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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 18 octobre 1994, n° 627

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Modenplast (SA)

Défendeur :

Sofadie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panatard

Conseillers :

MM. Chesneau, Jutteau

Avoués :

SCP Gontier-Langlois, Me Vicart

Avocats :

Mes Tuffreau, Lalanne

T. com. Le Mans, du 6 juill. 1993

6 juillet 1993

La société Sofadie, qui fabrique du matériel de piscine pour le vendre à des professionnels de la piscine, a commandé à la société italienne Modenplast, fabricant de tubes PVC à usage médical, de tubes et profilés plastiques pour le bâtiment et de volets roulants isolants "Rollthern", entre le 26 novembre 1986 et le mois de mai 1988, des profilés en PVC S 55 pour volets roulants.

Elle a utilisé ces profilés pour en faire des volets roulants pour piscines, se déployant sur toute leur surface et y flottant, et dit avoir ainsi équipé 57 piscines dans la France entière.

Elle a reçu par la suite de nombreuses réclamations de clients se plaignant que les volets après avoir rempli un temps leur office cessaient de flotter et s'immergeaient dans la piscine.

Après une expertise sollicitée en novembre 89 en référé, qui a donné lieu à un pré-rapport de juin 1990 et à un rapport définitif de juin 1991, la société Sofadie a assigné au fond la société Modenplast le 28 juin 1991 pour lui réclamer l'indemnisation de son préjudice soit 1 116 960 F HT pour les remises en état, 300 000 F à titre de dommages-intérêts et 100 000 F HT au titre de l'article 700 du NCPC. Elle se basait sur le rapport de l'expert Peltan et affirmait que Modenplast n'ignorait pas l'utilisation que Sofadie ferait de ses produits et avait confirmé par des télex la parfaite flottabilité du volet, ce qui s'est avéré finalement inexact.

La société Modenplast, après avoir soulevé une exception d'incompétence qui a été rejetée lors d'une procédure qui s'est terminée par un arrêt de cette cour, a fait valoir que la destination des profilés commandés lui était inconnue lorsque les commandes ont été faites et que cette destination n'entrait pas dans les prévisions contractuelles, ses profilés étant normalement destinés à constituer les volets roulants de portes et fenêtres.

Par jugement du 6 juillet 1993 le Tribunal de commerce du Mans a déclaré homologuer le rapport d'expertise de M.Peltan. Il a condamné la société Modenplast à payer à la société Sofadie le montant de son préjudice tel que déterminé par l'expert soit 1 116 960 F HT outre les intérêts au taux légal à compter du 28 juin 1991, date de l'assignation, et en outre la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial et celle de 25 000F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Modenplast fait appel.

Développant ses moyens précédents, elle demande à la cour:

- de constater que la société Sofadie lui a commandé non pas des profilés conventionnellement destinés à être utilisés pour fabriquer des volets roulants destinés à recouvrir, des piscines et spécialement par flottage mais des profilés en PVC "pour volet roulant", sans qu'il ait été question de piscines ni de flottabilité.

- de constater que les marchandises livrées étaient conformes à leur spécificité de PVC S 55 rigide.

- de constater que la société Sofadie a fait son affaire personnelle de l'utilisation de ces profilés sans avoir consulté Modenplast sur ses fabrications, et qu'il s'agissait de marchandises saines, loyales et marchande, conformes en tout point aux caractères décrits dans leur présentation au public, et aux factures acceptées, sans vice caché.

- de la décharger des condamnations prononcées contre elle.

- de condamner Sofadie à lui régler la somme de 83 000 F pour factures impayées et à lui payer 80 000 F pour frais irrépétibles.

- subsidiairement d'ordonner une nouvelle expertise.

La société Sofadie conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la cour de porter à 500 000 F. Elle demande 20 000 F pour les frais irrépétibles d'appel.

Elle affirme que Modenplast connaissait l'usage spécifique des lames de PVC et a garanti la flottabilité, et qu'en réalité elle s'est méprise sur les performances réelles de son produit.

Les parties discutent également du point de savoir si l'action a été ou non introduite à bref délai. Et à ce sujet Modenplast fait valoir que Sofadie ne peut même pas invoquer le vice caché car elle aurait dû avant toute utilisation examiner les marchandises puisque rien ne permettait de penser que des volets roulants seraient utilisés comme couvertures flottantes de piscine, et que si Sofadie avait entendu que des essais et études fussent à la charge du vendeur, il lui aurait appartenu de le spécifier lors de la commande.

Sur ce, LA COUR

Il appartient à la société Sofadie d'établir que la destination envisagée des profilés achetés était connue de la société Modenplast lors de l'établissement des conventions.

La première commande a eu lieu le 12 novembre 1986.

Elle a été adressée à M. Mercatello, exerçant à Aix-en-Provence une activité de courtier sous l'enseigne "Diffusion de matériaux du bâtiment" DMB.

Il n'y a pas eu de spécification sur la commande quant à l'usage prévu.

La société Modenplast en accusant réception le 14 novembre a envoyé à Sofadie un échantillon comme il le lui avait été demandé.

Il n'y avait eu aucun pourparler préalable ni directement ni par l'intermédiaire de M.Mercatello. Rien ne prouve que Modenplast savait que Sofadie était spécialisée dans le matériel de piscine, ce qui n'apparaissait pas dans son papier à en-tête ;et le fait qu'il ait été précisé sur les factures "profilés en PVC pour volets roulants" ne laissait nullement supposer que lesdits volets allaient recouvrir des piscines, bien que Sofadie prétende "qu'il s'agit d'un terme spécifique des pisciniers", ce qui ne peut être connu que des pisciniers et ce qui n'est sûrement pas le premier sens envisagé par des fabricants de matériaux pour le bâtiment.

Le 11 décembre 1986 Mercatello est allé rendre visite à Sofadie. Cette visite a donné lieu de la part de ce courtier à une lettre à Sofadie du 16 décembre 1986 comportant seulement une confirmation des prix des profils S 55 et l'annonce de la commande à Modenplast d'un embout particulier adapté au profit S 55. Modenplast produit la communication qui lui a été faite à l'époque par Mercatello, faisant état de cette demande d'embout "afin d'éviter tout décalage des lames". Sofadie est d'accord sur le fait que cette affaire d'embout n'avait rien à voir avec un problème d'étanchéité (p. 17 de ses conclusions). Rien ne prouve donc que même à ce moment là Modenplast connaissait la destination des volets, à supposer même que Mercatello, qui n'était pas son mandataire même apparent mais un intermédiaire (cf. l'arrêt rendu le 17 mai 93 lors du contredit de compétence), l'ait connue.

A la suite de cela Sofadie a fait encore deux commandes, en mars et en mai 1987 (portant le total alors commandé à plus de 50 600 ml) sans qu'il ait été davantage spécifié l'usage qui allait être fait des profilés. Le seul fait notable est qu'elle a demandé à Mercatello par télex du 6 mars 87 une garantie (sans précision) et qu'à la demande de Mercatello il a été fourni une garantie aux rayons ultra-violets et au gel (lettre Modenplast du 24 mars 1987).

Modenplast reconnaît loyalement que Mercatello l'a informée à la même époque que Sofadie lui a dit utiliser les lames pour confectionner des volets en couverture de piscine et produit à ce sujet le télex de Mercatello du 10 mars 87 (lors d'une commande en cours). Il n'était d'ailleurs pas indiqué qu'il s'agissait d'une couverture flottante, alors qu'une telle couverture peut aussi être maintenue par des rails au-dessus du plan d'eau.

C'est le 12 novembre 1987 par un télex adressé pour la première fois directement à Modenplast que Sofadie l'informe elle-même utiliser les lames de volet pour la réalisation de couvertures de piscine, lui demandant alors des précisions, et notamment si la mousse de PVC est bien injectée dans toute la lame, si cette mousse ne fait pas office d'éponge et quelle est la flottabilité des lames dans le temps. Modenplast lui donne alors des réponses rassurantes, en particulier sur le fait que la mousse de PVC est répandue uniformément à l'intérieur de la lame de PVC rigide, qu'il y a une isolation complète empêchant l'eau d'entrer, et que si le PVC se déforme avec la chaleur, elle ne croit pas que les écarts de température peuvent modifier la flottabilité dans le temps.

Modenplast allègue que même alors elle ne savait pas que les volets devaient se maintenir sur l'eau par leur seule flottabilité.

Le 1er décembre 87 Sofadie a demandé si la mousse injectée était à cellules fermées, et le lendemain Modenplast lui a répondu que puisque l'eau ne pouvait entrer les cellules étaient fermées, réponse inadéquate comme l'a dit l'expert ; elle a ajouté qu'elle ne comprenait pas la question.

C'est par un fax du 16 septembre 1988 que Sofadie a déclaré "Nous utilisons vos lames S 55 pour couvertures flottantes de piscines", en se plaignant que la densité des lames était trop importante et qu'elles se trouvaient aux 3/4 immergées.

Il s'agissait de la première information donnée expressément et directement à Modenplast sur l'utilisation des volets comme couvertures de piscine destinées à flotter de façon durable.

Il n'y a aucune preuve de ce que, avant cette date, Modenplast ait pu connaître de manière précise les qualités que Sofadie considérait comme substantielles pour ces volets roulants.

A cette époque Sofadie avait fait sa dernière commande, de mai 1988.

Par la suite, et avant l'action en justice qui n'a débuté qu'en novembre 1989, les deux sociétés ont tenté ensemble de trouver une solution. Il est constant qu'à, ce moment là, et alors qu'elle était pleinement informée, la société Modenplast a maintenu que les lames devaient flotter car la mousse était injectée dans toute la lame. Par lettre du 13 septembre 1989 elle a encore répété que le profil S 55 était un profil flottant, tout en rappelant qu'il avait été conçu pour faire des volets roulants isolants et qu'il n'était pas le plus indiqué pour l'usage prévu.

Cela correspond à la déclaration faite par le représentant de Modenplast lors de l'expertise, à savoir qu'il n'y avait pas d'obstacle à ce que ce produit soit utilisé comme volet roulant pour recouvrir les piscines bien qu'il ait été conçu pour les volets des fenêtres.

Il découle de la chronologie des faits que les éléments indiqués comme établissant que Modenplast était au courant de l'usage des volets ne sont pas contemporains des conventions et que le raccourci qui en a été fait par l'expert et par le tribunal déforme quelque peu le sens de ces conventions.

En droit les matériaux livrés n'étaient pas affectés d'un vice par rapport à leur destination normale de volets roulants. Ils ne convenaient pas par contre à la destination recherchée par Sofadie et inconnue de Modenplast pendant une première phase.

Modenplast fait remarquer à juste titre que l'obligation de s'assurer que les volets convenaient comme couverture flottante de piscine incombait à Sofadie qui était la spécialiste en matière de piscines, que c'était à elle plutôt qu'à Modenplast de faire des études préalables, et qu'elle devait au moins informer ce fournisseur de ce qu'elle attendait de lui afin qu'il puisse utilement la conseiller, au lieu de faire des commandes et livraisons importantes sans donner ni demander aucun renseignement. C'est la précaution qu'elle a prise lorsqu'elle a essayé un autre profilé en 1989, essai sur les lieux après réception d'un échantillon.

Toutefois, à partir du moment où Modenplast a eu connaissance de l'utilisation effective des volets roulants, et surtout à partir du moment où il lui a été demandé des garanties précises sur la flottabilité à longue échéance, il lui appartenait de faire des réponses exactes après un examen plus approfondi.

Tel n'a pas été le cas. En effet la prétendue impossibilité pour l'eau d'entrer dès lors que la mousse était injectée dans toute la lame était une vue trop optimiste ; l'expert a établi qu'il existait dans les lames des canaux par lesquels l'eau pouvait entrer au bout d'un certain temps.

Le remède n'était d'ailleurs pas simple et ne dépendait pas du seul fabricant puisque les procédés d'imperméabilisation, notamment par obstruction des extrémités, ne pouvaient être mis en œuvre avant livraison dès lors que les lames, vendues au mètre, devaient être recoupées.

Il existe une faute dans l'information donnée pouvant être considérée comme ayant contribué dans une certaine mesure au préjudice causé par les dernières installations, celles qui ont été faites alors que Sofadie commençait à éprouver des doutes et à poser, tardivement, des questions précises.

Ce préjudice sera chiffré forfaitairement à 400 000 F.

La demande reconventionnelle en payement d'arriéré de factures n'est assortie d'aucune pièce.

En raison du résultat de cette affaire les frais de l'instance, y compris ceux de référé et d'expertise et à l'exclusion de ceux de la procédure de contredit, seule procédure ayant eu lieu jusqu'à présent devant une juridiction de fond, seront partagés dans la proportion de 3/4 à Sofadie et de 1/4 à Modenplast.

Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de procédure de part ou d'autre.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement, Rejette les demandes fondées sur la notion de vice caché ou de non-conformité à la commande. Dit toutefois que la société Modenplast a commis une faute par mauvaise information donnée au cours des relations contractuelles. La condamne à payer à la société Sofadie la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts. Fait masse des dépens y compris ceux des procédures de référé et de l'expertise, à l'exclusion de ceux définitivement tranchés de l'arrêt sur contredit, et les partage dans la proportion de 3/4 à la société Sofadie et de 1/4 à la société Modenplast. Rejette toutes autres conclusions. Accorde aux avoués de la cause le droit prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.