CA Versailles, 8e ch. corr., 16 octobre 1989, n° 845
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Prochar (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sevenier
Avocat général :
M. Merand
Conseillers :
MM. Pons, Verdeil
Avocats :
Mes Woog, Voituriez.
Rappel de la procédure
Le tribunal a déclaré T coupable de :
0149 - tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise - courant 1984 et 1985 à Arnouville-lès-Gonesse (Val d'Oise) - article 1er de la loi du 1er août 1905 ;
- l'a condamné à 30 000 F d'amende et aux dépens liquidés à la somme de 8 419,60 F ;
- a ordonné la publication d'un extrait de jugement dans un numéro de chacun des journaux suivants :
- revue industrielle alimentaire - 42 rue du Louvre - Paris 1er,
- filière viande - 91 rue du Faubourg St Honoré - Paris 8e,
- charcuterie et gastronomie - 15 rue de J Bingen - Paris 17e,
- agro industrie - 91 rue du Faubourg St Honoré - Paris 8e,
Aux frais du condamné - 1 000 F par journal - et l'affichage d'un extrait du jugement durant 5 jours format colombier à la porte de l'entreprise aux frais du condamné (1 000 F) par application de l'article 7 de la loi du 1er août 1905 ;
Sur les intérêts civils :
- a reçu la SA Prochar en sa constitution de partie civile ;
- a déclaré la société X civilement responsable ;
- a condamné T in solidum avec la société X à payer à la SA Prochar 40 000 F à titre de dommages-intérêts, 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
- a condamné T aux dépens de la partie civile in solidum avec la société X ;
Appel
- de T, le 26 octobre 1988 ;
- du Ministère public, le 26 octobre 1988 ;
- de la société Prochar, le 3 novembre 1988 ;
Décision
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les appels formés le 26 octobre 1988 par Pierre T, le 28 octobre 1988 par le Ministère public et le 3 novembre 1988 par la SA Prochar contre le jugement rendu le 25 octobre 1988 par le tribunal correctionnel de Pontoise et dont le dispositif est reproduit ci-avant :
Considérant que ces appels, réguliers en la forme, interjetés dans le délai légal sont recevables ;
Considérant que T, in limine litis reprend les exceptions tirées de la nullité d'une commission rogatoire délivrée le 29 mai 1985 dans le cadre de l'information ayant abouti aux présentes poursuites ; selon T il s'agirait d'une commission rogatoire délivrée à des fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence en violation de l'article 151 du Code de procédure pénale ; mais la simple lecture de la pièce incriminée suffit à écarter cette argumentation ; la commission rogatoire a été adressée "à Monsieur le Commandant de la compagnie de Gendarmerie de Cergy Pontoise" avec faculté de requérir le service de la Répression des Fraudes du Val d'Oise pour l'assister lorsqu'il procédera à des prélèvements de produits conformément au décret du 22 janvier 1919 ; affinant sa position T soutient à présent qu'il s'agirait, d'un partage de fait d'une commission rogatoire entre un officier de police judiciaire et une personne " susceptible de la recevoir " ce qui n'a pas de sens ; la cour écarte donc ce moyen abscons ;
Considérant que rien n'empêche le juge d'instruction - ou la personne à qui il délègue partie de ses pouvoirs - de se faire assister d'un technicien de son choix lorsque l'opération envisagée présente des particularités d'une certaine technicité, ce qui était le cas d'espèce et il n'y a pas matière à annuler la commission rogatoire du 29 mai 1985 et les actes subséquents de procédure ;
Considérant que T reproche également in limine litis à un soit transmis daté du 12 juin 1987 de recéler l'ordonnance d'une expertise, mais que cela revient à dénaturer les faits ; le juge d'instruction, après dépôt du rapport de l'expert et pour apprécier la valeur des notes déposées par le conseil de T à la suite de ce rapport, a demandé avis au Directeur de la Concurrence et la Consommation et des Fraudes ; cet avis n'est pas une expertise soumise à la règle du contradictoire et ce moyen doit être écarté lui aussi ;
Considérant que, sur le fond et subsidiairement T soutient que la prévention n'est pas établie il lui est reproché d'avoir en 1984 et 1985 trompé l'acheteur sur la composition de la marchandise vendue en mettant en vente des compositions colorantes pour la charcuterie dont l'étiquetage suggérait la présence en quantité prépondérante de carmin de cochenille alors que ce colorant faisait défaut et était remplacé par du rouge de betterave ; Or, selon T, qui reconnaît avoir progressivement remplacé le carmin de cochenille devenu trop onéreux par du simple rouge de betterave, des professionnels comme les charcutiers, ses clients, ne pouvaient se méprendre sur la nature du colorant incorporé en raison de l'aspect violacé obtenu et du fait qu'il fallait 5 fois plus de rouge de betterave que de carmin de cochenille pour obtenir une densité optique voisine ;
Considérant que cette argumentation doit être écartée les produits vendus par la société X, dont T est responsable, dans leur étiquetage sur "chairose sel 25g" ou sur "AN Paris ail RP" n'indiquent comme colorant que E 120 (carmin de cochenille) alors que les analyses auxquelles il a été procédé font apparaître l'existence en ses lieu et place de E 162 soit de la bétatine ou rouge de betterave non mentionné sur l'étiquette ; il convient de noter que les scellés de juin 85, dans 6 préparations au moins, ne contenaient plus de E 120 en quantité décelable en sorte que l'étiquetage était erroné ;
Considérant que ce fait résultait non du hasard ou d'une erreur mais d'une volonté délibérée la hausse des prix du carmin de cochenille (qui passa entre 82 et 85 de 570 F le Kg à 5 940 F) incita la société X à réduire ses achats de E 120 et à développer dans ses préparations la présence de E 162, ce que l'examen de la comptabilité confirme et qui est d'ailleurs reconnu par le prévenu ;
Considérant que la technicité supposée par T à ses co-contractants, outre qu'elle reste à démontrer dans un domaine annexe de leur technique n'est en rien exonératoire de la fraude reprochée dont elle ne saurait même atténuer la gravité ;
Considérant que l'infraction reprochée est donc bien établie et qu'il convient de confirmer au pénal la décision critiquée ;
Considérant que la partie civile évoque, à l'appui de sa demande un préjudice commercial certain résultant du fait que la société X, son principal concurrent, grâce à une fraude qui limitait son coût de production a pu proposer des prix nettement inférieurs à ceux qui, telle la société Prochar, étaler tributaires des variations de prix du carmin de cochenille ; que cette partie civile évoque également un préjudice moral appréciable puisque durant cette période elle est apparue aux yeux de ses clients comme pratiquant sans raison une hausse de prix que ne suivait pas la société X ;
Considérant qu'il convient de faire droit à cette demande et de condamner T au paiement à la société Prochar de la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts outre 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme Reçoit en leurs appels Pierre T, le Ministère public et la société Prochar ; Au fond confirme en toutes ses dispositions pénales le jugement critiqué ; Sur l'action civile, Condamne T et la société X au paiement de la somme de 100 000 F à la société Prochar en réparation du préjudice tant commercial que moral subi outre la somme de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP condamne T aux dépens liquidés à la somme de 8 889,74 F ;