CA Agen, ch. corr., 9 mars 1995, n° 940390
AGEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Fédération de la vitellerie française, Fédération nationale bovine, Voreal (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louiset
Substitut :
général: M. Kubiec
Conseillers :
MM. Girot, Treilles
Avocats :
Mes Chappert, Thebault, Robaglia, Bussière, Grosbois, Henras, Dubos, Holleaux, Danac, Grosbois, Lachaud, Vivier.
La procédure
Suivant jugement du 25 février 1994 le Tribunal correctionnel de Cahors a déclaré: Jean L, B Marie épouse L, Gilles H, Jean-Jacques D, Pierre C, Jean Q, M Marie-Thérèse épouse G, Jean-Yves G coupables de falsification de denrées servant à l'alimentation humaine de nature à créer un danger pour la santé de l'homme et en la répression a condamné M. et Mme L à une peine d'amende de 10 000 F chacun, Messieurs H et D à une peine de un an d'emprisonnement avec sursis simple et 80 000 F d'amende, M. C à une peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis simple et 50 000 F d'amende, M. Q à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis simple et 150 000 F d'amende et les époux G à une peine de 6 000 F d'amende.
Le tribunal a déclaré nulle la constitution de partie civile de la SA W et a déclaré recevables les constitutions de partie civile de la Fédération de la vitellerie française, et de la Fédération nationale bovine. Le tribunal a condamné, in solidum, les prévenus à verser à la première la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et à la seconde une somme de 20 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par déclaration au greffe du 1er mars 1994, Monsieur Jean Q a interjeté appel de ce jugement. Le Ministère public en a fait de même le même jour contre Monsieur Q.
Le 2 mars 1994, la SA W a interjeté appel de ce jugement l'ayant débouté de sa constitution de partie civile.
Le 2 mars 1994, les époux L et M. C ont relevé appel de ce jugement. Le Ministère public en a fait de même à leur encontre le 3 mars 1994.
Le 7 mars 1994 la Fédération nationale bovine a interjeté appel de cette décision en ce qui concerne les intérêts civils.
Le 8 mars 1994, le Ministère public a interjeté appel de ce jugement contre Gilles H, Jean- Jacques D et les époux G.
Le 11 mars 1994, M. D et M. H ont relevé appel de ce jugement.
Régulièrement cités, tous les prévenus sont présents à l'audience.
Interjetés dans les délais de la loi et réguliers en la forme, les appels interjetés par les prévenus, les parties civiles et le Ministère public doivent être déclarés irrecevables.
Les faits
Lors d'un contrôle par sondage, effectué le 11 juin 1991 dans l'élevage de veaux des époux L, les services vétérinaires de la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt du Lot décelaient la présence de clenbutérol et d'oestradiol dans les urines de cinq animaux. S'agissant de molécules à effet anabolisant dont l'administration au bétail est interdite, une information était ouverte le 29 novembre 1991 pour falsification de denrées servant à l'alimentation humaine de nature à créer un danger pour l'homme.
Le 27 avril 1992 un contrôle coordonné des services vétérinaires et de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes confirmait l'administration de substances interdites dans l'élevage des époux L. Les prélèvements d'urines de 22 veaux, ainsi que les prélèvements de buvées, de la veille et du matin du contrôle mettaient en évidence la présence de clenbutérol.
Toutes les analyses effectuées, y compris celles prescrites dans le cadre de l'expertise contradictoire prévue par l'article 12 de la loi du 1er août 1905, concluaient à la présence de clenbutérol dans les prélèvements. Il apparaissait que la substance prohibée était administrée dans la buvée car les prélèvements réalisés sur les aliments se révélaient négatifs.
Il convient de souligner que le clenbutérol est une molécule de synthèse inscrite au tableau A des substances vénéneuses, classée produit toxique par arrêté du 21 janvier 1957 (article R. 5149 du Code de la santé publique). Elle relève de spécialités médicamenteuses soumises à des obligations particulières dans la mesure où le produit est susceptible de demeurer à l'état de résidu toxique ou dangereux dans les denrées alimentaires d'origine animale. Son administration directe est donc interdite.
L'utilisation frauduleuse de clenbutérol dans l'alimentation de veaux permet d'accélérer et d'accroître la croissance musculaire au détriment de la couverture graisseuse. Il en résulte une rentabilité financière supérieure. Sur des veaux dont l'élevage dure 120 jours, le produit est généralement utilisé vers la fin de l'élevage soit entre le 90e et le 100e jour.
L'utilisation de substances de la classe du clenbutérol dites "Beta-agonistes" peut avoir de graves effets sur la santé humaine en provoquant des troubles du rythme cardiaque ou des désordres du système nerveux.
L'élevage des époux L fonctionnait sur le principe de l'intégration.
Les veaux étaient vendus par la SA X -dont le PDG est Jean-Jacques D- à l'état de nourrissons, entre le 15e et le 20e jour, à la SA W -dont le Président du directoire est Jean Q et le responsable du secteur Grand Sud-Ouest Pierre C. Ces nourrissons étaient ensuite placés en bandes chez l'éleveur, en l'espèce les époux L. Les époux L, placés sous le contrôle d'un technicien -en l'espèce Gilles H, technicien indépendant au service de la SA W- élevaient les veaux qui étaient engraissés jusqu'au 120e ou 130e jour par des aliments fournis par la SA W.
Enfin, parvenus à maturité ces veaux étaient transportés au sein des établissements Y SA et étaient abattus.
Les entreprises SA X, W SA et Y SA fonctionnaient selon le principe de société en participation. Les bénéfices ou les pertes résultant de la vente des carcasses des veaux étant partagés par tiers entre elles.
La SA X a pour objet l'achat de veaux nourrissons auprès de producteurs, la vente de ces animaux, mais aussi le placement en intégration directe et la négociation avec les abattoirs.
La SA W a pour activité principale la fabrication et la commercialisation de lait reconstitué à l'usage de la consommation animale et pour activité secondaire l'élevage de veaux sous forme de contrats d'intégration passés avec les éleveurs.
Son siège est situé à Montauban de Bretagne. La SA W fournit aux éleveurs les éléments nécessaires à l'élevage des veaux. Cet élevage est surveillé soit par un technicien indépendant prestataire de service rémunéré sur la base de 20 centimes par kilogramme d'aliments fournis aux éleveurs, soit par un salarié de la société.
Les éleveurs sont rémunérés de manière forfaitaire entre 280 à 320 F par veau en fonction de plusieurs paramètres: le nombre de jours d'élevage, le gain de poids durant l'intégration, l'indice de consommation, la mortalité et la qualité du produit. Cette rémunération est calculée par le propriétaire des veaux la SA W.
L'information a permis de révéler que l'administration frauduleuse de clenbutérol dans l'alimentation de veaux peut engendrer un gain de poids de 6 à 10 kilogrammes par tête. En prenant une moyenne de 10 kgs par bête sur une bande de 100 veaux il est donc possible de dégager un poids supplémentaire de 800 kgs lesquels payés entre 30 à 40 F le kilogramme peuvent engendrer un bénéfice supplémentaire se servant entre 24 000 F et 32 000 F.
Les motifs
Les époux L sont des éleveurs dont l'exploitation est située à Caniac du Causse (Lot).
Ils élevaient chaque année deux bandes de 165 veaux appartenant à la SA W qui leur fournissait les aliments. Ces bandes faisaient l'objet d'une surveillance par Gilles H technicien indépendant-prestataire de service de la SA W.
Tant lors de leur interrogatoire de garde à vue que lors des interrogatoires de première comparution les époux L ont reconnu avoir administré "du produit", aux veaux pendant une vingtaine de jours en fin d'élevage à raison de un centimètre cube par repas, par jour et par veau. Ce produit étant mélangé à la buvée. Ils ont indiqué que ce produit était apporté par M. Gilles H dans des bouteilles en plastique sans étiquette et qu'ils ne l'ont jamais payé. Les éleveurs ont précisé avoir administré le produit en litige depuis deux ou trois ans et que la fraude a affecté de 500 à 650 veaux.
Les époux L ont admis qu'ils s'étaient doutés de l'illicéité du produit mais qu'ils ne disposaient pas du choix, l'alternative étant pour eux soit administrer ledit produit soit ne pas avoir de veaux dans leur élevage.
Mme L a reconnu avoir à la fin de l'élevage rétrocéder deux fois à M. H une somme de 1 000 F en liquide prélevée sur la rémunération qui lui était versée au titre de l'élevage. Ces sommes servant à payer le produit illicite administré aux veaux.
Les éleveurs ont admis avoir administré du clenbutérol aux veaux la veille du contrôle du 27 août 1992. Informé du dépistage M. H leur avait demandé de donner aux veaux un diurétique pour accélérer l'élimination dans l'hypothèse de nouveaux prélèvements, lors d'une perquisition à leur domicile un papier libre était découvert sur lequel était inscrit le mot "oestradiol" et aussi de la main maladroite de l'épouse "traiter au betar". Mme L expliquait qu'elle avait fait l'objet d'un démarchage par un concurrent de la SA W qui lui avait fait espérer un gain supérieur avec l'utilisation d' oestradiol.
Par ailleurs, il convient de relever que Mme L a déclaré avoir brûlé les sacs et la bouteille contenant le produit fourni par M. H peu avant l'arrivée des enquêteurs. La culpabilité des époux L est donc établie.
Gilles H se présente à la fois comme conseiller technique - commerçant indépendant en bestiaux et comme prestataire de service à l'égard de la SA W. A ce dernier titre il travaillait en relation avec Pierre C responsable au sein de la SA W du secteur Grand Sud-Ouest. Il a indiqué qu'au moment des faits, soit au mois de mai 1992, il travaillait depuis trois ans au service de la SA W en qualité de technicien indépendant et qu'il surveillait parallèlement neuf bandes de veaux appartenant à cette société, dont celle placée dans l'élevage des époux L. Aucun contrat ne le liait à la SA W qui le rémunérait à raison de 20 centimes par kilogramme d'aliments consommé par les veaux objets de l'intégration. En outre M. H percevait un intéressement sur les résultats financiers de l'intégration qui était de l'ordre de 10 000 F par an.
Gilles H a rapidement reconnu sa responsabilité dans l'administration du clenbutérol, admettant avoir fourni le produit aux époux L. Il relatait s'être procuré cette substance sur le marché de bestiaux d'Agen, auprès d'un individu inconnu de lui.
Le produit illicite lui coûtait environ 20 F par veau, somme dont il faisait l'avance. Il précisait que l'inconnu lui avait été désigné par Jean-Jacques D et qu'il s'était fourni auprès de lui à 3 ou 4 reprises. A d'autres occasions D lui-même lui remettait le clenbutérol. M. H reconnaissait avoir dilué lui-même le produit concentré et expliqué aux époux L le mode d'administration et le dosage qui correspondait à un centimètre cube par jour mélangé à la buvée pendant 18 à 23 jours à partir du 90e d'élevage.
Devant le juge d'instruction et à l'audience M. H a mis en cause M. D et la société W. Il a déclaré à plusieurs reprises avoir agi, en concertation avec M. D et M. C. Lors de la confrontation et à l'audience il a confirmé les réunions qui avaient lieu tous les 15 jours à la fin des marchés au cours desquelles Messieurs C et D préconisaient l'utilisation des anabolisants.
Toutefois, il est apparu que M. H n'avait qu'un intérêt personnel limité à l'administration du produit illicite dans la mesure où il n'était pas rémunéré en fonction du poids des bêtes mais de la quantité des aliments consommés. Or l'adjonction de clenbutérol avait pour effet de réduire le volume d'aliments consommés.
Cependant M. H percevait une prime annuelle d'intéressement en fonction des résultats obtenus par la SA W et il n'avait aucun intérêt à déplaire à ses commanditaires.
Par ailleurs, il convient de souligner qu'outre ses activités de technicien M. H exploitait directement certaines bandes de veaux soit seul, soit à parité avec Jean-Jacques D.
M. H ne conteste pas le principe de sa culpabilité. Elle résulte clairement de ses agissements commis au sein des bandes de veaux placés pour le compte de la SA W auprès des époux L mais aussi pour les actes, commis en ce qui concerne les bandes de veaux lui appartenant placés directement auprès des époux G.
Jean-Jacques D était Président Directeur Général de la SA X constituée entre lui-même et son cousin. Négociant en bestiaux, son activité principale consistait à acheter des veaux nourrissons puis à les vendre à la SA W. Il plaçait parfois des bandes de veaux en intégration chez des éleveurs. Sa tâche recouvrait aussi les négociations avec les abattoirs, notamment la SA Y dont le PDG est son cousin. Dans le cadre de son activité principale il travaillait avec la SA W depuis quatre années dans plusieurs élevages dont celui des époux L.
Au moment des faits il exerçait en société de participation avec la SA W et la SA Y sur environ 1 000 veaux placés en contrat d'intégration chez des éleveurs.
Après avoir nié les faits au cours de l'enquête préliminaire et s'être déclaré surpris des résultats positifs des analyses, lors d'un interrogatoire sur le fond, M. D reconnaissait être au courant de l'utilisation d'anabolisants dans l'élevage L et avoir désigné à M. H sur le marché d'Agen le vendeur du "clenbutérol". Il ajoutait que les décisions concernant l'utilisation des anabolisants étaient prises lors de déjeuners qui réunissaient M. C et M. H et qui se tenaient les jeudi ou samedi après les marchés. Il expliquait que la société W était contrainte d'utiliser ces produits pour lutter contre une concurrence sévère. Il estimait le gain engendré par cette pratique à environ 30 000 F par bande de cent veaux. Sa mise en cause de Pierre C est explicite dans la mesure où il précise que lui-même n'avait aucun pouvoir de décision sur des veaux qu'il avait vendu à la SA W et qui par conséquent ne lui appartenaient plus.
M. D précisait, par ailleurs, qu'un professionnel moyennement avisé était en mesure à l'oeil nu de distinguer un veau ayant été traité aux anabolisants. Il expliquait aussi que M. C après abattage des veaux payait les éleveurs puis prélevait une somme de 20 F par veau pour rembourser l'achat des produits illicites.
Il est établi que M. D avait un intérêt certain à la fraude puisqu'après la vente des carcasses de veaux il partageait par tiers, les bénéfices avec le propriétaire des animaux et le chevillard.
La responsabilité pénale de M. D est donc démontrée.
Pierre C et Jean Q, respectivement responsables du secteur Grand Sud-Ouest et Président du directoire au sein de la SA W ont toujours nié toute participation et même toute connaissance des faits.
Toutefois, il convient de souligner d'emblée que leurs arguments se heurtent à deux obstacles majeurs. Le premier réside dans le fait que les veaux placés sous contrat d'intégration chez des éleveurs sont la propriété exclusive de la SA W et que ces animaux sont sous la surveillance régulière du début à la fin de l'élevage d'un technicien salarié de la société ou prestataire de service. Cette propriété et cette surveillance ainsi que la maîtrise de l'organisation de la production rendent invraisemblables l'hypothèse d'une administration de produits anabolisants faite à l'insu de la SA W.
En outre, il est établi que la SA W est la principale bénéficiaire de la fraude. En premier lieu, puisqu'elle va ainsi réduire ses frais lors de l'élevage. En effet, il est avéré que l'administration d'anabolisants diminue l'appétit des animaux et permet donc de réduire les quantités d'aliments consommés. En outre, l'accélération de la croissance et de la prise de poids résultant de l'administration des produits illicites permet de raccourcir de plusieurs jours la durée de l'intégration. Il convient de rappeler que les éleveurs sont payés, notamment, en fonction du nombre de jours de l'élevage et que M. H était rémunéré à proportion de la quantité d'aliments consommés. Ainsi, en réduisant ses coûts et charges lors de l'intégration la SA W améliorait considérablement ses rendements.
En second lieu, il convient de rappeler qu'elle partageait, après vente des carcasses, les bénéfices réalisés sur l'ensemble de l'opération.
Dès lors, il est établi que la SA W était la principale bénéficiaire de la grande mise en place.
Monsieur Pierre C est délégué régional W et responsable du secteur "Grand Sud-Ouest". Sa mission consiste à organiser une production à partir des éleveurs, de trouver des fournisseurs de veaux nourrissons ainsi que des abattoirs.
M. C a nié toute participation ou connaissance des faits. Il a toutefois admis qu'au cours de plusieurs réunions où il se trouvait avec Messieurs D et H l'utilisation des produits illicites avait été expressément évoquée mais qu'il n'avait pas donné l'autorisation de les utiliser. Toutefois un témoin M. Embialet Maurice a rapporté l'existence de ces réunions au cours desquelles Messieurs H - C et D évoquaient l'expérimentation d'un produit acheté sur le marché d'Agen sur un élevage important du Lot.
Au surplus, les mises en cause tant de M. H que de M. D sont explicites, constantes et convergentes. M. C était chargé de contrôler étroitement les élevages "W". Il effectuait 3 ou 4 visites pendant les 4 mois d'exploitation au cours desquelles il rencontrait non seulement les éleveurs mais aussi le technicien salarié de la société chargé de la surveillance de l'élevage. Par ailleurs, il lui était fait un compte rendu précis, chaque semaine, par M. H lequel compte rendu était ensuite adressé au siège de la société. Il est établi aussi que les époux L devaient laisser leurs installations ouvertes en permanence afin de permettre à M. H et M. C de s'y rendre à tout moment et à leur guise.
Une telle maîtrise de l'organisation de la production par la SA W et les pouvoirs exercés par M. C au cours de l'intégration des veaux permettent d'exclure l'hypothèse selon laquelle M. H aurait pris seul et de son propre chef l'initiative d'administrer des produits anabolisants aux veaux appartenant à la société W alors qu'il n'avait aucun intérêt financier dans cette opération.
Il convient de souligner que M. Pierre C travaille dans le milieu du négoce, de l'élevage et de l'abattage des veaux depuis 27 ans et que le bénéfice supplémentaire réalisé du fait de l'utilisation des produits illicites sur l'élevage des époux L devait être de l'ordre de 45 000 F pour les 165 veaux.
La responsabilité pénale de M. C résulte des éléments qui précèdent.
Monsieur Jean Q est président du directoire de la société W et plus particulièrement chargé du secteur commercial de cette société.
M. Q a toujours nié avoir eu connaissance a fortiori avoir participé aux faits qui lui sont reprochés.
L'enquête préliminaire, l'instruction préparatoire et les débats tant devant le tribunal que devant la cour n'ont pas permis d'établir sa connaissance ou sa participation à quelque titre que ce soit en qualité d'auteur, de coauteur ou de complice en ce qui concerne le délit qui lui est reproché à savoir la falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme avec cette circonstance que la substance falsifiée était nuisible à la santé de l'homme. Ce délit est prévu et réprimé par les articles 1er, 3 et 7 de la loi du 1er août 1905. Les peines encourues sont l'emprisonnement de 6 mois à 4 ans et l'amende de 2 000 à 500 000 F.
Cependant les agissements de M. Q doivent être examinés sous une autre qualification dont les éléments constitutifs recouvrent les faits dont la cour est saisie. Il convient donc d'examiner les faits au regard du délit prévu par l'article 1er alinéa 1 de la loi du 1er août 1905. Ce texte vise la tromperie par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers sur la nature, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises. Les pénalités sanctionnant ce délit sont l'emprisonnement de 3 mois à 2 ans et l'amende de 1 000 F à 250 000 F ou l'une de ces 2 peines seulement.
Le prévenu par la voix de son conseil a fait valoir ses arguments en défense au regard de cette qualification dont le maximum des peines encourues est inférieur à celui réprimant le délit visé par l'ordonnance de renvoi. En conséquence, il convient de requalifier en ce sens les faits reprochés à M. Q.
L'activité d'intégration de la SA W s'apparente à une activité de fabrication dès lors qu'après avoir acheté des veaux nourrissons, cette société élève et façonne des animaux en les alimentant avec des produits de sa fabrication puis les revend lorsqu'ils sont arrivés à maturité et qu'ils se trouvent dans un état tout à fait différent de celui qu'ils présentaient lors de leur achat.
Dès lors, la SA W doit assumer la responsabilité de toute tromperie affectant, les qualités substantielles des produits par elle fabriqués et en particulier la conformité de la viande des animaux au regard de la réglementation en vigueur. La faute pénale du directeur de la société sera suffisamment établie et justifiera l'imputation s'il est établi que celui-ci n'a pas agi comme l'aurait fait un industriel ou un commerçant diligent. S'agissant d'une fabrication ou d'un façonnage le directeur a l'obligation de contrôler ou d'organiser des procédés de contrôle aussi sérieux et fiables qu'il est possible.
La SA W dont il faut souligner qu'elle est une société filiale de la société Z elle-même membre du groupe V n'apporte pas le moindre commencement de preuve d'un quelconque contrôle effectué par ses soins et à son initiative, visant à s'assurer de la qualité des veaux mis sur le marché.
Il est établi qu'un contrôle par sondage effectué sur deux ou trois veaux de l'élevage des époux L aurait permis de déceler, la présence d'anabolisants puisque tous les animaux sans exception avaient absorbé le produit illicite. Vainement, la SA W peut-elle invoquer les mesures de surveillance mises en œuvre par la Direction des Services Vétérinaires du Lot puisqu'il s'agit de contrôles externes à l'entreprise et diligentés par une administration. Le directeur de la société ne peut se décharger de ses obligations et de sa responsabilité sur un tiers dont la mission est précisément de déceler les éventuelles infractions à la réglementation à laquelle est soumise le professionnel. Vainement aussi M. Q invoque-t-il l'adhésion de sa société à l'IFAA -intersyndicale des fabricants d'aliments d'allaitement- et à la FDVF - Fédération de la vitellerie française- dont les objets et les missions ne dispensent nullement leurs adhérents de leur obligation de produire ou fabriquer des produits conformes à la réglementation et qui ne sont nullement responsable de leur qualité. Il n'est pas sans intérêt de relever que la Fédération de la vitellerie française dont M. Q se prévaut en qualité d'adhérent n'a pas hésité à se constituer partie civile contre lui et à demander sa condamnation, solidaire avec les autres prévenus, à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi.
Compte tenu de la dimension de la société dont M. Q est Président du directoire et des possibilités financières de cette entreprise il ne peut être sérieusement soutenu que l'analyse de l'urine de quelques veaux seulement constituait une charge financièrement insupportable par la SA W. L'argument selon lequel la société W avait un système de contrôle identique à celui de toutes les sociétés fabricants des aliments et façonnant du bétail est inopérant dès lors qu'il est largement admis que le marché national de l'élevage des veaux est confronté depuis plusieurs années au problème de l'utilisation d'anabolisants. Au surplus, les manquements commis par certains de ses concurrents à leurs obligations de contrôle ne peut constituer un fait exonérant les dirigeants de la SA W de leur propre responsabilité pénale.
De manière surabondante, il faut relever que la société W a été mise en cause dans le cadre de deux informations judiciaires ouvertes pour des faits similaires à Rennes et à Brest. Les inculpations notifiées auraient dû inciter ses dirigeants à une vigilance toute particulière.
Il est donc établi que M. Q a commis une faute en n'organisant aucun contrôle interne de la qualité des veaux et qu'il n'a donc pas agi comme l'aurait fait un professionnel normalement prudent et diligent. Il est par ailleurs, certain que l'analyse de l'urine de quelques veaux seulement aurait permis, à peu de frais, de déceler la présence d'anabolisants. Au surplus il est établi que l'administration à des veaux d'une substance interdite et classée comme vénéneuse constitue une tromperie sur les qualités substantielles du produit mis sur le marché dans la mesure où l'acheteur et le consommateur peuvent légitimement croire à la parfaite conformité du produit au regard de la réglementation en vigueur.
En conséquence la responsabilité pénale de M. Q doit être déclarée sur le fondement de l'article 1er alinéa 1 de la loi du 1er août 1905.
Les époux G ont élevé des veaux pour le compte de M. H. Après avoir nié les faits ils ont reconnu que celui-ci leur remettait une bouteille contenant un produit incolore non identifié qu'ils rajoutaient à la buvée des veaux. Ils ont admis avoir procédé ainsi pour trois bandes de veaux appartenant à M. H. Ils ont tenté de minimiser leur responsabilité en indiquant qu'ils ignoraient la nature exacte du produit ainsi administré. Toutefois le mari indiquait qu'il s'agissait d'un fortifiant et son épouse admettait qu'elle connaissait les risques qui existaient à utiliser les produits fournis par M. H. Dès lors la responsabilité pénale des époux G, professionnels de l'élevage des veaux, doit être déclarée.
Les agissements des prévenus ont eu pour effet d'entraîner pour les producteurs utilisateurs des produits anabolisants un profit supplémentaire et déloyal par rapport aux producteurs qui se sont conformés à la loi. Les effets de l'utilisation du clenbutérol dans l'alimentation des veaux destinés à la consommation humaine ne sont plus discutés. De graves intoxications alimentaires collectives dues à la présence de résidus de clenbutérol dans le foie du veau ont été constatées. Par ailleurs ce produit est de nature à provoquer chez le consommateur d'importants troubles du rythme cardiaque ou des désordres du système nerveux. Dès lors, la sanction de tels agissements motivés par le seul profit se doit d'être sévère. Toutefois, il faut tenir compte des responsabilités respectives des prévenus et du profit financier que chacun pouvait retirer de la fraude.
Compte tenu de ces éléments d'appréciation, il convient de confirmer les sanctions prononcées par le tribunal contre les époux L et les époux G.
Jean-Jacques D, Pierre C et Gilles H doivent être condamnés chacun à une peine de 16 mois d'emprisonnement dont 12 mois avec sursis simple et une peine de 80 000 F d'amende.
Les peines d'emprisonnement fermes prononcées se justifiant par la nécessité de sanctionner le trouble grave porté à l'ordre public par les agissements des prévenus, la nécessité de sauvegarder la santé publique, ainsi que la personnalité des prévenus.
Jean Q doit être condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis simple et une peine de 150 000 F d'amende.
Compte tenu de la gravité des agissements commis par les prévenus et des intérêts commerciaux mis en cause il convient d'ordonner la publication par extraits du présent arrêt dans les journaux "La Dépêche du Midi" "Sud-Ouest" et "Le Monde" sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 6 000F.
La Fédération de la vitellerie française et la Fédération nationale bovine se sont constituées parties civiles. Il y a lieu en adoptant les motifs pertinents des premiers juges de confirmer le jugement déféré sur la recevabilité de leurs constitutions et sur les sommes allouées à la première partie civile.
Le jugement déféré doit être réformé en ce qu'il a alloué semble-t-il par l'effet d'une erreur matérielle une somme de 20 000 F à la Fédération nationale bovine au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et a omis de reprendre dans son dispositif la somme allouée à titre de dommages-intérêts. Compte tenu du préjudice subi par cette partie civile une somme de 20 000 F lui sera accordée à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une somme de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de ces deux parties civiles les frais par elles exposés
pour assure la défense de leurs intérêts légitimes. Il y a lieu d'allouer à chacune d'entre elles la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais de l'instance d'appel.
La SA W dont la constitution de partie civile avait été déclarée nulle en la forme n'a pas soutenu son appel reconnaissant ainsi l'absence d'arguments pertinents à faire valoir contre cette décision.
Par ces motifs: LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort; En la forme: Déclare réguliers et recevables les appels interjetés contre le jugement du Tribunal correctionnel de Cahors du 25 février 1994; Au fond: - Sur l'action publique: Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la culpabilité de - L Jean-Christian, - B Marie-Pierrette épouse L, - H Gilles, - D Jean- Jacques, - C Pierre, - M épouse G Marie-Thérèse, - G Jean-Yves, Réforme le jugement en ce qu'il a déclaré la culpabilité de Q Jean du chef de la prévention retenue; Et statuant à nouveau: Requalifie le délit de falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme par l'administration d'une substance interdite classée vénéneuse par voie réglementaire et nuisible à la santé de l'homme, reproché à M. Jean Q en délit de tromperie sur la nature et les qualités substantielles de la marchandise par incorporation d'une substance interdite classée vénéneuse par voie réglementaire; Déclare Jean Q coupable de ce délit de tromperie; Confirme les sanctions prononcées par le jugement déféré contre: - L Jean-Christian, - B Marie-Pierrette épouse L, - M épouse G Marie-Thérèse, - G Jean-Yves; Réforme le jugement déféré en ce qui concerne les sanctions prononcées contre les autres prévenus et statuant à nouveau, condamne: - H Gilles, - D Jean-Jacques, - C Pierre, à une peine de 16 mois d'emprisonnement dont 12 mois assortis d'une mesure de sursis simple et à une peine de quatre vingt mille francs (80 000 F) d'amende chacun; Condamne Jean Q à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis simple et à une peine de cent cinquante mille francs (150 000 F) d'amende. Constate que l'avertissement prévu aux articles 132-29 à 132-29 du nouveau Code pénal n'a pu être donné aux prévenus, lors du prononcé de l'arrêt; Ordonne la publication d'un extrait du présent arrêt dans les journaux "La Dépêche du Midi", "Sud Ouest" et "Le Monde" sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de six mille francs (6 000 F); - Sur l'action civile: Confirme la recevabilité des actions civiles de la Fédération nationale bovine et de la Fédération de la vitellerie française et sur les sommes allouées à la seconde de ces parties civiles; Réforme pour le surplus la décision déférée en ce qui concerne l'action civile de la Fédération nationale bovine et statuant à nouveau; Condamne, in solidum, les époux L, les époux G, Messieurs H, D, C et Q à verser à la Fédération nationale bovine une somme de vingt mille francs (20 000 F) à titre de dommages-intérêts et une somme de deux mille francs (2 000 F) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Condamne, in solidum, les prévenus à verser à chacune des parties civiles une somme de cinq mille francs (5 000 F) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais d'instance d'appel; Constate que la SA W n'a pas soutenu l'appel par elle interjetée contre le jugement déféré; Condamne, in solidum, les prévenus au paiement des frais et dépens concernant l'action civile; Le tout en application des articles 1er, 3 et 7 de la loi du 1er août 1905, 132-29 et suivants du nouveau Code pénal, 512 et suivants du Code de procédure pénale.