CA Douai, 6e ch. corr., 29 septembre 1992, n° 872
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ruffin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Michel
Conseillers :
MM. Lambret, Couturier
Avocats :
Mes Villain, Pagniez, Delommez, Taisne.
Par jugement en date du 31 mars 1992 contradictoire en ce qui concerne L Paul et D2 Jean-Marie et contradictoire à signifier en ce qui concerne D1 Jean-Jacques, le Tribunal correctionnel de Cambrai a renvoyé des fins de la poursuite L Paul, condamné D1 Jean-Jacques à 10 000 F d'amende, D2 Jean-Marie à 5 000 F d'amende, pour le délit de tromperie sur les qualités substantielles du véhicule Renault 5 9146 LN 59.
Au plan de l'action civile, le tribunal a condamné les prévenus D1 et D2 à payer à Monsieur Cédric Ruffin la somme de 11 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La décision signifiée à D1 Jean-Jacques le 6 mai 1992 a été régulièrement frappée d'appel en toutes ses dispositions le 1er avril 1992 par D2 Jean-Marie et le 2 avril 1992 par le Ministère public à l'égard des 3 prévenus.
Devant la cour, les prévenus comparaissent devant la cour, assistés de leurs conseils.
La partie civile conclut à la confirmation du jugement.
Sur l'action publique
Le 27 juin 1990, Monsieur Cédric Ruffin déposait plainte pour tromperie auprès des Services de la Concurrence et de la Consommation, à la suite de l'achat d'un véhicule d'occasion. Le plaignant précisait ainsi avoir acheté le 12 avril 1990 à Monsieur Jean-Jacques D1 un véhicule automobile Renault 5 GTL, mis en circulation le 23 septembre 1981, avec un kilométrage de 94 547 kms, au prix de 7 000 F. Son vendeur lui remettait un rapport de contrôle technique, établi le 9 avril 1990 par le garage D2 à Sailly les Cambrai. Ce rapport répertoriait 8 défauts, auxquels il fallait remédier dès que possible a savoir l'état de fixation du pare-chocs et du circuit du système de freinage hydraulique, une fuite aux organes mécaniques, l'éclairage de la plaque numérologique, et l'état des feux stop, l'état du pneu arrière droit, ainsi qu'une corrosion de la carrosserie.
Monsieur Ruffin ajoutait avoir rencontré de graves ennuis le 22 juin 1990 à l'issue desquels un garagiste lui avait annoncé que le longeron gauche était cassé et que le longeron droit allait céder.
Il consultait un expert en automobile inscrit sur la liste de la cour d'appel, qui procédait à un examen technique du véhicule le 19 septembre 1990. Son rapport était libellé ainsi qu'il suit :
Carrosserie
Véhicule sur pont élévateur, nous constatons :
- plancher sous siège arrière droit troué par la corrosion sur 30 cms x 3 cms.
- longerons arrière droit et arrière gauche rongés par la rouille.
- tôles support de bras de suspension arrière droit disparues suite à la corrosion. Pour remplacer ces bêles, le précédent propriétaire a posé un fer U à l'intérieur du bas de caisse et boulonné un autre fer U sur le bras de suspension. L'ensemble est calé dans le bas de caisse par des morceaux de fer plat.
De ce fait, le bras de suspension coulisse longitudinalement et n'est plus tenu latéralement que par la barre de torsion.
Il s'agit d'un montage invraisemblable rendant le véhicule extrêmement dangereux.
- le passage de roue arrière droite est fixé au plancher par des rivets pop. Les tôles ont été rapprochées pour combler le manque dû à la corrosion.
- les tôles de support de bras de suspension sont rongées par la rouille, le bras de suspension s'est incliné fortement après deux mois d'utilisation soit environ 1 000 kms parcourus.
- le pneu arrière gauche est lisse à l'intérieur de la bande de roulement, dû à l'affaissement progressif du bras.
- les bas de caisse rongés de rouille ont été camouflés avec du produit noir mat.
- les planchers avant gauche et avant droit sont troués par la corrosion.
Mécanique
De nombreuses fuites d'huile apparaissent le long du moteur.
Les désordres allégués existent donc et affectent les organes essentiels tels que :
- plateforme de la caisse.
- supports de la mécanique arrière.
Véhicule impropre à l'usage
Ce véhicule est totalement impropre à l'usage auquel il était destiné et inapte à la circulation car extrêmement dangereux.
Ces désordres ne sont visibles que sur un pont élévateur et n'étaient pas décelables par un acheteur non-professionnel.
Etat au moment de la vente
Lors de la transaction, le véhicule était dans un état identique, hormis le bras de suspension arrière gauche qui n'était pas encore affaisse.
Le centre qui a procédé au contrôle technique avant la vente était en mesure de constater visuellement, sans démontage préalable, de l'état de corrosion du véhicule et du bricolage impensable sur le support de bras de suspension arrière droit.
Le contrôleur a manqué à son devoir de conseil en ne rapportant pas sur le rapport de contrôle, les anomalies qu'il était en mesure de constater et qui rendent le véhicule extrêmement dangereux à la circulation;
Eléments du préjudice
Actuellement le véhicule est impropre à l'usage et doit être ferraillé.
Monsieur Ruffin subit un préjudice financier de :
- achat véhicule : 7 000 F
- coût de la carte grise : 550 F
- honoraires de l'expert : 800 F
- temps perdu, téléphone divers : 550 F
- frais d'assurance ; 1 000 F
Total : 9 900 F
Monsieur Dominique Murzin, précédent propriétaire du véhicule, précisait avoir remis la voiture le 8 mars 1990, auprès du garage L, qui lui vendait un véhicule d'occasion. Il déclarait que la R 5 GTL était destinée à la ferraille.
Monsieur Paul L confirmait avoir repris gratuitement le véhicule de Monsieur Murzin dont le coffre était pourri et les bras de suspension arrière cassés. Il l'avait cédé gratuitement à Monsieur D1, qui devait récupérer quelques pièces, avant de procéder à sa destruction.
Monsieur Jean-Jacques D1 confirmait cette déclaration en ajoutant avoir procédé à des réparations sur le véhicule notamment au niveau des longerons, et du bras de suspension.
Après remise en état, le véhicule avait été présenté au contrôle technique au sein du garage D2 avant d'être vendu à Monsieur Ruffin.
Monsieur Jean-Marie D2 contestait les faits de tromperie, en s'interrogeant sur les modifications apportées au véhicule après le contrôle technique réalisé le 9 avril 1990 jusqu'à l'expertise non contradictoire intervenue le 19 septembre 1990.
Dans le rapport daté du 27 septembre 1990, l'expert notait que le véhicule affichait 96 5143 kilomètres au compteur, et précisait que la voiture était dans un état identique, lorsqu'elle avait été achetée par Monsieur Murzin qui n'avait en conséquence parcouru en 5 mois d'utilisation que 2 000 kilomètres au volant d'un véhicule sommairement réparé par Monsieur D1 avant le contrôle technique.
S'agissant des faits de tromperie, il convient de rappeler qu'en dehors des formalités édictées par les articles 12 et suivants du décret du 22 janviers 1919 puis pour l'application de la loi du 1er août 1905, relatives à l'expertise des échantillons prélevés sur la marchandise objet de contrôle, l'alinéa 2 de l'article 1er dudit décret précise que la preuve des infractions à la loi sur la Répression des Fraudes peut être établie par toutes voies de droit commun.
En l'espèce, les conclusions du rapport de l'expert ont été portées à la connaissance de Monsieur Jean-Marie D2 lorsqu'il a été entendu par la gendarmerie le 21 mars 1991 puis soumises a un débat contradictoire devant le Tribunal correctionnel de Cambrai alors que l'acheteur du véhicule avait, en vain, proposé en janvier 1991, à Monsieur D2 de venir examiner le véhicule litigieux.
En l'état des constatations de l'expert, qui a pris soin de préciser que les graves anomalies du véhicule étaient décelables sans démontage, il apparaît que le rapport de contrôle technique a donné un avis totalement erroné sur l'état du véhicule d'occasion âgé de 10 ans, en occultant les défauts moyens qu'il présentait, de nature à le rendre dangereux. L'absence de mentions ou de remarques sur l'existence d'une intervention non-conforme aux règles de l'art, afin de remédier à la disparition pour cause de corrosion des tôles supports de bras de suspension arrière droit, constitue une faute professionnelle lourde, démontrant l'absence de sérieux du centre de contrôle technique. En ne procédant à aucune vérification afin de vérifier la fiabilité du document remis à un ami dont le nom n'apparaissait pas sur le rapport mais destiné en réalité à un simple particulier, Monsieur D2 s'est soustrait à l'obligation de contrôle qui lui incombait personnellement en sa qualité de responsable de l'établissement. Le grave manquement à ses obligations professionnelles, susceptible de mettre en cause la sécurité des usagers du véhicule ne permet pas d'admettre sa bonne foi, et caractérise l'élément intentionnel de délit qui lui est reproché.
Monsieur Jean-Jacques D1 ne contestait pas connaître l'état du véhicule qu'il avait acheté en vue d'un prélever des pièces avant de l'envoyer à la casse. Aucune information n'avait été donnée à l'acquéreur, sur les modifications apportées au véhicule, en vue de le rendre présentable, à la suite de la disparition d'éléments de la suspension par l'effet de la rouille, la remise du rapport de contrôle technique ne pouvant dispenser le vendeur de renseigner l'acquéreur des vices connus affectant le véhicule.
En l'état de ces éléments qui démontrent que l'action conjuguée de Monsieur D1 et de Monsieur D2, au moyen d'un rapport de contrôle technique erroné, a amené la partie civile à acquérir un véhicule dont les défauts majeurs et les désordres principaux avaient été occultes, il y a prise à confirmation de la décision relative à leur culpabilité.
Monsieur L n'est pas intervenu lors de la transaction litigieuse à l'origine des poursuites. Repreneur du véhicule de Monsieur Murzin, en l'état où il se trouvait, il l'avait cédé en vue de la récupération des pièces détachées. Il y a lieu de confirmer les dispositions du jugement qui l'a renvoyé des fins de la poursuite.
Sur les pénalités
Il y a prise à confirmation de la pénalité, infligée à Monsieur D1.
Compte tenu des circonstances de l'infraction, susceptibles de mettre en péril la sécurité de l'utilisateur du véhicule et de la profession exercée par Monsieur D2, professionnel de l'automobile, et bénéficiaire d'un agrément préfectoral pour assurer les contrôles techniques dits de sécurité, il y a prise à aggravation de la peine d'amende.
En application de l'article 7 de la loi du 1er août 1905, il y a lieu d'ordonner la publication par extraits, du présent arrêt dans les journaux La Voix du Nord, Nord Eclair, sans que les frais de la publication dépassent le maximum de l'amende encourue.
Sur l'action civile
Il y a prise à confirmation.
Au vu des éléments de la cause, il sera alloué à la partie civile une indemnité de 2 500 F au titre de l'article 1475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement. Sur l'action publique Confirme le jugement entrepris relatif à la relaxe de Monsieur L, aux déclarations de culpabilité de Monsieur D1 et D2 et à la peine prononcée contre Monsieur D1. L'infirmant sur le surplus. Condamne Monsieur Jean-Marie D2 à 50 000 F (cinquante mille francs) d'amende. Ordonne la publication par extraits de la décision dans les journaux La Voix du Nord, Nord Eclair, Nord Matin. Les condamne aux dépens. Sur l'action civile Confirme le jugement entrepris. Condamne les provenus à payer à Monsieur Cédric Ruffin la somme de 2 500 F (deux mille cinq cents francs) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.