CA Agen, ch. corr., 8 octobre 1992, n° 920301
AGEN
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Khaznadar
Avocat général :
M. Kubiec
Conseillers :
M. Lateve, Mme Dreuilhe
Avocat :
Me Lagarde.
Par jugement du 20 septembre 1991, le Tribunal correctionnel de Cahors a relaxé Messieurs Noël G et Guy M des fins de la poursuite intentée contre eux des chefs de publicité mensongère, par l'usage des termes "ferme" et "fermier" et tromperie sur les qualités substantielles de blocs de foie gras dont il avait été constaté qu'ils contenaient de la graisse, une quantité d'eau et de sucre excédant les limites fixées par les usages professionnels.
Le parquet a régulièrement interjeté appel de cette décision par acte du 26 septembre 1991.
Les prévenus régulièrement cités sont présents.
Les faits:
I - Sur l'infraction de publicité mensongère
Les prévenus sont co-gérants d'une SARL dénommée "X". Cette société spécialisée dans la production et la commercialisation de foies gras est issue d'une scission d'une ancienne coopérative agricole de production. Il y a plusieurs années, la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes avait appelé l'attention des dirigeants de cette entreprise sur l'usage des termes "ferme" ou "fermier" dans la mesure où une partie importante de leur production n'était plus issue d'adhérents de leur groupement mais provenait d'achats extérieurs sur le marché du foie gras.
Par procès-verbal du 10 décembre 1990, consécutif à des contrôles opérés en août 1989 puis en août 1990, les agents de la DDCCRF constataient que la SARL persistait à faire usage dans ses documents commerciaux des termes "ferme" ou "fermier" alors qu'il résultait de leurs investigations que les produits transformés par cette entreprise ne provenaient plus exclusivement de la production d'associés de la société.
Le tribunal a dit, au vu des éléments de la cause que la qualité de produit fermier ne pouvait être réfutée et que cette mention n'était pas trompeuse dans la mesure où le savoir-faire fermier avait été utilisé et où la référence d'origine avait été respectée.
Il a donc relaxé les deux prévenus des chefs de la poursuite.
Sur la tromperie:
- Sur l'apport de graisse :
Il a été constaté 20 % de graisse mais la preuve d'une adjonction n'ayant pas été rapportée en l'absence d'une réglementation précise, le tribunal a dit que le délit n'était pas constitué.
- Sur l'adjonction d'eau :
En l'absence d'une réglementation précise, le tribunal a dit qu'il ne pouvait leur être reproché d'avoir sciemment contrevenu aux normes et d'avoir voulu tromper le contractant; la preuve de l'intention de tromper n'était pas rapportée.
- Sur l'insuffisance de morceaux :
Le tribunal a dit que les allégations relatives à la faiblesse de morceaux étaient insuffisantes pour caractériser les faits et établir le délit. Il les a donc relaxés de ce chef de poursuite.
M. l'Avocat général requiert la condamnation des prévenus pour les motifs exposés dans le rapport d'appel de M. le Procureur de la République de Cahors et l'application de la loi pénale aux deux prévenus.
Les prévenus ont, par leur avocat et pour les motifs retenus par le premier juge sollicité la confirmation de la décision de relaxe appelée.
Les prévenus ont eu la parole les derniers.
Sur quoi:
Attendu que les faits ne sont pas contestés dans leur matérialité par les prévenus;
Attendu qu'il est admis et de jurisprudence constante que le qualificatif fermier, implique l'existence d'un circuit intégré sur la ferme, étant précisé que les préparations sont réalisées suivant des méthodes traditionnelles; que ce caractère fermier s'induit en outre d'une production ayant ces caractéristiques mais également d'une commercialisation sur place, à la ferme ou sur les marchés; que ceci a été jugé pour divers produits tels le lait, le fromage ou les volailles;
Attendu qu'ainsi pour se prévaloir du caractère fermier, les prévenus n'auraient dû commercialiser que leur production;
soit en 88-89: 11 852 kg
1 1419 oies et 100 canards.
Attendu qu'en fait, ils ont pour la même période acheté 51 024 kg soit (7 254 canards et 8 355 oies) et 7 302,830 kg provenant de découpes;
Attendu que la cour ne peut, en comparant ces chiffres, que relever l'importance de ces apports extérieurs, la production originaire étant, dans des proportions considérables bien inférieures;
Attendu que le tribunal a dit que "l'élargissement des méthodes de production" ne faisait pas perdre la qualité "fermière" de celle-ci dans la mesure où l'entreprise en cause conservait un contrôle direct sur les agriculteurs auprès desquels elle s'approvisionnait et dans la mesure également où la proximité de ceux-ci favorisait ce contrôle;
Mais attendu que si cet élargissement peut être admis dans ces conditions, la cour constate qu'en fait et en la cause, elles ne sont pas réunies;
Attendu tout d'abord, qu'il n'existe aucun lien juridique entre la SARL et ses fournisseurs; qu'aucun contrôle n'est donc prévu; que surtout l'approvisionnement dépend pour la SARL de ses besoins du moment au vu du marché;
Attendu qu'en l'espèce, pour bénéficier de la qualité fermière, la SARL devait s'assurer des conditions d'élevage, d'alimentation, de gavage; qu'elle ne peut le faire et que celles-ci sont sous la responsabilité du producteur;
Attendu qu'ainsi la cour dit après avoir constaté que les prévenus ne contrôlent pas cette chaîne de production, que leurs approvisionnements auprès de tiers sont des achats et non des apports comme il pourrait exister au sein d'un groupement régi par des règles précises; que c'est à tort que le premier juge a considéré que l'élargissement de ces méthodes de production ne faisait pas perdre la qualité fermière aux produits proposés;
Attendu qu'en fait, en conditionnant pour la vente des produits finis, d'origine différente les prévenus se livrent à une activité à caractère industrielle qui certes, fait appel à la technique traditionnelle de conditionnement des foies gras mais qui ne répond pas à l'image fermière répandue dans l'esprit du public, incapable de connaître l'origine de ces produits;
Attendu que l'importance des achats de découpe renforce la conviction de la cour, s'agissant d'approvisionnement n'ayant aucun caractère de proximité et donc de qualité fermière;
Attendu qu'ainsi, les prévenus ne peuvent faire référence, dans le cadre de cette activité industrielle au caractère de "ferme" et de "production fermière"; qu'ainsi, réformant sur ce point la décision du premier juge, la cour déclare les prévenus coupables du délit de publicité mensongère caractérisée par l'usage abusif des termes "fermiers" et "ferme";
II - Sur le délit de tromperie
Attendu que les analyses effectuées à la suite de prélèvements ont fait apparaître que les blocs de foie gras de la société "X" comportaient un apport d'eau important ainsi qu'un taux de graisse exsudée également significatif. Qu'en outre, pour les foies gras dénommés "avec morceaux", les analyses ont démontré l'absence ou de ces morceaux, ou un pourcentage faible;
Attendu que le premier juge a dit en ce qui concerne l'absence de morceaux, que les analyses avaient un caractère subjectif qui ne permettait pas de caractériser suffisamment l'infraction;
Mais attendu que ces analyses, effectuées par le laboratoire national de la Répression des Fraudes ont été portées à la connaissance des prévenus qui n'en ont pas contesté les résultats et qui n'ont pas notamment sollicité une contre-expertise;
Attendu que le tribunal a seulement relevé l'insuffisance des morceaux alors qu'un échantillon n'en portait pas trace;
Qu'ainsi les faits doivent être considérés comme établis sans qu'il soit nécessaire de relever une intention frauduleuse particulière, le prévenu étant à cet égard tenu à une obligation de résultat;
Attendu, celle-ci résultant de la connaissance même de l'infraction sur la présence de graisse et d'eau, que la question posée relève de l'application des usages professionnels;
Qu'en l'absence de réglementation, les fabrications de foies gras sont régies par une norme professionnelle élaborée par le centre technique de la conservation des produits agricoles (CTCPA); qu'il s'agit en l'espèce de la décision n° 83 du 31 octobre 1986 approuvée par arrêté ministériel du 14 avril 1987;
Attendu que la décision précitée ne tolère dans les préparations de foies gras ni la présence de graisse exsudée ni celle d'eau; qu'ainsi c'est donc à tort que le tribunal a relaxé les prévenus de ce chef alors qu'il avait été relevé la présence de ces éléments lors des prélèvements effectués sur leur production;
Attendu qu'ainsi et pour tous ces motifs, la cour réformant la décision du premier juge, déclare les prévenus coupables du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la chose vendue; dit que les délits dont s'agit seront justement réprimés, compte tenu des circonstances très particulières de la cause, de la personnalité des prévenus qui ne font pas l'objet de mauvais renseignements par leur condamnation à une amende de 20 000 F chacun;
Et attendu que la juste répression de ces manquements à la loyauté commerciale implique que cette condamnation soit portée à la connaissance des tiers; qu'ainsi, il y a lieu d'en ordonner la publication dans la presse locale, comme il sera dit dans le dispositif de la présente décision;
Et attendu que les prévenus qui succombent doivent les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort; Déclare l'appel régulier en la forme et bien fondé; En conséquence, réformant la décision appelée; Déclare G Noël dit Georges et M Guy coupables des faits qui leur sont reprochés; En répression et par application des dispositions des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, les condamne chacun à une amende de vingt mille francs (20 000 F); En outre, ordonne la publication de la présente décision dans le journal la Dépêche du Midi - Editions du Lot et du Lot et Garonne, aux frais des prévenus sans que le coût de cette insertion puisse dépasser la somme de trois mille francs (3 000 F); Condamne G Noël dit Georges et M Guy chacun pour moitié aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de deux mille quatre cent six francs quatre-vingt quatre centimes (2 406,84 F) en ce non compris le droit de poste et les frais de signification s'il y a lieu; Le tout en application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 496 à 520 du Code de procédure pénale.