Cass. com., 23 juin 2004, n° 03-12.876
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Banque Populaire Toulouse-Pyrénées
Défendeur :
France acheminement (SA), Rey (ès qual.), Vinceneux (ès qual.), Vigreux (ès qual.), Gaviglioli (ès qual.), Lelièvre, Theze, Coudreuse, Deniau, Hulot, Viaud, Leveil, Laiez, Fournier, Mainfray, Lecoq, Adkins, Feuillet, Tison, Pageau, Guesdon, Dufraigne, Le Guellec, Mathivat, Delalande, Samson, Roger, Georges, Monnier, Le Fur, Le Pabic, Bernard, Drougat, Le Poder, Drouglazet, Kerdal, Le Mevel, Le Badezet, Martin, Bousquet, Le Poulain, Bertho, Le Hazif, Vignard, Le Gal, Cervo, Blaison, Goarin, Rabet, Flageul, Le Forestier, Le Gal, Milon, Biencourt, Le Bras, Moysan, Baron, Feger, Rabet, Brulon, Auffret, Colleville, Richaud, Lamaison, Lacouture, Lagarde Lannot, Bourdeau, Sauvage, Lemoine, Pottier, Pereira, Brochard, Guyard, Coussay, Passot, Jambon, Petit, Vitte, Besson, Bunel, Savin, Pannuti, Ronjon, Braillard, Trucy, Corna, Festa, Poncet, Chassandre Patron, Realis, Allamanno, Fabbian, Salle, Durant, Alexandre, Fournier, Semion, Araujo, Boutin, Compain, Da Costa, Gauyacq, Roquain, Mandonnet, Simon, Manière, Roux, Joets, Fombonne, Delamare, Porcheron, Millière, Fournier, Rolquin, Van Leebergen, Ragois, Nee, Felix, Denquin, Ben Haddi, Perreira, Doisneau, Drosnier, Vernet transport (EURL), Simon, Coutant, Bourrel Marti, Mourlon, Dupuy, Lafargue, Trebosc, Montagne, Salque, Mainette, Medoukali
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Favre
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Defrenois, Levis, Me Hémery, SCP Gatineau.
LA COUR : - Donne acte à la Banque Populaire Toulouse-Pyrénées du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. Vigreux et M. Caviglioli, pris en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société France acheminement; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 février 2003), rendu en la forme des référés, que la société France acheminement (la société), qui exerce une activité de franchiseur dans le transport, a constitué un réseau de franchisés sur l'ensemble du territoire national ; qu'aux termes des accords de franchise, elle facture pour le compte des franchisés les transports effectués puis leur reverse les sommes perçues sous déduction des frais et des royalties; qu'elle a ouvert plusieurs comptes à la Banque Populaire Toulouse-Pyrénées (la banque) et notamment un compte sous-titre dit " réseau " (le compte réseau) et un compte d'exploitation, le premier étant destiné à recevoir les paiements des factures émises par la société pour le compte des franchisés, sous la forme soit de chèques soit de lettres de change relevés magnétiques pour lesquelles une convention cadre Dailly spécifique avait été souscrite, et à permettre les paiements, par chèques, aux franchisés, sous déduction des frais et royalties dirigés vers le compte d'exploitation; qu'en garantie du découvert autorisé, les associés de la société ont avalisé le 4 novembre 2002 un billet à ordre de 457 000 euros à échéance du 30 novembre 2002, qui, non renouvelé à son échéance, a été porté au débit d'un autre compte qui fut simultanément crédité par la banque d'un certain nombre d'encaissements; que la société a été mise en redressement judiciaire le 17 décembre 2002; que, quelques jours plus tôt, soit le 2 décembre 2002, la société avait autorisé, compte tenu du principe de l'unicité entre les différents comptes bancaires de la société prévue par les conditions générales de la convention de compte courant liant les parties, la banque à faire la compensation entre les soldes débiteurs des comptes de la société et les sommes au crédit du compte réseau, tandis que cette dernière dénonçait tous ses concours le 4 décembre suivant, après avoir escompté les lettres de change relevées en sa possession pour 3 854 081 euros; que, lui reprochant d'avoir vidé le compte réseau de toute substance et d'avoir ainsi empêché tout paiement au profit des franchisés des sommes qui leur sont dues, non seulement en affectant la somme de 1 650 000 euros figurant au crédit du compte réseau au paiement des soldes débiteurs de la société, mais aussi en mobilisant à son seul profit à concurrence de 3 854 081 euros des créances appartenant aux franchisés et enfin en se remboursant du montant du billet à ordre pendant la période suspecte, la société, représentée par ses administrateurs judiciaires, a assigné la banque, devant le Président du Tribunal de commerce de Toulouse, statuant en référé sur le fondement des articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur le premier moyen, pris en ses neuf branches : - Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de sa condamnation à payer à titre provisionnel à la société France acheminement la somme de 1 635 000 euros, sous astreinte de 8 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance du 20 janvier 2003, alors, selon le moyen : 1°) qu'en l'absence d'anomalie apparente, la banque, tenue d'une obligation de non ingérence à l'égard de son client, n'a pas à se faire juge de l'opportunité et de la régularité d'un ordre de virement dont la qualité du signataire, après vérification, est tout à fait régulière; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 2°) qu'elle faisait valoir, dans ses écritures du 28 janvier 2003, que les prétendus détournements opérés par les virements litigieux avaient été rendus possibles par l'existence d'ordre de virements signés du représentant légal de France acheminement exploitation, M. Belissant, son directeur général ayant procuration pour faire fonctionner les comptes, d'où il ressortait qu'elle ne pouvait refuser d'exécuter ces ordres de virement parfaitement réguliers et que, à les supposer nuls, France acheminement exploitation avait été à l'origine exclusive de son préjudice; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, pourtant décisif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 3°) que la connaissance par elle d'un réseau de franchisés n'impliquait en aucune manière se connaissance de la prétendue qualité de mandataire transparent de France acheminement exploitation ; de sorte qu'en affirmant péremptoirement qu'elle ne pouvait ignorer le cadre juridique dans lequel sa cliente exerçait son activité et ne pouvait pas ne pas savoir que les encaissements opérés sur le compte réseau était la conséquence du mandat donné par les franchisés, la cour d'appel a privé se décision de base légale au regard des articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 4°) que les courriers adressés par elle à France acheminement depuis juin 2000, pas plus que les circonstances que le compte réseau 355 était crédité d'une somme dix fois supérieure au chiffre d'affaires de la société France acheminement exploitation et qu'elle-même n'a pas indiqué à l'huissier chargé d'opérer des saisies-arrêts sur les comptes bancaires l'existence du compte 355 pourtant créditeur, n'étaient de nature à établir se prétendue connaissance de ce que le crédit du compte 0355 n'était pas la propriété de France acheminement exploitation, ce qui ne pouvait résulter que des termes des contrats passés entre France acheminement exploitation et les franchises, auxquels elle était étrangère ; qu'en condamnant pourtant, par ces motifs inopérants, la banque au paiement des sommes visées au dispositif, la cour d'appel a privé se décision de base légale au regard des articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 5°) qu'en jugeant fondées ses observations sur les irrégularités des factures, lesquelles, à supposer qu'elles aient été établies pour le compte des franchisés, ne comportaient pas le numéro d'identification à la TVA des franchisés, ni l'adresse de ces derniers, pas plus que le numéro d'immatriculation au RCS et parfois même ni le nom des franchisés, mais en considérant cependant qu'elles établissaient que les crédits du compte n° 0355 étaient la propriété des franchisés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, violant les articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 6°) qu'en affirmant qu'elle ne pouvait prétendre qu'une partie des fonds appartenait nécessairement à France acheminement exploitation "le mandataire n'ayant aucune qualité, quelle que soit l'étendue, pour appréhender les fonds du mandant", alors qu'il résultait des termes mêmes des contrats de mandat opposés qu'une partie des sommes encaissées sur le compte réseau appartenait contractuellement à France acheminement exploitation, laquelle avait été contractuellement mandatée pour la prélever, et représentait 12 % des royalties, les prestations complémentaires, publicités, fourniture de documents, etc... la cour d'appel a violé les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 7°) qu'en affirmant qu'elle ne pouvait prétendre qu'une partie des fonds appartenait nécessairement à France acheminement exploitation dès lors que cette dernière avouait le contraire, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, violant ainsi les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 8°) qu'il est constant que les virements litigieux avaient été effectués par elle sur ordres écrits du directeur financier de France acheminement exploitation, dûment habilité, et non de son propre chef en vertu de la convention de fusion de comptes ou de l'autorisation expresse qui lui avait été renouvelée le 2 décembre 2002 ; qu'en jugeant que ces virements s'inscrivaient non dans le cadre habituel du paiement des royalties dues au franchiseur mais dans celui d'une compensation illicite dès lors qu'ils constituaient la mise en œuvre de l'autorisation du 2 décembre 2002, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; 9°) qu'elle pouvait, en toute hypothèse, opérer une compensation des soldes des comptes 0353 et 0355, le crédit porté au compte 0355 eût-il été la propriété des franchisés, n'ayant pas au connaissance de ce que France acheminement n'aurait pas été propriétaire de ce crédit; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, que la banque ne pouvait ignorer ni le cadre juridique dans lequel sa cliente exerçait son activité ni le fait que les encaissements opérés sur le compte réseau étaient la conséquence du mandat donné par les franchisés ; qu'il retient ensuite que l'examen des relevés du compte réseau entre septembre et décembre 2002 ne révèle aucune opération de même nature que les virements en litige au profit du compte d'exploitation et que le dirigeant de la société France acheminement n'a pas eu la volonté lorsqu'il a donné les ordres de virement litigieux de mettre en application l'autorisation de prélever les royalties, mais celle de mettre en œuvre l'autorisation de fusion de compte du 2 décembre 2002; qu en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les cinquième et septième branches, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'objet du litige, a pu décider que la mise en œuvre par la banque de la convention ou de l'autorisation de fusion de compte, au mépris des droits des franchisés dont elle avait connaissance, constituait un trouble manifestement illicite; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses cinquième et septième branches, n'est pas fondé pour le surplus;
Sur le deuxième moyen, pris en ses six branches : - Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société France acheminement une indemnité provisionnelle de 457 000 euros, alors, selon le moyen : 1°) qu'en l'absence d'anomalie apparente, la banque, tenue d'une obligation de non ingérence à l'égard de son client, (n'a pas à se faire juge de l'opportunité et de la régularité d'un ordre de virement dont la qualité du signataire, après vérification, est tout à fait régulière;) qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 2°) que la connaissance par la banque d'un réseau de franchisés n'impliquait en aucune manière se connaissance de la prétendue qualité de mandataire transparent de France acheminement exploitation, de sorte qu'en affirmant péremptoirement que la banque ne pouvait ignorer le cadre juridique dans lequel se cliente exerçait son activité et ne pouvait pas ne pas se voir que les encaissements opérés sur le compte réseau était la conséquence du mandat donné parles franchisés, la cour d'appel a privé se décision de base légale au regard des articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 3°) que les courriers adressés par elle à France acheminement exploitation depuis juin 2000, pas plus que les circonstances que le compte réseau 355 était crédité d'une somme dix fois supérieure au chiffre d'affaires de la société France acheminement exploitation et qu'elle-même n'a pas indiqué à l'huissier chargé d'opérer des saisies-arrêts sur les comptes bancaires l'existence du compte 355 pourtant créditeur, n'étaient de nature à établir se prétendue connaissance de ce que le crédit du compte 0355 n'était pas la propriété de France acheminement exploitation, ce qui ne pouvait résulter que des termes des contrats passés entre France acheminement exploitation et les franchisés, auxquels elle était étrangère; qu en condamnant pourtant, par ces motifs inopérants, la banque au paiement des sommes visées au dispositif, la cour d'appel a privé se décision de base légale au regard des articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 4°) qu'en jugeant fondées les observations de la banque sur les irrégularités des factures, lesquelles, à supposer qu'elles aient été établies pour le compte des franchisés, ne comportaient pas le numéro d'identification à la TVA des franchisés, ni l'adresse de ces derniers, pas plus que le numéro d'immatriculation au RCS et parfois même ni le nom des franchisés, mais en considérant cependant qu'elles établissaient que les crédits du compte n° 0355 étaient la propriété des franchisés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, violant les articles 872, 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 5°) qu'en affirmant que la banque ne pouvait prétendre qu'une partie des fonds appartenait nécessairement à France acheminement exploitation "le mandataire n'ayant aucune qualité, quelle que soit l'étendue, pour appréhender les fonds du mandant", alors qu'il résultait des termes mêmes des contrats de mandat opposés qu'une partie des sommes encaissées sur le compte réseau appartenait contractuellemant à France acheminement exploitation, laquelle avait été contractuellement mandatée pour la prélever, et représentait 12 % des royalties, les prestations complémentaires, publicités, fourniture de documents, etc... la cour d'appel a violé les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil; 6°) qu'en affirmant que la banque ne pouvait prétendre qu'une partie des fonds appartenait nécessairement à France acheminement exploitation dès lors que cette dernière avouait le contraire, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, violant ainsi les articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir relevé, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, que la banque ne pouvait ignorer ni le cadre juridique dans lequel sa cliente exerçait son activité ni le fait que les encaissements opérés sur le compte réseau étaient la conséquence du mandat donné par les franchisés, constate que, du propre aveu de la banque, l'opération relative au billet à ordre litigieux ne consistait pas à régler les sommes dont la société pouvait être créancière envers ses franchisés, mais était destinée à opérer une compensation entre les soldes débiteurs et créditeurs des comptes appartenant en réalité à deux titulaires distincts; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel a pu décider que la mise en œuvre par la banque de la convention ou de l'autorisation de fusion de compte, au mépris des droits des franchisés dont elle avait connaissance, constituait un trouble manifestement illicite ; que le moyen, qui n'est pas fondé en ses quatre premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle devait restituer les sommes encaissées dans la limite de 3 854 081 euros au "titre de lettres de change escomptées ou d'une loi Dailly" et ce, depuis le 6 octobre 2002, sous astreinte de 8 000 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance du 20 janvier 2003, alors, selon le moyen, que la cour d'appel, qui a constaté que la somme de 3 854 081 euros, qualifiée d'avance de trésorerie, avait été portée au crédit du compte réseau 0355 et qui a jugé que les franchisés, propriétaires du crédit du compte 0355, seraient propriétaires des créances à percevoir sur les clients, ne pouvait condamner la banque à restituer la somme de 3 854 081 euros; qu'en la condamnant cependant à restituer la somme de 3 854 081 euros, la cour d'appel a violé les article 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu que l'arrêt constate que, si la somme de 3 854 081 euros a bien été portée au crédit du compte réseau, il ne peut cependant s'agir que d'une avance de trésorerie faite par la banque à sa cliente, la société France acheminement, en l'absence de cession de créances valablement intervenue à son profit, faisant ainsi ressortir que les lettres de change relevées remises à la banque étaient restées la propriété des franchisés; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu exclure l'existence d'une contestation sérieuse et condamner la banque à restituer les sommes encaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.