité et Maître Bidan ès qualité de toutes leurs demandes, Les condamne à restituer les sommes perçues en vertu de l'exécution provisoire; Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Maître Loquais en qualité aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.