Conseil Conc., 23 juin 2004, n° 04-D-25
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mise en œuvre dans le domaine des honoraires d'architecte dans les marchés de maîtrise d'œuvre en Aquitaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Cramesnil de Laleu, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Perrot ainsi que MM. Flichy, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre enregistrée le 4 juillet 2001, sous le numéro F 1325, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de la passation de marchés de maîtrise d'œuvre en Aquitaine ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision de la Présidente du Conseil de la concurrence, en date du 17 novembre 2003, prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, aux termes de laquelle il a été décidé que l'affaire serait jugée par le Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les observations présentées par le Conseil de l'Ordre des architectes d'Aquitaine, l'association Architecture et Commande Publique, la société Atelier d'Architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire, le cabinet d'architecture Olivier Soupre, l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz et le cabinet d'architecture Hebrard et Lacassagne, ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Conseil de l'Ordre des architectes d'Aquitaine et de l'association Architecture et Commande Publique, de la société Atelier d'Architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire, du cabinet d'architecture Olivier Soupre, de l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz et du cabinet d'architecture Hebrard et Lacassagne entendus lors de la séance du 27 avril 2004 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. Le contexte légal des pratiques en cause
1. Dans sa rédaction antérieure au 10 septembre 2001, applicable aux faits de l'espèce, le Code des marchés publics, définit, à l'article 107, le marché de maîtrise d'œuvre en ces termes : "Les marchés d'études sont dits "de maîtrise d'œuvre" lorsqu'ils ont pour objet (...) d'apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme défini par le maître de l'ouvrage".
2. La procédure de passation des marchés de maîtrise d'œuvre privée, exercée pour le compte des maîtres d'ouvrage publics, est régie par les articles 108 bis et 108 ter du Code précité, pour les marchés de l'État, 314 bis et 314 ter pour les marchés des collectivités locales et par les articles 103 et 104 § 1-9 du même Code. Les articles 108 bis et 108 ter ainsi que les articles 314 bis et 314 ter définissent les règles particulières de publicité, d'examen des candidatures et de prestations à fournir. Il résulte de ces dispositions que trois catégories de procédures sont prévues, qui toutes débutent par un avis d'appel public à la concurrence.
3. Lorsque le montant des honoraires du maître d'œuvre est égal ou inférieur à la somme de 450 000 francs TTC (68 602 euros), il est prévu, aux articles 108 bis et 314 bis, que "la mise en compétition des candidats peut être limitée à l'examen de leur compétence et des moyens dont ils disposent". C'est la collectivité ou l'établissement contractant, pour les marchés des collectivités locales ou la personne responsable du marché, pour les marchés de l'Etat, qui procède au choix du maître d'œuvre.
4. S'agissant des marchés compris entre 450 000 et 1 300 000 francs TTC (soit entre 68 602 euros et 198 184 euros), les mêmes articles prévoient que "la mise en compétition peut être limitée à l'examen des compétences, des références et des moyens des candidats". Le choix du maître d'œuvre est assuré par la collectivité, pour les marchés des collectivités locales, ou par la personne responsable du marché, pour les marchés de l'État, après avis d'une commission comportant au moins un tiers de maîtres d'œuvre compétents eu égard à l'ouvrage à réaliser et à la nature des prestations à fournir au titre du marché de maîtrise d'œuvre. Les articles 108 bis et 314 bis précisent que, dans le cadre des deux procédures qui viennent d'être décrites, "le marché est ensuite librement négocié".
5. Enfin, une troisième procédure est prévue lorsque le montant estimé du marché de maîtrise d'œuvre est supérieur à 1 300 000 francs TTC (198 184 euros), le maître d'ouvrage étant tenu d'organiser un concours d'architecture dans les conditions fixées aux articles 108 ter et 314 ter. L'attribution du marché de maîtrise d'œuvre est prononcée par l'assemblée délibérante de la collectivité ou de l'établissement contractant, pour les marchés des collectivités locales ou par la personne responsable du marché pour les marchés de l'État, après avis du jury de concours.
6. Les articles 103 et 104 § 1-9 soulignent, par ailleurs, que les marchés de maîtrise d'œuvre sont, quelque soit le montant des honoraires alloués au maître d'œuvre, des marchés négociés, c'est-à-dire que l'acheteur public "engage librement les discussions qui lui paraissent utiles avec les candidats de son choix et attribue le marché au candidat qu'il a retenu".
7. Il résulte de ces dispositions que, si l'acheteur public à la possibilité de limiter son examen à la compétence des soumissionnaires et aux moyens dont ils disposent, il ne s'agit que d'une faculté destinée à simplifier son appel d'offres et qu'il lui est loisible de se faire remettre des offres financières comprenant des propositions d'honoraires émanant de plusieurs candidats architectes lors de leur mise en compétition ou de recourir à d'autres critères de sélection.
B. Les pratiques relevées
8. Les pratiques en cause concernent des interventions menées, au cours des années 1999 et 2000, par l'Ordre des architectes d'Aquitaine et par l'association : "Architecture et Commande Publique" (A&CP), financée par ce dernier.
9. Au cours des années 1999 et 2000, l'Ordre des architectes et l'association A&CP sont intervenus à de nombreuses reprises en multipliant, d'une part, les actions menées tant auprès des architectes que des administrations de la région d'Aquitaine et des maîtres d'ouvrage publics afin de les déterminer à se ranger à leur interprétation des textes précités, basée sur le refus de la formulation d'une proposition de rémunération par les architectes candidats au stade de la procédure de sélection.
10. Il résulte, ainsi, des éléments recueillis lors de l'enquête que l'association A&CP a adressé, le 10 mars 1999, un courrier au maire de Bordeaux dans lequel les co-présidents de cette association faisaient part de leur souhait de "connaître la méthode de sélection de maîtres d'œuvre que vos services ont appliquée" et sollicitaient l'organisation d'une rencontre (cote 95 du dossier). Le 15 septembre 1999, le président de l'Ordre des architectes d'Aquitaine adressait également au maire de Bordeaux une lettre indiquant que : "Depuis quelque temps, nous avons connaissance de certaines opérations menées par le Conseil Régional pour lesquelles la mise en concurrence des candidats s'étend à une proposition d'honoraires. Cette nouvelle pratique, non prévue par les textes mais que nous savons préconisée par la Direction de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes, présente de nombreux inconvénients tant pour la profession que nous représentons que pour la maîtrise d'ouvrage" (cote 100).
11. A la même date, le président de l'Ordre des architectes envoyait une lettre identique au président du Conseil régional d'Aquitaine et sollicitait un rendez-vous, en insistant sur "l'urgence de ce dossier". Enfin, une nouvelle démarche était entreprise par l'association A&CP auprès de la mairie de Bordeaux par lettre du 28 avril 2000 (cote 104) et ce, malgré les réponses déjà formulées par les services municipaux, les 7 mai et 25 octobre 1999 (cotes 95 et 102).
12. En mars 2000, l'association A&CP est, en outre, intervenue dans la procédure de marché de maîtrise d'œuvre portant sur la construction d'un garage-magasin réalisée par le port autonome de Bordeaux. L'un des co-présidents de cette association a indiqué au directeur du port autonome de Bordeaux que : "Il n'(était) pas opportun de demander, à ce stade de la consultation, des propositions de taux d'honoraires", et a conclu que "Nous émettons des réserves sur le bien-fondé de ce type de consultation" (lettre du 08.03.2000, cote 123). Il lui a été répondu, le 25 mars 2000, que "le maître d'ouvrage (avait) le choix de retenir ou pas le montant du marché parmi les critères de sélection" (cote 126). A la demande de l'autre co-président de l'association A&CP, une réunion a, cependant, été organisée, le 28 mars 2000, avec le chef du département des études et travaux de génie civil du port autonome, au terme de laquelle, selon ce dernier, "chacun est resté sur son interprétation des textes" (cote 61).
13. Par ailleurs, à la fin de l'année 1999 et pendant l'année 2000, l'Ordre des architectes d'Aquitaine et l'association A&CP ont élaboré plusieurs notes (cotes 49 à 54), ainsi que des articles, sur le sujet des honoraires dans les procédures de marchés de maîtrise d'œuvre, qui ont été diffusés dans le journal des architectes d'Aquitaine (cotes 36 à 40) et, plus largement, auprès de plusieurs administrations de la région. Ces notes soutiennent la même position, consistant à refuser au maître d'ouvrage la possibilité de demander aux soumissionnaires de fournir une proposition de rémunération au stade de la sélection des candidats.
14. C'est ainsi que, dans un document de l'association A&CP, non daté mais concomitant ou postérieur au mois d'août 1999, intitulé : "Note aux architectes-jurés confrontés à la sélection sur honoraires", on peut lire : "La proposition de rémunération ne doit plus être demandée à ce stade et si elle l'est encore, il faut intervenir pour qu'elle ne constitue pas un critère de sélection. (en caractères gras dans le texte). Aux maîtres d'ouvrage qui la souhaitent "à titre indicatif", il faut exiger que la proposition d'honoraires ne soit ouverte qu'après le choix de la commission". La note se termine par ces mots : "Nous comptons sur vous" (cote 50).
15. Dans une note de l'Ordre des architectes d'Aquitaine, en date d'octobre 1999, intitulée : "La profession d'architecte refuse les consultations "sur honoraires" (marchés publics de maîtrise d'œuvre)", on peut lire (en caractères gras dans le texte) : "Les architectes ne refusent pas d'être mis en concurrence. Ils refusent la mise en compétition à partir des propositions de rémunération" (cote 55).
16. De même, dans le numéro 22, daté du mois de mars 2000, du Journal des architectes d'Aquitaine, un article intitulé : "Note à l'intention des architectes jurés", demande à ces derniers d'observer, lors des procédures de mise en concurrence, l'attitude suivante : "Si le maître d'ouvrage campe sur une position extrême (consultation sur honoraires) et insiste pour retenir 3 candidats pour une négociation sur honoraires : les architectes-jurés ne participent pas à la fin de la commission mais doivent rester présents, ne signent pas le PV de réunion, afin de marquer leur désaccord avec cette procédure" (cote 39).
17. Enfin, il résulte de l'enquête que l'Ordre des architectes et l'association A&CP sont directement intervenus auprès des maîtres d'ouvrage lors de la passation de quatre marchés de maîtrise d'œuvre.
18. S'agissant, tout d'abord, de la procédure de marché de maîtrise d'œuvre pour la réalisation de deux hôpitaux de jour à Cadillac et à Lormont, le directeur adjoint des services logistiques a déclaré : "Immédiatement l'ordre des architectes est intervenu (la chargée du service juridique de l'Ordre des architectes) me signalant que la procédure n'était pas légale parce que le CHS demandait le montant des honoraires à chacun d'eux alors qu'il fallait en choisir un et négocier avec un seul, en cas de désaccord on pouvait consulter le deuxième et ainsi de suite. A partir de cette réaction et afin d'éviter les risques de contentieux, le CHS a informé chacun des architectes, par lettre du 22 février 2000, de l'arrêt de la procédure telle que conçue initialement. L'ordre des architectes a été informé par lettre le même jour". Il conclut ses déclarations en précisant que : "Dès lors, (le directeur du CHS) et moi-même avons procédé (...) à une nouvelle sélection en limitant le nombre à quatre architectes" (procès-verbal d'audition du 22.02.2000, cote 116).
19. En second lieu, dans le cadre de la consultation de maîtrise d'œuvre relative aux travaux d'aménagement de l'Hôtel de ville de Mérignac, les co-présidents de l'association A&CP ont émis des réserves sur le bien-fondé de cette consultation (lettre du 28.03.2000, cote 128). A la suite de leur intervention, le chef du service achats et marchés de la ville de Mérignac a reçu l'un de ces co-présidents et a rendu compte de cette visite en ces termes :
"Au terme de notre entretien, je lui ai proposé, d'une part, de poursuivre la consultation relative à l'aménagement de l'hôtel de ville telle que prévue dans l'appel public à la concurrence, d'autre part, pour l'avenir et pour les consultations de même nature, d'adopter une procédure similaire à celle qu'ils préconisent" (procès-verbal d'audition du 05.10.2000, cote 132). Cependant, l'association s'est étonnée, par lettre du 13 juin 2000, "que la position adoptée lors de l'entretien n'ait pas été retenue pour la consultation relative à l'aménagement de l'hôtel de ville". Si la ville de Mérignac ne s'est pas inclinée devant cette dernière exigence, il n'en demeure pas moins qu'elle s'est engagée, pour l'avenir et pour les consultations de même nature, à adopter une procédure similaire à celle préconisée par l'association, c'est-à-dire ne comportant pas de mise en concurrence sur les honoraires.
20. En troisième lieu, lors de la procédure relative au marché de maîtrise d'œuvre pour la construction de logements locatifs à Saint-Pierre-d'Irube et à Arcangues, l'Office départemental d'HLM des Pyrénées-Atlantiques, maître d'ouvrage, a reçu un premier courrier dans lequel l'un des co-présidents de l'association A&CP indiquait : Il est illégal de demander, à ce stade de la consultation, des propositions de taux d'honoraires" (cote 137). Puis l'Office départemental a reçu un second courrier précisant que : "A titre exceptionnel (mention soulignée dans le texte), afin de ne pas retarder le déroulement de l'opération et risquer de la compromettre (contrainte liée à l'acquisition foncière), nous admettons que la négociation ait un caractère concomitant entre les trois équipes sélectionnées" (cote 147). Etaient ensuite décrites, en sept points, les conditions posées par le co-président de l'association pour ne pas s'opposer à l'achèvement de la procédure de consultation. Lors de son audition, le président de l'office d'HLM des Pyrénées- Atlantiques a déclaré : "Nous avons donc abandonné nos pratiques anciennes consistant à négocier les honoraires simultanément avec trois équipes de maîtrise d'œuvre" (cote 142).
21. En quatrième lieu, lors de la procédure de marché de maîtrise d'œuvre relative à la réinstallation de la Trésorerie principale de Bayonne, l'association A&CP a adressé à la Trésorerie Générale des Pyrénées-Atlantiques, la lettre suivante : "Vous demandez aux candidats présélectionnés de vous remettre un acte d'engagement : nous pensons qu'il n'est pas opportun de demander aux équipes une proposition de rémunération à ce stade de la consultation (...) Nous vous serions infiniment reconnaissants de ne pas demander aux équipes présélectionnées de vous remettre un acte d'engagement complété" (lettre du 05.07.2000, cote 151).
22. Quelques jours plus tard, les quatre candidats pressentis intervenaient à leur tour auprès des services de cette Trésorerie en écrivant :
* L'Atelier d'Architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire (SARL) : "Suite au courrier que vous a adressé Architecture et Commande Publique (...), nous sommes dans l'attente d'un complément d'information et d'une modification de la procédure" (lettre du 24.07.2000, cote 153) ;
* Le cabinet d'architecture Olivier Soupre : "Nous avons été destinataires d'une copie du courrier que vous a adressé Architecture et Commande Publique (...) En conséquence, nous vous serions reconnaissant de bien vouloir choisir une des quatre équipes présélectionnées selon d'autres critères qu'une offre chiffrée" (lettre du 25.07.2000, cote 155) ;
* L'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz : "Nous avons été destinataires d'une copie du courrier que vous a adressé Architecture et commande publique en date du 5 juillet 2000 vous conseillant de ne pas demander aux équipes présélectionnées de vous remettre un acte d'engagement complété. En accord avec les autres équipes, nous vous demandons de bien vouloir sélectionner une des quatre équipes présélectionnées selon les recommandations de la loi de 1977 sur l'architecture et selon celle de la loi MOP" (lettre du 24.07.2000, cote 157) ;
* Le cabinet d'architecture Hébrard et Lacassagne : "Architecture et Commande Publique, organisme émanant de l'Ordre des Architectes, nous a adressé un courrier en date du (...), dictant la procédure conforme à la loi MOP du 12 juillet 1985 et ses décrets d'application (...) concernant la consultation de maîtrise d'œuvre. Le choix des candidats devra se faire selon d'autres critères qu'une offre chiffrée : nous sommes donc dans l'impossibilité de vous remettre un acte d'engagement (lettre du 25.07.2000, cote 159).
23. Dans le cadre de ce marché, les cabinets d'architectes susvisés ont ainsi décidé de ne pas remettre d'offres chiffrées au maître d'ouvrage. Toutefois, la chargée de mission, responsable des affaires immobilières de la Trésorerie Générale des Pyrénées-Atlantiques a déclaré qu'après relance, les architectes avaient finalement fait parvenir leurs offres chiffrées dans les jours suivants (procès-verbal d'audition du 29.09.2000, cote 171) ;
C. Les griefs notifiés
24. Sur la base des constatations qui précèdent, il a été notifié à l'Ordre des architectes d'Aquitaine et à l'association Architecture et Commande Publique un grief d'entente, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, pour : "être intervenus directement ou indirectement auprès de maîtres d'ouvrage aux fins de modification de la procédure de passation des marchés de maîtrise d'œuvre, avoir, également, appelé à boycotter ces procédures en cas de mise en concurrence sur honoraires et, enfin, avoir mis en œuvre des actions directes de boycott de certaines de ces procédures."
25. Il a, en outre, été fait grief "à la Sarl Atelier d'architecture et d'Économie Duhourcau-Vernet-Cillaire et aux Cabinets d'architecture Soupre, Hébrard et Lacassagne, ainsi qu'à l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz de s'être livrés à des pratiques de boycott.", ces pratiques étant constitutives d'entente au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
II. Discussion
A. Sur la procédure
26. Le Cabinet d'architecture Olivier Soupre soutient que le Conseil de la concurrence n'est pas valablement saisi dans la mesure où la saisine a eu lieu le 28 mars 2000, alors que les dossiers de candidature relatifs au marché de maîtrise d'œuvre de la Trésorerie principale de Bayonne devaient parvenir avant le 29 mars 2000 et que la DGCCRF a transmis son rapport d'enquête le 4 juillet 2001.
27. Il s'agit, en réalité, d'une erreur matérielle commise sur la date de la saisine du ministre, qui est du 4 juillet 2001 et non du 28 mars 2000, comme indiqué à tort dans la notification de griefs. Cette erreur matérielle a, d'ailleurs, fait l'objet d'un rectificatif sous la forme d'un courrier du Conseil de la concurrence en date du 31 mars 2004. En conséquence, le moyen sera rejeté.
28. Le Cabinet d'architecture Olivier Soupre soulève encore l'irrecevabilité de la notification de griefs tenant, selon lui, à ce qu'elle a été adressée au "Cabinet d'architecture Soupre", alors qu'à cette adresse existent deux cabinets d'architectes distincts : celui de Monsieur Olivier X... et celui de Monsieur François X...
29. Selon la jurisprudence du Conseil de la concurrence, confirmée par la Cour d'appel de Paris, une erreur matérielle portant sur la dénomination de l'entreprise ou sur son adresse est sans incidence sur la validité de la procédure, dès lors que l'entreprise en cause a répondu au grief et a pu faire valoir ses arguments (décision n° 99-D-50, confirmée, sur recours, par un arrêt du 21 mars 2001). En l'espèce, s'il existe à la même adresse un autre architecte également dénommé "X...", c'est bien le Cabinet d'architecture Olivier Soupre qui a, le 13 janvier 2004, produit des observations en réponse à la notification de griefs. Dès lors, le moyen de nullité ne peut être accueilli.
30. Pour sa part, l'Atelier d'architecture Argia Oxandabaratz soutient que, seule, la société "Atelier d'architecture Argia Oxandabaratz", auteur des pratiques, serait mise en cause et non pas Mademoiselle Argia Y... elle-même et que la notification de griefs serait nulle comme ayant été adressée à cette dernière. En réalité, cette notification indique qu'il est fait grief à "l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz" de s'être livré à une pratique anticoncurrentielle. Elle a, en outre, été adressée à "l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz", mention figurant, d'ailleurs, sur la lettre adressée par ce cabinet d'architecture au trésorier payeur général des Pyrénées-Atlantiques, le 24 juillet 2000, dans le cadre de la consultation relative à la Trésorerie principale de Bayonne, et non pas à Mademoiselle Y... comme il est soutenu. Le moyen doit, dès lors, être rejeté.
31. Enfin, l'Atelier d'architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire et le Cabinet d'architecture Hébrard et Lacassagne demandent au Conseil de faire application, dans la présente affaire, de la loi d'amnistie du 6 août 2002.
32. Aux termes de cette loi, "sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires et professionnelles". Or, le Conseil de la concurrence ne prononce ni des sanctions disciplinaires ni des sanctions professionnelles. Les sanctions pécuniaires prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce n'étant pas visées par la loi d'amnistie, il s'ensuit que les dispositions de ce texte sont inapplicables aux pratiques visées par la notification de griefs.
B. Sur les pratiques
1. En ce qui concerne l'entente reprochée au conseil de l'ordre des architectes d'Aquitaine et à l'Association architecture et commande publique
33. Il résulte de la jurisprudence du Conseil de la concurrence que : "L'élaboration et la diffusion à l'initiative d'une organisation professionnelle d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constituent une action concertée ; que, s'il est loisible à un syndicat professionnel ou à un groupement professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité, (cette aide) ne doit pas exercer d'influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession ; qu'en particulier, les indications données ne doivent pas pouvoir avoir pour effet de détourner les entreprises d'une appréhension directe de leurs coûts, qui leur permette de fixer individuellement leurs prix ou honoraires" (décision n° 97-D-45 du 10 juin 1997).
34. En l'espèce, l'Ordre des architectes d'Aquitaine et l'association A&CP ont élaboré plusieurs notes et bulletins destinés aux architectes d'Aquitaine. Ces documents, qui ont par ailleurs été très largement diffusés auprès des administrations locales, ne peuvent être considérés comme "la simple présentation d'une argumentation sérieuse combattant la nouvelle pratique des maîtres d'ouvrage", ainsi qu'il est soutenu par l'Ordre et l'association, mais avaient bien pour but, au regard des termes relevés aux points 13 à 16, d'influer sur le libre jeu de la concurrence dans les marchés de maîtrise d'œuvre privée.
35. En outre, les multiples actions menées par l'Ordre des architectes et l'association A&CP auprès des architectes, des maîtres d'ouvrage et des administrations de la région d'Aquitaine confirment que le but recherché était d'obtenir qu'il ne soit pas tenu compte de la rémunération des candidats, lors de la procédure de sélection des candidatures.
36. L'objet anticoncurrentiel réside dans le fait que les pratiques en cause visaient à fausser le libre jeu de la concurrence en empêchant les maîtres d'ouvrage public de négocier librement les honoraires des architectes. L'Ordre des architectes et l'association A&CP ne pouvaient, ignorer que leur refus des "consultations sur honoraires" diminuait l'intensité de la concurrence.
37. En outre, la consigne donnée par l'Ordre dans sa note du mois d'octobre 1999 (voir paragraphe 15 supra), selon laquelle : "Les architectes ne refusent pas d'être mis en concurrence. Ils refusent la mise en compétition à partir des propositions de rémunération" ne repose sur aucune rationalité économique. S'agissant d'une prestation de service assurée par des professionnels libéraux, il n'y a, en effet, aucune raison de réserver un sort particulier à la maîtrise d'œuvre et de considérer que le prix auquel ce service est rendu ne peut constituer un critère du choix pour le maître d'ouvrage.
38. Par ailleurs, il n'est pas non plus économiquement rationnel de s'opposer à une concurrence par les prix, dès lors que les architectes peuvent se trouver dans des situations différentes d'efficacité, de notoriété ou de charge de travail et que la bonne allocation des ressources est nécessairement entravée par une rigidité des honoraires, au détriment des candidats susceptibles d'emporter le marché par une offre de prix plus avantageuse.
39. Les pratiques en cause ont, de plus, généré des effets anticoncurrentiels avérés ou potentiels puisque, dans le cas du marché du Centre hospitalier spécialisé de Cadillac, la procédure initiale a été interrompue puis reprise dans des conditions strictement conformes aux exigences émises par l'Ordre des architectes, la modification de la procédure ayant, en outre, conduit le maître d'ouvrage à limiter la consultation à quatre architectes alors que, dans le cadre de la procédure initiale, une douzaine d'architectes étaient consultés. Dans le cas du marché de l'hôtel de ville de Mérignac, le maître d'ouvrage, cédant aux instances de l'association A&CP s'était engagé pour l'avenir à adopter une procédure similaire à celle préconisée par l'association.
40. Pour s'exonérer de leur responsabilité, l'Ordre des architectes d'Aquitaine et l'association A&CP font valoir que les pratiques relevées participent de l'exercice de leur mission.
41. Il est, toutefois, de jurisprudence constante que les mesures appliquées par une organisation professionnelle ne doivent pas excéder la défense des intérêts de la profession dont elle est investie. Dans le cas présent, le comportement de l'Ordre n'a pas consisté en de simples recommandations faites aux architectes sur la base de raisons objectives mais bien en de multiples mesures dissuasives mises en œuvre tant auprès des maîtres d'ouvrage que des architectes.
42. C'est, d'ailleurs, ce que confirment trois des quatre architectes mis en cause lorsqu'ils indiquent, dans leurs observations, que : "C'est sous la pression de l'association A&CP émanation de l'Ordre des architectes d'Aquitaine et qui bénéficie à ce titre d'une autorité morale certaine (en caractères gras dans le texte) que les 4 architectes dont la candidature a été retenue sont intervenus auprès du maître d'ouvrage public pour lui demander de modifier la procédure d'attribution du marché de maîtrise d'œuvre" (observations de l'Atelier d'Architecture Oxandabaratz). De leur côté, l'atelier d'architecture Duhourcau-Vernet-Cillaire et le cabinet d'architecture Hébrard et Lacassagne invoquent : "l'interposition de l'association A&CP" et la "dépendance fonctionnelle directe du Conseil de l'ordre des architectes d'Aquitaine", qui leur a donné "des instructions ordinales".
43. Enfin, aucun texte réglementant la profession d'architecte n'autorisait l'Ordre des architectes d'Aquitaine, au titre de sa mission de défense des intérêts de la profession, à exercer des pressions pour faire échec à un appel à la concurrence, au motif que les demandes faites aux architectes par les maîtres d'ouvrage pour connaître le montant de leur rémunération auraient été, selon une interprétation propre à l'Ordre, contraires aux textes applicables. Si le Conseil de l'Ordre des architectes d'Aquitaine estimait ces consultations irrégulières, il lui appartenait de saisir la juridiction administrative compétente pour faire trancher ce point, ce qu'il s'est abstenu de faire (voir en ce sens l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Auvergne, en date du 4 février 1997).
2. En ce qui concerne le grief d'entente notifié aux quatre architectes dans le cadre de la procédure du marché de maîtrise d'œuvre de la trésorerie principale de Bayonne
44. S'il est constant que chacun des quatre architectes mis en cause a adressé, le 24 ou le 25 juillet 2000, à la Trésorerie générale de Bayonne, une lettre faisant part de son refus, en accord avec ses trois autres collègues, de formuler une proposition d'honoraires, il convient de rappeler que c'est, en premier lieu, l'association A&CP qui, dans sa lettre du 5 juillet 2000, adressée à la Trésorerie principale de Bayonne, a pris l'initiative d'intervenir directement dans la procédure de marché de maîtrise d'œuvre. L'association a, ensuite, adressé une copie de cette lettre aux quatre architectes, pesant ainsi fortement sur le comportement de ces derniers qui, dans leur réponse au maître d'ouvrage, se réfèrent tous à cette correspondance. Comme ils l'ont indiqué, lors de la séance devant le Conseil de la concurrence, "sans l'intervention de l'association A&CP les architectes n'auraient pas eu le même comportement".
45. Il convient, en outre, de tenir compte du fait que les professionnels mis en cause ont obtempéré dès que la Trésorerie leur a signifié sa position et ont rendu leur proposition d'honoraires. Aucun obstacle n'a ainsi été apporté au déroulement de la procédure.
46. Il n'y a donc pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de retenir le grief d'entente notifié à la société Atelier d'Architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire, au Cabinet d'architecture Olivier Soupre, à l'Atelier d'Architecture Argia Oxandabaratz et au Cabinet d'architectecture Hébrard et Lacassagne pour le marché de maîtrise d'œuvre relatif à la Trésorerie principale de Bayonne.
C. Sur les sanctions
47. L'infraction retenue dans la présente décision a été commise antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non-rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-5 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables. Pour la détermination du montant de la sanction, il convient donc d'appliquer les dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aux termes desquelles, en cas de procédure simplifiée : "la sanction pécuniaire prononcée ne peut excéder 500 000 francs (76 224,51 euros) pour chacun des auteurs des pratiques prohibées".
48. Pour l'année 2003, les dotations de l'Ordre des architectes d'Aquitaine se sont élevées à 244 080 euros. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 euros.
49. Pour l'année 2003, les cotisations versées à l'association A&CP ont représenté un montant de 9 421,33 euros. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 000 euros.
50. Par ailleurs et pour renforcer l'efficacité de la concurrence dans les marchés de maîtrise d'œuvre en Aquitaine, il convient de porter à la connaissance des architectes et des collectivités publiques de la région Aquitaine le caractère illicite des pratiques visées dans la présente décision et les sanctions prononcées à l'encontre de l'Ordre des architectes d'Aquitaine et de l'association A&CP. Il y a donc lieu d'ordonner la publication de la partie II de la présente décision par les deux organisations mises en cause, aux seuls frais du Conseil de l'Ordre des architectes d'Aquitaine, dans la revue le Moniteur des travaux publics.
Décision
Article 1er : Il n'est pas établi que la société Atelier d'Architecture et d'Economie Duhourcau-Vernet-Cillaire, le Cabinet d'architecture Olivier Soupre, l'Atelier d'architecture Argia Oxandabaratz et le Cabinet d'architecture Hébrard et Lacassagne ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est établi que l'Ordre des architectes d'Aquitaine et l'association Architecture et Commande Publique ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il est infligé :
* une sanction pécuniaire de 10 000 euros au Conseil de l'ordre des architectes d'Aquitaine ;
* une sanction pécuniaire de 2 000 euros à l'association Architecture et Commande Publique.
Article 4 : Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, le Conseil de l'ordre des architectes d'Aquitaine et l'association Architecture et Commande Publique feront publier la partie II de la présente décision, à partir du paragraphe "B. Sur les pratiques," aux frais du Conseil de l'Ordre des architectes d'Aquitaine, dans une édition de la revue le Moniteur des travaux publics. Cette publication sera précédée de la mention "Décision du Conseil de la concurrence rendue le 23 juin 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés de maîtrise d'œuvre en Aquitaine".