Livv
Décisions

CA Douai, 4e ch. corr., 6 février 1991, n° 122

DOUAI

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chantry

Conseillers :

M. Levy, Mme Hannecart

Avocat :

Me Meurice.

TGI Lille, ch. corr., du 29 juin 1990

29 juin 1990

Francine G épouse D, prévenue et la SARL X, civilement responsable, ont interjeté appel d'un jugement du 229 juin 1990, par lequel le Tribunal correctionnel de Lille a déclaré ladite prévenue coupable :

- d'avoir à Wasquehal, courant mai à octobre 1989, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, étant ou non partie au contrat, trompé le contractant, soit sur la nature, l'espèce ou l'origine, les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles de la marchandise, soit sur la quantité des choses livrées ou leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat, soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emplois ou les précautions à prendre, en l'espèce en vendant sur le marché français des télécopieurs importés sans avoir obtenu le certificat d'homologation exigé par l'article L. 48 du Code des postes et télécommunications et les articles 1er à 7 du Décret 85-712 du 11 juillet 1985 ;

Fait prévu et réprimé par l'article 1 de la loi du 01/08/1905 l'a condamné à une amende de 50 000 F, a déclaré la SARL X civilement responsable.

Le Procureur de la République a formé un appel incident ;

Ces appels sont recevables.

Les premiers juges ont considéré la prévention établie aux motifs énoncés comme suit :

Attendu qu'il résulte des procès-verbaux et des débats que le dirigeant de la SARL X n'a pu présenter aux agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes aucun document justifiant l'homologation de 2 197 télécopieurs vendus au cours des mois de mai à octobre 1989 inclus.

Que la prévenue, gérante de la SARL, ne conteste pas ne pas avoir sollicité l'agrément pour lesdits appareils ; qu'elle fait plaider sa relaxe au motif ; Qu'il n'est pas établi que les télécopieurs n'aient pas été conformes à l'usage auquel ils étaient destinés, que la réglementation française est inapplicable et contraire aux dispositions de la directive européenne 88-301 du 16 mai 1988 ;

Attendu qu'en vertu des dispositions du Décret n° 85-712 du 11 juillet 1985 portant application de la loi du 1er août 1905 et relatif aux matériels susceptibles d'être raccordés au réseau de télécommunications de l'Etat, les distributeurs des matériels visés sont tenus de justifier de la conformité de ces appareils, les normes et spécifications étant précisées par avis du 1er novembre 1985.

Que la prévenue ne justifie pas de l'impossibilité pour elle d'obtenir cet agrément d'autant qu'une instance réglementaire indépendante des exploitants, la Direction de la réglementation générale est en place depuis mai 1989, outre le CNET, la DGT et AFNOR ;

Attendu qu'en commercialisant des appareils sans se soumettre à cette obligation et sans justifier de cet agrément, la prévenue a sciemment trompé les cocontractants et les acheteurs successifs ;

Attendu qu'indépendamment du problème de l'absence de mesure d'applications en droit interne de la directive européenne 88-301 du 16 mai 1988, la mise en place de la Direction de la réglementation générale avant le 1er juillet 1989, organe de contrôle indépendant, répond aux dispositions de l'article 6 de la directive susdite.

Comme devant le tribunal la prévenue conteste la matérialité de l'infraction et fait plaider l'absence de support légal de l'infraction et en droit national et aux regards des dispositions du droit communautaire aux motifs que, sur ce second moyen, elle expose comme suit :

" L'application de décret de 1985 doit être écarté par le juge national au regard du principe de l'effet direct des directives.

* l'effet direct

L'art 189 du traité de Rome dispose :

Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tous états membres.

La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens "

Il en résulte que pour être applicable en droit français une directive communautaire doit sur le plan des principes faire l'objet d'un texte d'application nationale.

Cependant la Cour de justice des Communautés a eu l'occasion de poser le principe de l'applicabilité direct des directives assorties d'un délai de mise en application par les états membres (arrêt SAGE du 17/12/70 Rec 70 p. 1213)

" l'Etat membre qui n'a pas pris dans les délais, les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non accomplissement des obligations qu'elle comporte.

Le justiciable est donc fondé à demander au juge national qu'il écarte la disposition interne incompatible avec la directive ;

* en l'espèce

L'article 8 de la directive 83-189 du Conseil des Communautés européennes prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et de la réglementation prévoit une obligation pour les Etats membres de communiquer à la Commission tout projet de règle technique.

La Commission a précisé dans une communication du 1er octobre 1986 que si un Etat Membre tombe sous le coup des dispositions de la directive numéro 83-189 sans communiquer le projet à la commission et sans respecter l'obligation de statu que, la règle ainsi adoptée ne peut pas être rendue exécutoire à l'égard de tiers en vertu du système législatif de l'état membre considéré...

Les parties sont en droit d'attendre des tribunaux nationaux qu'ils refusent la mise en application des règles techniques nationales qui n'ont pas été communiquées comme l'exige la législation communautaire.

Il est ici précisé que l'article 12 de la directive du 28 mars 1983 prévoit une mise en conformité des lois nationales à la directive dans un délai de 12 mois à compter de sa notification.

Or les spécifications techniques générales des articles 3 et 4 du décret du 11 juillet 1985 n'ont jamais été communiquées et, dans la mesure où il n'existe pas de cahier des charges techniques précis, il ne peut avoir été communiqué. Dès lors les tribunaux français sont en droit d'écarter la mise en application du décret du 11 juillet 1985 ;

Par ailleurs la directive de la Commission du 16 mai 1988 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de communication précise en son article 3 :

"Les Etats membres assurent que les opérateurs économiques ont le droit d'importer, commercialiser, raccorder, mettre en service et entretenir les appareils terminaux".

Il en résulte des lors un principe de liberté d'importer, de commercialiser, de raccorder les appareils terminaux. Toutefois les états membres peuvent limiter cette liberté en définissant des spécifications techniques et des procédures d'agrément selon les termes de l'article 5 de la directive, c'est-à-dire après avoir été communiqués à la Commission et fait l'objet d'une publication.

La seule entrave qui pourrait intervenir serait celle résultant de l'existence de la formalisation de spécification technique dont le contrôle ne pourrait, en application de l'article 6 de ladite directive, être assuré que par une entité indépendante des Entreprises publiques ou privées offrant des biens aux services dans le domaine des télécommunications.

L'article 6 de la directive prévoit en outre un délai expirant le 1er juillet 1989 pour communiquer et publier les spécifications prévues à l'article 4 et lui soumettre la procédure d'agrément dont il est précisé qu'elle doit être effectué par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens dans le domaine de la télécommunication.

Le 1er juillet 1989, la France n'a rien formalisé ni transmis à la Commission. Dès lors ne reste effectif de la directive de 88 que le principe de liberté de commercialisation.

L'Etat Français n'a défini aucune spécification -technique ni par le Décret de 1985, ni par un texte postérieur, de telle sorte que l'absence d'agrément qui au demeurant n'a aucune incidence sur l'usage auquel le matériel est destiné, et qui ne constitue - de l'aveu même de France Télécom - aucune garantie de bon fonctionnement, ne peut servir de support à la prévention.

Certes l'administration des PTT suivie en cela par les premiers juges avait fait valoir la " création " en mai 1989 d'une entité juridique indépendante sous la dénomination de " Direction de la réglementation générale " ;

Cette affirmation est vaine car en réalité cette direction n'a aucune indépendance et de surcroît n'a établi aucune spécifications techniques restrictives ;

En conséquence la France n'a pris aucun texte d'application de la directive de 1988 dans le délai qui lui était imparti.

La directive se trouve donc applicable et notamment son article 3 qui consacre le principe de la libre commercialisation en dehors de toute procédure d'agrément ou d'homologation.

Le décret de 1985 ne pouvant qu'être écarté au regard du droit communautaire, il n'y a pas de base légale aux poursuites du Ministère public.

La cour trouve dans les éléments soumis à son appréciation motifs suffisants pour, avant dire droit, poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question préjudicielle, ci-après libellée dans son dispositif.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, la prévenue ayant eu la parole la dernière. Avant dire droit, Vu les dispositions de l'article 177 du traité de Rome, Pose à la Cour de justice des Communautés européennes la question préjudicielle suivante " 1) la directive 83-1989 du 28 mars 1983, qui n'a pas été suivie d'un texte national d'application dans le délai de 12 mois est-elle d'effet direct en droit français ? 2) La directive 88-301 du 16 mai 1988, qui n'a pas été suivie d'un texte national d'application dans le délai expirant le 01/07/1989 est-elle d'effet direct en droit français ? 3) Dès lors les effets combinés de ces deux directives commandent ils d'écarter l'application du décret de 1985 ? Renvoie la cause et les parties à l'audience du Mercredi 25 septembre 1991 à 14 h.