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Décisions

CA Colmar, ch. corr., 15 novembre 1985, n° 446-85

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Wagner, Schweitzer, Gerbert (Epoux), Kastner (Epoux), Chambre de consommation d'Alsace

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulan

Conseillers :

MM. Moureu, Veille

Avocats :

Me Imbach, Rosenblieh.

CA Colmar n° 446-85

15 novembre 1985

Vu le jugement rendu contradictoirement le 13 décembre 1984 par le Tribunal correctionnel de Strasbourg qui :

Sur l'action publique

Dit que le moyen tiré par le prévenu de l'article 68 de la loi du 2 janvier 1968 ne constitue pas une question préjudicielle ;

- Joignant l'incident au fond, rejette les conclusions déposées avant toute défense au fond ;

- Déclare Jean L coupable d'avoir à Strasbourg courant 1979, 1980, 1981, 1982, en tout cas depuis temps non prescrit, sur le territoire national ;

A) étant gérant de fait de la SARL X, de mauvaise foi, fait des biens de cette société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, en l'espèce au moyen du paiement par la société en sa faveur, de redevances s'élevant à un total de 333 109 F, ainsi que d'un "droit d'entrée" de 62 000 F ;

B) trompé le contractant sur les qualités substantielles l'aptitude à l'emploi d'un produit et d'une prestation ce service portant en l'espèce, sur la vente et la pose d'un produit d'isolation thermique extérieure des immeubles, au préjudice en particulier, de Jacques Bald, Raymond Gerber, René Goetz, Robert Schweitzer, Suzanne Morel veuve Wagner, Françoise Feltz épouse Kastner, François Beck ;

Faits prévus et réprimés par les articles 425 de la loi du 24 juillet 1966, 1er de la loi du 1er août 1905 ;

En répression, le condamne à une peine d'emprisonnement de 18 mois dont 12 mois avec sursis et mise à l'épreuve pour une durée de 3 ans, assorti des obligations spéciales des articles R. 58 et R. 59 du Code de procédure pénale et notamment de payer les dommages-intérêts aux parties civiles ;

Dit que la partie ferme de cette peine sera exécutée sous le régime de la semi-liberté ;

Condamne en outre L Jean-Marie à une peine d'amende de 50 000 F et au remboursement des frais envers l'Etat avec fixation au minimum de la durée de la contrainte par corps ;

Sur l'action civile

Reçoit M. et Mme Kastner Pierre en leur constitution de partie civile ;

Condamne L Jean-Marie à payer à la partie civile la somme de 20 000 F à titre de dommages- intérêts avec les intérêts de droit à compter du présent jugement ;

Reçoit la Chambre de consommation d'Alsace en sa constitution de partie civile ;

Condamne L Jean-Marie à payer à la partie civile la somme de 50 000 F a titre de dommages-intérêts avec les intérêts de droit à compter du présent jugement et la somme de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne L Jean-Marie aux dépens ;

Reçoit Monsieur Schweitzer Robert, Monsieur et Madame Gerber Raymond et Madame Wagner Suzanne en leur constitution de partie civile ;

Déclare L Jean-Marie entièrement responsable des faits survenus courant 1979, 1980, 1981 et 1982 et de leurs conséquences :

Sursoit à statuer sur leurs demandes ;

Renvoie l'affaire à l'audience sur intérêts civils du 4 juin 1985 à 9 heures 30, salle n° 5 ;

Réserve les dépens ;

Déclare la présence de Me P Kretz, avocat des parties civiles effective et utile aux débats ;

Vu les appels de ce jugement régulièrement interjetés le 14 décembre 1984 par le prévenu, en toutes ses dispositions, le même jour par le Ministère public, et le 27 décembre 1984 par la Chambre de consommation d'Alsace, partie civile ;

A l'appel de la cause ont comparu

- le prévenu, assisté de Me Imbach, avocat à Strasbourg, qui a pris et développé les conclusions de son mémoire du 12 novembre 1985, tendant à :

- voir constater que Monsieur L est propriétaire d'une invention appelée "Procédé d'Isolation Thermique par l'extérieur", pour laquelle il a fait une demande de brevet dès 1978 et un additif audit brevet, auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle en juin 1981.

- dire et juger que le tribunal correctionnel, en vertu des dispositions de la loi du 2 janvier 1968, n'est pas habilité à juger de la valeur d'une invention, cette valeur étant réservée, par le législateur, à certains tribunaux spécialisés de l'ordre civil.

- dire et juger que le contrat de licence garde son entière validité, tant qu'un tribunal spécialisé n'en a pas jugé autrement, le taux de redevance convenu ayant été fonction des obligations particulièrement astreignantes imposées au concédant, ces redevances, de toute façon, étant payées par le client et non pas par la société cossue supplément du prix de facturation de l'application dudit procédé.

- dire et juger que Jean L n'a pas été un gérant de fait, mais que son travail, en vertu du contrat de licence, était un devoir de conseil et d'assistance de tout moment en faveur de la société X,

- dire et juger qu'en l'absence de toute gérance de fait à Jean L, ce dernier ne pouvait commettre un abus de biens sociaux aux termes des dispositions de l'article 425 de la loi du 24 juillet 1966.

Plus subsidiairement

- dire et juger que le fait d'avoir conclu un contrat de licence, déterminant les redevances dues, ne peut constituer d'aucune façon un abus de biens sociaux, alors que ces droits sont en définitif payés par le client et non pas par le client.

- dire et juger qu'aucun élément du dossier ne permet de dire que Jean L, en demandant la délivrance d'un brevet pour son invention du procédé W, avait connaissance des insuffisances de son brevet, ce qui est encore démontré par les réclamations de quatre personnes sur 35 applications, dont la grande majorité sont présumées être satisfaites de l'application de ce procédé, faute d'avoir engagé une procédure recherchant la responsabilité de la société X,

- dire et juger au contraire que les éléments du dossier, à savoir l'intérêt de la société pétrolifère Y pour la commercialisation du dit procédé, démontre au contraire que ce procédé est une invention au sens de la législation française.

- dire et juger qu'aucune disposition légale n'exige, pour le dépôt d'un tel brevet, contrairement à l'affirmation des premiers juges, un avis technique.

En conséquence

Infirmer le jugement dont appel

Et statuant a nouveau

Relaxer Jean L des fins de la poursuite sans peine ni dépens

Quant aux parties civiles

Se déclarer incompétent pour connaître de leur action

Les charger de tous les frais et dépens de leur intervention.

- pour la Chambre de consommation d'Alsace, partie civile, Me Rosenblieh, avocat à Colmar, qui a pris et développé les conclusions de son mémoire du 15 novembre 1985 tendant à la condamnation de L Jean Marie à payer à la partie civile une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, à ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais du prévenu dans les Dernières Nouvelles d'Alsace et dans le Consommateur d'Alsace et à condamner L au paiement d'une somme de 2 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

- Mme Kastner, Mme Gerber et Mme Wagner qui ont été entendues en leurs observations tendant à la confirmation du jugement déféré ;

- M. Schweitzer Robert qui a été entendu en ses observations tendant à lui donner acte de son désistement d'action, la compagnie d'assurances du prévenu l'ayant désintéressé ;

Les formalités prescrites par l'article 513 du Code de procédure pénale ayant été accomplies dans l'ordre légal, Monsieur le Président Soulan ayant fait rapport et interrogé le prévenu, les avocats des parties et les parties civiles ayant été entendues en leurs plaidoiries et observations, le Ministère public en ses réquisitions, le prévenu ayant eu la parole en dernier, LA COUR a mis l'affaire en délibéré et dit que l'arrêt sera prononcé à l'audience publique du 17 janvier 1986 , les parties en cause en ayant été avisées par Monsieur le Président ;

Sur la gestion de fait et l'abus de biens sociaux

Attendu que L Jean-marie reprenant l'argumentation développée en première instance soutient qu'à aucun moment il n'a assumé des fonctions de gérant de fait de la SARL X mais seulement de Conseiller Technique dans les limites du contrat de concession de licence passé le 16 août 1979 entre cette société et lui ;

Mais attendu que par des motifs pertinents que la cour fait entièrement siens les premiers juges ont retenu que L Jean-Marie loin de limiter son activité à celle d'un conseiller technique chargé de la mise en œuvre sur les chantiers de la société X de son procédé d'isolation thermique extérieure dit W, s'est comporté en véritable gérant de fait de cette société;

Qu'il ressort en effet des multiples témoignages, tous concordants, recueillis par les gendarmes au cours d'une enquête minutieuse que L Jean-Marie était le dirigeant de fait occulte qui prenait les décisions de gestion en les faisant exécuter par des gérants de droit, en l'espèce ses maîtresses successives Christine Bergmann, puis Jacqueline Walter, respectivement âgées de 20 ans et 21 ans lorsqu'elles ont été affectées à ces fonctions et qui n'étaient en réalité que des prête-noms ;

Que cette reconnaissance de la qualité de gérant de fait occulte s'impose au vu notamment des déclarations :

- de Christine Bergmann elle-même (D 296)

- de Daniel Marguerite, conseil juridique que L a consulté à diverses reprises pour la société (D 299)

- d'Alain Goffinet, chef de service à la Chambre de commerce de Strasbourg avec lequel L a discuté du contrat de travail de l'employé Juncker (D 149)

- du personnel affecté à la société ou ayant travaillé pour son compte par détachement de la société Z dont L était le président directeur général, à savoir Ait-Said Jacquy, Dubois Manique, Juncker Bernard, Marx Jacky, Cornelis Anme (D 138, 136, 157, 139, 144)

- des fournisseurs Winostein Christophe (D 134), des Syndics Claus Gérard, Patry Paul (D 91, 301 à 304), des clients qui ont tous déclaré n'avoir ou affaire qu'a L (Mme Suzanne Wagner, Mme Gerber, Mme Kastner, M. Schweitzer notamment) ;

Que dès lors les premiers juges ont déduit à bon droit de cette situation de fait que le contrat de licence passé le 16 août 1979 entre L Jean-Marie et la SARL X dont il était le gérant de fait, constituait un contrat passé avec lui-même ; que le fait d'imposer à la SARL X le versement d'une redevance égale à 30 % du chiffre d'affaire global avec un minimum trimestriel de 37 500 F dû quelle que soit la production réalisée et à 20 % du chiffre d'affaire au delà du minimum annuel actualisé constituait une clause exorbitante contraire à l'intérêt de la société; cette constatation étant conforme à l'avis des professionnels consultés tels que M. Jacques Brossard Directeur du départe- ment Brevets du Cabinet Arbousse-Bastide à Strasbourg (D 238) ;

Attendu qu'en vertu dudit contrat il a été versé à L, d'août 1979 à 1982, une somme de 333 109 F ;

Attendu que de même et sans avoir à se prononcer sur la valeur du brevet, il était manifestement contraire aux intérêts de la SARL X d'exiger le versement d'un droit d'entrée de 62 000 F alors que le capital social de cette société créée deux mois auparavant par acte sous seing privé du 20 juin 1979 n'était que de 50 000 F de sorte qu'il s'est trouvé absorbé avant même que l'entreprise n'ait commencé toute activité et que son exploitation a été ainsi grevée dès le départ d'un déficit de 12 000 F ;

Attendu que ni l'assistance technique prévue par le contrat pour une durée d'ailleurs limitée à six mois par l'article 3-2 ni le fait que la société n'avait qu'à répercuter le montant des redevances sur le prix des marchés ne sauraient justifier une telle charge pour la société ;

Qu'un contrat aussi léonin ne pouvait que concourir à la mise en liquidation des biens de la société intervenue par jugement du 7 février 1983, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 1er juin 1982 ;

Qu'ainsi donc en faisant signer par Christine Bergmann, gérante statutaire, le contrat du 16 avril 1979, L a sciemment fait des biens ou du crédit de la SARL X un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles pour favoriser l'exploitation de son procédé d'isolation thermique, encourant ainsi les sanctions de l'article 425 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Qu'il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de relever que dans ses écritures du 12 novembre 1985 L ne conteste pas sérieusement que la SARL X n'a été créée qu'à seule fin de rentabiliser son invention ;

Sur la fraude commerciale

Attendu qu'il est constant que dès la fin de l'année 1979 les travaux d'isolation réalisés par la SARL X suivant le procédé W inventé par L ont donné lieu à de nombreux litiges dont certains ont été transigés et d'autres se sont poursuivis devant les tribunaux ;

Attendu que les premiers juges ont retenu à bon droit que la répétition des malfaçons constatées, les conclusions des experts commis dams les diverses procédures ou l'avis de techniciens spécialisés ont révélé que le procédé d'isolation thermique inventé par L était loin d'être au point ;

Qu'en effet pour M. Greiner, ingénieur expert, ce procédé douteux ne pouvait avoir l'agrément du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment pour des raisons d'ordre technique exposées dans son rapport (D 187 - 188) ;

- pour M. Jean Claude, architecte expert le procédé W "ne répond à rien au niveau des règles de l'art" et ne peut être cautionné ;

Que c'est également l'avis émis par M. Jean-Paul Roth, adjoint technique à la Socotec (D 257) et de M. Robert Bouleau, expert (D 259-260) ;

Que dès lors l'entêtement de L en sa qualité de gérant de fait occulte de la SARL X, à vouloir exploiter au détriment des clients de cette entreprise un procédé qu'il savait inapte à son emploi ou en tout cas non au point, est bien constitutif du délit de fraude commerciale au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 ;

Attendu qu'il est sans intérêt pour l'appréciation de la responsabilité pénale de L de dire qu'il est propriétaire de son invention et qu'il a fait une demande de brevet à l'Institut national de la Propriété Industrielle comme il le sollicite dans ses conclusions, ces éléments étant sans aucune incidence sur l'appréciation de sa responsabilité pénale en tant que gérant de fait occulte de la SARL X ;

Que d'ailleurs la demande à l'INPI n'a donné lieu à ce jour à aucun titre officiel ;

Qu'en conséquence il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré L coupable des faits visés à la prévention ;

Attendu que la sanction infligée par les premiers juges tient compte des circonstances atténuantes et de la personnalité du prévenu comme de la gravité ces faits qui lui sont reprochés ; qu'elle constitue une peine appropriée au cas d'espèce qui doit être confirmée.

Sur l'action civile

Attendu que les premiers juges ont fait des documents de la cause une exacte appréciation ;

Que L doit être tenu entièrement responsable des conséquences dommageables de ses agissements délictueux ;

Qu'il échet de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions civiles sans qu'il y ait lieu d'ordonner la publication du présent arrêt comme le sollicite la Chambre de consommation d'Alsace dès lors que la SARL X est en liquidation des biens et que L a changé d'activité professionnelle ;

Attendu toutefois que M. Robert Schweitzer, partie civile a déclaré à la barre qu'une transaction était intervenue entre lui et la Cie d'Assurances de L de sorte qu'il se désistait de son action à l'encontre du prévenu ; Qu'il y a lieu de lui en donner acte ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Chambre de consommation d'Alsace les frais non taxables exposés par elle en appel; que sa demande au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale est justifiée à concurrence de la somme de 1 000 F ;

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte ; LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare les appels réguliers et recevables en la forme ; Au fond Sur l'action publique Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales ; Condamne L Jean-Marie aux frais et dépens envers l'Etat ; Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps ; Sur l'action civile Donne acte à M. Robert Schweitzer de son désistement d'action ; Confirme le jugement déféré pour le surplus en toutes ses autres dispositions civiles, le point de départ des intérêts des sommes allouées restant fixé au jour du jugement à titre compensatoire ; Y ajoutant, Condamne L Jean-Marie à payer à la Chambre de consommation d'Alsace la somme de 1 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Le condamne aux frais des actions civiles ; Déclare la présence de l'avocat de la Chambre de consommation d'Alsace, partie civile, effective et utile aux débats ; Le tout par application des articles 2 et suivants, 410, 418, 424, 497 et suivants, 512 et suivants, 473, 749 et suivants du Code de procédure pénale 5, 463 du Code pénal ; 425 de la loi du 24 juillet 1966 ; 1er de la loi du 1er août 1905.