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Décisions

CA Versailles, 9e ch. corr., 29 juin 1989, n° 376

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Biscuiterie Caron (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belleau

Substitut général :

M. Caralp

Conseillers :

M. Marill, Mme Gautrat

Avocats :

Mes Jamin, Skelding

TGI Nanterre, 14e ch. corr., du 15 nov. …

15 novembre 1988

LA COUR statue sur les appels interjetés par les prévenus à l'encontre du jugement du Tribunal correctionnel de Nanterre ci-dessus rappelé et sur les appels incidents du Ministère public et de la partie civile ;

Les faits de la cause sont les suivants :

Le 15 octobre 1982, Monsieur D, PDG de la société Biscuits Caron a porté plainte contre X avec constitution de partie civile pour escroquerie et abus de confiance. Il a exposé que son établissement était livré en fuel par la SA X. Il a indiqué qu'il avait contrôlé une livraison effectuée le 3 mai 1982 par Y, employé de X, et constaté, de même que son employé R, que le compteur du camion citerne qui le livrait indiquait quelques instants après le début de la livraison un débit de 1 030 litres environ qui ne pouvait correspondre à la réalité.

Une instruction a été ouverte par le parquet le 21 décembre 1982. Le juge d'instruction a rendu le 15 novembre 1985 une ordonnance de non-lieu. Sur appel de la partie civile, la chambre d'accusation de cette cour a ordonné un supplément d'information par arrêt du 28 novembre 1986. Après qu'il ait été procédé à ce supplément d'information, la chambre d'accusation, par arrêt du 25 mars 1988, a infirmé l'ordonnance de non-lieu.

Elle a renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Nanterre X et Y sous la prévention d'avoir, entre mai 1980 et le 30 avril 1982, tenté de tromper leur co-contractant, la Biscuiterie Caron, par quelque procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, sur la quantité des choses livrées, avec cette circonstance que le délit a été commis à l'aide de manœuvres ou procédés tendant à fausser les opérations de mesure de marchandises. Y Claude a été par ailleurs renvoyé seul devant le même tribunal pour avoir, le 3 mai 1982, commis le délit précité au préjudice de la Biscuiterie Caron.

C'est dans ces conditions que le Tribunal correctionnel de Nanterre par son jugement du 15 novembre 1988 a statué comme il a été rappelé ci-dessus.

X et Y, premiers appelants, demandent à être renvoyés des fins de la poursuite. Ils concluent au débouté des demandes de la partie civile.

Le Ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris.

La société Biscuiterie Caron, appelante incidente sur les dispositions civiles du jugement entrepris, entend que les dommages et intérêts qui lui ont été alloués soient portés de 120 000 à 300 000 F. Elle souhaite que le préjudice moral et le trouble commercial qu'elle a invoqués soient fixés à 50 000 F au lieu de 4 000 F. Elle réclame enfin l'allocation de 20 000 F pour ses frais non taxables.

Sur ce, LA COUR

Considérant que les appels sont recevables ;

Considérant que la partie civile et le Ministère public fondent principalement les poursuites sur la circonstance que Monsieur D et son employé R auraient constaté le 3 mai 1982, que Y Claude, qui effectuait une livraison de fuel, se serait abstenu de mettre à zéro le compteur totalisateur du camion citerne, facturant ainsi à la Biscuiterie Caron un supplément de 1 000 litres de fuel qui n'auraient pas été effectivement livrés ;

Considérant, par ailleurs, qu'ils tirent argument du rapport d'expertise déposé en cours d'instruction le 29 juin 1985 par Messieurs Beaufils et Cayot, experts, pour alléguer que la même fraude se serait déjà produite à de nombreuses reprises lors des livraisons précédentes de fuel de mai 1980 à avril 1982 ;

Mais considérant que Y a toujours fait valoir qu'il avait livré en premier lieu le 3 mai 1982 un autre client qui avait reçu 1000 litres de fuel ; qu'il a indiqué que c'est seulement au moment même de l'approvisionnement que le compteur était mis à zéro à l'aide d'une manivelle ; que tel avait été le cas en l'espèce, l'intervention de Messieurs D et R se situant avant le début de l'approvisionnement de la Biscuiterie ;

Considérant qu'il résulte des renseignements techniques versés aux débats que le compteur fixé sur la partie extérieure du camion citerne comporte deux indicateurs un totalisateur destiné au client ; un autre totalisateur à l'usage du livreur auprès de divers clients pour une même tournée ;

Considérant qu'à supposer que le contrôle de Messieurs D et R ait eu lieu quelques instants après le début de la livraison, il était tout à fait normal que le totalisateur destiné au livreur fasse mention d'une quantité de 1 030 litres environ ;

Considérant que contrairement à ce qu'énoncent les premiers juges, la preuve est rapportée par la présentation d'une facture en faveur de Monsieur Garcon que celui-ci a été livré de 1 000 litres de fuel le 3 mai 1982 ;

Considérant qu'il s'en suit que l'imputation de fraude repose sur une base très fragile ; d'une part, il n'est pas certain que le contrôle de Messieurs D et R ait eu lieu après le début de la livraison ; d'autre part, à supposer même que tel ait été le cas, ils ont pu se méprendre sur les indications du compteur en relevant celles destinées au livreur et non celles qui concernent le client ;

Considérant par ailleurs que les déductions qu'ont pu faire les experts sur le fondement d'une diminution de la consommation de fuel des établissements Caron après le 3 mai 1982, sont incertaines ;

Considérant qu'en effet ces déductions se réfèrent à une simple "hypothèse" selon laquelle "il ne serait pas déraisonnable" de penser que la fraude ait porté au total sur 50 000 litres de fuel ;

Considérant toutefois que la réduction de consommation de la biscuiterie Caron après le mois de mai 1982 a pu avoir de multiples causes étrangères au présent débat diminution de la production ; météorologie plus favorable (car le fuel livré servait tout à la fois au chauffage des établissements et à l'alimentation des fours industriels) ; meilleur réglage des brûleurs ;

Considérant que la cour observera enfin qu'il n'a pas été fait état d'autres plaintes similaires contre les établissements X ; que la plainte des établissements Caron était tardive; qu'aucune note défavorable n'a été recueillie contre les deux prévenus ; que leurs casiers judiciaires ne portent pas trace de condamnations ; qu'enfin, les services des fraudes n'ont pas relevé de non-conformité du matériel de livraison des établissements X à la réglementation en vigueur ;

Considérant qu'il s'en suit que les éléments de preuve dont les parties poursuivantes font état sont manifestement insuffisants pour permettre à la cour d'entrer en voie de condamnation;

Considérant qu'il convient donc d'infirmer la décision des premiers juges, de renvoyer X et Y des fins de la poursuite, de débouter la partie civile de l'ensemble de ses demandes et de laisser à sa charge les dépens par elle exposés ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme Dit les appels recevables Au fond Infirmant, Renvoie X et Y des fins de la poursuite ; Déboute la société Biscuiterie Caron des fins de ses demandes ; Laisse les dépens à la charge du Trésor Public sauf partie civile qui resteront à la charge de celle-ci.