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Décisions

CA Metz, ch. corr., 16 septembre 1993, n° 704-93

METZ

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Greff

Substitut :

général: M. Soulhol

Conseillers :

MM. Gérard, Jaouen

Avocats :

Mes Ferrari-Blosch, Granon.

TGI Metz, ch. corr., du 12 nov. 1992

12 novembre 1992

Vu le jugement rendu contradictoirement par le Tribunal correctionnel de Metz le 12 novembre 1992 qui:

* Sur l'action publique

a renvoyé Monsieur B Bernard et Monsieur L Dominique des fins de la poursuite sans peine ni dépens du chef d'avoir à Verny, le 21 mars 1990:

* trompé Monsieur Cassilde Adalbert sur les qualités substantielles d'un véhicule Peugeot J 9 immatriculé 1323 RE 88, en n'indiquant pas que le kilométrage affiché ne correspondait pas à la réalité du kilométrage parcouru,

- Délit prévu et réprimé par l'article 1 de la loi du 01-08-1905 -

* Sur l'action civile

a reçu Monsieur Cassilde Adalbert en sa constitution de partie civile,

a déclaré la constitution de partie civile de Monsieur Cassilde Adalbert non fondée,

LA COUR,

après en avoir délibéré conformément à la loi, a statué en ces termes:

En la forme,

Attendu que les appels interjetés le 12 novembre 1993 par la partie civile, Monsieur Cassilde Adalbert et le 16 novembre 1993 par le Ministère public contre les prévenus, B Bernard et L Dominique, réguliers en la forme, ont été enregistrés dans les délais légaux;

Qu'il échet de les déclarer recevables;

Attendu que le prévenu, L Dominique, n'ayant pas comparu, il y a lieu de statuer par arrêt contradictoire à signifier, conformément aux dispositions des articles 410 et 512 du Code de procédure pénale;

Au fond,

* Sur l'action publique

Exposé des faits

Attendu qu'à la suite de l'annonce parue dans le Journal "Le Républicain Lorrain" du 17 mars 1990, M. Adalbert Cassilde a fait l'acquisition auprès du "Garage X", exploité à Louvigny par M. Dominique L, d'un véhicule automobile Peugeot J 9 diesel d'occasion, sorti le 20 juin 1985 pour le prix de 35 500 F TTC selon facture datée du 21 mars 1990;

Que cette facture ne portait mention d'aucun kilométrage, alors que la petite annonce indiquait que ledit véhicule avait parcouru 33 000 km;

Attendu que M. Cassilde a exposé, au soutien de sa plainte en tromperie, que très rapidement ce véhicule a présenté des pannes de moteur qui ont nécessité de coûteuses réparations;

Qu'au mois d'avril 1991, le garage Auto-Négoce de Longeville-les-Saint-Avold auquel il avait confié le véhicule suite à de nouveaux ennuis de moteur, l'a informé que vu l'état de la culasse, il était nécessaire de procéder à un échange standard du moteur;

Attendu que M. Cassilde a alors, le 24 avril 1991, présenté son véhicule pour examen à M. Matusiak, expert en mécanique générale et en moteur à échange thermique (diesel-essence);

Que celui-ci, à la suite d'un examen très complet des organes du moteur, effectué en présence notamment d'un technicien représentant le garage X, a rédigé un rapport daté du 21 juin 1991, où il conclut:

"Après examen technique du moteur et relevés géométriques, il en ressort que ce moteur équipant le véhicule J 9 diesel immatriculé 7029 XM 57 est hors d'usage suite à une usure importante qui est antérieure à l'achat du véhicule (par M. Cassilde).

Je peux affirmer que ce moteur avait beaucoup plus de kilomètres que ceux annoncés par M. L Dominique au moment de la vente en date du 21 mars 1990".

Qu'il ajoute que ce dernier ne pouvait pas ignorer l'état du moteur au moment de la vente;

Que cet expert indique encore: "Il est à noter que M. Cassilde n'a parcouru seulement 18 820 km depuis l'achat du véhicule, l'état de fatigue de ce moteur ainsi que ses usures par frottements et non par casse prématurée démontrent qu'il s'agit d'un moteur ayant approximativement plus de 100 000 km et que ce moteur a fonctionné dans des conditions difficiles".

Attendu que Dominique L a expliqué qu'il avait lui-même acheté le véhicule vendu par ses soins à M. Cassilde au garage Y de Nancy le 19 décembre 1989 et que le compteur affichait alors un kilométrage de 33 000 km;

Qu'il a ajouté n'avoir jamais été avisé par son vendeur qu'un changement de compteur serait intervenu;

Attendu que M. B, directeur général du garage Y à Nancy, a déclaré que son établissement avait acheté le J 9 Peugeot à l'association "Le renouveau" d'Epinal le 31 juillet 1989 avec au

compteur le chiffre de 33 987 km;

Attendu que M. Ravasse, responsable de l'association "Le Renouveau" a relaté que son organisme avait effectivement cédé courant 1989 le véhicule en question au Garage Y et que son compteur marquait bien 33 000 km lors de cette opération mais que ce nombre ne reflétait pas la réalité en ce sens qu'en 1987 il avait dû faire remplacer le compteur d'origine qui avait été détérioré comme tout l'intérieur du véhicule par des vandales, par un nouveau compteur qui avait été laissé à 0;

Que M. Ravasse a, dans sa déposition, assuré qu'il avait averti le garage Y de cette circonstance et que donc le faible kilométrage affiché ne correspondait pas à l'utilisation exacte qui avait été faite de ce véhicule;

Attendu que M. B a toujours, et ce encore à l'audience de la cour, opposé un démenti à cette assertion, affirmant que son établissement n'a pas été informé de la situation exacte du compteur de la fourgonnette qui était une reprise à l'occasion de la vente à l'association de trois véhicules;

- Sur la responsabilité pénale de M. L:

Attendu qu'il résulte des constatations complètes et approfondies de l'expert, N. Matusiak, qu'au jour de sa vente à M. Cassilde le véhicule diesel Peugeot J 9 avait parcouru une distance au moins supérieure du double du nombre de kilomètres - 33 000 - indiqué par le vendeur et affiché sur le compteur;

Que selon son propriétaire initial, M. Ravasse, l'instrument d'origine avait été changé et le nouveau compteur laissé à zéro;

Attendu que cette circonstance constitue un vice affectant une qualité substantielle du moteur du véhicule vendu, lequel était en réalité beaucoup plus usé qu'un moteur n'ayant parcouru que le kilométrage annoncé par L;

Que cela est d'autant plus vrai qu'une fois en possession du plaignant, ce moteur a subi de multiples pannes pour finalement, au bout d'une utilisation sur 18 000 km seulement, rendre l'âme en raison d'une usure prolongée;

Attendu qu'il n'est nullement établi que M. L avait été averti du changement de compteur équipant le Peugeot J 9 par son propre vendeur, lequel a déclaré lui-même ignorer cette circonstance;

Mais attendu qu'un professionnel de la vente de voitures d'occasion, comme un garagiste, est, à l'égard de ses clients profanes, présumé responsable sur le plan pénal des vices cachés affectant une qualité substantielle des véhicules vendus à ceux-ci;

Qu'il lui appartient pour s'exonérer d'une telle responsabilité, de démontrer qu'il n'était pas techniquement en mesure de déceler les défectuosités en cause ou encore, en cas de doute de sa part à ce sujet, qu'il avait clairement signalé le risque à son futur acquéreur;

Attendu que, alors qu'il aurait dû être intrigué par le fait que le véhicule Peugeot J 9 qui avait presque cinq ans d'âge, n'avait effectué d'après le compteur que 33 000 km, soit une distance très faible pour un diesel, L ne justifie pas avoir procédé à des investigations comme l'examen même sommaire de la culasse et des pistons, pour vérifier la concordance entre une situation apparente - véhicule ayant relativement peu circulé - et l'état exact du moteur;

Qu'un tel examen lui aurait alors révélé la situation réelle de cet organe essentiel telle que l'expert l'a mise en évidence;

Attendu que, par ailleurs, L, loin d'avoir prévenu son client M. Cassilde qu'il n'y avait aucune certitude à ce que le kilométrage indiqué par le compteur correspondît au kilométrage réellement parcouru, n'a, sur aucun document dont la facture remise à M. Cassilde, mentionné que le kilométrage inscrit au compteur n'était pas garanti, alors que les dispositions de l'article 2 du décret du 4 octobre 1978 lui en faisait pourtant l'obligation, s'agissant d'un véhicule d'occasion de seconde main dont il n'était pas en mesure de justifier du kilométrage réel;

Attendu que M. Cassilde a déclaré à l'audience de la cour qu'il avait été intéressé par l'acquisition de ce véhicule spécialement en raison de son faible kilométrage indiqué par le vendeur;

Attendu enfin, que M. Cassilde, qui exploite une blanchisserie pressing, n'est pas un professionnel en matière d'automobile;

Attendu qu'il suit de tout ce qui précède que les éléments constitutifs du délit de tromperie visé par la prévention sont réunis à la charge de Dominique L, qui doit dès lors être déclaré coupable de cette infraction;

Qu'il convient, en conséquence, de réformer sur ce point le jugement entrepris;

- Responsabilité de Bernard B:

Attendu qu'il convient, en premier lieu, d'observer que Bernard B n'a participé, à aucun titre, à la transaction au sujet du véhicule Peugeot J 9 conclue entre le garage X et M. Cassilde;

Que, néanmoins, les dispositions de l'article 1 de la loi du 1er août 1905 permettent de rechercher la responsabilité éventuelle de personnes même si elles ne sont pas parties au contrat;

Attendu, en l'espèce, qu'il n'est pas contesté que M. B, responsable des ventes au garage Y de Nancy, n'avait pas informé le garage X du changement de compteur à l'occasion de la cession à cet établissement du véhicule Peugeot J 9;

Attendu qu'il n'est pas prouvé que B connaissait cette circonstance;

Que certes le propriétaire initial, M. HAVASSE, directeur de l'association "Le Renouveau", affirme que le garage Y avait été instruit de ce changement de compteur, ce que dément M. B;

Attendu que l'assertion de N. Ravasse n'est corroborée par aucun élément;

Que surtout l'expertise pratiquée le 27 avril 1989 à l'occasion de la vente dudit véhicule par l'association au garage Y fait état d'un kilométrage compteur de 33 987 km sans autre mention et ce bien que ce document ait été contresigné par N. Ravasse;

Attendu que, par ailleurs, le garage Y, dès lors qu'il vendait ce véhicule d'occasion à un autre professionnel, n'était pas tenu des mêmes obligations, s'agissant des vices cachés, qu'à l'égard d'un client non initié;

Qu'il n'était notamment pas tenu à des vérifications concernant l'état réel du véhicule en question;

Attendu qu'il apparaît dans ces conditions que Bernard B n'a pas commis le délit de tromperie qui lui est reproché;

Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement de relaxe prononcé en sa faveur;

- Sur l'application de la peine concernant Dominique L:

Attendu qu'il existe des circonstances atténuantes en faveur du prévenu;

Qu'il sera prononcé une amende modérée;

* Sur l'action civile:

Attendu que Me Granon, avocat, conclut au nom de M. Adalbert Cassilde à la condamnation solidaire des deux prévenus à lui payer, à titre de réparation du préjudice subi, les sommes suivantes:

- 21 000 F au titre des réparations préconisées par l'expert, M. Matusiak,

- 10 168,60 F en remboursement des réparations déjà effectuées et des frais de gardiennage,

- 30 000 F pour perte de jouissance,

outre une somme de 5 000 F au titre des frais non compris dans les dépens de la procédure;

Sur ce,

Attendu que la relaxe intervenue au profit de M. Bernard B entraîne l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. Cassilde en tant que dirigée à l'encontre de ce dernier;

Que, sur ce point, le jugement mérite donc confirmation;

Qu'en revanche, cette constitution de partie civile en tant que dirigée contre Dominique L, en ce qu'elle est régulière en la forme et fondée sur l'infraction établie à l'égard de ce dernier, doit être déclarée recevable;

Que, sur ce point, le jugement sera donc infirmé;

Attendu qu'il convient d'examiner les différents postes de la réclamation:

- Réparations à entreprendre

Attendu que M. Matusiak indique, dans son rapport daté du 21 juin 1991, que la remise en état du véhicule passe par un échange standard du moteur dont le coût, dépose et pose comprises, doit être chiffré à 21 000 F TTC;

Qu'il convient d'entériner cette prévision parfaitement justifiée;

- Réparations déjà effectuées et frais de gardiennage:

Attendu que M. Cassilde prouve, par la production des factures suivantes:

- facture du garage Est-Automobile de Forbach du 20.04.1990,

- facture du garage Schwartz de Hombourg-Haut du 27.07.1990,

- facture du garage Auto-Négoce de Longeville-les-Saint-Avold du 08.09.1992,

qu'il a exposé les sommes totalisant 4 860,79 F pour faire réparer le moteur défaillant;

Que ce montant doit donc être mis en compte;

Attendu que, par contre, il ne justifie pas avoir été dans l'obligation de faire assurer le gardiennage du véhicule;

Qu'aucune réparation ne lui sera donc accordée de ce chef;

- Perte de jouissance:

Attendu que M. Cassilde justifie avoir subi des pannes à répétition, liées à la vieillesse du moteur équipant le véhicule, puis avoir été privé pendant plus d'un an de la jouissance de celui-ci en attendant de pouvoir le faire réparer;

Attendu qu'une somme de 5 000 F réparera équitablement ce préjudice et étant observé que L ne saurait se voir imputer l'immobilisation du véhicule pour une aussi longue durée;

Attendu qu'il revient en définitive à la partie civile une indemnisation s'établissant à 30 860,79 F, somme que devra lui payer Dominique L;

- Sur l'application de l'article 475-l du Code de procédure pénale:

Attendu qu'en équité, il y a lieu d'allouer à la partie civile une somme de 4 000 F au titre de ses frais irrépétibles pour l'ensemble de la procédure;

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu, B Bernard, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard du prévenu, L Dominique et par arrêt contradictoire à l'égard de la partie civile, Monsieur Cassilde Adalbert; En la forme, Reçoit les appels comme réguliers; Au fond, * Sur l'action publique: - Cas de Bernard B: Confirme le jugement entrepris; - Cas de Dominique L: Réformant le jugement entrepris: Déclare Dominique L coupable du délit visé par la prévention; En répression, le condamne à une amende de trois mille francs; Le condamne aux dépens de première instance; Prononce, en tant que de besoin, la contrainte par corps en application des articles 749 et 750 du Code de procédure pénale, modifiés par la loi du 30 décembre 1985; * Sur l'action civile: - Action dirigée contre Bernard B: Confirme le jugement entrepris; - Action dirigée contre Dominique L: Réformant le jugement entrepris; Déclare M. Adalbert Cassilde recevable en sa constitution de partie civile; Déclare Dominique L responsable du dommage subi par la partie civile; Le condamne à payer, à titre de dommages-intérêts, à M. Adalbert Cassilde la somme de 30 860,79 F; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel; Le condamne, en outre, à payer à la partie civile la somme de 4 000 F au titre des frais irrépétibles de la procédure.